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samedi 29 juin 2013

Anthropologie ou ethnologie ?


J'avais parcouru, ici même, il y a quelques jours, le 24 juin 2013 sauf erreur de ma part, l'article de Dejan Dimitrijevic (Université Nice Sophia Antipolis) qui concernait l'éventuelle disparition de la mention de licence « ethnologie anthropologie ».

Ce billet n'avait rappelé le débat passionné qui avait eu lieu, il y a bien des années, précisément au moment du choix du nom et de la mise au point de la maquette de cette licence par le groupe d'études techniques (le GET 70) du ministère de l'enseignement supérieur et la recherche dont je faisais alors partie. Le débat avait été très vif entre les partisans de la mention "anthropologie" et ceux de la mention "ethnologie" (cette dernière étant assez clairement une spécificité française) ; on avait pu y mettre un terme qu'en adoptant la mention "ethnologie-anthropologie" (alors que la mention "anthropologie-ethnologie" eût été plus conforme à l'ordre alphabétique habituel en pareils cas).

Fort de cette expérience, je me serais bien gardé d'intervenir dans un débat si important et si éloigné de mes propres compétences, si je n'avais entendu sur France Culture la présentation de l'exposition sur l'ethnologie qui doit se tenir, durant le présent week-end, au Musée du quai Branly. Le pittoresque de la chose était que cette présentation avait été confiée, assez logiquement, au directeur de ce musée qui sans doute, moins par ignorance que par prudence, avait invité un ethnologue, S. Rennesson, chargé de recherches au CNRS, à venir faire la présentation de cette exposition et surtout de l'ethnologie elle-même, ce terme pouvant paraître un peu mystérieux, même aussi des auditeurs de France Culture. L'invité S. Rennesson (membre du Laboratoire d'anthropologie urbaine, ce qui, on va le voir, ne manque pas de sel) a donc exposé, avec un peu difficulté et sans faire mention de son appartenance au dit LA, les finalités de l'ethnologie, tout en nous parlant surtout de ses propres recherches qui portent sur les combats de scarabées en Thaïlande et de grillons en Chine dont il est spécialiste (après avoir renoncé à ses études sur la boxe thaïlandaise).

Je ne reprendrai pas ici ses propos, mais j'ai constaté (et la chose m'a amusé au souvenir des débats passionnés de la commission compétente autour de ces deux termes) que cet ethnologue n'a guère employé, pour désigner sa discipline, que le mot "anthropologie", ce qui est significatif et en tout cas curieux dans la bouche d'un spécialiste des combats asiatiques entre insectes, surtout si l'on se réfère à l'étymologie même du nom de cette discipline.

Il s'est efforcé, non sans passion à défaut de succès, de nous démontrer combien grillons chinois et scarabées thaïlandais, dans leurs joutes, peuvent nous apporter de révélations majeures sur la connaissance de l'âme, de l'esprit et des comportements humains.

La distinction entre les deux termes (anthropologie et ethnologie) me laisse personnellement assez indifférent et je ne vois aucun inconvénient, à la différence des spécialistes de ces disciplines à utiliser l'un et/ou l'autre. Je suis en revanche très frappé, par une spécialité bien française dans ces domaines, qui tient à ce que souvent les anthropo-ethnologues ignorent tout des langues des populations qu'ils prétendent étudier alors qu'aux Etats-Unis, par exemple, la linguistique figure très souvent dans les départements d'anthropologie. Les études sur les grillons ou les scarabées ont le grand avantage d'éviter ce problème !

Faut-il considérer que (et je cite ici le billet) que « la volonté de faire disparaître ce fleuron de la connaissance moderne [entendre ethnologie et anthropologie] ne s'explique" que par la "défiance politique envers tout espace où peut se développer une pensée libre et une conception universelle de l'égalité des individus et des groupes humains" ? Je n'en sais rien et, à vrai dire, j'ai omis, sans doute par paresse, de me poser la question que ne connaissent sans doute que les promoteurs d'une telle mesure.

En revanche, alors qu'on se plaint de la surabondance de disciplines et de la lourdeur des programme dans l'enseignement, je me tapote discrètement le menton (bien entendu à l'insu des ethnologues et des anthropologues) lorsque je lis, dans le billet en question, qu' "une sensibilisation au savoir ethnologique et anthropologique devrait commencer dès l'école primaire" et que "son enseignement devrait s'épanouir progressivement au collège et au lycée".

Le souci corporatiste de trouver des débouchés pour les étudiants de ces disciplines me paraît  logique, mais je reste un peu sceptique sur la solution proposée vu la multiplication et l'encombrement des programmes. La menace sur l'anthropologie-ethnologie ne tiendrait-elle pas seulement ou davantage au manque de débouchés réels et surtout à la nécessité impérieuse de faire des économies au sein du système universitaire.

L'exposition du Quai Branly m'a ramené à l'article que j'avais parcouru distraitement et qui est appuyé par une douzaine d'ethnologues (dont certains sont de mes amis) ; il fait connaître la volonté de "promouvoir cette discipline auprès d'un auditoire beaucoup plus large que son espace d'enseignement académique habituel". Naturellement, on y appelait à la rescousse Marcel Mauss et Claude Lévi-Strauss dont j'avoue que je ne connais personnellement pas les travaux sur les scarabées, mais que j'aurais certainement grand profit à lire, si je parviens à les découvrir.

vendredi 28 juin 2013

Le baccalauréat : sabotage ou sabordage ?

A mi-chemin entre les épreuves écrites du baccalauréat et la publication de ses résultats, le 5 juillet 2013 (qu'on imagine déjà assez facilement glorieux ), une information un peu sérieuse sur cet examen national me semble indispensable, à la lecture du grand nombre d'inexactitudes voire de sottises qui sont produites à ce propos dans nos médias.

Un point essentiel et qui est, le plus souvent ignoré alors qu'il explique la situation de notre enseignement supérieur, est que le baccalauréat, quoi qu'il marque et sanctionne la fin de l'enseignement secondaire, est le premier grade de l'enseignement supérieur. C'est pourquoi, même si on ne le dit jamais, il donne un accès direct et sans sélection ni contrôle, à l'université, sauf dans un certain nombre de filières qui ont, souvent subrepticement et toujours illégalement, mis en place des formes diverses de sélection. Le cas des classes préparatoires n'a rien à voir ici puisqu'elles ne relèvent en rien de l'université, comme le montre d'ailleurs actuellement la question des droits que la Loi Fioraso veut imposer à leurs élèves.

Il est donc absurde de prétendre, comme je l'ai lu, que les professeurs d'université devraient « s'investir davantage dans les jurys ». En effet tous les jurys de baccalauréat sont, selon la loi, toujours présidés par des enseignants du supérieur, même si beaucoup d'entre eux ne s'acquittent pas de ce devoir avec l'allégresse qu'ils devraient montrer puisque cette fonction fait partie de leurs obligations statutaires. Ils sont d'autant moins enclins à le faire que, s'ils doivent présider les jurys, ils ne sont en rien concernés ni par les contenus ni par les modalités de cet examen.

Un autre mystère du baccalauréat (mais il y en a tant dans l'administration française) est son coût exact et réel, surtout rapporté à son utilité, puisque on dépasse en général largement les 80 % de réussite et davantage encore, si on prend en compte les redoublements. Récemment le Syndicat des personnels de direction de l'éducation nationale (SNDPEN) a présenté une facture énorme, avançant, dans le Figaro du 10 juin 2013, que le baccalauréat coûtait, chaque année, 1,5 milliard d'euros, alors que la rue de Grenelle ne parle que de 57 millions. L'augmentation de la facture tient au mode de calcul. Le SNDPEN a tenu compte, dans son évaluation, de l'annulation de trois semaines de cours en juin et du salaire des enseignants, le coût de fonctionnement de ces trois semaines (200.000 heures) restant le même, que les cours aient lieu ou non. On atteint donc ainsi le milliard et demi d'euros en ajoutant le montant de ces cours (1.434.548.000 d'euros), financé de toute façon, aux 57 millions d'euros que le ministère de l'éducation nationale annonce, pour 2012, pour la seule organisation des épreuves.

Ce doit être même davantage car, en tout état de cause, il est évident que, si l'année officielle, pour le ministère, se termine le 4 juillet, dans les faits, le fonctionnement normal des établissements scolaires s'achève généralement à la mi-juin ; comme les élèves se jugent en vacances à partir du moment où les conseils de classe ont eu lieu, c'est plus vraisemblablement au début du mois de juin qu'il faut placer la fin de l'année scolaire. Le SNDPEN ne pousse toutefois pas le bouchon trop loin, peut-être pour éviter que le MEN ne songe, de ce fait, à réduire les primes de ces personnels !

Comme, en fait, seuls quelques dizaines de milliers de candidats n'obtiennent pas le bac, ce milliard et demi d'euros, qui conduit surtout à refuser l'accès de l'université à ces médiocres élèves, représente une dépense considérable (25.000 euros par candidat recalé!). Elle est d'autant plus considérable et même vaine que le non-bachelier peut tout à fait, au bout d'un certain temps, passé l'Examen spécial d'entrée à l'université (bien plus facile encore) qui lui permettra d'oublier qu'il a été dans les rares élèves qui n'ont pas réussi à avoir le baccalauréat.

Il y a bien longtemps que je pense qu'on aurait dû supprimer le baccalauréat, mais loin d'envisager de le faire, on est même en train, toujours subrepticement (et selon le principe bien français qui fait toujours apparaître la nécessité de remettre en place ce qu'on avait auparavant supprimé), d'en rétablir "la première partie" que l'on avait supprimée en 1963. Si l'on voyait un peu plus loin que le bout de son nez au 110 de la rue de Grenelle (jusqu'à la rue de Bellechasse au moins !), on aurait pu, en 2008, quand on a célébré le bicentenaire du baccalauréat, fêter, en même temps, le retour au baccalauréat en deux parties, puisque le bac de français, placé en fin de première, s'est désormais enrichi d'autres épreuves, ce qui marque un retour incontestable vers le vieux bac en deux parties.

Toutefois, ce sont plutôt les incidents qui ont marqué la session de juin du baccalauréat 2013 et qui justifient le titre de ce billet "Le baccalauréat : sabordage ou sabotage" qui m'ont conduit à l'écrire.

