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lundi 30 décembre 2013

La quenelle et le fruit sec

Je vous vois déjà, chère lectrices et impétueux lecteur, vous interroger à la fois sur le sujet de ce billet et la légitimité de mon intervention. 

Pour ce qui est de la « quenelle » aucun doute en ce qui me concerne, je suis lyonnais et, comme tel, spécialiste patenté de cette préparation culinaire, bien plus que n'importe quel footballeur, médiocre has been, fût-il lié à Dieudonné M’Bala M’Bala puisqu'il faut l'appeler par son nom.
Je me demande encore, en commençant à rédiger ce billet, ce qui peut bien me pousser à intervenir dans une affaire si dérisoire et si stupide, si ce n'est le médiatique déferlement des âneries depuis 48 heures.

J'entendais samedi la sénateure (ou la sénatrice, je préfère le second terme)  Chantal Jouanno, ex championne de karaté ou de je ne sais quel sport oriental, déclarer que cette quenelle était inspirée du salut nazi ? Voilà ce qui montre à la fois qu’elle n'a jamais vu le salut nazi et pas davantage une quenelle qui ne se porte pas sur le haut du bras droit. Réglons d’emblée ce point historico-culinaire mineur !

Dans la « quenelle » afro-belge, Dieudonné (dont le papa est ewondo et la maman belge) le rôle essentiel est tenu par le bras gauche, alors que, dans le salut nazi, c'est le bras droit qui officie essentiellement et uniquement et dans un tout autre geste. Cette interprétation est donc parfaitement stupide et infondée, ce qui n'a rien d'étonnant vu ce que l'on entend depuis le match en cause.

La goutte d’eau qui a fait déborder le vase de mon indignation est l'audition sur Europe 1, au « grand débat », dimanche soir vers 19h30, d'une discussion réunissant des spécialistes de Dieudonné et de la « quenelle » dans laquelle j'ai entendu (et je n'invente rien sinon ce serait pas drôle) avancer que Jean-Marie Le Pen avait un enfant dont le parrain était Dieudonné M’Bala M’Bala. C'est en fait, bien entendu, l'inverse et c'est Jean-Marie Le Pen qui est le parrain de la troisième fille de Dieudonné, ce qui est à la fois plus logique et plus vraisemblable. Cependant cette fausse assertion, absurde de toute évidence, a rencontré l'approbation unanime de ces prétendus spécialistes réunis pour la circonstance et aucun d'entre eux n'a émit le moindre doute à ce propos. C'est dire une fois plus la qualité de l'information même si un tel détail est évidemment dérisoire.

Pour en finir avec l'origine du geste en cause, il pourrait plus vraisemblablement s'agir de la reprise d'une attitude du Docteur Folamour, nostalgique du nazisme qui, dans le film de Kubrick, de sa main gauche empêche son bras droit de se lever pour effectuer le salut nazi, dans une ultime tentative pour se défendre d'exécuter un geste si naturel pour lui. M’Bala M’Bala n’est pas homme à s’embarrasser d’un petit plagiat !

Que vient donc faire la quenelle dans cette affaire ? Les amateurs de ce salut n’ont qu’à se reporter au Trésor de la langue française, dictionnaire dont ils peuvent ne pas être familiers et y apprendre un détail sans doute propre à les réconforter dans leurs hypothèses germanophiles. En effet, l'origine vraisemblable du mot « quenelle » en français, où il est attesté depuis le milieu du XVIIIe siècle, est… l'allemand « knödel » qui désigne « un aliment en forme de boulettes ou de petits cylindres à base de viande, d'abats ou de poisson finement hachés, incorporés à une pâte de farine ou de mie de pain». Le seul apport de M’Bala M’Bala dans cette affairer serait donc le fruit sec qu’il constitue lui-même!

La principale caractéristique de Dieudonné M’Bala M’Bala est que Wikipédia lui consacre quasiment une bonne trentaine de pages dont 250 notes, ce qui me paraît être un record pour cet ouvrage.
Ce que je juge étonnant est que, sur le plan politique, l’antisémite Dieudonné, qui se situait plutôt à gauche et étaitvdéjà noir au début des années 90, a connu ses principaux et désormais seuls succès en s'associant, dans un duo assez réussi, plusieurs quelques années durant, avec Elie Seymoun c'est-à-dire avec un juif. Il fera également dans la suite une brève tentative en 2000 avec Gad El Maleh qui est depuis devenu une de ses cibles dans ses productions actuelles.

Dans le duo Dieudonné-Seymoun, il est clair, vu la suite de leurs carrières respectives, que l'imagination et la vis comica se situaient du côté d’Elie et que les deux hommes se sont séparés, non pour des questions idéologiques ou politiques mais sur la question de la répartition de leurs profits, sans doute dans la mesure où Dieudonné devait sentir qu'il n'était pas tout à fait à la hauteur de son partenaire pour ce qui concerne l'humour et le succès.

