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mercredi 31 octobre 2012

Le fusil pour tirer dans les Descoings.


Monsieur Richard Descoings fut, des années durant, le gourou quasi déifié des problèmes de l'éducation en France, en dépit d'une manifeste inexpérience et du fait qu'il était à la tête d'une institution des plus curieuses qui n'a pas grand-chose à voir ni avec une université ni avec une "grande" école (l'Institut d'études politiques de Paris, également dit Sciences-po). Chargé de missions diverses, figure de proue de l'innovation socio-pédagogique, couvert d'honneurs, il continue, six mois après sa mort sensationnelle elle aussi, à causer des surprises. Le plus étonnant et le moins prévisible, vu le personnage, dont les traits réels se sont peu à peu révélés, est assurément que Nicolas Sarkozy ait failli en faire un ministre de l'éducation nationale ; cela aurait été sans doute un choix heureux, car il aurait pu ajouter à la riche collection des réformes stupides qui ont été faites, aussi bien dans l'éducation nationale elle-même (avec les IUFM par exemple) que dans les universités avec la loi Pécresse ou loi LRU que j'ai dénoncée en son temps et dont il faudra bien que je reparle un jour car nous en subissons maintenant les conséquences funestes.

La mort de Monsieur Richard Descoings a été, au fond, à l'image de sa vie et de son destin post-mortem c'est-à-dire riche en surprises. On a découvert à l'occasion de la petite fête qu'il avait organisée dans sa chambre d'hôtel à New York qu'il était bien, comme il le disait lui-même, « le premier pédé de Sciences-po », en dépit de son mariage avec une épouse, dont il avait fait d'ailleurs la directrice-adjointe de Sciences-po, ce qui n'était pas sans quelques avantages, tant sur le plan de la promotion professionnelle que de la rémunération. Mais le plus curieux a été effectivement sa mort, car, à lire la presse française du lendemain, on peut penser  qu'on n'a évité que de justesse les funérailles nationales, avant qu'apparaissent les circonstances quelque peu insolites voire étranges de sa disparition. Si la série continue, les notabilités françaises finiront par se voir interdire la fréquentation de tous les grands hôtels de New York, dans la mesure où ils ne semblent n'y causer que des scandales.

Ce qui rendait cette mort un peu suspecte était moins la nudité directoriale qu'à la fois les jeunes gens, un peu bruyants semble-t-il, qu'il avait reçus et qui avaient filé en catastrophe, le désordre qui régnait dans la chambre, avec des alcools et des produits divers répandus un peu partout et surtout le fait, plus étrange encore, que l'ordinateur et le téléphone du mort avaient été lancés par la fenêtre pour atterrir sur une terrasse au troisième étage.

On a, très vite, du côté français, jeté un voile pudique sur tout cela et les causes de la mort n'ont pas pu être déterminées ou en tout cas divulguées tout de suite. Comme nous ne sommes pas dans une série américaine de la télévision, où en 52 minutes, les enquêteurs et les légistes découvrent, illico, au premier examen, le passé de la victime depuis son enfance, on a mis près de deux mois à découvrir que ce pauvre Monsieur Richard Descoings avait été en fait victime d'une banale crise cardiaque, ce que les services de l'identité judiciaire new-yorkais ont fini par déclarer, après deux mois de travaux silencieux, fin mai 2012. Tout est donc rentré dans l'ordre du côté français puisque l'idée d'enterrer Monsieur Descoings au Panthéon avait été depuis longtemps abandonnée et que l'élection présidentielle comme le changement de majorité avaient contribué encore accélérer le cours de l'histoire.

On a toutefois découvert peu à peu les bizarreries de Sciences-po sous son règne ; on est passé ainsi de NCIS aux Mystères de (Sciences-po) Paris. La Cour des Comptes, si elle ne sert pas à grand-chose au plan administratif et financier, rend, en fait, les plus signalés services à la presse française et même à la presse people de notre beau pays. En la circonstance, elle a établi un savoureux rapport sur Sciences-po qui, à vrai dire, révèle quelques aspects cachés du fonctionnement et des finances de ces établissements que les gens du milieu subodoraient quelque peu, même si l'on ne pouvait imaginer l'extravagance de la réalité.

Une version provisoire de ce rapport a été l'objet de fuites dont Le Monde (internet du 8/10/12) a fait état et dont les détails sont inouïs! La plus grande partie de la presse française (y compris l'inattendu Figaro qui auparavant était un chantre inconditionnel de Sciences-po et de Monsieur Richard Descoings) a repris les données parues dans Le Monde puisque le rapport définitif, que j'ai cherché en vain sur le site de la Cour des Comptes, ne paraîtra finalement que le 22 novembre 2012. Quoique le successeur de Richard Descoings ait été, en principe, choisi (il s'agirait de Hervé Cres), sa désignation définitive a été retardée par le gouvernement et, dans l'hypothèse où elle serait acceptée de façon définitive, elle n'interviendra qu'après la publication du rapport.

Comme vous pouvez très facilement lire l'essentiel, en consultant soit Le Monde, qui est le document original, soit tout ceux qui lui ont emboîté le pas, je reviendrai demain sur cette question, car même si les données ne sont pas encore définitives, le moins qu'on puisse dire est qu'elles ne sont pas piquées des vers !

mardi 30 octobre 2012

Haïti : « restavek» ou adoptés ?


Tout à fait par hasard, j'ai zappé, dimanche 28 octobre 2012 sur TF1, au moment même où passait un reportage sur les "restavek" haïtiens ; il avait d'ailleurs pour moi un léger parfum de réchauffé car ce ne doit pas être le premier sur la question. J'ai constaté, lundi matin, dans mes statistiques que mes posts anciens sur le sujet avaient connu une fréquentation inhabituelle, probablement de part de gens qui ayant vu le documentaire à la télé ont dû taper "restavek" dans Google pour en savoir davantage.

Tout cela m'a rappelé les débats incompréhensibles qui ont eu lieu en France en 2010-2011 (on n'y pense plus guère aujourd'hui) et la position invraisemblable de la France et du ministre Kouchner en particulier sur laquelle est fort heureusement revenue Michèle Alliot-Marie qui lui a succédé au Quai d'Orsay. Pour connaître un peu la situation de ces enfants en Haïti, je n’ai pas du tout les mêmes scrupules que bien des gens que j’ai entendu alors s’exprimer, sur ces questions d'adoption, pour faire part de leurs craintes de voir se mettre en place d'hypothétiques trafics d’enfants.

De tels agissements ne sont certes pas exclus, mais, en pareil cas, il faut mettre en balance les avantages et les inconvénients des solutions. Or, entre un orphelin de trois ans restant en Haïti, privé de sa famille d'une façon ou d'une autre (qu'il soit orphelin, qu'il ait été "placé" comme on disait autrefois en France, ou parfois même plus ou moins vendu) et réduit à devenir "restavek", et le même enfant, venant en France pour y entrer dans une famille qui l’espère et l’attend de toutes ses forces, même si elle a plus ou moins payé pour l'adopter, je n’hésite pas même une nano-seconde avant de trancher en faveur de l’adoption. N'oublions pas qu'il y a en France des dizaines de millers de demandes d'adoption non satisfaites!

J’hésite d’autant moins que je connais, hélas, bien la sinistre pratique des « restavek », que j'ai été sans doute le premier à signaler et à dénoncer, après le "goudou goudou" du 12 janvier 2010.
Le film de TF1 redisait, sur le sort et la condition des "restavek" haïtiens,  ce que j'ai moi-même répété et qui a déjà été montré dans un film précédent, mais il avait l'immense inconvénient de doubler en français tous les propos, tous tenus en créole bien entendu mais dont on n'entendait pas un seul mot, au lieu de les sous-titrer. Nombre de téléspectateurs français ont donc dû en conclure que tout le monde parle français dans ce pays, si joliment et si fallacieusement dit "francophone"!

J'ai consacré plusieurs posts à cette question ; je ne reviens donc pas sur les faits eux-mêmes ni sur les conséquences du séisme sur les procédures d’adoption engagées par des parents français. Nombre de ces procédures se sont trouvées inévitablement interrompues par la destruction, dans la catastrophe, des documents et/ou des dossiers administratifs, tant dans les lieux privés que publics.

Les événements d’Haïti, en dépit des immenses différences, ont souffert en outre de la comparaison  avec l’affaire de l’Arche de Zoé, survenue en Afrique et dont on n'a plus guère parlé ensuite, comme toujours. Celui ou celle qui sait exactement quelle en fut la conclusion gagne la traditionnelle tringle à rideaux!

Loin de moi l’idée de défendre les olibrius de cette association ! En revanche , je reste très sceptique quant aux preuves administratives qu’on a semblé vouloir alors exiger, aux confins du Soudan et du Tchad ( !), de la part des parents, soit pour leur rendre des enfants dont ils prétendaient qu’ils étaient les leurs, soit pour leur accorder une indemnisation du « préjudice » moral. Ubuesco-kafkaien dans ces contextes africains, mais le Père Soupe, comme l’adjudant Tifris, ne veulent pas le savoir!