Quand on connaît le luxe extravagant de précautions qui entoure la préparation des épreuves et leur déroulement (j'ai personnellement été confronté à tout cela en temps que président de jury et chef de centre à diverses reprises), on se demande comment, par exemple, on peut se tromper de sujets au bac en donnant une épreuve de mathématiques lors de l'épreuve d'économie (j'ai un peu oublié le détail qui est sans importance ici), alors que la préparation des sujets, leur transport, leur conservation et leur distribution sont entourées d'un luxe de précautions qu'on pourrait même juger excessif. Faute d'oser supprimer le baccalauréat, ce qui serait parfaitement défendable avec des arguments très forts, n'essayerait-on pas de faire mettre en cause son maintien par le public lui-même, en multipliant les incidents autour de son déroulement ?
Ne parlons même pas de l'atmosphère délétère créée autour du baccalauréat, avec les bruits de l'incitation des correcteurs à noter sur 24 et non pas sur 20 ! Cela dit, les instructions rectorales données aux jurys et à leurs présidents pour susciter ou ordonner leur indulgence sont depuis longtemps de tradition. Laissons aussi de côté la mascarade qui fait que les mentions "très bien", naguère encore une rareté, se sont multipliées ; chaque année, on classe, à travers la France, les élèves qui ont obtenu 21 sur 20 de moyenne à l'ensemble des épreuves !

Quand se décidera-t-on enfin, en renonçant à ces pitreries, à prendre la décision raisonnable et à supprimer ce baccalauréat aussi coûteux qu'inutile ?

jeudi 27 juin 2013

Affaire Cahuzac : la farce du Palais Bourbon

Qu'on me permette de reprendre ici le début de mon post d'hier car l'audition de J. Cahuzac par la Commission ad hoc de l'Assemblée nationale, deux heures durant, ("Au théâtre cet après-midi" sur BFM-TV) est une parfaite illustration du point de vue que j'y ai exprimé.

On sait que parmi les records mondiaux, que la France peut se flatter de détenir, figure celui du nombre de lois et, plus sûrement encore, celui des lois qui ne sont pas appliquées, le plus souvent faute de décrets d'application, mais aussi parfois parce que ces textes, en eux-mêmes contradictoires, contiennent le mode de leur non-application.

Il en une autre spécialité française, apparentée d'ailleurs à la précédente, qui est le secret fiscal proprement dit (mais"proprement" est-il l'adverbe qui convient ici ?). Sa violation a, dans le passé, causé une ou deux affaires sensationnelles quand il s'agissait de la déclaration d'impôts de Monsieur Chaban-Delmas (dont on a découvert alors qu'il échappait à l'impôt sur le revenu comme naguère B. Tapie et plus récemment, le jeune Fabius) ou de Monsieur Jacques Calvet (PDG infiniment plus généreux pour ses propres augmentations de salaires que pour celles de ses ouvriers).

L'affaire Cahuzac fait, si je puis dire, "rebondir" le secret fiscal comme celui de l'instruction qu'invoque, à tort paraît-il, J. Cahuzac, ce qui est pittoresque quand on constate comment il est en permanence violé. J'ai appris, mercredi 27 juin 2013 sur France-Infos, à huit heures quinze, de la bouche de Ch. de Courson lui-même que la Commission de l'Assemblée nationale qu'il préside et qui, à 16 heures 30, et qui doit entendre les explications de Monsieur l'ex-député Cahuzac ne servira sans doute à rien. En effet J. Cahuzac aura le droit de ne pas répondre à des questions à propos de ses comptes bancaires à l'étranger sur lesquelles il jugera bon de ne pas s'exprimer.

Certes, il parlait sous serment cette fois, mais cela change-t-il quelque chose, sinon qu'on pourrait engager des poursuites que les déclarations mensongères "devant la représentation nationale" qu'il a déjà faites ne permettent pas. Monsieur Cahuzac, en effet, n'était pas tenu de répondre aux membres de la Commission de l'Assemblée nationale puisque le secret fiscal leur est "opposable"; le seul membre de cette commission échappant à cette restriction est en effet son rapporteur, sans doute pour permettre d'établir, de cette audition ridicule, un rapport, secret lui aussi !

Le Congrès américain, qui dispose de Commissions du même genre, procède tout autrement et il est impossible de n'y pas répondre, sauf à prendre illico le chemin de la prison. J'ai assisté une fois, à la télévision, à l'une de ces séances et je vous pris de croire qu'elles sont autrement musclées et que le président y répète la question jusqu' à obtenir une réponse au lieu de passer aussitôt à autre chose!

Cette restriction française (exception culturelle ?) est aussi comique qu'étrange, mais elle illustre parfaitement nos lois qui souvent contiennent, dans le même mouvement, une disposition qui arrête ou prévient l'effet d'une de leurs dispositions précédentes. En d'autres termes cette commission doit s'informer sur les situations fiscales (ou autres) de l'intéressé, mais ce dernier se voit autorisé (donc incité) à ne pas répondre aux questions qui lui sont posées, en opposant à ses interrogateurs le secret fiscal ou pire encore celui de l'instruction qui, me semble-t-il, ne concerne en rien les accusés eux-mêmes.
Admirable non ? Et vive le Père Ubu 

Je n'arrivais pas à y croire, même de la bouche de Monsieur de Courson. Toutefois, ou moment même où j'écris ces lignes ( mercredi 26 juin 2013 en début de soirée), j'ai déjà pu prendre connaissance, grâce à mediapart et à son excellent et immédiat compte rendu, minute par minute, de l'audition de Monsieur Cahuzac, de quelques épisodes qui vérifient absolument les propos de Monsieur de Courson sur France Infos le matin même.

Je ne veux pas vous infliger ici la lecture d'un texte qui peut être aisément consulté mais je n'en retiendrai que trois épisodes qui sont tout à fait significatifs et qui se sont reproduits à de multiples reprises dans la suite, comme je l'ai constaté par la retransmission faite sur BFM-TV..

"16h54 Monsieur Cahuzac refuse de répondre.
16h56 Monsieur Cahuzac refuse de répondre à 1
16h58 Pas de réponse de Monsieur Cahuzac."
 Et cela deux heures d'horloge durant !

Toutefois je regrette que ce compte rendu de mediapart, par ailleurs si précis et si complet, ne mentionne pas, et ce point est à mes yeux essentiel, que Monsieur Cahuzac avait parfaitement le DROIT (absurde mais incontestable) de ne pas répondre aux questions qui lui sont posées par la Commission. Dans ces conditions, quel peut bien être l'intérêt d'une telle mascarade, sauf à donner aux citoyens, une fois de plus, l'impression, bien entendu fausse, d'une démocratie scrupuleuse qui n'épargnerait pas les ministres escrocs qui n'ont pas hésité à mentir en public dans la même enceinte et qui, au cours de leur audition officielle sous serment, n'ont même plus besoin de mentir puisque on les dispense de répondre à toutes les questions qu'ils veulent?

J'ai expliqué ce point, après avoir entendu sur ce point Monsieur de Courson, dans mon post d'hier, sur mon blog, mais ce dernier, et je le comprends tout à fait, s'est perdu dans la masse des messages et on n'y a pas attaché la moindre importance, alors que ce point sur lequel je m'étais assez longuement arrêté, me paraît tout à fait capital et s'est trouvé largement vérifié, sans être pour autant signalé, au Palais Bourbon . Cette audition, quoique largement médiatisée, ne pouvait que servir à rien puisque J.Cahuzac n'était en rien tenté de mentir dans la mesure où, devant toute question gênante, il avait explicitement le droit de se taire

Bref, deux heures de farce au Palais Bourbon, retransmise en direct sur BFM-TV, Cahuzac n'a répondu à peu près à aucune question, même les plus anodines, sauf pour innocenter tout le gouvernement et le PS. Il a même, à certains moments, retrouvé, en dépit de ses efforts visibles, sa morgue naturelle, sans venir toutefois à bout de l'infinie patience des membres de la Commission (certains ont sagement choisi très vite de jouer avec leur téléphone) et surtout du président Charles de Courson, équanime et impassible jusqu'au bout !

mercredi 26 juin 2013

Le secret fiscal (et les autres) : Cahuzac, Tapie et les autres

On sait que parmi les records mondiaux, que la France peut se flatter de détenir, figure celui du nombre de lois et, plus sûrement encore, celui des lois qui ne sont pas appliquées, le plus souvent faute de décrets d'application, mais aussi parfois parce que ces textes contiennent, en eux-mêmes, le mode de leur non-application.

Un exemple récent, concret et précis est fourni par la loi sur la "transparence". Son annonce avait fait l'objet de rodomontades gouvernementales ; à grand son de trompes médiatiques, on a fait savoir alors au bon peuple de France qu'on allait voir ce qu'on allait voir et que les élus malhonnêtement nantis pouvaient numéroter leurs abattis.
Comme le plus souvent, la montagne communicationnelle, a accouché d'une souris législative devant la grogne des élus, conduits, et c'est tout un symbole, par le président de l'Assemblée nationale en personne. Certes, le patrimoine déclaré des élus devra être publié, avec des menaces sérieuses sur la tête de ceux qui mentiraient à ce propos. Toutefois, si les documents à ce sujet pourront être consultés par quiconque (moyennant, sans doute, un certain nombre de restrictions toutes plus ridicules les unes que les autres), il ne sera pas possible d'en publier des éléments ni même d'en faire état dans un document qui pourrait l'être.

En somme, le citoyen qui aura pris la peine, sans doute non sans difficultés, d'aller consulter, dans le lieu administratif où la chose est possible, la déclaration de patrimoine de son député, ne pourra en faire état où que ce soit et en quoi que ce soit ; il ne pourra donc, au mieux, que se remémorer les éléments de ce patrimoine, le soir avant de s'endormir, ce qui, à la longue, constituera sans doute le meilleur des somnifères. Quant à l'élu en cause, il pourra continuer à dormir, comme avant sur ses deux oreilles, quelles que soient l'étendue et l'origine de ce patrimoine, surtout s'il a pris quelques précautions élémentaires, comme de consulter un conseiller fiscal ou, plus simple et moins cher, de faire, au sein de sa famille, les donations qui auront permis de réduire l'étendue d'une fortune que d'aucuns pourraient juger excessive.

Il en est déjà de même pour une autre spécialité française, apparentée d'ailleurs à la précédente, qui est le secret fiscal proprement (mais est-ce là le bon adverbe ?) dit. Sa violation a, dans le passé, causé une ou deux affaires sensationnelles quand il s'agissait de la déclaration d'impôts de Monsieur Chaban-Delmas (dont on a découvert alors qu'il échappait à l'impôt sur le revenu comme naguère B. Tapie et plus récemment, le jeune Fabius) ou de Monsieur Jacques Calvet (PDG infiniment plus généreux pour ses propres augmentations de salaires que pour celles de ses ouvriers).

