Nul ne sait plus compter et en outre ce pauvre cher vieux pays marche décidément sur la tête.
Chaque jour nous apporte son nouveau rapport qui déchaîne aussitôt toute la presse ; comme nous avons quasiment un rapport tous les jours, les journalistes ne manquent pas d'ouvrage. Avant hier c'était l'intégration et le voile (décidément inusable !) qui revenait sur le tapis (de prière bien sûr !) ; hier c'est l’inattendu « travail temporaire » des médecins et il faut reconnaître que ce marronnier est plus et mieux chargé que le précédent.
Je suppose que, comme moi vous avez fait, un jour ou l'autre, une expérience hospitalière et que vous avez pu y constater l'exotisme relatif du personnel médical. Autrefois, nous faisions venir nos infirmières d'Espagne, ce sont maintenant les médecins du Sud ou de l'Est qui peuplent nos hôpitaux ; je crois me souvenir qu'il y a plus de médecins béninois en France qu'au Bénin ! J’ai voisiné, je ne sais plus où, avec un malade qui recevait la visite d'un kinésithérapeute moldovalaque ou quelque chose d'approchant, dont nous ne comprenions goutte, ni l’un ni l'autre, au discours professionnel.
Grâce à Olivier Veran, député socialiste de l'Isère, dont le rapport a été publié par le Parisien, nous avons découvert le scandale quotidien qui tient dans l'intitulé même du rapport de cet honorable parlementaire formulé en ces termes, de façon provocante mais hélas exacte « Hôpital cherche médecin coûte que coûte ».
Rarement l'expression coûte que coûte n'a été employée à si bon escient puisqu'à en croire ce rapport, les 6000 médecins intérimaires employés par les structures hospitalières de France grâce à des agences d'intérim et des cabinets de recrutement parfois basés à l'étranger sont payés 650 € nets pour une journée et de 1300 à 1500 € pour une garde de 24 heures. S'ajoutent à ces sommes les frais de transport, d'hébergement et de nourriture fournie par l'établissement, ainsi que les indemnités dites de précarité et les congés payés.
Heureusement que nos gouvernants ne savent plus compter ! Sans quoi ils comprendraient mieux les chiffres avancés puisque, à mi-temps, à de tels tarifs, on peut aisément gagner 13 000 € par mois voire davantage avec des gardes donc deux fois le salaire d'un médecin hospitalier au dernier échelon.
Faisons donc les multiplications pour nos ministres ! En gros, ces tarifs et les compléments multiplient le coût du personnel par trois, ce qui conduit, pour l'ensemble de nos hôpitaux, à un surcoût de 500 millions d'euros par an, c'est-à-dire trois fois le déficit hospitalier, global et total, qui s'établit autour de 150 millions d'euros. On ne va pas mégoter pour 50 millions !
Je ne vais pas vous refaire ici le rapport que vous trouvez partout dans la presse et que vous avez entendu dix fois sur toutes les radios. Cette situation tient naturellement à ce que les médecins hospitaliers titulaires dans les spécialités les plus recherchés (anesthésistes, chirurgiens, radiologues et urgentistes) sont payés de façon très inférieure avec une échelle indiciaire qui, si je me souviens bien, plafonne, à son plus haut degré, à moins de 6000 € par mois. Naturellement on trouve de moins en moins de médecins qui acceptent de telles conditions puisque ces salaires sont naturellement, même en fin de carrière dérisoires par rapport aux précédents. helon.
Mieux encore selon l’enquête de l'IGAS publiée en 2010, ces médecins intérimaires ont gagné en 2008 entre 127.500 et 156.700 euros annuels. Rien donc d'étonnant à ce que peu de jeunes médecins s'engagent dans cette voie, ce qui explique les chiffres cités ci-dessus et l’existence de ces 6000 intérimaires qui coûtent à l'État 500 millions d'euros par an, alors que, rappelons-le, c’est l’Etat qui, par le numerus clausus, est le maître absolu du nombre et du recrutement des médecins.