Comme beaucoup d'Haïtiens ( je suis bien placé pour le savoir),  les dictionnaires du créole local sont souvent très discrets (pour ne pas dire mensongers parfois) sur la définition même de ce terme, ce qui est assez significatif sur le tabou linguistique qui frappe cette pratique. Ainsi lit-on dans le Ti diksyonnè kreyol-franse (1976) : « Restavek : domestique (attaché depuis l’enfance à une famille [Ah qu'en termes galants ces choses-là sont dites !] Gen de restavek ki pa konn manman yo : il y a des domestiques qui ne connaissent pas leur mère.[ce cas est celui de tous] ». L’exemple en dit plus que la définition ! La traduction "enfants esclaves" utilisée dans le film correspond infiniment mieux à la cruelle réalité.

En effet, le statut du « restavek » (< rester « habiter, être » + avec) est bien plus proche de celui d’un esclave que de celui d’un domestique, puisque le point principal est qu’il s’agit d’un enfant qui vit dans une famille qui n’est pas la sienne et qui y travaille très dur sans être payé ne recevant de ses maîtres que le gite et le couvert, l’un et l’autre étant réduits au strict minimum, et souvent même à un peu moins.

C’est en Haïti une pratique très ancienne (d'origine française et non africaine) que l’aggravation de la situation économique a contribué à maintenir. La catastrophe de 2010 et l'état actuel du pays ont donc peu de chances de la faire reculer, bien au contraire. Je ne citerai ici, pour étayer mon témoignage, qu’un bref extrait d’un document de l’UNICEF dont la position et le comportement dans le passé post-séisme n'ont pas toujours aussi clairs comme je l'ai montré dans mes posts : « Le travail d'un enfant domestique [restavek] est souvent très dur, jusqu'à l8 heures par jour. L'enfant-restavek, parfois âgé de 5 ans seulement, fréquemment sous-alimenté, ne reçoit aucune instruction et aucun salaire, la loi haïtienne ne prévoyant pas de rémunération pour ce type de travail. L'enfant "restavek" subit, parfois, des violences physiques ou sexuelles. Il est souvent coupé de tout lien avec sa propre famille, en raison des distances qui les séparent, de l'analphabétisme et de l'absence de tout moyen de communication ».

Le phénomène est donc loin d’être marginal puisqu’on estimait, avant le séisme de 2010,  le nombre des restavek à plus de 170.000, soit environ 8% des enfants ou des adolescents entre 5 et 17 ans, la plupart d’entre eux étant naturellement originaires des zones rurales et, bien entendu,  totalement déscolarisés. Ce nombre dépasserait aujourd'hui les 200.000 et la généralisation de la scolarisation promise est bien loin d'être en route.

Faut il en dire davantage ?

Vaut-il mieux que des enfants, devenus orphelins à la suite du séisme ou dont les parents, déjà pauvres, ont perdu leurs dernières ressources dans cette immense catastrophe ou dans celles qui ont suivi, dont Sandy, la plus récente, deviennent des « restavek » (ce qui a toutes chances de leur arriver) ou qu’ils soient adoptés par des familles françaises, qui souhaitent en faire leurs enfants, fût-ce, pour une infime minorité, dans des conditions peut-être un peu incertaines voire hasardeuses au strict plan administratif ?

Pour moi, je le répète, je n’hésiterais pas une seconde, mais je ne suis pas à la place des décideurs à manches de lustrine qui ignorent tous des questions qu'ils traitent !


lundi 29 octobre 2012

Morose ou mort rose?


Il faut donner toujours l'initiative aux mots comme disait le poète… Est-ce aussi vrai en politique ou faut-il se méfier et tâcher de prévoir où peut mener cette initiative ?

Après l'élection de François Mitterrand, en 1981, le cimetière du Panthéon avait été visité d'emblée et le congrès du parti socialiste avait eu lieu à Valence ; résultat du choix du lieu ? Certains, on s'en souvient, s'y étaient laissés aller à une impétuosité excessive, à l'image sans doute des flots tumultueux et impétueux du Rhône dans cette ville.

Après la victoire de François Hollande, le parti socialiste a choisi pour tenir son congrès Toulouse, ville doublement désignée par la couleur qu'on lui prête et qui faisait s'interroger Nougaro lui-même (« la ville rose ») et par celle du parti socialiste qui a depuis longtemps cette fleur comme emblème (le rose n'étant, au fond, qu'un rouge fané et défraîchi).

Au moment de ce choix, on n'avait apparemment pas encore songé aux épines et le choix médité du lénifiant Premier Secrétaire Harlem Désir (en ce cas les mots n'ont guère eu l'initiative!) semblait garantir une session sans accroc. Sur ce plan, rien à dire ; on a pu compter sur lui pour tenir l'un de ses discours qui se déroulent à la façon des chœurs d'opéra où les choristes entonnent de martiaux "Marchons! Marchons!", tout en se bornant à piétiner sur place, sans faire montre d'ailleurs, dans cet exercice, du rare talent de Michael Jackson dans la pratique du moon walk !

D'aucuns comme Mélenchon, tout en regrettant de ne pas avoir été invité à Toulouse (qu'y aurait-il fait ?) voient dans le parti socialiste un "astre mort" et dans ce congrès une "grosse machine morose" ; j'aurais plutôt dit "un gros machin mort rose" ou plutôt un "gros machin rose mort"! Toujours les mots et leurs initiatives !

Où sont les tumultueux congrès du PS d'antan ; pourtant Toulouse s'y prêtait le mieux du monde car comme le disait Nougaro à propos de sa ville :
"Ici, si tu cognes, tu gagnes
Ici, même les mémés aiment la castagne"

Il est vrai que le climat et la situation ne se prêtent guère à une gaieté qui semble pourtant souvent liée à cette couleur festive ; le maillot du leader du Tour de France est jaune (après les victoires de Lance Amstrong, la couleur des cocus, faut-il le rappeler ?), mais au Tour d'Italie le vainqueur est en rose!

Au congrès de Valence en 1981, on pouvait encore croire, pour deux ans au moins, aux lendemains qui chantent ; à Toulouse, le week-end dernier, on ne pouvait guère prévoir que des lendemains qui déchantent. Le chômage augmente (comme on l'avait, par prudence, prévu et annoncé) et pire, le jour même du congrès, par un pur hasard, les 98 grands patrons français, qui n'ont même pas la reconnaissance du ventre envers leur hôte, posent un ultimatum à François Hollande en exigeant un modeste cadeau fiscal de 30 milliards ; comme dit le bon peuple, ces gens n'y vont pas avec le dos de la cuillère!

Mille excuses d'avance à mes lectrices que je sens déjà effarouchées, mais n'est-ce pas le moment de citer le vers fameux :
« Plus le Désir [Harlem bien sûr] est grand, plus l'effet se recule".
Je vous jure que mon infâme Dragon 12 avait écrit, de lui même, "les fesses" que je n'ai pas osé garder!


dimanche 28 octobre 2012

Islam africain


Dans l'indifférence générale des "politiques", je pose, depuis quinze ans au moins, les problème de l'Islam africain , pour avoir constaté l’évolution des choses en Afrique même, mais aussi aux Comores, où les Emirats ont essayé, depuis longtemps et des décennies durant, de prendre pied, en particulier en offrant d’y créer, à leurs frais, une université islamique. Ce projet a été contré, mais pour combien de temps, par la création en 2003-2004 d’une université comorienne mixte dont le premier président fut mon ami Damir Ben Ali ; elle accueillait à ses débuts un gros millier d' étudiants dont 43% de filles ; en 2011-2012, 6500 étudiants y sont inscrits.

L’islamisation radicale ou plus précisément la wahabisation du Sahel est un processus engagé, sournoisement ici, ouvertement là, depuis longtemps en tout cas ; depuis ces époques, les événements de Tunisie et de Lybie, si imprudemment qualifiés de "printemps arabes", ont conduit, entre autres, à la situation du Nord-Mali, en attendant la suite, au Nigéria ou en Côte d'Ivoire sans parler du Soudan.

L'évolution a commencé depuis longtemps ; cela allait du paiement des conversions à l’Islam (stratégie inattendue chère, de façon plus inattendue encore, à Khadafi, qui, à une époque, offrait des tarifs spéciaux pour les chefs d’Etat (un million de $!), comme Bongo qui en a bénéficié, ou les Premiers ministres (500.000$) ; à la même époque, le Colonel avait lancé, selon les mêmes pricipes, une offensive sur l'Ile Maurice d'où les Lybiens ont fini par se faire expulser) jusqu'au versement de sommes très modestes à des femmes africaines (au Burkina Faso par exemple), qui consentent, pour trois sous, à se voiler complètement, en passant par le développement d’un enseignement islamique intégriste (avec, à la clé, des bourses pour les universités du Golfe). Tout cela est évidemment financé à coup de pétro-dollars!

Ce nouvel enseignement islamique, surtout au niveau de l'enseignement coranique de base, est naturellement un concurrent redoutable pour l’école musulmane traditionnelle de l’Afrique, vu les moyens, quasi-infinis, dont il dispose (argent et bourses).

S’ajoutent à ces stratégies, comme au Tchad et au Niger, des projets d’enseignement prétendument bilingue (français et arabe), dans lesquels, en réalité, la moitié arabe du programme est exclusivemnt religieuse, l’enseignement général étant donné en français. De tels projets sont soutenus, à coups de milliards de dollars, par la Banque Islamique de Développement, ce qui est normal, mais aussi acceptés, de façon plus inattendue et inconsciente, par l’UNESCO et même la Francophonie.