L'affaire Cahuzac fait, si je puis dire, "rebondir" le secret fiscal, puisque j'ai appris, ce matin même, mercredi 27 juin 2013, que la Commission de l'Assemblée nationale, qui doit entendre les explications (sous serment cette fois, mais cela change-t-il quelque chose, sinon qu'on pourrait engager des poursuites que le déclarations mensongères "devant la représentation nationale" ne permettent pas) de Monsieur l'ex-député Cahuzac pourra se voir opposer le "secret fiscal" à certaines questions indiscrètes sur ses comptes bancaires à l'étranger. Monsieur Cahuzac, en effet, ne sera pas tenu de répondre aux membres de la Commission de l'Assemblée nationale puisque le secret fiscal leur est "opposable", le seul membre de cette commission échappant à cette restriction est en effet son rapporteur, sans doute pour lui permettre d'établir un rapport, secret lui aussi !

Cette restriction est aussi comique qu'étrange, mais elle illustre parfaitement nos lois qui souvent contiennent, dans le même mouvement, une disposition qui arrête ou prévient l'effet d'une de leurs dispositions précédentes. En d'autres termes cette commission, qui doit s'informer sur les situations fiscales de l'intéressé, se voit autorisé à ne pas répondre aux questions qui lui sont posées, en opposant à ses interrogateurs le secret fiscal. Admirable non ? Et vive le Père Ubu !

Admirable certes mais banal, somme toute, dans notre appareil législatif. Dans l'affaire Tapie, Monsieur Charles de Courson, que j'entendais ce matin même, sur RMC vers 8 heures 30, y affirmait que les déclarations de Monsieur Bernard Tapie sur le sens de ses votes (à lui Ch. de Courson ) en faveur de l'arbitrage au sein de la commission du CDR (dont Ch. de Courson était membre) étaient mensongères. Toutefois, la preuve de ce mensonge ne peut pas être apportée, pour le moment, puisque les procès-verbaux des délibérations de cette commission sont aussi couverts par un secret dont j'ignore la nature et donc l'épithète.

Entre le secret fiscal et le secret défense, vous comprendrez que, dans bon nombre d'affaires actuelles, il est un peu vain de rechercher la vérité puisque l'accès à celle-ci est interdit par la loi elle-même qui prétend pourtant aider à y faire la lumière

Dans certaines affaires de rétro-commissions ou apparentées, on verra même cumuler, pour empêcher tout accès à la vérité, le "secret défense" et le "secret fiscal". Imaginez que vous ayez touché des rétro-commissions sur la vente de frégates ou d'avions, ces opérations sont inévitablement couvertes, sans qu'on sache d'ailleurs pourquoi, par le fameux secret défense, mais, quoique vous n'ayez évidemment pas déclaré ces revenus occultes et illégaux à votre percepteur (ce qui est le principe de base de la fraude fiscale, vous pourrez quand même évoquer aussi le secret fiscal. Avec ces deux couches de secret superposées, c'est bien le diable si l'on arrive à y voir quelque chose, d'autant que, dans ces affaires, il n'est pas d'usage de faire des chèques ou d'établir des reçus.

Comment n'a-t-on pas pensé à créer enfin chez nous le "secret magouilles", opposable à tout en toutes circonstances ?

On parle de saisir les biens de B. Tapie, mais est pauvre comme Job ! En outre,il a sans doute déjà en poche un aller simple en première classe pour un Etat d'Amérique latine, sans accord d'extradition avec la France, au cas où on lui aurait saisi son jet privé et son yacht.

mardi 25 juin 2013

Le CNU et la loi ESR

Rassurez-vous ce n'est pas une fable de La Fontaine, mais quelques réflexions inspirées par le déchaînement soudain des passions autour de la Loi Fioraso (la Loi ESR) qui, jusqu'à présent, était entrée en examen en première lecture dans une indifférence un peu étonnante mais quasi générale. Il a fallu, non pas les premières chaleurs d'un été qui tarde à venir, mais un amendement présenté au Sénat le 21 juin 2013 par les écologistes pour que soudain les passions se déchaînent en particulier du côté du Conseil National des Universités, directement concerné par l'amendement en cause, ce qui donne à toute cette affaire un léger parfum de corporatisme. Il en est de même pour les présidents d'université auxquels, après les mamours de V. Pécresse, G. Fioraso avait un peu tordu le bras sans parvenir à les réveiller.

Je ne veux pas reprendre ici les termes de l'excellent texte de Pascal Maillard, publié dans Mediapart le 24 juin 2013 et qui présente l'aspect essentiel de l'événement, c'est-à-dire le vote d'un amendement par une vingtaine de sénateurs (au nombre desquels ne figuraient, semble-t-il, que deux sénateurs socialistes, dont la "rapporteure", Madame Dominique Gillot, bien obligée d'être présente!) et qui visait, en reprenant, il faut bien le dire, l'idée suggérée mais avec beaucoup de prudence, dans le Rapport Berger, de supprimer le premier alinéa de l'article 952-6 du Code de l'éducation qui concerne les procédures de qualification aux fonctions de l'enseignement supérieur dont est chargé le Conseil National des Universités (CNU).

Puisque Pascal Maillard a pris la peine de reproduire ici même les extraits essentiels du compte rendu de cette séance du Sénat, je ne le ferai pas et n'en citerai, en les commentant, que quelques fragments des propos des sénateures vertes.
Madame Corinne Bouchoux d'abord, qui s'est exprimée en ces termes en la circonstance pour justifier sa demande de suppression de cet alinéa : "Les modalités de la qualification sont une originalité française [encore l'exception culturelle !]. La procédure est très chronophage, coûteuse et détourne les enseignants-chercheurs de leurs missions premières, la recherche et la formation. Je reprends ici la proposition 126 du rapport Berger. Faisons confiance aux jurys de thèse et supprimons cette procédure.".

A la suite de ce propos, Madame D. Gillot, rapporteure, et Madame G. Fioraso, ministre, manifestent l'une et l'autre des réticences, la première suggérant le retrait de la proposition d'amendement.

Ces réserves conduisent Madame Marie-Christine Blandin, présidente de la commission de la culture, à intervenir en ces termes pour son maintien: "Le temps n'est pas venu d'installer ce dispositif ? Il ne s'agit pas d'installer mais de supprimer un dispositif qui pénalise tout les doctorants de France…"
Suite à cette intervention, on lit dans le compte rendu : " L'amendement numéro 6 est adopté".

De façon très curieuse pour ne pas dire absurde (Pascal Maillard note à juste titre : « Comble de l'incohérence des sénateurs présents, l'amendement suivant numéro 7 n'est pas adopté »). En effet, cet amendement n° 7, présenté par Monsieur Gattolin et les membres du groupe écologiste, propose d'insérer, après l'alinéa 3, un alinéa ainsi rédigé " Les mots : " dont la qualification est reconnue par l'instance nationale prévue à l'article L. 952-6" sont supprimés". Quoique C. Bouchoux ait fait valoir, à juste titre, qu'il n'y a là qu'un "amendement de cohérence", Mesdames Gillot et Fioraso maintiennent leur avis défavorable et l'amendement numéro 7 est pas adopté, ce qui est évidemment totalement illogique puisque le sixième venait de l'être !

Je me limiterai ici car je ne puis aborder, dans un blog qui en deviendrais interminable; tous les problèmes que posent les procédures du CNU, de la qualification, de l'habilitation à diriger des recherches (HDR) devenue équivalente à la thèse d'État, et le doctorat français lui-même. Toute l'université française est à repenser et ni le rapport Le Déaut ni la loi Fioraso ne le font. Je me bornerai donc ici à quelques remarques sur les propos rapportés dans le compte rendu de cette séance du Sénat.

J'avoue mal comprendre le propos de Madame Bouchoux disant que la procédure d'habilitation par le CNU « est très chronophage, coûteuse et détourne des enseignants-chercheurs de leur mission première, la recherche et la formation ». De quels chercheurs s'agit-il ici ? De ceux qui présentent leur candidature à la qualification et qui sont par là obligés de faire un dossier de candidature ou des membres du CNU qui sont inévitablement distraits de leurs autres obligations légales par les sessions du CNU. Les choses ne sont évidemment pas très claires, mais peut-être ne sont-elles pas davantage dans l'esprit de C. Bouchoux.

Je suis également quelque peu étonné par l'évocation par Madame Bouchoux du coût de cette procédure. Pour avoir été quatre fois nommé au CNU (trois fois dans des sections différentes - 9e, 7e et 73e - et une fois en commission de groupe ) sans avoir été jamais candidat puisque j'y ai toujours été nommé par des ministères, aussi bien de droite que de gauche), je vois mal comment cette procédure peut être si coûteuse quand on voit que les tarifs des frais de mission attribués aux membres provinciaux du CNU ne permettent guère de survivre à Paris

Enfin je ne serai guère enclin, par une longue expérience que C. Bouchoux n'a sans doute pas, à "faire confiance aux jurys de thèses". Un tel propos témoigne en effet d'une double ignorance.
D'une part, les thèses sont décernées avec des mentions et les "félicitations du jury", même si elles ne sont, en principe, attribuées au maximum qu'à 10% des thèses soutenues (règle d'ailleurs peu respectée), ne garantissent en rien un poste de maître de conférences. Il y a des dizaines de candidats pour un poste et il est bien plus facile, en ce moment, de devenir professeur avec une HDR bidon.
D'autre part, toute les procédure de préparation et de soutenance des thèses françaises serait à revoir. Les jurys sont souvent composés de façon étrange et on y échange un peu trop souvent le séné et la rhubarbe ! Comparons donc un peu avec ce qui se passe, par exemple, aux Etats-Unis et en Allemagne pour le DEA et la thèse elle-même. Je pense en effet, on l'aura compris, que, avant même de songer à réformer les procédures de qualification, c'est la thèse elle-même et l'HDR qu'on devrait réformer, car je connais peu de pays où les soutenances du doctorat comme de l'HDR se déroulent souvent dans des conditions aussi peu convenables qu'en France.

Le rôle essentiel dans cette affaire est évidemment tenu par M-C Blandin présidente de la Commission de la culture du Sénat dont je ne sais pas si les propos ont été exactement rapportés tant ils paraissent étranges, pour certains du moins. J'en rappelle le début : " Le temps n'est pas venu d'installer ce dispositif ?" Je m'interroge sur le sens d'une telle phrase et il y a probablement là, ou une erreur de transcription de la déclaration de Madame Blandin ou une absence de sa part. Ce qui m'inquiète davantage est de la voir déclarer qu'il s'agit de "supprimer un dispositif qui pénalise tous les doctorants de France."

La procédure de qualification par le CNU concerne à la fois les candidats à des postes de maîtres de conférences ou à des postes de professeurs qui sont, dans les deux cas, des docteurs et non des "doctorants". La formulation utilisée par Madame Blandin prouve, à l'évidence, qu'elle ignore jusqu'au sens de ce terme.

N'est-il pas dans ces conditions infiniment dangereux de donner pareil pouvoir de décision (même si elle n'est que provisoire, dans l'attente de la Commission paritaire du 26 juin 2013 voire de la seconde lecture) à des élus qui ignorent tout du sujet dont ils ont à traiter? Le rapport du Sénat sur le travail "en aveugle" du CNU, loin de lever les inquiétudes, ne fait que les accroître par les ignorances et les incompréhensions dont il témoigne.