Je ne suis en rien un spécialiste de ces questions, mais je connais bien l'argument des médecins qui avancent toujours leurs sept années d'études à l’appui de toutes leurs revendications ; je sais aussi que ces études sont chez nous gratuites et offertes par l'État qui pourrait fort bien, comme pour d'autres formations, exiger en contrepartie un engagement à le servir pendant un certain nombre d'années, ce qui serait déjà un élément de solution partielle du problème. C'est ce qui se passe pour les concours de recrutement de l'éducation nationale comme aussi, si je me souviens bien, pour les médecins militaires, dont, après un concours, les études sont prises en charge assurément mais qui doivent ensuite un certain temps de service à l'État dans l'armée. Il n’y a là que des mesures de bon sens et on ne comprend pas qu’on n’y ait pas songé. Encore faut-il savoir compter et se préoccuper de ce genre de détails.
Le nombre sans cesse croissant des médecins, africains et plus généralement du Sud, dans nos hôpitaux, est aussi et surtout un drame pour les Etats dont ils sont originaires. Ces médecins qui ont été formés (souvent gratuitement en France pour l'Afrique francophone) quittent leur pays natal pour venir exercer dans les hôpitaux français (j'ai observé par ailleurs qu’ils sont également nombreux dans les services du type SOS médecins). Il est donc assez curieux pour ne pas dire absurde qu'on aide à la fois à la formation de ces médecins africains et qu'on facilite ensuite leur exil vers le Nord une fois qu'ils ont été formés.
J'ai constaté, à la lecture sommaire de ce rapport, que notre système hospitalier n'était pas plus capable de donner le nombre exact de ces médecins intérimaires que notre ministère de l'éducation nationale n’est en mesure de fournir le nombre précis de ses fonctionnaires. Notre administration est donc à la fois monstrueuse par ses dimensions mais si protéiforme et si incertaine dans ses structures et son fonctionnement qu'elle est en général incapable de fournir ce genre de données élémentaires…sans doute, là aussi, faute de savoir compter.
Bien entendu, comme toujours en France, la complexité même voire l'absurdité du système fait qu'il y a là un élément qui facilite énormément la fraude quand il n’y pousse pas.
En fait un directeur d'hôpital peut imposer, par réquisition, à son service comptable un chiffre exorbitant pour la rémunération d’un médecin intérimaire ; l’intérimaire en question, payé à un taux bien supérieur, peut donc tout à fait reverser en douce au directeur complice une partie de son salaire, surtout si ce dernier se situe très au-delà de ce qu’il pouvait espérer. Il semble qu'il puisse aussi voir payer des gardes qui ne sont pas réellement effectuées ou que ses temps partiels soient déclarés comme des pleins temps. Bien entendu tout cela est invérifiable, ce qui ne fait qu'encourager encore les fraudes.
Il en est évidemment de même du côté des médecins ; un médecin, qui est déjà à plein temps dans un service hospitalier, peut travailler dans un autre durant ses périodes de liberté. Il est amusant de constater que, comme chez les journalistes et les hommes de radio et de télévision, on appelle cette pratique « faire des ménages » ; les tarifs varient aussi bien entendu en fonction des urgences et si le tarif d'une garde s'établit autour de 1300 €, on a vu certains intérims payés jusqu'à 3000 € pour un tel service.
On comprend qu'on assiste parfois même à des démissions de praticiens hospitaliers puisque, en une semaine d'intérim, ils pourront gagner plus qu'en un mois dans un service hospitalier.
En 2012, 15 000 postes de titulaires étaient vacants dans certaines régions ou dans certaines spécialités en particulier, ce qui représente à peu près un quart des postes pour les praticiens à temps plein et plus de 40 % pour les temps partiels.
Le pire est même ailleurs car on peut ajouter que le système n'est pas sans risques ! Quand des intérimaires sont recrutés, dans l'urgence, voire en passant par des agences étrangères, il est bien difficile de vérifier que ces médecins ont véritablement les compétences requises. Le passage par des agences d'intérim conduit à pratiquer en outre des tarifs très élevés puisque naturellement ces agences prélèvent leur dîme sans trop vérifier le reste ! Mais après tout on a bien confié le pilotage d’avions à des escrocs qui produisaient de faux états de services et, selon l’OCDE qui nous en veut sans doute, nous sommes quasiment les plus mal classés pour les accidents hospitaliers.
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