Ces constats m’ont conduit, non seulement à tenter (en vain) d’alerter sur cette situation (quoiqu’elle ne me concerne en rien de façon directe) et m'ont amené aussi, en raison, d’une certaine expérience de ces terrains, à proposer des mesures qui pourraient être mises en oeuvre pour contrer de telles stratégies.

Cela m’a amené à des remarques et, au delà, à des suggestions qui ont souvent paru étranges aux hiérarques du Quai d’Orsay ou des institutions internationales, quand ils ont eu la rarissime curiosité de prendre connaissance de mes écrits sur ce point.

En effet, tout cela se passe à l’insu bien sûr, ou en tout cas, dans le silence prudent des responsables de la politique française dans ces zones. Ces derniers, en effet, sont comme les petits singes de la sagesse orientale, qui se cachent les yeux, les oreilles et la bouche pour ne rien voir, ne rien entendre et ne rien dire... du moins pendant les trois ou quatre années, confortables et fort rémunératrices, qu’ils passent en fonction diplomatique dans ces Etats. Bien sûr, finissent par survenir, comme depuis quelques mois au Nord-Mali et, comme cela ne manquera pas de se produire, en Tunisie (voir ce qui se passe déjà à la Manouba) dans quelques temps, des événements sur lesquels on ne peut plus continuer à fermer les yeux.

Comme je l'ai dit et répété depuis quinze ans et pour faire court, l’Afrique n'a que trois atouts qui pourraient permetttre de résister, si on en avait le désir.

Allons en bonne réthorique du moins important au plus important.

1. Le premier est, de façon un peu étonnante, l’école coranique traditionnelle, la « médersa » (ou les diverses variantes de ce mot, médrasa, etc.). En effet, elle perpétue la tradition séculaire d’un Islam africain ouvert et libéral. Paradoxalement, on devrait donc aider les médersas traditionnelles pour leur permettre de résister à la concurrence et à l’influence des riches et nouvelles écoles d’un Islam intégriste conquérant et qui ne cesse de progresser au détriment de la religion africaine traditionnelle. L'illustration la plus évidente et la moins discutable est la destruction actuelle des monuments religieux séculaires de Tombouctou!

2. Les femmes. Chacun sait le traitement que leur réserve l'intégrisme musulman. Or, en Afrique, elles sont un moyen puissant de résistance à ces minorations voire ces brimades, par le statut et la place qu’elles tiennent dans les sociétés sahéliennes africaines (tant au plan économique que sociétal) et qui n’ont rien à voir avec ceux des pays de l’Islam moyen oriental et des sociétés arabes. L’éducation des filles est donc naturellement un objectif majeur , ce que chacun répète d’ailleurs à satiété depuis des décennies, sans que grand chose se passe. Dans les rues de Niamey, aux heures scolaires, on voit bien plus de filles que de garçons!

3. La bière. Ce dernier élément est sans doute, lui aussi, un peu inattendu, mais c’est peut-être aussi le plus fort, car je vois mal comment un Islam, même radical et conquérant, pourrait éradiquer des moeurs africaines cette boisson qui constitue le transfert de technologie européen le plus réussi.

 

 

samedi 27 octobre 2012

Abolition de l'esclavage : suite et fin.


Quand et où commémorer l’abolition de l’esclavage ?

On peut s’interroger, comme je l’ai fait, sur le choix du 10 mai pour la commémoration de l’abolition de l’esclavage qu’on confond, généralement et allègrement, avec l’interdiction de la traite négrière. Dans le choix que Jacques Chirac a fait du 10 mai, comme je l'ai dit, le but caché était moins de commémorer le  10 mai 2001, jour du vote de la loi Taubira-Delannon, que de faire une niche posthume à F. Mitterrand en occultant définitivement, du moins l’espérait-on, le 10 mai 1981, jour de sa première élection dans laquelle Chirac était pourtant pour beaucoup! Objectif atteint, Salut l’artiste ! C’est sans doute la seule raison sérieuse de ne pas avoir fait le choix,  aussi évident que logique, de la date de commémoration du décret Schoelcher (27 avril 1848). Toutefois, cette habileté politicienne avait alors déclenché des vaguelettes imprévues dans le marigot domien.

 Un brin d’histoire et d’anthropologie ultramarines (comme on dit désormais) sont ici nécessaires.

 Habitués que nous sommes à l’immédiateté de l’information mondiale, nous ne pensons plus qu’au XIXe siècle encore, les nouvelles de Paris mettaient plusieurs mois pour parvenir dans les colonies. De ce fait, la nouvelle du décret Schoelcher (avril 1848) n’est parvenue que quelques mois plus tard, aux Antilles et plus tard encore à la Réunion. Cette île étant la plus lointaine, l’abolition n’y a été proclamée que le 20 décembre 1848 par Sarda-Garriga, qui était arrivé dans l’île le 13 octobre. De ce fait, tous les ultramarins célèbrent la mémoire de l’événement à des dates différentes. Chaque D.O.M. aurait donc naturellement souhaité que sa propre date soit retenue pour l’ensemble des anciennes colonies. Impossible à envisager de ce fait même.

 Les D.O.M. ne pouvant donc être que divisés sur le choix d’une date de commemoration, restaient les Domiens de France qui, même si on ne le savait pas, l’étaient tout autant, non  cette fois du fait de leurs origines géographiques et de leur histoire, mais en raison de leurs regroupements politico-idéologiques. Comme pour l’Islam de France, on a tenté le coup de créer une grande association nationale, le « Conseil National des Associations Noires », le C.R.A.N. (ça ne vous rappelle rien ?) qu’on a réuni, en grande pompe, à l’Assemblée Nationale (tout un symbole !) le 26 novembre 2005.

 Le but était de couper l’herbe sous le pied à des dizaines de regroupements ethniques incontrôlés, souvent assez anodins, comme le « Collectif DOM », mais parfois potentiellement dangereux comme la « Tribu Ka » (fondée en décembre 2004, pour succéder au Parti Kémite de Kemi Seba et qui s’est illustrée surtout par son antisémitisme). Le C.R.A.N. s’est donné alors comme président un non-Antillais, (P. Lozès, pharmacien initialement U.M.P, né au Bénin, où son père fut ministre et qui s’est même affirmé un instant candidat à la présidentielle de 2012), avant de connaître divers ennuis), mais les Antillo-Guyanais y eurent, logiquement, une place de choix (L.G. Tin, Martiniquais, S. Pocrain, Guadeloupéen, et... C. Taubira, Guyanaise). Le panachage politique se voulait en camaïeu avec Lozès (U.P.M.), Pocrain (Verts) et Taubira-Delannon (P.S.).

 Le C.R.A.N. visait à ratisser large, mais c’est aussi ce qui faisait problème. Le Collectif DOM,  toujours présent, réunissait, sous la présidence de P. Karam, présent sur tous les fronts et grand amoureux de la procédure, des personnalités actives et remuantes  comme C. Ribbe et S. Bilé.

 Le premier voulait surtout promouvoir ses livres ; cet auteur, mi-guadeloupéen, mi-creusois, normalien et agrégé de philosophie, nourrissait, comme Mazarine, de plus nobles ambitions que celles d’enseigner ; on le vit donc se jucher sur Alexandre Dumas ( Alexandre Dumas,  le dragon de la reine ) pour tirer sur Napoléon ( Le crime de Napoléon ).

 Le second, S. Bilé, journaliste (en Martinique un moment) et écrivain ivoirien, ne manque pas d’éclectisme, puisque, après un livre aguichant, La légende du sexe surdimensionné des Noirs  (l’auteur est fort heureusement noir lui-même ce qui le met à l’abri des poursuites !) , il  a publié, sans plus de succès, Noirs dans les camps nazis.

 Le Collectif DOM a toujours montré plus de virulence que le C.R.A.N. que C. Ribbe, dans une envolée gaullienne, a qualifié un jour de « quarteron de petits arrivistes d’origine africaine » (Ne serait-ce pas un peu raciste ?) ; ce Collectif DOM a surtout multiplié les attaques aussi bien contre ce qu’il regarde comme sa droite (contre Max Gallo d’abord, puis contre O. Pétré-Grenouilleau, deux historiens estimés) ; l’un et l’autre furent taxés de révisionnisme, avec, dans le second cas, des procédures judiciaire et administrative  rapidement abandonnées devant le tollé unanime des historiens français. Le Collectif DOM s’opposait aussi, sur sa gauche, à ce qu’on pourrait regarder comme les formes extrêmes de ses positions « noiristes » (la « Tribu Ka », dont le « chef » Kemi Seba fut traîné devant les tribunaux par P. Karam).

Bref, ce ne sont là que rivalités dérisoires et ambitions minuscules, la grande question était autre et j’ose la poser ici.
 
Où et quand faut il cébébrer l’abolition de l’eclavage ?
 
L’histoire a certes tranché en faveur du Luxembourg et du 10 mai, toutefois on peut douter de la légitimité voire du bon sens de tels choix et l'on devrait au moins s’interroger sur eux.