L'argument central qui y est, longuement et même lourdement, développé est le suivant : Les sections du CNU se prononcent « en aveugle » et « dans le brouillard »( ce sont là ses propres termes !) sur la qualification des candidats, nombre de postes à pourvoir, décidé par le ministère. "La qualification n'est donc aucunement corrélée avec une politique de l'emploi. C'est ainsi qu'apparaît un phénomène de « reçus-collés », puisqu'un nombre parfois important de candidats qualifiés ne seront pas recrutés par les universités, faute de postes."

Les sénateurs qui siègent dans cette commission sont sans doute, pour bon nombre d'entre eux, des enseignants du secondaire et il est clair qu'ils assimilent les procédures de qualification par le CNU aux concours de recrutement comme le CAPES et l'agrégation. Or, les nominations sur des postes de maîtres de conférences comme de professeurs sont, sous réserve de qualification, du ressort direct et EXCLUSIF des universités et le ministère n'a, en rien, le pouvoir d'y nommer un enseignant.

On lit dans le rapport du Sénat :  Les sections du CNU "doivent faire doivent faire face à un « trop-plein » de bons candidats à la qualification au regard du nombre de postes vacants. Par exemple, en 2000, la section 64 du CNU (biochimie et biologie moléculaire) a reçu plus de 1.000 candidatures à la qualification à la maîtrise de conférences et 200 au professorat, pour un total de 20 postes". Cette disproportion n'a rien à voir avec le processus de qualification et ne tient qu'au laxisme des procédures du doctorat et de l'HDR. Il est d'ailleurs amusant de voir citer l'exemple de la chimie où il y a toujours eu une forte inflation de thèses, la rumeur disant même qu'elles étaient souvent faites surtout par les garçons de laboratoire !

La meilleure phrase de ce rapport du Sénat est peut-être la dernière : "Votre rapporteur s'étonne que le ministère ne soit pas encore en mesure d'établir une liste complète, sans doubles comptes et à jour, du stock des qualifiés non recrutés". Comment et à quoi bon établir une telle liste ?

lundi 24 juin 2013

Information : BMC ou chiens écrasés?


D'aucuns s'inquiètent, ici même, sur le sort des sciences humaines et sociales (dans le jargon universitaire SHS) au sein de la recherche française ; aucune raison  à cela puisqu'une chercheuse (ou "chercheure" à la mode québécoise) au Laboratoire Communication et Politique du CNRS (LP 3255-20), auteur d'une thèse intitulée "Le fait divers à la télévision française (1950-2006)", Claire Sécail vient de publier un ouvrage, apparemment tiré de cette thèse, même s'il s'intitule Le crime à l'écran, avec un titre quelque peu racoleur ; après tout il faut bien vivre, vu la modeste rémunération que perçoit une chargée de recherche au CNRS.

Je n'ai évidemment lu ni la thèse ni le livre et je n'ai pas la moindre intention de le faire, car je me suis déjà forgé mon opinion à ce propos, et cela depuis bien longtemps.

Si j'ai bien compris ses interviews de promo, cette chercheu(s/r)e ne partage pas le point de vue de P. Bourdieu qui considérait, non sans bon sens, que, surtout dans l'information, « les faits divers sont une diversion » ; j'ai personnellement une interprétation, un peu complémentaire à celle de Bourdieu, qui est que la plupart des journalistes, surtout dans nos médias audiovisuels, sont enclins à parler d'à peu près n'importe quoi... sauf de ce que l'on attend d'eux mais qui supposerait, de leur part, un minimum de travail d'information et même parfois de connaissances, voire de culture.

Si j'ai bien lu les propos qu'on prête à C. Sécail, les années 70 marqueraient l'apparition du fait divers à la télé (encore toute récente) et traduiraient une libération de la parole dans la société ; évolution post soixante-huitarde en somme, comme le porno au cinéma ! Toujours selon les propos qu'on lui prête, c'est à partir des années 80 qu'on assiste à un nouveau basculement, le fait divers prenant la première place dans les journaux télévisés. Ce succès s'expliquerait, à l'en croire, dans la mesure où le téléspectateur se sent proche affectivement de l'événement. (Ben voyons ! Qui n'a pas quelques débris humains ou un ou deux bébés dans son congélateur ?). Une telle rubrique serait donc « très démocratique » ; selon C. Sécail, c'est au début des années 2000 que le genre conquiert ses lettres de noblesse avec l'émission de France2 "Faites entrer l'accusé" de Christophe Hondelatte.

On a compris que je suis en assez large désaccord avec ces points de vue, mais l'évocation de cette dernière émission me rappelle que j'ai écrit à son propos un blog en mai 2008 publié dans le Nouvel Obs.com sous le titre « D'Albert Londres à Jacques Pradel : Nelson Montfort et Christophe Hondelatte". J'ai pris la peine de le rechercher et je vous en livre donc ici la seconde partie qui résume assez brièvement et opportunément mon point de vue sur cette question et sur cette émission.

"C’est ainsi qu’il [Hondelatte] nous a proposé (j’allais dire « infligé ») dans "Faites entrer l’accusé" "Nathalie Le Sckrill l’étrangleuse". Le problème, avec ce genre d’émission et les moyens dont elle dispose, est qu’on n’a rigoureusement rien à y montrer, pas même « l’étrangleuse » en question, qui, ayant, comme on dit, « refait sa vie », n’aucune envie de se faire voir à la télé. Que reste-t-il à Hondelatte ? Force lui est de se contenter d’une pauvre rouquine de juge d’instruction qui, quoique ayant investi chez le coiffeur et l’esthéticienne, n’a pas grand chose à montrer non plus et moins encore à dire.

Il est, en effet, clair aux yeux de tous, sauf de la police, que Nathalie, en instance de divorce, a trucidé son mari, qui a soudain disparu après une dispute avec elle. Le seul problème est qu’on ne trouve pas le corps, qu’on ne cherche d’ailleurs pas. Il sera découvert, dans un bois proche où il avait été simplement jeté, sans autre forme de dissimulation. Les faits se passent en hiver, sans quoi promeneurs, chasseurs ou ramasseurs de champignons l’auraient tout de suite trouvé.

Il n’y a donc rien à dire sur cette affaire et pour meubler l’heure que dure hélas l’émission, il faut interminablement faire causer, sur rien du tout, l’insipide juge d’instruction rouquine (qui nous sort, tout de même, quelques plaisantes bourdes du style « des questions acérées » qu’elle entend poser et même, mais peut-être ai-je mal entendu, les airs de « matra [sic] dolorosa » que prenait parfois Nathalie). Les deux gendarmes, dont c’est assurément l’heure de gloire, rasés de près et sortant, eux aussi, de chez le coiffeur, ont beau arborer leurs plus beaux atours militaires, avec des chemises pourvues de tous les plis réglementaires, on s’ennuie ferme.

Toutefois, les deux vraies vedettes de l’émission sont une chaise d’écolier qui, dans la sémiotique hondelattienne, symbolise, dans des plans successifs, les interrogatoires et une antique machine à écrire verte (les faits se passent en 1994), modèle Olivetti 1965, qui figure, elle, à peu de frais, les déclarations contradictoires, puis les aveux de l’accusée. Quand Nathalie se dérobe, on a de longs plans fixes de la machine posée sur le bureau ; en revanche, quand elle parle ou avoue, une main invisible tape et nous avons droit à des plans rapprochés, encore plus long, de cette même machine mais « en action ». On est clairement ici à mi-chemin entre l’expressionnisme post-pictural chromatique et le pop-art. Un grand moment de cinéma en somme, mais un peu trop décalé !

Pour pareil sujet, France 2 n’a toutefois pas donné à Hondelatte les moyens de ses ambitions et l'opportunité de nous faire du Maupassant ou du Zola, avec des comédiens et une vraie reconstitution des faits. Dommage, car le mari étranglé étant un jockey et Nathalie l'étrangleuse étant, comme lui, « de petite taille », on aurait pu faire un intéressant « Nathalie, ange et démon » avec Passepartout comme mari et Mimi Mathy dans le rôle titre (quoiqu'elle soit sans doute bien trop chère !). Il n’en est rien hélas et, d’après les informations que j’ai pu avoir, seuls 487 téléspectateurs ont suivi l’émission jusqu’au bout, avec en outre cette restriction que les trois-quarts d’entre eux dormaient sans doute déjà depuis longtemps pour le générique de fin.

Le seul vrai mystère de l’affaire réside dans le fait que « Nathalie l’étrangleuse », condamnée à vingt ans dont treize incompressibles, a été libérée au bout de sept ans!"


En réalité, l'évolution est un peu plus compliquée que ne le dit cette chercheu(r/s)e puisque si la réflexion politique ou géopolitique a, à peu près complètement disparu des JT des principales chaînes, elle y a été remplacée en trente ans par trois sujets, successifs et/ou simultanés : la Bourse, la Météo, et le Crime. Curieusement ou miraculeusement, le sigle qu'on peut tirer des initiales de ces trois noms, BMC, est celui qui désignait autrefois dans l'armée les « bordels militaires de campagne »! Le hasard fait décidément bien les choses!

Sauf sur BFN-TV, la Bourse n'a guère résisté à la crise financière ; la Météo, elle, continue à triompher sur les deux principales chaînes (où les grenouilles d'antan sont remplacées par deux sauterelles sexagénaires qui ne voient pas le (mauvais) temps passer). Quant au Crime, il demeure l'élément majeur de notre paysage audiovisuel, tant par les feuilletons américains qu'on ne cesse d'y programmer au mépris des quotas que par les informations elles-mêmes. S'y ajoutent désormais les multiples documentaires de la TNT ou de la Huit qui rivalisent avec la fiction, mais en se bornant à filmer, des heures durant, des "flics au boulot" qui, ravis de passer à la télé, y miment à plaisir la police scientifique ou les Rambos des séries américaines. Bref, à la télé française, BMC à tous les étages !

Dire que l'envahissement de nos écrans par le fait divers, criminel de préférence, correspond à une évolution "sociale" est sans doute une ânerie. Le nombre des faits divers traités dans les journaux télévisés a augmenté, en dix ans, de près de 73 % alors que la criminalité n'a fort heureusement pas marqué la même augmentation de volume en dépit du match permanent entre la Corse et Marseille (2-1 pour la Corse lors du dernier week-end). Les journaux télévisés du soir en 2012 ont consacré 2062 "sujets" aux faits divers, alors qu'il n'y en avait encore qu'un peu plus de 1000 en 2003 (source INA). C. Sécail, sociologue, ethnologue ou anthropologue (je ne sais pas trop et la dispute sur ces termes reprend !) devrait donc examiner d'un peu plus près les chiffres qui fondent de son raisonnement. Une autre indication intéressante est la comparaison de la part consacrée aux faits divers par les différentes chaînes. Selon les mêmes sources de l'Institut National de l'Audiovisuel, le pourcentage, qui n'est que de 1,1 % pour Arte, monte à 9,4 % pour M6.