Aurait-il fallu célébrer l’abolition de l’esclavage à la Bastille, le 10 mai (la date officielle choisie par J. Chirac et entérinée par le C.R.A.N, ce « quarteron de ... (cf. supra) ») ou à la Nation, le 23 mai (en souvenir de la première manifestation du 23 mai 1998 qui, sans être exclusivement domiene ou désormais ultramarin, l’était quand même de façon massive) ?

10 ou 23 mai ? Bastille ou Nation ? Il y a là un dilemme insupportable dont il faut bien sortir. Puis-je, sans être Antillais ou « d’origine africaine », risquer une suggestion de commencement de début de compromis, tout en sachant bien les risques immenses que je prends.

Osons comme disait l'autre ! Je propose de célébrer l’abolition de l’esclavage à la station de métro Faidherbe-Chaligny (à égale distance, deux stations, de Bastille et de Nation) le 16 mai à minuit (donc à égale distance du 10 et du 26 mai).

Salomon lui-même ne ferait pas mieux !

vendredi 26 octobre 2012

L'esclavage (6) : l'esclavage africain


 
Si je veux pas que cette série de posts sur l'esclavage, un peu imprévue au départ puisqu'elle a été suscitée par la visite inattendue de François Hollande à la "maison des esclaves" de Gorée, dure indéfiniment vu l'ampleur du sujet, il faut que j'envisage, aujourd'hui au mieux, demain au pire, d'y mettre un terme. Il me reste à parler de l'esclavage africain ou plus précisément, comme disent certains auteurs, de l'esclavage intra-africain.

On constatera dans la suite que, pour tout ce qui concerne l'esclavage africain, les meilleures des sources, qui dispensent pratiquement de consulter tout autre ouvrage, sont les deux grands livres de l'anthropologue Claude Meillassoux, récemment disparu. Ce sont, en 1975, son livre L'esclavage en Afrique pré-coloniale publiée à Paris chez Maspero et dont le titre se passe de commentaires mais aussi son Anthropologie de l'esclavage dont la première édition date de 1986, mais qui a été republié en 1998, à Paris également, aux Presses Universitaires de France.

Ma première remarque et la plus évidente est que, comme le prouve le titre même du premier livre de C. Meillassoux, l'esclavage a commencé en Afrique, bien avant que les Arabes d'abord, les Européens ensuite, y mettent les pieds pour y trouver des esclaves. Ils ont pu le faire et en organiser le commerce d'autant plus facilement que la tradition de l'esclavage local était installée et courante depuis fort longtemps.

Deuxième remarque. Cet esclavage traditionnel présentait des différences avec ceux qui ont suivi, mais il est en même temps évident que les procédures de l'esclavage moderne, et en particulier de l'esclavage occidental, se sont inspirées des us et coutumes de l'esclavage intrafricain traditionnel. Même s'il est risqué de le dire, sauf à se faire traiter de raciste ou de colonialiste (ou les deux), le fameux Code noir français est, dans plusieurs de ses dispositions, proche des traditions de l'esclavage africain, sur lequel les rédacteurs de ce code avaient dû, de toute évidence, être informés.

Troisième remarque, qui a déjà été faite et sur laquelle je passerai sans m'attarder : il est évident que toute condamnation comme "crime contre l'humanité" de la traite française ne saurait exempter de responsabilité, dans cette affaire, les Africains qui non seulement ont pratiqué cet esclavage bien avant l'arrivée des Européens mais qui surtout, dans ce commerce arabo-musulman et ensuite européen, étaient les VENDEURS, qui, dans toutes les pratiques illicites, sont considérés comme plus coupables et condamnable que les ACHETEURS des produits interdits.

La première remarque étant irréfutable tout comme la troisième, je me bornerai, faute d'espace, à apporter des éléments à la deuxième. Je me bornerai à rappeler, une fois de plus, que mes propos se fondent sur les conclusions de tous les spécialistes de la traite et de l’esclavage en Afrique et je ne citerai, pour achever ce point, que quelques lignes de Claude Meillassoux  à propos des noms de "nations" d'esclaves alors que pour de multiples raisons, la plupart d'entre elles n'ont guère de sens et que tous celles et ceux qui se servent de ces noms de "nations" pour identifier les langues que parlaient ces esclaves ignorent tout des réalités historiques et linguistiques de l'Afrique :

“ Ces termes [les noms de “ nations ” d’esclaves comme Bambara, Congo, etc. ] ne s'appliquent pas, en réalité, à des ethnies ou à des formations politiques précises, mais à un ensemble confus de populations diverses, celles parmi lesquelles s'approvisionnent les pourvoyeurs d'esclaves, guerriers ou marchands. Ces noms imprécis, mal différenciés, désignent aux yeux des esclavagistes des populations ayant un caractère commun : une rusticité qui confine à la bestialité, l'ignorance, l'infériorité intellectuelle, l'amoralité et la pratique d'actes de sauvagerie (comme le cannibalisme généralement), traits qui les prédisposeraient donc à la capture et à une exploitation semblable à celle que subissent les animaux" (1998 : 75).

J'ajoute que c'est le même mot ("galb" ou "galab" - je ne sais comment l'écrire -) qui désigne le conducteur de bovins et celui qui dirige un convoi d'esclaves!

Cet aspect est tout à fait capital; l’idée de déduire la langue que parlaient les esclaves de celle dont on usait dans le lieu où ils étaient “ traités ”, aussi bien pour être asservis sur place que transportés au-delà des mers, est totalement absurde, car elle est contraire à toutes les réalités de la traite et de l’esclavage africain. Sur ce point, pour être bref, je citerai encore C. Meillassoux dont les travaux, conduits souvent dans la perspective de l’économie et de l’anthropologie, apportent des lumières aussi décisives qu’incontestables ; pour aller vite, je rassemble quelques citations majeures toutes prises dans son livre réédité en 1998 :

"Les armées opèrent couramment à 1000 km et plus de leurs bases" (1998 : 48)
"Par la capture et la traite, le captif est engagé dans un processus d'extranéité qui le prépare à son état d'étranger absolu dans la société où il sera livré. L'esclave vient toujours de loin [souligné par moi]. Son extranéité commence avec son exotisme […] La valeur des captifs augmente avec la distance, obstacle insurmontable à l'évasion" (68).

Au déplacement que les marchands imposent à leur bétail humain s'ajoutent les distances, toujours croissantes, que les guerriers doivent parcourir pour exploiter de nouvelles garennes. […] L'esclave n'est jamais un voisin [souligné par moi]." (1998 : 69).

Toutes ces circonstances expliquent, en particulier, la disparition des langues africaines et l'émergence de créoles qui ne les rappellent en rien. On s’est souvent interrogé sur ce problème, d’une façon généralement pas très sérieuse, car un processus sociolinguistique ne peut être compris que si l’on détermine, aussi exactement que possible, les conditions socio-historiques et socio-économiques dans lesquelles il s’est produit. Une telle démarche, de nature scientifique, suppose qu’on dépasse un peu le stade des rêveries romantiques (la méditation sur la mort des langues s’apparente à la poésie des ruines) ou idéologiques; sur ce dernier point, la dénonciation de la “ glottophagie coloniale ”, un moment en vogue, n’est qu’un aspect particulier de la “ guerre des langues ”.

Je dois prévenir les procès d’intention qu’on ne manquera pas de me faire dans la mesure où je vois nombre de rapports entre l’esclavage en Afrique et dans les colonies européennes. Même si, en Afrique, les conditions serviles sont plus diversifiées que dans les Isles (les "esclaves de peine" accomplissent toutes les tâches, sans limitation de temps et à toutes heures du jour et de la nuit ; les "esclaves mansés" peuvent eux cultiver un lopin; l’"esclave casé " est une sorte de métayer ; l’"esclave manumis" est au sommet de la hiérarchie sociale servile, cf. Meillassoux, 1998 : 117 et suiv), l’esclavage local y est souvent très dur.

Là encore je me limiterai à quelques faits relevés chez C. Meillassoux,  mon but n’étant pas de faire un recueil d’anecdotes anti-esclavagistes (comme au XVIIIe siècle!), mais de distinguer certains caractères qui peuvent relier l’Afrique aux colonies européennes à cet égard et expliquer des aspects anthropologiques.

"Dans la région sahélo-soudanienne, l'esclavage est à la fois très ancien et exemplaire" (1998 : 43). Le titre du chapitre V du livre de Meillassoux est significatif quant à la condition des esclaves "Non nés et morts en sursis" (1998 : 99). En effet, s’il n’y a pas la possibilité de réduire les captifs en esclavage, ils sont impitoyablement exécutés; c’est ce qui se produira d’ailleurs après la fin de la traite atlantique, la fin de ce commerce empêchant désormais  nombre de captifs d'être vendus et les condamnant à une mort immédiate".

Cet état de mort en sursis est symbolisé par des pratiques :

"Par le rasage du crâne, on simule une naissance fictive; leur acquéreur est dit être leur père […] Ils ne sont pas des personnes ; souvent ils ne portent pas de nom." [...] "Ils sont des objets"; le terme de " cheptel vif" est assez significatif. (108-109).

"Ils lui [au maître] sont livrés sans restriction. Celui-ci peut les châtier, même à mort, sans encourir de responsabilité" (1998 : 115). "Ils doivent adopter la langue de leurs maîtres".