Somme toute et après tout, ici comme partout, on a l'information qu'on mérite !

vendredi 21 juin 2013

Sale temps sur la France : tornades et conférence sociale. Le point de vue du Huron.


Je ne sais pas trop comment il faut interpréter cette convergence observée lors du 20 juin 2013 qui, fort heureusement, n'était ni le jeudi précédent (le 13 !) ni un vendredi. Le "communiquants" élyséens y avaient pensé dans leur choix, fort heureusement et, par là, ils ont évité à notre Président de braver le ciel, ce qui n'est pas dans sa nature et avec lequel il est un peu brouillé depuis son élection (N'a-t-il pas dit que "gouverner c'est pleuvoir" ?). La France a connu, en tout cas et en même temps, deux événements, l'un climatique et l'autre social qui ne sont pas sans quelque parenté : les tornades et la conférence sociale.

Pour les premières, on a fait pour le mieux ; la visite du Président de la République accompagné du ministre de l'intérieur (lassé des visites mortuaires dans les "quartiers"), et surtout la déclaration de catastrophe naturelle, qui conduira à l'indemnisation par les assurances et somme toute, une fois le traumatisme de l'événement passé, relanceront quelque peu l'activité économique et donc l'emploi.

Il en est tout autrement de la conférence sociale ; certes, elle a permis à Madame Parisot de jeter ses derniers feux, avant qu'elle passe le relais à Monsieur Gattaz dont on nous proclame, urbi et orbi, qu'il est un "self-made-man", ce qui ne manque pas d'amuser tous ceux qui se souviennent du règne de son cher papa sur le patronat français. Le pire pour le gouvernement est que les syndicats ont mis en place de nouvelles têtes qui doivent se faire un nom, surtout Monsieur Lepaon à qui l'idéologie de son syndicat interdit naturellement de faire la roue dans les médias!

Si la CFDT se montre, comme souvent, accommodante, FO et la CGT seront en première ligne pour s'opposer à toute réforme, ce que l'on comprend aisément à la fois au vu de leur électorat agrippé à ses régimes spéciaux ) et du passé professionnel de leurs dirigeants (T. Lepaon est dans le syndicalisme depuis près de trente ans), même si B.Thibault jouit désormais d'une retraite bien méritée (à 53 ans !) et si J.C. Mailly a si peu réellement travaillé au cours de son existence qu'il peut consacrer toutes les forces ainsi accumulées à la défense des travailleurs.

Comme toujours, c'est le point de vue du Huron que j'exprime ici (pour d'autres Hurons) et je ne suis en rien spécialiste des retraites et moins encore des tornades, dont vous observerez que je me suis abstenu de trop parler, du moins au point de vue de la météorologie.

Je constate, une fois de plus, que l'on parle d'unifier les retraites du privé et du public alors que chacun devrait savoir et dire que les fonctionnaires n'ont pas une retraite mais une pension qui est inscrite sur le Grand Livre de la dette publique. Il en résulte que si, durant leur carrière, ils cotisent bien effectivement pour leurs vieux jours, en théorie du moins, leur pension leur est due par l'État jusqu'à leur mort, qu'il pleuve ou qu'il vente si j'ose dire.

L'incidence du chômage (que ne connaissent pas les fonctionnaires) est donc bien moindre que dans le cas du privé, même si, évidemment, l'activité économique générale (y compris l'emploi) est de la plus haute importance pour abonder les ressources de l'État. Cela dit, il y a déjà, pour les artisans je crois, un système de retraite par points qui me paraît avoir des avantages, même s'il se heurte à l'hostilité des syndicats hostiles à tout changement par attachement aux régimes spéciaux.

D'une part, ce système existe déjà ; il consiste dans l'accumulation, au cours de la carrière, de points dont le total, au terme de la vie professionnelle, permet de calculer le montant de la retraite. Dès lors, on supprime le problème, effectivement curieux mais dont les causes sont aisément explicables, de savoir si on calcule la retraite sur les 25 meilleures années ou sur les six derniers mois. Dans la fonction publique, cette dernière disposition amène, sans vergogne, à distribuer généreusement les promotions chez les fonctionnaires, non pas au mérite mais à ceux qui sont près de la retraite afin d'en faire augmenter le montant. Cet usage n'a rien de mystérieux et, dans toutes les commissions de l'administration, cet argument est constamment avancé pour promouvoir Pierre plutôt que Paul dans la mesure où le premier est à quelques mois de la retraite, le reste important peu.

Ce système des points a, en outre, l'avantage, du moins tel que je crois le connaître, qu'il permet d'ajouter, d'une certaine façon, une forme de capitalisation par l'intéressé puisque il est possible, si on le souhaite, d'acheter des points, pour augmenter sa retraite en investissant, non pas dans une quelconque mutuelle (des fonctionnaires ou d'un autre métier) mais dans l'achat de points qui augmenteront le nombre dont on disposera au moment de la retraite. Ce système a l'avantage, à la différence des fonds de pension privés, de ne pas être soumis à la fois aux aléas de la bourse et aux manœuvres des escrocs.

Cela dit les solutions qu'on entend agiter le plus souvent, (de l'augmentation du nombre d'annuités au départ plus tardif à la retraite), ont déjà été plus ou moins évoquées voire esquissées. Dans le contexte de l'emploi que nous connaissons actuellement, elles sont totalement illusoires, puisque le principal problème auquel nous sommes confrontés, est l'activité de ceux qu'on appelle pudiquement les "seniors". On sait que le taux d'emploi des plus de 50 ans en France est l'un des plus bas d'Europe ; par conséquent, prétendre faire travailler plus longtemps ces "seniors" ne reviendra, en fait, qu'à les payer comme chômeurs en attendant qu'ils aient droit à leur retraite. Une telle mesure, dans le contexte actuel, est si absurde qu'on a peine à croire que des esprits raisonnables puissent l'envisager ou même l'évoquer.

En tout état de cause, il y a là aussi un fait économique et social que nos chercheurs en sciences humaines et sociales du CNRS devraient étudier.

Comment et pourquoi persiste cette croyance aberrante, qu'avait déjà dénoncée il y a un demi-siècle le Club de Rome, et qui conduit à penser que la croissance des Etats du Nord et de l'Europe en particulier se poursuivra indéfiniment et qu'il faut nécessairement que le pouvoir d'achat y croisse chaque année d'un ou deux pour cent ?

Une telle idée était évidemment déjà absurde il y a cinquante ans ; elle l'est plus encore aujourd'hui où ce qu'on appelait autrefois le "Tiers-Monde" et qu'on nomme aujourd'hui, pour partie, les "pays émergents" a de moins en moins envie de se laisser dépouiller et exploiter par le Nord.

jeudi 20 juin 2013

Politique française : la méthode Coué et le croque-mitaine

Entendu successivement, hier et aujourd'hui, chacun sur leur domaine, Madame Geneviève Fioraso (ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'espace ; je n'ai appris qu'hier qu'à ces deux domaines déjà vastes s'ajoutait l'espace qui est sans limites) et Monsieur Le Driant; ce matin même, à propos du Mali essentiellement. L'un et l'autre m'ont convaincu que, dans l'exercice gouvernemental, aux « éléments de langage », toujours présents, s'est ajoutée désormais la méthode du bon psycho-pharmacien Emile Coué.

Honneur aux dames et à la chronologie ; commençons donc par Madame Fioraso qui s'exprimait hier sur France-Info ou sur Europe (peu importe puisque, dans les deux cas, le discours est strictement identique.). Je sais bien, pour lire mediapart que l'université et la recherche ne sont pas des sujets qui intéressent beaucoup les Français. Je ne leur donnerai d'ailleurs pas tort, mais je pense que cela ne tient pas aux sujets eux-mêmes, mais bien plutôt à la façon dont on les aborde et les traite. Le blog étant un genre bref je serai court.

Madame Fioraso s'est efforcée, une fois encore, au cours de ce bref entretien, de démontrer que ce gouvernement fait davantage que le précédent pour les universités, avec la création de 1000 postes par an durant cinq ans et une augmentation d'un ou deux pour cent du budget). Soit et dont acte. Mais qu'est-ce que cela va changer aux problèmes des universités et de la recherche françaises qui sont naturellement ailleurs.

On sent, à la rhétorique de ses propos, que les interlocuteurs de Madame Fioraso (que mon Dragon s'obstine à nommer joliment "Madame Firent assaut") sont essentiellement les syndicats qui, quelle que soit la question posée, répondent, toujours et invariablement, par des demandes de postes et de moyens, sans naturellement envisager, un instant, les questions essentielles.

Je puis témoigner, par expérience de bon nombre d'universités que je connais (et mon expérience dans ce domaine est hélas longue et diverse) que les universités ne manquent, le plus souvent et surtout les plus anciennes et les plus grandes, ni de postes ni de moyens, mais essentiellement de la volonté de les répartir de façon plus judicieuse et plus efficace, en exigeant aussi, dans un certain nombre de cas, que les services pédagogiques et administratifs des personnels soient effectivement effectués.

Je puis témoigner que dans une université qui était la mienne lorsqu'est intervenue la fameuse loi des 35 heures, la panique s'est instaurée, dans les services administratifs, non parce qu'on allait devoir réduire les services mais parce qu'il aurait fallu, au contraire, les augmenter pour travailler effectivement 35 heures hebdomadaires devenues fatidiques. On se livra alors à des calculs savants, avec falsification des emplois du temps et évaluation des horaires sur l'ensemble de l'année, pour parvenir à passer, au moins en apparence, des 30 ou 32 heures effectives et réelles aux 35 heures réglementaires.

Si certaines disciplines sont effectivement surchargées en étudiants (comme ce fut le cas, un moment, de la sociologie puis de la psychologie, domaines dans lesquels nul ne se posait le problème du devenir professionnel des milliers d'étudiants qu'on y inscrivait en première année), d'autres sections ont plus de personnel que d'étudiants ou presque ; je ne citerai pas de cas précis pour ne se fâcher personne, mais chacun sait que les lettres classiques ou les langues slaves ne sont pas surchargées. Le problème est que les universités, pourtant autonomes sur ce point bien avant la loi LRU, sont en fait totalement incapables de "gérer" les postes, chacun tenant l'autre par la barbichette, et, tout bêtement, de faire passer un ou deux postes, devenus inutiles d'une discipline, dans une autre qui en aurait besoin. Tout le monde le sait évidemment, mais il n'est pas question d'évoquer, où que ce soit, cet aspect. Ne parlons pas ici de l'encadrement des étudiants dans les facultés de médecine parisiennes où, naguère encore, il était, mieux qu'au MIT, de 2,5 étudiants par enseignant !