On s’étonne souvent, en Afrique comme dans les colonies, du nombre réduit de révoltes alors que les conditions de servitude sont souvent très dures, sinon atroces; je partage assez largement sur ce point l’explication que donne Meillassoux :

"Les cas de rebellions d'esclaves sont rares […] La dépersonnalisation, l'idéologie dont étaient imprégnés ces femmes et ces adolescents dès leur entrée dans l'esclavage, les peines et la terreur qu'inspiraient les châtiments cruels, l'action collective de la masse des maîtres face à la désorganisation des esclaves [ l’expliquent]. Plus l'exploitation est dure, plus elle écarte l'exploité des connaissance et du temps libre et plus les moyens de la prise de conscience sont diminués. A l'inverse de ce que distille le romantisme révolutionnaire, la révolution n'est pas proportionnellement inverse à la répression. Au-delà d'un certain seuil, les êtres humains sont écrasés sous les nécessités de la survie" (1998 : 312).

Faut-il une suite à tout cela ?

 

 

jeudi 25 octobre 2012

Esclavage (5) :: la traite arabo-musulmane



Vous comprendrez aisément que, compte tenu de l'espace éditorial réduit dont je dispose et de la possibilité aisée d'accès aux excellentes sources que j'ai mentionnées hier, je n'entreprenne pas de faire un exposé complet sur la traite orientale ou arabo-musulmane ("le génocide caché" selon le titre de T? D'Diaye), me concentrant surtout sur les différences avec celle dont on parle toujours et qui concerne exclusivement l'Afrique occidentale, d'où les colonisations européennes ont fait partir les esclaves pour leurs colonies de la zone américaine. On comprend aisément que cette préférence marquée pour la traite européenne tient à ce qu'elle s'inscrit aisément dans le paradigme du discours anticolonialiste, alors que le tabou linguistique et scientifique, auquel ne se soumettent pas que de rares historiens du Sud, amène à occulter , dans une étrange solidarité, sans doute fondée sur la religion, la traite arabo-musulmane. Ne parlons même pas ici de l'UNESCO dont la "route de l'esclavage" n'a jamais franchi le Cap de Bonne espérance!  

Je me bornerai donc ici, assez brièvement d'ailleurs, à rappeler les éléments essentiels de cette comparaison qui n'est à peu près jamais faite, et pour cause.
 
Le premier point tient à la durée même des traites. Nos "expert(e)s"  français(es), ignorent souvent que, selon les colonies, de 30 à 50 ans séparent l'abolition de la traite (1815) de celles des régimes coloniaux d'esclavage. Laissons ces détails. Alors que la traite dite "atlantique" dure, au pire, moins de quatre siècles (entre le 15e et le XIXe siècles), la traite arabo-musulmane dure une bonne douzaine de siècles.
 
De ce fait même, le nombre des esclaves "traités" a été beaucoup plus important dans le second cas que dans le premier ; pour prendre les chiffres moyens, 11 à 12 millions pour la traite atlantique, 17 millions pour la traite orientale. Cette première disparité conduit évidemment à ne pas pouvoir, sur le plan historique, éliminer complètement la traite orientale pour ne parler que de l'autre ; ce choix quasi unanime ne tient qu'à l'origine géographique et à surtout à l'idéologie des chercheur(e)s qui visent à mettre en cause les responsabilités des pays européens colonisateurs, celle de la France en particulier qui, bonne fille, se laisse faire, un peu sottement d'ailleurs, sans mettre en cause non seulement les autres pays européens impliqués dans cette affaire (les Danois en particulier !) et surtout, avec la traite arabo-musulmane, les Arabes et, bien entendus et peut-être en premier lieu, les Africains eux-mêmes.

Pour ajouter un mot à propos de la traite arabo-musulmane, il faut dire que, à ses débuts, elle n'a pas eu besoin d'avoir recours aux populations africaines, puisque nombre d'Européens furent alors réduits en esclavage, en particulier au Maghreb, en conséquence de conflits ou de diverses modes de capture. Qu'on se souvienne ici de Scapin et de sa galère qui constitue alors un épisode qui n'a rien d'imaginaire et surtout des récits de quelques européens qui eurent à connaître des "bagnes" d'Alger. C'est lorsque ce recrutement aléatoire d'esclaves européens captifs prit fin que la traite arabo-musulmane commença a opérer essentiellement en Afrique.

Un trait étonnant qui distingue les deux traites est celui de leurs conséquences sur le plan démographique. En effet alors que la traite atlantique a conduit à l'existence dans la zone americano-caraïbe de populations noires ou mulâtres (en tout 60 ou 70 millions d'individus, le calcul étend rendu assez malaisé par la définition même du terme "mulâtre" puisque, dans certaines zones américaines, on pouvait être considéré comme "non caucasien", en étant phénotypiquement blanc mais en ayant 1/16 de sang noir dans son ascendance), alors que, du côté oriental, 17 millions d'esclaves africains n'ont eu à peu près aucune descendance. Cette différence tient à ce que dans la zone americano-caraïbe, on a introduit comme esclaves des hommes et des femmes, pour fournir une main-d'œuvre que nécessitaient les agro-industries coloniale (tabac, café, sucre). L'utilisation de main-d'œuvre indigènes ou immigrée d'Europe (les "engagés" blancs du début des Antilles) s'était en effet révélée impossible. En revanche, dans la zone orientale, des esclaves étaient exclusivement des hommes puisqu'il s'agissait d'en faire des soldats ou, de façon plus étonnante, des eunuques.

Les conditions mêmes de la capture et de l'acheminement des esclaves font que les chiffres avancés (12 et 17 millions) ne correspondent que de façon très lointaine à la saignée démographique faite dans les populations africaines par ces traites. En effet, si l'on estime que le transport (maritime surtout et parfois terrestre dans la zone orientale) a causé de 20 à 25 % de perte sur les effectifs transportés, Les pertes humaines étaient toutefois beaucoup plus importantes AVANT l'embarquement, lors de la capture d'abord, durant le voyage terrestre vers les ports ensuite. En effet, dans tous les cas, les esclaves étaient embarqués très loin du lieu de leur capture, dans la mesure où l'on voulait leur retirer tout espoir de fuite et par là même de retour. Il y avait même une loi non écrite dite des "1000 milles" qui marque que souvent près de 1800 km (à la louche) séparaient le lieu de capture d'un esclave de la région de son embarquement.

En outre, les captures elles-mêmes étaient très meurtrières ; on estime que, pour un esclave capturé, il fallait compter deux morts au moins, au cours des batailles qui avaient conduit à le réduire à la servitude. Si l'on cumule tous ces chiffres et pourcentages de pertes, le nombre des victimes africaines de ces traites, sans parler de la traite "intra-africaine" dépasse certainement largement les 100 millions.

Le pire était toutefois, dans la traite arabo-musulmane, le traitement qui était infligé un bon nombre d'esclaves. En effet, comme certains d'entre eux étaient destinés à alimenter en eunuques les harems orientaux, ils devaient être castrés. Il est bien évident que le nombre d'esclaves nécessaires à cette fonction était relativement réduit, mais la castration, faite dans les conditions médicales et sanitaires qu'on peut imaginer, était une opération extrêmement meurtrière. On estime que seuls 20 %  des opérés y survivaient. On aurait donc pu juger l'opération non rentable, mais l'énormité même de ces pertes faisait qu'un esclave castré prenait une valeur infiniment supérieure à celle d'un esclave normal. Les trafiquants trouvaient donc un intérêt évident à risquer la vie de cinq ou six esclaves dans l'opération de castration pour en voir survivre un qu'ils pourraient alors vendre à vendre à prix d'or.

 

 

 

mercredi 24 octobre 2012

De l’esclavage et des traites : conseils de lectures

Si conscient que je sois de l’imp(r)udence de ma démarche, je m’autorise de la réputation du Canard enchaîné (numéro du 11 juin 2008, page 6) pour recommander à nos vestales et à nos grands prêtres de l’historiographie de la traite négrière (je maintiens, contre mon sentiment personnel, le prudent singulier auquel elles/ils sont si attaché(e)s), outre les sources documentaires que j'ai citées, la lecture d’un livre dont cet hebdomadaire a fait un compte rendu élogieux et, à mon sens, justifié.

Il s’agit d’un ouvrage paru dans la collection « Témoins », dont le titre est Journal d’un négrier au XVIIIe siècle. Nouvelle relation de quelques endroits de Guinée et du commerce d'esclaves qu'on y fait (1704-1734)  par le capitaine William Snelgrave . Ce livre, publié en anglais en 1734, n’est ni le premier ni le dernier des ouvrages de ce genre ; il confirme des informations que nous offrent, par ailleurs,  de multiples sources dont celles de ce genre qui sont parmi les plus intéressantes. On avait déjà eu un exemple de ce type de récit avec le journal d’un marchand d’esclaves danois (le marchand, pas les esclaves !), L.F. Römer, traduit et publié en 1989 (Paris, l’Harmattan).