Monsieur Le Drlant lui s'est exprimé sur le Mali, suite à l'accord conclu à Tombouctou entre Bamako et le Nord Mali qui, nous a-t-il précisé, règle parfaitement et définitivement tous les problèmes de l'Etat malien. Les troupes maliennes vont enfin pouvoir revenir à Kidal qui leur était interdit. Oublions le passé ; on met en place une commission mixte Sud-Nord qui réglera tout ; les élections auront bien lieu, en toute "transparence" et équité, le 28 juillet 2013, même s'il n'y a ni listes électorales, ni cartes d'électeurs avec ou sans photos. Bref, tout est pour le mieux dans le meilleur des Malis possibles.

Que sera, sera et l'avenir jugera ! Je ne pense pas, mais c'est un avis personnel, que, si élaborés que soient les "éléments de langage" du ministère de la défense, on règle si facilement des antagonismes millénaires. Quant au "développement" du Mali, les quelques milliards annoncés se perdront peut-être dans les sables car ce n'est pas la première fois qu'on met en place des "plans de développement du Nord" et, sauf erreur de ma part, il y en a déjà eu un au début des années 80 (entre autres) qui n'a pas eu plus de résultats que ceux qui l'avaient précédé et que ceux qui l'ont suivi).

"Éléments de langage" et "méthode Coué" d'une part, mais, d'autre part et dans un autre domaine, on agite le croque-mitaine. Le non-cumul des mandats qui était l'un des engagements les plus forts du candidat Hollande lors de l'élection présidentielle est mal barré et il faut trouver autre chose sans perdre la face.

Tout cela, comme le reste, n'est qu'une affaire de communication ; on a donc imaginé de mettre en place un commando-suicide d'élus, quelque peu disparate dans ses motivations (Laurent Wauquiez !!!!), dont la proposition centrale, pour le moins inattendue, est de supprimer la plupart des avantages attachés aux fonctions de représentation nationale, sur le plan de la retraite comme dans le domaine fiscal. La levée de boucliers immédiate conduite, une fois de plus, par le président Claude Bartolone (François doit regretter de ne pas avoir juché Ségo sur le perchoir !) n'a pas tardé et ce dernier a même amené Henri Guaino à se rallier à son panache blanc de la révolte, ce qui est tout dire !

Échaudée par cette proposition aussi téméraire que peu crédible, la majorité socialiste aura assez de bon sens pour accepter sans vergogne comme à l'accoutumée, sur le cumul des mandats et les conflits d'intérêts, une version si édulcorée qu'elle en devient "transparente" !

mercredi 19 juin 2013

Lagarde se rend mais ne meurt pas

Comme c'était autrefois l'une des habitudes éditoriales de Charlie Hebdo, j'aurais pu inscrire ce titre « Lagarde se rend mais ne meurt pas » dans la rubrique "Les titres auxquels vous avez échappé". J'ai en effet écrit un blog sous cet intitulé, autrefois, à propos de la visite de Madame Lagarde au Niger que j'avais trouvée du plus haut comique, du moins dans le récit qu'elle en avait fait. Peut-être le reprendrai-je ici, un jour de disette imaginative.

On sait que le Monde a publié hier une lettre qui a fait quelque bruit, même si l'on n'en parle plus guère déjà, sous le titre « la lettre d'allégeance » de Christine Lagarde à Nicolas Sarkozy. Dans cette affaire, c'est, somme toute, le mot "allégeance" (dont nos chroniqueurs incultes se sont régalés, car ils le découvraient manitestement ) qui a monopolisé l'attention plus que le contenu de cette lettre, même s'il est, d'une certaine façon, par le ton, plus proche du téléphone rose que du courrier interministériel.

J'ai consulté par curiosité le site Le Monde.fr pour voir ce qui était dit à propos de ce document. Curieusement, on y indique qu'on a découvert, lors d'une perquisition au domicile de Madame Lagarde, une lettre manuscrite à Nicolas Sarkozy. J'en ai été fort étonné car, la veille sur RMC, dans la matinée, j'avais entendu un journaliste du Monde, semble-t-il co-auteur de l'article, qui avait précisé que cette lettre en fait avait été retrouvée dans l'ordinateur de Madame Lagarde et que c'était la rédaction du Monde qui avait écrit le texte à la main en reproduisant naturellement, de la façon la plus fidèle, le texte figurant dans l'ordinateur de la ministre.

Beaucoup se sont demandé pourquoi une lettre si compromettante n'avait pas été détruite par celle qui l'avait écrite, quelque ait pu être, par ailleurs, le sort du texte lui-même, qu'il ait été envoyé ou non à son destinataire, ce qui, somme toute, n'a guère d'importance en l'occurrence.

Cette observation qu'on pourrait juger pertinente est, en réalité, sans intérêt car, même si l'on supprime dans son ordinateur, un texte qu'on y a écrit, les spécialistes peuvent toujours l'y retrouver, même si on pense l'en avoir fait disparaître. Là n'est donc pas le problème et il est probable que Madame Lagarde, qui est avocate et non informaticienne, ne connaît pas ce détail et a sans doute pensé avoir fait disparaître le texte de la mémoire de sa machine.

Comment les journalistes ont obtenu ce texte pose une question toute autre mais les fuites dans les enquêtes sont aujourd'hui si nombreuses qu'il n'y a pas lieu de s'interroger particulièrement à ce propos. Ce que je trouve, en revanche, est que le ton et le contenu de cette lettre ne sont pas dignes d'une femme aussi distinguer, en apparence du moins, que Madame Christine Lagarde. C'est pourquoi en respectant scrupuleusement la rhétorique et le contenu de cette missive, je vous propose ici de lui donner un ton un peu plus noble en empruntant, pour un instant les modes d'expression de notre tragédie classique.

Monsieur le Président, je suis votre servante,
Mais n'allez pas penser surtout que je m'en vante ;
Si mon coeur n'est qu'à vous, nul n'en est informé,
C'est à vous servir seul que je me suis donnée.
 
J'ai toujours prévenu vos désirs et en tout ;
Et si, ici ou là, aux voeux que vous formiez,
Je n'ai pas répondu comme vous le vouliez
J'en demande aujourd'hui pardon à deux genoux.
 
Je n'ai pas d'ambition autre que votre gloire
Et ne dispute point à tous vos affidés
La proximité vaine dont vous les honorez
Eux dont la loyauté est, pour beaucoup, à voir!
 
Utilise-moi donc puisque je suis ta chose
Car c'est moi qui, en tout, serais ton obligée,
Puisque tu es, en un, mon guide et mon soutien
Et que, bien malgré moi, sans toi, je ne suis rien.

Christine L.

mardi 18 juin 2013

Transparence et Haute Autorité : "Quand dire c'est faire".


Quand dire c'est faire est le titre français de la traduction, parue en 1970, du livre de John Austin How to do Things with Words publié en 1962 . Le titre français me paraît beaucoup moins parlant (pour l'usage quelque peu abusif que je veux en faire) que le titre anglo-américain qu'il aurait mieux valu, à la limite, traduire mot à mot : "Comment faire des choses avec des mots". Il est curieux que cette théorie dite des "actes de langage" soit née de la publication en 1962 de conférences, données quelques années avant par John Austin, car il me semble que ce titre convient bien davantage aux habitudes françaises qu'aux pratiques américaines, et cela sur deux plans que j'entends examiner brièvement.

Le débat actuel sur la "transparence", voulue par notre Président de la République, comme contre-feu nécessaire à l'affaire Cahuzac et à quelques autres de moindre importance, me paraît illustrer tout à fait cet aspect. Je n'en donnerai ici que deux exemples mais qui me paraissent suffisamment probants car ils ne se limitent pas du tout au seul domaine en cause loin de là.

Pour que les choses soient plus claires, revenons un peu sur cette question de la transparence qui s'inscrit dans une quarantaine d'années de notre histoire administrative.

Selon la formule célèbre, en France, quand on veut noyer un problème, on crée une commission (le mot est, je crois, de Clémenceau) ; c'est ainsi que, en juillet 1978, on a créé la "Commission d'accès aux documents administratifs (CADA) qui a pour objectif de "faciliter et contrôler l'accès des particuliers aux documents administratifs". Auparavant deux ou trois affaires avaient défrayé la chronique politico-financière (essentiellement à travers le Canard enchaîné qui, à cette époque, était la seule source d'informations un peu non-conformistes) dont en particulier des publications de feuilles d'impôts d'hommes politiques (comme celle de Chaban-Delmas) ou de PDG (comme le père du diesel Jacques Calvet) qui avaient donné lieu à procès.

Le curieux de la chose est que cette CADA n'émettait, notons-le, que des conseils (donnés Dieu sait à qui) et devrait fournir, en principe, des informations aux citoyens, mais se heurtait, immédiatement et de front, à un immense tabou administratif français dont personne n'ose parler et dont on voit une fois de plus, dans l'affaire de la transparence, l'importance capitale : le secret fiscal.

La CADA était une commission très générale ; on s'est donc rapproché un peu plus du problème de la transparence des ressources et des patrimoines des hommes politiques avec la création, dix ans plus tard, en 1988, d'une nouvelle commission dont le titre est beaucoup plus précis : Commission pour la transparence financière de la vie politique.

Cette commission avait pour fonction d'examiner le patrimoine des élus dont toutefois les déclarations ne sont pas rendues publiques (toujours le fameux "secret fiscal") ; ses membres n'ont cessé de se lamenter sur leurs absence de moyens comme de pouvoirs (l'absence des seconds rendant évidemment inutile l'octroi des premiers). Quoiqu'inopérante, la loi a été un peu rendue un peu plus sévère en 2011 puisque les députés qui mentiraient sur leur patrimoine risquent, depuis ce changement, la privation de leurs droits civiques et une amende de 30.000 euros.