Rien de très nouveau donc pour qui connaît tant soit peu les réalités historiques et anthropologiques de l’esclavage africain (pour lesquelles la source majeure demeure les travaux de Claude Meillassoux), mais ce n’est évidemment pas le cas des destinataires majeurs de mes conseils de lecture. Il serait plus exact de dire, au pluriel « des esclavages africains » puisque, en gros, on peut dire qu’on y distingue, en gros, trois époques : celle de l’esclavage traditionnel, bien avant l’arrivée des non-Africains et dont l'origine se perd dans la nuit des temps ; puis celle des « négriers de l’Islam » ( la "traite arabo-musulmane" ou le "génocide voilé", selon la formule de Tidiane N'Diaye) du VIIe au XXe siècles ; enfin la troisième phase (du XVIe au milieu du XIXe siècle), qui commence avec l’ouverture des marches de l’Ouest africain, suscitée par les demandes des colonisations européennes.

On retrouve ici l’évidence de la pluralité des traites négrières qui fâche si fort nos gardiens du temple de la repentance et dont la mise en évidence a naguère attiré sur le pauvre Olivier Pétré-Grenouilleau les foudres d’un certain nombre d’associations qui, en cette  matière dont ils ignorent tout, prétendent détenir et imposer une vérité qui leur est propre. Ils  se sont toutefois vite calmés du fait de l'indigence de leurs positions et surtout devant la protestation unanime des vrais historiens.

J’invite d’ailleurs les destinataires de mes conseils, qui ne veulent entendre parler que de la "traite atlantique" mais sont un peu à court d’arguments, à réfléchir sur un fait, qui ne peut relever du simple hasard et qui révèle le complot occidental : Les traites négrières de Pétré-Grenouilleau, le Journal d’un négrier au XVIIIe siècle  et Le génocide voilé ont le même éditeur parisien, obscur et sans nul doute raciste : Gallimard.

Puisque nous en sommes aux conseils de lectures pour tous ces braves gens dont les connaissances sur l’esclavage ont sérieusement besoin d’être affermies, comment ne pas leur signaler aussi l’excellent livre de Jacques Heers, paru chez Perrin (et non chez Gallimard !), en 2003, Les  négriers en terre d’Islam. La première traite des Noirs VIIè-XVIè siècles ». A mes yeux, c’est toutefois plutôt la deuxième, si l’on prend en compte l’esclavage traditionnel, mais on peut admettre aussi la classification de J. Heers, qui considère surtout les traites extra-africaines.

Comme dessert, laissez-moi vous offrir une courte citation du Journal d’un négrier  qui s'adresse en ces termes à des esclaves qu'il vient d'acheter : « Je répliquai à cela qu’ils avaient déjà perdu leur liberté avant que je les achetasse […] Je leur fis observer que, quand ils pourraient réussir à se sauver à terre, ils n’en seraient pas plus avancés, parce qu’ils ne pouvaient douter que leurs compatriotes ne les rattrapassent bientôt pour les revendre à d’autres navires ».

Me voilà donc contraint, une fois de plus, de prolonger mon propos.

Deux données, naturellement approximatives, pour le résumer et en préparer la suite :
Traite "atlantique" 12 millions de déportés (selon Joseph N'Diaye 15 à 20 millions !!!!) ;
Traite "orientale" 17 millions. Comme on le verra cette dernière est bien plus meurtrière et cruelle.
A demain.

mardi 23 octobre 2012

L'esclavage (4) : You Tube et les traites négrières

J'étais déjà en train de rédiger ce que je pensais être le quatrième volet de la série de posts consacrée à l'esclavage et à la traite lorsqu'une de mes amies et lectrices réunionnaise m'a signalé un document audiovisuel fort intéressant qui m'a mis lui-même sur la piste d'une série de vidéos dont plusieurs sont consacrées à la "traite arabo-musulmane".

Le point de départ de mon excursion documentaire dans le domaine est une référence qu'elle m'a donnée à propos du livre de Titiane N'Diaye, Le génocide voilé que j'avais signalé dans mon post précédent (cette référence est  : Le génocide voilé www.youtube.com). Je dois dire que ces documents forts intéressants m'avaient échappé, car ils sont accessibles dans YouTube qui est un média que je fréquente relativement peu, et sur ce point, j'ai grand tort de ne pas le faire.
La vidéo qu'elle m'a signalée est une interview réalisée par Gora Patel dans son émission de FranceO "10 minutes pour le dire" ; il y interviewe précisément l'auteur du livre en cause qui, à l'époque, était économiste anthropologue rattaché à l'INSEE. Je ne parlerai pas ici de son interview, qui mérite tout à fait d'être regardée en soi, mais qui présente des thèmes et des faits sur lesquels je reviendrai dans la suite.

En revanche, en allant voir ce document dans You Tube, j'ai découvert qu'il figure dans une série qui en comprend plusieurs autres, sur le même sujet, fort intéressants à divers titres.

L'un d'entre eux  passablement drôle, consiste dans une passe d'armes, chez Laurent Ruquier, entre Éric Zemmour et Christiane Taubira, à propose de loi de 2001 mais surtout a l'occasion de la sortie de son livre sur l'esclavage raconté à sa fille (je ne sais plus le titre exact de l'ouvrage) ; il y a là un affrontement très vif dans lequel, il faut bien le dire, Madame Taubira se défend avec assez d'adresse et non sans vigueur. Elle est meilleure, en tout cas qu'à l'époque je l'avais moi-même rencontrée et affrontée dans une réunion où elle avait montré surtout ses ignorances, ce qui montre que les lectures qu'elle a pu faire en vue de la rédaction de son livre lui ont tout de même été utiles.
Le point le plus important est qu'il y a aussi plusieurs interviews de chercheurs du Sud (africains ou maghrébins) qui ont le rare courage de dire que le sujet de la traite arabo-musulmane est l'objet d'un véritable tabou linguistique et scientifique, les chercheurs du Sud qui osent l'aborder étant taxés de trahison, ceux du Nord, quand ils s'y risquent, étant accusés de racisme. Le point de départ d'une video, parmi les plus longues et les plus intéressantes, est d'ailleurs une grande conférence tenue à Paris à l'Unesco sur l'esclavage, tenue à grand fracas dans le cadre du programme de cette organisation consacrée à la route de l'esclavage. Il est tout à fait stupéfiant (mais en même temps prévisible) de constater qu'il n'y a pas été fait la moindre mention de la traite arabo-musulmane qui, fut, sur le plan purement démographique de loin la plus importante et, d'une certaine façon, comme on le verra, la plus cruelle.

Toutefois le clou dans cette série de vidéos (car il y en a presque une demi-douzaine qui sont consacrés à cette question de l'esclavage et en particulier de l'esclavage arabo-musulman) est un extrait d'une émission de Thierry Ardisson  qui est un document vraiment exceptionnel.

En effet, au cours de cette émission, Ardisson recevait l'inénarrable Joseph N'diaye dont j'ai parlé dans un autre post consacré à la visite de François Hollande au Sénégal et qui, de ce fait était, tout à fait étranger à la question de l'esclavage.

C'est le programme même de cette visite qui m'y a conduit puisqu'on avait inclus dans ce programme officiel la visite de la "maison des esclaves" de Gorée, comme on l'avait auparavant infligée à une foule de personnalités dont Hillary Clinton, le pape et bien d'autres. Je ne veux donc pas reprendre ici ce que j'ai dit dans ce post récent auquel, si la chose vous intéresse, vous pouvez vous y reporter (mon post du 13 octobre sur François Hollande à Gorée).

En revanche, dans cette video, on a eu droit à un numéro de Joseph N'Diaye qui, s'il avait fait le voyage avec sa charmante épouse (qui pourrait être sa fille et qui avait une élégance toute sénégalaise), n'avait pas pris soin d'apporter dans sa valise ses chaînes ; il n'a donc pas pu se livrer à l'une de ces démonstrations qu'il affectionnait et qui ont fait son succès. Il était là pour la promotion du livre sur l'esclavage qu'il a écrit ou qu'on lui a écrit et qui est un récit largement mythique, comme l'étaient une bonne partie des propos de ce bon vieillard (Dieu ait son âme puisqu'il est mort depuis).

En revanche si ses mérites d'historien sont des plus légers, son talent d'acteur est toujours le même ; il a réussi à provoquer les applaudissements et pour finir une "standing ovation" des spectateurs qui, dans ce genre d'émission, il faut bien le reconnaître, sont bon public puisque on les "chauffe" à cette fin et que, dans certaines émissions, on va même jusqu'à les payer pour ça. Bref, peu importe, au fond, ce que dit Joseph N'Diaye, mais c'est là une occasion unique de voir en action cette figure historique dans toute sa gloire, puisque désormais la maison des esclaves de Gorée a non seulement vu sa légende écornée par des travaux d'historiens (qui en ont d'ailleurs subi les conséquences sociales de leurs révélations) et à qui a perdu, en outre, le principal acteur de la comédie qui s'y donnait.

Si ces questions vous intéressent, je vous invite donc à aller voir cette série de vidéos sur You Tube ; je pense que, comme moi-même, après en avoir vu une, on vous présentera un petit panorama des diverses émissions qui touchent au même sujet.