Peut-on espérer l'évolution attendue de la création, encore en débat, d'une Haute Autorité de la Transparence, qui remplacera la commission de 1988, modifiés en 2011. De la Commission à la Haute Autorité, l'escalade verbale est, en tout cas, incontestable

Cette Haute Autorité, dont le fonctionnement est encore en discussion, comporte toujours les mêmes restrictions qui sont destinées, en fait, à en empêcher le fonctionnement, selon un autre principe français qui est "quand dire c'est ne pas faire!".  Quelques dispositions évoquées sont particulièrement pittoresques ; ainsi, pour consulter le patrimoine d'un élu, il faut être soi-même électeur dans la même circonscription, ce qui est pour le moins étrange, vu que l'un des principes fondamentaux du droit français est que tous les citoyens doivent être égaux devant la loi. On pourrait même songer à améliorer le système en réservant ce droit de consultation par exemple à ceux qui résident dans le même quartier voire dans la même rue que l'élu et, rêvons un peu, sur le trottoir de gauche en refusant ce droit de consultation à ceux qui habitent sur le trottoir de droite. La particularité la plus notable est toutefois que si, moyennant ces conditions étranges, un citoyen peut consulter la déclaration d'un élu, il lui est interdit d'en faire état et d'en dévoiler le contenu sous peine d'un an de prison et de 45 000 € d'amende. Notez-le au passage, il y a là un châtiment bien plus sévère que celui de l'élu qui ment dans sa propre déclaration. Le président Hollande, semble-t-il, a du se fâcher pour que, dans le dispositif nouveau, les citoyens eux-mêmes puissent alerter la Haute Autorité alors que nombre de membres du groupe PS prétendaient l'interdire et réserver ce droit à quelques associations qu'il est infiniment plus facile de contrôler via le jeu des subventions !

Le second point et c'est celui qui est ici le plus important, car le plus drôle, c'est que, comme souvent en France et cela me ramène à mon titre, les mots sont plus importants que les choses. L'un des principaux modes de réforme en France (et cela explique le foisonnement; aussi absurde que ruineux, des "conseils", "agences", "offices", "autorités", etc.) consiste à baptiser la même réalité, sans la supprimer mais en en créant une autre, d'une façon plus noble, plus solennelle ou plus majestueuse.

Les commissions étant, depuis Clémenceau, considérées comme des sortes de rites funéraires, on s'est employé à leur donner d'autres noms qui permettent d'éviter cette fâcheuse référence historique. Le Front Populaire avait été marqué par les accords Matignon, on a cherché une référence de droite plus récente. Toutes les réunions, dites de concertation, furent alors baptisées des « Grenelles » (Grenelle de ceci, Grenelle de cela, etc…). Le Grenelle de l'écologie porta un coup fatal et définitif à ce type d'appellation. Notre histoire étant fort riche, on a alors fait appel aux "États Généraux" qui se sont alors multipliés et qu'on a mis à toutes les sauces, aussi bien sur l'éducation que l'ultramarin ou toute autre thématique.

Employer ces mots pour désigner des choses si différentes ne contribue certes pas à les faire mais, avant d'entraîner l'usure de ces termes, donne, quelques mois durant à ces actes politiques un lustre historique illusoire qu'ils ne méritent généralement pas.

L'appellation à la mode est désormais la "Haute Autorité" que l'on met également à toutes les sauces, de la HALDE à la HATT en passant par la HAE (qui remplacera l'AERES), sans qu'elles se révèlent ni très hautes et moins encore autoritaires.

Comment (faire et/ou ne pas faire) des choses avec des mots.

lundi 17 juin 2013

Exception culturelle et diversité culturelle

L'ordre dans lequel on peut présenter ces deux termes est discutable si l'on y voit une référence chronologique. La tendance actuelle est de plutôt présenter "le concept de "défense de l'exception culturelle" comme un sous-ensemble de celui de la "défense de la diversité culturelle"." (je cite là un extrait de l'article de Wikipédia sur le sujet). En fait, s'agissant de la France, la principale intervenante dans ce débat politico-commercial, on devrait bien plutôt faire l'inverse.

Il est, en effet, incontestable que la défense de la "diversité culturelle" n'est venue qu'après celle de "l'exception culturelle", exclusivement française au départ, cette position manifestant de façon un peu trop voyante l'arrogance française et la croyance inébranlable des Français dans la supériorité de leur langue et de leur culture. Un peu d'historique de cette question du côté français et francophone est donc ici indispensable et cela d'autant que, du fait même de cette ignorance, on a totalement oublié de célébrer, en 2013, les 20 ans de "l'exception culturelle" française qui a été établie et reconnue sur le plan international et francophone lors du Sommet de la Francophonie tenu à l'île Maurice en 1993.

En fait, du côté proprement français, les choses remontent même un peu plus loin, puisque un décret du 17 janvier 1990, pris par Catherine Tasca, alors ministre de la francophonie, imposait des quotas de création francophone pour le cinéma et l'audiovisuel. Le détail importe peu ici (et cela d'autant moins qu'il ne semble guère respecté). Comme il fallait naturellement à la France un appui international, on l'a assez logiquement cherché, comme toujours à l'ONU, du côté de la francophonie du Sud et, lors du sommet de l'île Maurice que j'évoquais précédemment, en 1993, on a obtenu, sans trop de mal, le soutien d'une bonne quarantaine d'États membres de l'Organisation Internationale de la Francophone. On les a sans doute un peu poussés du côté français, mais il faut bien dire que les Etats du Sud qui ont d'autres chats à fouetter, se sont laissés assez facilement convaincre car cela ne les engageait à rien.

En fait la France et la Francophonie, quoique un peu dures à la détente, se sont rendus compte toutefois du caractère quelque peu impérialiste d'une mesure qui ne concernait guère qu'elles. Aussi, deux ans plus tard, avec la déclaration de Cotonou, à l'occasion du Sommet de la Francophonie tenu dans cette ville en 1995, on a fait entrer dans la danse la "diversité culturelle". La chose ne manquait pas de pittoresque car la France, naguère encore, le grand oppresseur des langues et des cultures autres que les siennes, en son sein propre comme dans son empire colonial, s'est faite alors le bon apôtre de la diversité. La France prenait enfin conscience de ne pouvoir dresser, à elle seule, contre l'anglais (évidemment le seul adversaire réel) l'une de ces lignes Maginot dont elle possède le secret. Cela ne trompe évidemment personne et les francophones non français, comme nos amis québécois, ne cessent de nous reprocher non sans quelque raison, notre arrogance et même, de temps en temps, une forme de complaisance envers l'anglais qu'ils ne manqueront pas de souligner dans le fait que la loi Fioraso ouvre les portes de nos universités à la langue de Shakespeare.

Non sans difficultés, cette stratégie qui vise, à terme, à faire de la culture une exception dans les traités internationaux, en particulier auprès de l'OMC, s'avère payante, d'autant que l'idée de "diversité culturelle", qui fait un peu pendant à celle de "biodiversité", lui gagne la sympathie des mouvements écologiques. La France se heurte toutefois à l'opposition constante et puissante des Etats-Unis. Finalement en 1994, une clause d'exception culturelle (mais différente de celle que prône la France) est adoptée. Elle stipule que la culture, sans être n'est pas "exclue" définitivement du champ d'application des accords du GATT, n'y est pas, pour l'instant, incluse.

Toutefois, la France a fini, non sans mal, par faire voter par l’UNESCO, le 20 octobre 2005, une « convention sur la protection et la promotion de la diversité culturelle ». En mars 2007, à Montréal, trente-huit "coalitions" regroupant quatre cents organisations professionnelles de la culture de toutes les régions du monde, ont réaffirmé leur soutien à la "diversité culturelle".

La diversité culturelle est donc assurément plus vendable et plus porteuse que l'exception culturelle francophone initiale de 1993 puisqu'elle fait entrer dans le jeu toutes les autres langues alors que l'exception culturelle de départ était perçue clairement comme l'exception française. On retrouve ici le curieux exceptionnalisme français qui conduit certains à affirmer que le français est la langue des droits de l'homme, ce que j'ai quelque peine à croire et que dément en tout cas une connaissance plus précise de l'histoire des idées. Placer en France l'origine exclusive des droits de l'homme est même, pour le coup, une erreur historique manifeste, même si la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, rédigée en français, peut inciter à le faire. Tout analyste, qui a une connaissance suffisante de l'histoire des idées au XVIIIe siècle, attribue plutôt le mérite de l'émergence de ces idées à l'Angleterre, pépinière des idées des Lumières et refuge de nombre de nos philosophes.

Vendredi 14 mai 2013, la Communauté européenne, à accepté, en traînant un peu les pieds il est vrai, de faire, dans les accords du GATT, une exception pour la culture ;  cette mesure n'est sans doute pas définitivement acquise, selon les termes mêmes des textes de 1994. Elle est contestée, au sein même de l'Europe, ne serait-ce que par M.J. Barroso. On observe d'ailleurs que c'est des lusophones (comme Barroso) comme autrefois des hispanophones (comme Aznar), que viennent les réserves de certains à l'égard de l'exception culturelle ; hispanophones et lusophones, forts du nombre de locuteurs réels de leurs langues et du dynamisme démographiques de ces populations n'ont pas, de toute évidence, quant à l'avenir de leurs langues, les mêmes craintes que les francophones !

dimanche 16 juin 2013

Le collabo, le juif et le nègre

De grâce, ne vous précipitez pas, à la seule lecture de ce titre, vers le site de la LICRA ou vers l'alerte de Mediapart pour signaler cet écrit et me dénoncer ! Laissez-moi au moins le temps d'expliquer que le vrai sujet est ici Alain Minc qui, à nouveau, se trouve aux prises avec une accusation de plagiat de la part de Madame Pascale Froment, auteur d'un livre sur René Bousquet paru chez Stock en 1994, dont serait largement inspiré, à ses yeux, l'ouvrage d'Alain Minc sur Jean Moulin et René Bousquet publié chez Grasset en mars 2013.

L'explication du titre provocateur de son ouvrage, rapprochant en une alliance audacieuse, un "collabo" et l'un des héros majeurs de la Résistance, tient sans doute à ce qu'il a été jugé propre à faire le buzz et à stimuler les ventes, même si, à regarder les choses de loin, ces deux préfets ont, l'un et l'autre, connu une fin tragique, après avoir fait des choix rigoureusement opposés sous l'occupation.

Le "juif", lui, n'était assurément pas au Vel d'Hiv du fait de Bousquet, car il s'agit ici de Spinoza ; il avait attiré les précédentes accusations de plagiat contre Alain Minc, à propos du livre de Patrick Rödel, Spinoza le masque de la sagesse (1997), qu'il avait, sans le dire, suivi d'un peu trop près ; A. Minc l'a d'ailleurs lui-même reconnu dans la suite, en y voyant une "faute de jeunesse" alors qu'il avait tout de même cinquante ans au moment de la parution de son Spinoza : un roman juif. Mais peut-être est-ce la rançon de l' éternelle jeunesse de cet auteur !

Quand au "nègre", c'est celui qu'Alain Minc nomme pudiquement son "documentaliste" et que je qualifie ici de "nègre", selon l'usage commun et sans qu'il soit pour autant mélanoderme. Comme cela se produit souvent en pareil cas, le collaborateur recruté dans cet emploi, s'est inspiré d'un peu trop près de sources écrites sur le sujet. C'est humain. Ce fut le cas, autrefois, du pauvre Thierry Ardisson, plagiaire sans le savoir, pour un livre sur l'Inde. Ces nègres sont, en général, fort discrets sur leurs sources, surtout à l'égard de leurs commanditaires.