J'ai un peu digressé, comme souvent mais à peine, en évoquant cette série de vidéos, ce qui m'oblige à remettre à demain le texte que je pensais proposer aujourd'hui. A demain donc!

lundi 22 octobre 2012

Esclavage (3) : Un point de vue (doublement) africain sur la traite atlantique

J’ai souvent, non sans m’attirer moins des arguments contre mes points de vue que  des injures, mis en lumière et souligné le rôle, incontestable, des Africains eux-mêmes dans la traite négrière. Par une prudence dont je ne suis guère coutumier, je me permets donc ici de reproduire, en introduction, le compte rendu du livre de Tidiane Diakité (un Africain comme son nom l’indique), La traite des noirs et ses acteurs africains (Editeur : Berg International) rédigé par Raphaël Adjobi (Africain également) et que ce dernier a publié dans son site. L’adresse du site, qui existe toujours, est raphael.afrikblog.com.
« Le livre de Tidiane Diakité arrive au bon moment du débat sur la traite négrière atlantique. Depuis la publication de celui de Pétré-Grenouilleau qui a fait de lui le maître incontesté de ce thème dans la conscience des Français, la traite des Noirs est apparue pour beaucoup comme un événement anodin dans l’histoire de l’Europe. Celle-ci a en effet accueilli le livre et les entretiens accordés par l’auteur français comme le baume qui vient soulager sa conscience ployant sous le poids de la culpabilité d’un commerce éhonté. Désormais les Européens se satisfont de l’idée qu’ils n’ont fait que prolonger une pratique ancestrale africaine les dispensant donc du sentiment de culpabilité et des dédommagements que certains africains s’évertuaient à demander.
Très vite, afin d’éviter les amalgames, Tidiane Diakité présente le vrai visage de l’esclavage tel qu’il était pratiqué sur le continent jusqu’au XVè siècle. Les témoignages des Portugais, les premiers commerçants européens en Afrique, attestent les récits oraux transmis de génération en génération recueillis sur le terrain.
Ce préalable clairement expliqué, l’auteur s’attache à nous présenter dans une démarche détaillée les premiers pas des particuliers portugais qui vont initier les premiers rapts et razzias sur les côtes africaines et l’introduction régulière des Noirs en Europe. Puis vient le temps de l’intérêt de l’Etat du Portugal pour ce commerce, et à partir de la deuxième moitié du XVI è siècle ses luttes contre les autres pays européens qui manifestaient à leur tour un grand appétit pour le commerce des esclaves.
La rentabilité de ce commerce supposait une vraie organisation de la part des Européens. Devant les premières résistances africaines aux rapts, vols et razzias qui causaient des dégâts dans leurs rangs, les négriers ont trouvé bon d’imposer aux rois africains des traités dans lesquels ceux-ci ont le sentiment de trouver leur compte mais en réalité fort avantageux pour les pays européens. Dès lors, les rois africains devinrent des acteurs actifs de la traite en entrant dans un commerce de troc : des êtres humains contre des produits européens. Ainsi, comme le démontre très bien l’auteur, pendant que, grâce à la traite négrière, les industries et les villes européennes se développent déversant des produits hétéroclites sur le continent noir, l’artisanat africain, florissant jusqu’au XV è siècle, allait être délaissé au profit de la chasse à l’homme. Quatre siècles et demi d’inactivité artisanale finiront par ruiner le génie africain, parce que « pour les générations nées dans ces siècles, la traite apparaissait comme la norme, l’unique référence ».
Dans ce livre, Tidiane Diakité s’applique d’une part à montrer l’ordre de succession des Européens sur les Côtes de l’ouest africain ; comment à la suite des Portugais et des Hollandais, les Français puis les Anglais ont mené la traite négrière à son apogée au XVIII è siècle. D’autre part, l’auteur nous fait apparaître des rois africains de plus en plus intéressés et se montrant des ardents défenseurs de l’esclavage et des habiles commerçants avec les négriers. Pouvoir insupportable à ces derniers qui, pour obtenir davantage d’esclaves sans trop de frais suscitaient des conflits interafricains en exploitant la jalousie ou l’animosité des camps adverses, sachant que les vainqueurs leur vendraient les vaincus.
[...]
J’aime les livres qui laissent parler les documents d’archives. Et celui-ci en est un. En cédant très souvent la place au narrateur de l’époque, l’auteur nous plonge dans la dure réalité des faits et l’on comprend mieux le présent. Il est certain que ce procédé est le plus sûr moyen de ne pas souffrir la contestation. Il y a dans cet essai quelque chose d’absolument pittoresque quant au comportement des Africains devant l’appât du gain que représentait la présence d’un navire négrier sur leurs côtes. Certaines pages de ce livre peuvent d’ailleurs permettre aux Africains d’aujourd’hui, et particulièrement les acteurs politiques et économiques, d’analyser leur comportement dans nos sociétés en pleine mutation et subissant la convoitise des Européens. D’autres pages encore éclairent cette facilité qu’ont certains à prendre les armes contre leur pays, le trafic des armes, le choix des productions économiques tournées vers la satisfaction du marché européen. Tout lecteur trouvera à travers ce livre de précieux éclairages à beaucoup d’autres problèmes de la vie moderne et notamment la difficulté des Africains à établir des perspectives d’avenir. Cependant, s’il est vrai que la « chaîne » de l’esclavage a deux bouts (africain et européen), on peut se demander si celui que tenaient les Africains - trop souvent façonné par les Européens pour coller à leur goût -  peut être considéré comme une œuvre essentiellement africaine. ». Raphaël Adjobi.
Je ne partage pas tous les points de vues evoqués dans ce compte rendu (en particulier pour la chronologie du système et la prise en compte exclusive de la traite atlantique) mais une telle prise de position est admirable car, au milieu de tant de mauvaise foi et d'ignorance, il est rare de voir un auteur africain oser s'exprimer en ces termes. J'y reviendrai demain.

dimanche 21 octobre 2012

Le nouveau vocabulaire politique français

C'est dimanche ; en attendant de revenir demain à l'esclavage, voulez-vous que je vous propose, comme exemple, un titre à la mode dans le discours politique français ? En voici un : « Le manque de charisme du Premier Ministre impactera-t-il de façon pérenne son action régalienne ?".
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Vous avez remarqué sans doute que ce titre veut simplement dire : "Le manque d'autorité rayonnante de notre Premier Ministre l'empêchera-t-il de prendre les décisions qui s'imposent dans des domaines essentiels?".

En lieu et place d'une telle formulation, consternante de banalité voire de désuétude, celle que je vous propose ici réunit quatre mots-clés de notre vocabulaire médiatico-politique actuel. Le seul point sur lequel je m'interroge en écrivant ce post est l'ordre dans lequel je dois mettre ces deux termes : médiatico-politique ou politico-médiatique ? Je ne vais pas vous refaire le coup de l'âne de Buridan et je ne vois pas de mot-valise sauf un médiocre "polimédiatique" que les incertitudes orthographiques si communes aujourd'hui peuvent rendre ambigu.

Il ne fait pas de doute que la vogue de ces termes (je ne m'en tiens qu'aux plus récents que leur fréquence même rend insupportables) tient à l'ignorance encyclopédique de la plupart de nos politiques et de nos journalistes ; à chaque mot nouveau pour eux (ce qui est un phénomène relativement courant vu leur niveau de connaissance de la langue française), ils sont comme des enfants qui ont trouvé un nouveau joujou dans l'une ou l'autre de leurs friandises et qui ne s'en séparent plus aussi longtemps que dure l'émerveillement devant pareille nouveauté.

Je leur signale car, sans doute cet attrait du neuf finira-t-il par disparaître, qu'ils pourraient ajouter à cette liste, relativement courte, un verbe que j'aime beaucoup et qui souvent n'est malheureusement pas compris, en dépit du fait qu'on peut en user dans nombre de circonstances, en particulier en politique.

Il s'agit du verbe "gazer" ; non pas le verbe sinistre qu'ont hélas popularisé les camps de concentration et la Shoah, pour en faire, comme disait l'autre, un "détail de l'histoire" et qui est dérivé du substantif "gaz", (en la circonstance asphyxiant), mais d'un verbe "gazer", de forme identique , mais beaucoup plus joli, dans son étymologie en tout cas, puisqu'il dérive, non pas du "gaz" (mot rudement masculin) mais de la "gaze", terme féminin qui qualifie un tissu dont il a le charme léger, la douceur et le léger pouvoir d'occultation. "Gazer" une réalité, ce n'est en rien la cacher et moins encore la détruire, mais voiler d'une "gaze" légère qui en adoucit les contours et en masque les défauts. Quoi de plus précieux en politique ?

Le peu charismatique Monsieur Ayrault pourrait donc, faute d'un impact pérenne dans sa fonction régalienne de gestion de nos finances, s'employer, sinon à réduire ou à faire disparaître nos difficultés et déficits, du moins à les "gazer", c'est-à-dire à les couvrir de voiles légers, qui en atténuent la rudesse inquiétante, sans pour autant chercher, sottement voire malhonnêtement, à les dissimuler totalement à nos regards.

Monsieur le Premier Ministre, avec tout le respect que je vous dois, je vous en prie, acceptez ce conseil (gratuit comme toujours chez Usbek Consulting &Co) et suivez-le donc : « Gazez ! Gazez ! Gazez !".

samedi 20 octobre 2012

L'esclavage (suite) : des dangers de l’ignorance et de la bêtise. Ce qu'il faut cacher !

« La République Française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que dans l’océan Indien d’une part et l’esclavage d’autre part [...] perpétrés à partir du XVe siècle contre des populations africaines, amérindiennes, malgaches ["-s" pour le moins étrange] et indiennes constituent un crime contre l’humanité ».

Cet extrait majeur du texte de la loi Taubira-Delannon (2001) que je vais examiner contient plusieurs erreurs ou approximations qu’on aurait dû éviter dans un texte si important, le législateur étant réputé, selon le poncif juridique bien connu, pour « sa grande sagesse ».

Les textes de lois sont préalablement soumis à des juristes (Il y a, en outre, une Commission des lois) ; il n’aurait pas été mauvais non plus de faire lire le projet par un véritable historien, car C. Taubira-Delannon n’était pas encore historienne à cette époque, faute d’avoir publié à cette époque son livre L’Esclavage raconté à ma fille.

Un point de détail historique contemporain.

La date de la commémoration a été fixée au 10 mai. La chose a été décidée et annoncée par Jacques Chirac. Reste à comprendre le choix de la date.

« Avez-vous un texte ? » disait, avant tout débat, le grand Fustel de Coulanges. La loi en cause apparaît dans tous les documents officiels sous la référence « 2001-434 du 21 mai 2001 », la version « consolidée » étant du 23 mai 2001, publiée dans le Journal Officiel de la République Française du 23 mai 2001. Entre décembre 1998 et le 23 mai 2001, on relève une foule de dates pour les lectures du texte, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat. Contre toute attente, on a donc pris le temps de la réflexion ! Le 10 mai est le jour du vote du Sénat, en seconde lecture, donc de l’adoption finale du texte. Soit !

Je ne sais pas quel est le véritable motif du choix final du 10 mai , date qui, par ailleurs, est refusée par certains protagonistes de l’affaire. Je me demande cependant si ce choix, discutable, n’a pas été commandé par le souci tortueux de faire passer au second plan la commémoration du 10 mai 1981, arrivée de la Gauche française au pouvoir !

Retenir la date anniversaire du décret d’abolition lui-même m’aurait semblé le choix le plus logique, le plus symbolique et le moins contestable. Si certains ont fait le calcul que je suppose, ils ont parfaitement réussi, car ce 10 mai 2006, le vingt-cinquième anniversaire de la victoire historique de la Gauche aux présidentielles, le 10 mai 1981, a été totalement oublié, même (ou surtout...) à gauche ! J’ajoute qu’il en a été de même le 10 mai 2007. L’idée n’était donc pas mauvaise.

Revenons au texte.
Il comporte plusieurs bizarreries, absurdités ou scandales.

La première bizarrerie est une forme de confusion, générale et permanente, entre la traite négrière et l’esclavage. L’esclavage a existé bien avant la traite négrière et, rappelons-le, les dates de leurs abolitions respectives sont très différentes. La traite est abolie et surtout interdite en 1815 ; l’esclavage le sera bien, plus tard et à des dates différentes selon les colonisations (1835 pour les colonies de la Couronne Britannique, 1848 pour la France, 1863 pour les colonies hollandaises, etc.). On sait assez que l’esclavage existe encore dans quelques régions du monde, dont le XVIe arrondissement de Paris où résident nombre de diplomates étrangers.

La deuxième bizarrerie est sémantique et historique ; l’usage du mot « reconnaît » dans le texte me semble impliquer, de la part de la République française, l’acceptation d’une responsabilité étatique spécifique. On « reconnaît » qu’on a commis une faute ; en revanche, on admet, on proclame, on souligne, on dénonce, etc. une faute d’autrui. Je ne vois donc pas bien comment la France peut reconnaître des faits liés à l’esclavage et à la traite « à partir de XVe siècle », c’est-à-dire bien antérieurement à la colonisation française dans la zone antillo-guyanaise, où elle n’a commencé, en fait, qu’au XVIIe siècle.

Des Antillais devraient tout de même connaître un peu l’histoire de leur pays, même si les méchants Français de souche ont tenté de la leur dissimuler. L’arrivée des premiers esclaves africains a été précédée, en outre, par une période où l’on a tenté d’utiliser des « engagés » blancs, des Français en général, ce que permettaient la misère et la surpopulation de la France du XVIIe siècle. La simple lecture de la belle thèse d’un historien antillais, J. Petitjean-Roget (« La société d’habitation à la Martinique : un demi-siècle de formation, 1634-1685 », 1980) aurait évité pareille bévue. Je donne ces références pour l’information des membres du « Comité », qui me semblent singulièrement manquer de lectures historiques ; c’est sans doute la raison pour laquelle ils demandent avec tant d’insistance la mise en oeuvre de recherches dans ce domaine !

Troisième bizarrerie, l’allusion aux Amérindiens. On ne voit guère ce que vise le texte de la loi, car les Caraïbes (aux Antilles) ou les Amérindiens (en Guyane) n’ont jamais été réduits collectivement en esclavage. On retrouve, en fait, ici une certaine obsession antillaise de l’ascendance caraïbe. Insoutenable au plan historique, une telle référence est curieuse quand il s’agit de crime contre l’humanité, car le traitement infligé, en leur temps, par les envahisseurs caraïbes aux Arawaks, qui étaient dans ces îles avant eux, n’a pas été des plus humains. Il en est résulté une curiosité linguistique qu’ont signalée longtemps tous les manuels de sciences du langage. Les femmes arawaks qui, à la différence de leurs conjoints, n’avaient pas été massacrées par les envahisseurs caraïbes, mais épargnées pour la distraction et la reproduction, ont conservé leur langue arawak, tout en apprenant, bien entendu, le parler caraïbe de leurs nouveaux maîtres. Au cours des siècles, elles ont transmis leur idiome arawak d’origine, mais seulement à leurs filles. Comme il n’y a plus guère de Caraïbes aujourd’hui, sauf à la Dominique, cette singularité a dû disparaître..

Une quatrième anomalie tient à l’évocation de l’océan Indien. Comme la proposition de loi avait été aussi introduite, le 22 décembre 1998, par trois élus de la Réunion (Huguette Bello, Elié Hoareau et Claude Hoarau), on ne pouvait pas évoquer, comme on le fait toujours, la seule « traite transatlantique » vers la zone antillo-guyanaise. On a donc ajouté « la traite dans l’océan Indien », sans prendre garde, une fois de plus, à l’histoire, faute de la connaître. En effet, dans cette zone, la traite vers les colonies françaises (les archipels des Mascareignes et des Seychelles), qu’a étudiée J-M Filliot dans sa thèse de  1974 (mais tout ce beau monde ignore bien entendu jusqu’à l’existence de cette étude), est un phénomène, dont l’ampleur est ridiculement marginale par rapport à la traite orientale opérée par les Arabes, dans ce même océan, des siècles durant. Les auteurs de ce texte et leurs conseillers ignoraient ce menu détail ; en évoquant l'océan Indien qui, dans leur esprit ne concerne que les Mascareignes et les Seychelles, ils visent donc, mais sans le savoir, la traite arabe, à partir de l’Afrique de l’Est dont on estime (nous y reviendrons) qu’elle a concerné 15 à 17 millions d’esclaves africains (soit sans doute au moins cent fois plus que la traite vers les colonies françaises de cette même zone).

Ce point nous amène à ce qui est le vrai scandale historique d’un tel texte, où se mêlent sans doute ignorance et mauvaise foi, sans que je sois en mesure d’établir les proportions de ce sinistre mélange. On le perçoit déjà puisque, si l’on s’en tient à la lettre du texte, la République Française, bonne fille mais un peu imprudente et ignorante, assume aussi la responsabilité de la traite afro-arabe dans l’océan Indien. Pire encore, on lui pose sur la tête, dont tout ce qui précède indique qu’elle est petite, le vaste chapeau de l’ensemble de la « traite transatlantique ».

En effet, au XVIe siècle, la traite transatlantique n’est nullement le fait des Français qui n’ont pas de colonies ailleurs qu’en Nouvelle France qui n'est en rien concernée par cette traite ; il suffit de constater le caractère nettement ibérique de tous les « mots de la traite » pour s’en convaincre. Si les précurseurs sont les Portugais et les Espagnols, au XVIIIe siècle (la grande époque), la plupart des pays européens participeront à ce commerce des esclaves.

Pour l’instruction des membres du « Comité » et pour qu’ils comprennent enfin le fonctionnement de la traite dans le Golfe de Guinée, je leur recommanderai volontiers la lecture du Journal de L.F. Römer qu’a traduit et publié M. Dige-Hen (Paris, l’Harmattan, 1989). Römer est un « traitant » danois (et non français !) et son récit est un excellent témoignage sur la traite de la côte occidentale d’Afrique. Les Danois qui, avec d’autres peuples non colonisateurs, donnent volontiers aujourd’hui des leçons d’humanité, ont oublié que certains d’entre eux ont trempé dans ce commerce, comme aussi les Suédois, dont la colonie de Saint-Barthélemy fut un moment très active dans ce domaine.

Lire le récit de Römer aurait sans doute permis à C. Taubira-Delannon de se faire une idée plus exacte de la traite et surtout de comprendre qu’il est évidemment impossible de faire porter aux SEULS européens et moins encore aux seuls Français, la responsabilité de ce commerce. L’esclavage européen colonial n’aurait jamais pu être mis en place sans la présence, bien antérieure, de la logistique, efficace et éprouvée depuis des siècles, de la traite « intra-africaine » mise en place par les Africains eux-mêmes et largement développée, dans la suite, par les Arabes.

Mais chut (pour le moment au moins) !