C'est un homme singulier qu'Alain Minc et il suffit de lire sa notice dans le Who's Who pour s'en persuader ; je donne, quant à moi cette indication sur la principale de mes sources, pour ne pas dire la seule, afin de prévenir toute plainte en diffamation, puisque chacun sait que ces notices sont toujours rédigées par ceux-là mêmes qui en sont l'objet.

Venons-en donc au bel Alain et à son parcours que je me bornerai ici à résumer en quelques traits. Il est inspecteur des finances de troisième classe (Fii donc ...!), mais en disponibilité depuis 1977 ; on constate que, dans son parcours professionnel, il ne reste que peu de temps dans une fonction de présidence de société, car le métier qu'il affichait en 1990, à la belle époque de CERUS, était « président de société » (peu importe laquelle, mais au singulier). Le curieux de l'affaire est que, selon un rythme en gros identique à la durée de ses fonctions, c'est-à-dire tous les deux ans ou même tous les ans, il publie un livre. Du coup, on se demande si on le vire parce qu'il a passé ce temps à écrire un livre au lieu de diriger les affaires de la société ou s'il publie un livre pour se trouver une nouvelle présidence après avoir été viré de la présidence de la précédente. Va savoir….

En 1986, il commence à s'occuper, en France, des affaires de Carlo de Benedetti qui se déclare aussi "président de sociétés" (mais au pluriel lui !). Il est placé alors par ce grand ami de la gauche européenne à la tête de CERUS où il restera assez de temps pour que CERUS tombe en quenouille. On se demande si A. Minc n'est pas de la lignée de nos grands et géniaux capitaines d'industrie comme Michel Bon Jean-Marie Messier et quelques autres que le monde nous envie.

En tout cas, plus avisé qu'eux ou moins enrichi, encore que ses conseils soient des plus coûteux, A. Minc est passée de la présidence de société au consulting en vertu du bon vieux et infaillible principe : « Ce qu'on sait faire on le fait. Ce qu'on ne sait pas faire on l'enseigne ou on le conseille ». Ainsi est il désormais décrit par Wikipedia comme "conseiller politique, économiste, essayiste et dirigeant d'entreprise français. Il est actuellement président d'AM conseil et de la SANEF, l'une des trois principales sociétés autoroutières françaises". A. Minc apprécie les voies rapides, dans les affaires comme dans l'écriture, et on ne saurait lui en faire grief.

Vous comprendrez que si l'on ajoute qu'à partir de 2007, il a rejoint le buisson élyséen, en se rêvant en Attali nocturne de Sarkozy (avec lequel il ne manque pas de points communs, c'est d'Attali et non de Sarkozy que je parle), ses activités multiples et ses nombreux conseils d'administration ne lui laissent guère de temps pour se consacrer à l'écriture, surtout lorsqu'il s'attaque à des ouvrages qui ne sont pas de simples romans policiers (comme c'était les innocentes manie de ce bon Edgar Faure-Sanday ou celle, plus actuelle, de Jean-Louis Debré auquel la présidence du Conseil constitutionnel laisse naturellement plus de loisirs), mais à des ouvrages à base plus ou moins historique qui nécessitent, de toute évidence, des recherches aussi fastidieuses que dévoreuses de temps.

Dès lors, pour tout homme très occupé, politique ou non (je pense ici à Nicolas Sarkozy dont l'inattendu George Mandel, un moine de la politique a paru, en 1994, bien proche du livre de Bertrand Favreau), qui rêve de gloire littéraire, le recours aux "nègres" est quasi incontournable ; cette corporation est donc fort bien représentée et active à Paris, même si le premier des mérites y est la discrétion. Comme on ne peut se fier à personne en ce bas monde et que les commanditaires ne veulent surtout pas lire les textes sur les sujets dont ils sont censés traiter, se contentant de leur nom sur la couverture, comment savoir si votre documentaliste/nègre ne vous a pas lui-même roulé dans la même farine que celle où vous roulerez vous-même vos lecteurs?

Il y a toutefois, pour le coup une justice et voilà, en tous cas, une profession encore florissante mais que menace gravement la numérisation actuelle des livres et le "copier-coller" informatique car les plagiaires n'ont désormais plus besoin de nègres !

 

vendredi 14 juin 2013

Evasion ou optimisation fiscales : de l'Irlande au Luxembourg par Bercy !

Tous nos médias se font l'écho de la chasse aux agents racoleurs des banques helvétiques qui démarchent les riches Français soucieux d'échapper au fisc. Cette chasse a été naturellement ouverte par l'affaire Cahuzac, dont on découvre maintenant que les pauvres 526 000 € d'origine ne sont qu'une infime partie, la seule émergée à ce jour, de l'iceberg de ce qu'on nomme pudiquement, ici ou là, "l'optimisation fiscale", pour éviter de dire la "fraude ou l'évasion fiscale".

Or, on devrait savoir que cette affaire dure depuis un siècle et même peut-être davantage./ Une des formes les plus anciennes et les plus répandues tenait aux dépôts de brevets ; autrefois, il faut bien le dire (car cela explique le secret de ses origines) le seul journal à en parler alors, il y a fort longtemps déjà, était le Canard enchaîné dans lequel mon père m'a plus ou moins appris à lire avant que j'aille à l'école, ce qui, dans la suite, m'a fait virer, au bout d'une demi-journée, du cours préparatoire !

Un fait étrange, mais typiquement français, était et demeure la très faible quantité des brevets français déposés en France, alors qu'ils étaient et sont encore fort nombreux à l'être à l'étranger. Ce n'est donc pas l'inventivité des chercheurs français qui est seule en cause, mais un système, tout bête et parfaitement efficace depuis toujours. Il consiste à déposer un brevet, non pas en France mais en Suisse, en Autriche, en Islande, au Luxembourg (ou dans un Etat fiscalement attractif) de façon à ce que la société qui, en France, utilise ce brevet dans son activité de production, reverse à titre de droits, l'essentiel des bénéfices qu'on obtient grâce à lui, à une société étrangère, détentrice de ce brevet, mais qui n'est, évidemment, qu'un "faux-nez" de la société française. Autrefois, on appelait ça les "sociétés-taxis" ou les "taxis" et c'était déjà une magnifique application de l'actuelle optimisation fiscale.

Si l'on veut résumer très brièvement le principe de cette optimisation qui peut, ensuite, avoir des formes quasi innombrables de complications et de perfectionnement de ce montage. On peut dire que ce principe consiste à évacuer hors de France donc à faire échapper au fisc français, l'essentiel des bénéfices d'une société qui sont versées à une autre société (qui naturellement est en fait la même sous un autre nom et dans un autre lieu) sous la forme de paiement des droits attachés à un brevet, de royalties ou de frais de toute nature dont le seul but est d'échapper à l'impôt français pour retomber dans la même bourse. Tout cela, de loin, est légal et même juste !

Il n'y a donc rien de très nouveau sous le soleil ; le seul élément nouveau à lire les textes qui sont produits sur ce sujet consistent à complexifier, à partir de cette évasion initiale, les systèmes de circulation des sommes en cause pour parvenir à échapper même au fisc du pays initial dans lequel on a établi la société taxi.

Bien d'autres, à commencer par Antoine Peillon, Mediapart et Marianne, ont décrit dans son détail ce système et il me paraît inutile de m'y attacher davantage. Ce qui me paraît plus intéressant, en revanche, est le bruit qu'on fait autour de ces démarcheurs, en général suisses, qui, pour des banques helvétiques, viennent appâter, en France même, les riches Français (industriels fortunés mais aussi joueurs de foot ou artistes, etc.) qui sont désireux d'échapper à l'impôt français en ouvrant des comptes à l'étranger, en Suisse d'abord mais éventuellement ailleurs dans la mesure où la Suisse commence à être obligée de mollir sur le secret bancaire qui naguère encore était sa Bible ou son Coran.

On a vu récemment que des poursuites sont engagées contre de telles procédures et ceux qui les utilisent. Le drôle de la chose est toutefois que les limiers de Bercy qui se lancent à la poursuite de ces propositions qu'ils jugent malhonnêtes au plan fiscal pourraient fort bien, de leur bureau et sans se fatiguer, consulter simplement leur ordinateur !

Si vous avez la curiosité, toute bête, de taper dans Google les mots "Luxembourg, société", vous allez trouver une foule de publicités, classées naturellement, dans les premiers rangs du catalogue, qui vous offrent des propositions très alléchantes pour transférer au Luxembourg, votre société et, par la même, échapper à l'impôt français. Un exemple ci-dessous ; vous pourrez aisément vérifier la chose dans la seconde sur votre propre bécane. Je vous donne même l'adresse de la première des réclames (Fidomes.com) que vous rencontrerez et un bref extrait de son affriolant programme qui est sans mystère :
"Une société étrangère peut transférer le siège social ou établir à Luxembourg le siège de son principal établissement.
Cela permet en général à cette société de rompre tout lien avec son pays d’origine. Pour autant qu’un établissement stable n’y soit pas conservé elle n’y est donc plus taxable.
Pour autant que le siège social ou son principal établissement soit établi à Luxembourg, la Société devient une personne taxable sur l’ensemble de ses revenus mondiaux selon le droit fiscal Luxembourgeois."

Est-ce assez clair ?

A Bercy, on ne semble pas avoir repéré ces publicités, ni identifié d'où elles émanent et moins encore songé à les interdire. Ce serait sans doute parfaitement inutile mais symboliquement significatif. C'était comme toujours, de ma part, un conseil gratuit ; je ne monnaye pas mes avis et ne suis, en rien et de rien, "consultant", à la différence de nombre de "pensionnés" de notre haute fonction publique qui ne quittent guère nos médias, pour y vendre Dieu sait quoi. J'ai mis entre guillemets "pensionnés", pour informer nos savants journalistes, car je suis toujours étonné par le fait que l'on ne cesse de parler des fonctionnaires et de leur "retraite", alors que ceux-ci ne perçoivent en rien une "retraite" mais une "pension" dont le financement est radicalement autre.

Une remarque finale sur un nouvel aspect de l'affaire Cahuzac, dont on apprend qu'en tant que président de la commission des finances de l'Assemblée Nationale il a beaucoup fréquenté Bercy (ce qui est logique), surtout pour y consulter les fameuses données sur les fraudeurs/évadés fiscaux (ce qui l'est beaucoup moins). La morgue initiale de Cahuzac devant les premières accusations dont il a fait l'objet (alors que désormais tout le monde semblait savoir son addiction totale aux dessous de tables) ne viendrait-elle pas de la possession d'éléments qu'il avait pu trouver dans les dossiers consultés à Bercy et conserver pour s'en faire, dans la suite, une assurance-vie ?