C'est à mon avis le moment-clé de l’histoire personnelle de Dieudonné car, à partir du moment où ils se séparent en 1997, le parcours de Monsieur M’Bala M’Bala devient extrêmement sinueux, pour ne pas dire totalement chaotique. C'est alors en effet qu'il s'essaye au cinéma avec un insuccès égal, liant de façon assez absurde, aux yeux des historiens du moins, la question de la traite des Noirs à la responsabilité des juifs. On voit la trace de cette évolution absurde puisque, en 1997, il s'engagera même dans la lutte contre Marie-France Stirbois, candidate du Front National à, Dreux ; il participe en 1998 aux législatives à une liste de gauche ! Nouvelle mutation, à partir de 2000 : il prétend alors incarner une troisième gauche « verte » ; n'ayant pas pu réunir les 500 parrainages qui lui auraient permis d’être candidat à la présidentielle, il se présente aux législatives à Sarcelles, recueillant triomphalement 2 % des suffrages.

Autant dire que Monsieur M’Bala M’Bala fait et dit n'importe quoi, parcourant en tous sens et en zigzags l’Hexagone comme le paysage politique ! Il en est de même pour ses amitiés comme pour ses « collaborations ». Avec Alain Soral qui qualifiait M’Bala M’Bala non sans pertinence, « d'inculte et pas drôle » il se réconcilie et il œuvre avec son frère ennemi. En 2008, il invite le négationniste Robert Faurisson et l’amène sur scène lors de ses spectacles ; il le fait applaudir, l'ayant déguisé en déporté juif ; il sera condamné pour cela, au terme de plus de trois ans de procédure, sans être toutefois frappé d'inéligibilité, ce qui lui permet d'annoncer la création d'une liste« antisioniste », casserole qui déclenche à nouveau une campagne de presse qui est le véritable but recherché.

M’Bala M’Bala montre tout autant d’éclectisme hors de France, mais avec plus de succès semble-t-il, du moins pour ce qui concerne les profits. Cela vaut, dans ses relations avec Carlos (alors en prison et qui qu'il l’assure de son soutien et de son vote … symbolique) mais aussi avec Chavez qu'il rencontre en 2006 à Téhéran où il se rend régulièrement à des fins diverses mais rentables. Il reconnaît lui-même recevoir de l'Iran un budget qui lui permet de réaliser des films ; en 2011, il rend visite à Kadhafi qu'il soupçonne d'être manipulé par le lobby juif !

On constate aisément par tout cela que, depuis ses échecs comme humoriste  et sa séparation d’avec Elie Seymoun), Monsieur M’Bala M’Bala est désespérément à la recherche d'autres sources de succès, tant sur le plan politique qu'électoral, s’alliant tour à tour avec ses anciens ennemis jurés ou se brouillant avec ses anciens amis au fil de ses relations internationales et de ses visées électorales.

Notre ministre de l'intérieur réfléchit à interdire ses spectacle, alors que, curieusement, notre justice a toujours traité, jusqu'à présent, de façon un peu étrangement indulgente, ce prétendu humoriste. En effet, si Monsieur M’Bala M’Bala a déjà été à de nombreuses reprises condamné à des peines d'amende (qu'il n'aurait d'ailleurs jamais payées murmure-t-on) pour « provocation à la discrimination à la haine ou à la violence raciale religieuse », il est stupéfiant de constater que la justice ne lui a jamais infligé la moindre peine entraînant son inéligibilité. Ce serait pourtant là une mesure simple, efficace et surtout logique, plus que sa censure, puisqu'il paraît clair que désormais Dieudonné, ayant sagement renoncé à faire rire, concentre ses efforts sur une carrière politique qu’il a déjà esquissée avec un insuccès qui ne paraît pas l'avoir découragé.

À mes yeux, le principal mystère reste donc le fait, que, en dépit de ses multiples condamnations pour des raisons graves, le personnage n'a jamais été frappé d'inéligibilité, la seule mesure prise sur ce plan l’étant par les électeurs qui le créditent généralement de scores entre 1 et 2 % ce qui indique sans ambage son influence réelle.

jeudi 26 décembre 2013

Les "experts" ?!?


Je ne sais pas si vous êtes comme moi, mais les experts, tous parisiens et toujours les mêmes, commencent à me fatiguer !

Ainsi, alors que j'étais relativement familier de l’émission d’Yves Calvi « C’est plus clair » (en principe sur le Cinq à 17h45, mais toujours retardée par des publicités, intempestives et illégales mais une mine d’or que le CSA se garde bien de chronométrer à des fins de vérification) , l’ai-je à peu près abandonnée désormais car on y voit toujours les mêmes têtes d’ « experts », à commencer celle de l'ineffable Christophe Barbier, qui vient nous faire la pub de son Express avec son écharpe rouge et qui, semble-t-il, vu son insuccès journalistique et ses présumés talents de bateleur, envisage une carrière dans le showbiz ; je lui recommande vivement ce choix, ne serait-ce que pour nous débarrasser de son piteux spectacle et de ses filandreuses analyses.

Il en est de même pour tous les autres, en particulier dans le genre « expert économiste », où nous sont invariablement proposés le bellâtre à la mouche cardinalice (de l'OCDE ou de quelque organisme de semblable farine) et, son compère antagonique, le marchand florentin d'espoirs et d’escroqueries boursières, qui vient faire la pub de son officine, sans oser pourtant ne pas avancer masqué.

 Je pense qu'une des raisons de ces choix permanents est que ces gens-là sont à la fois parisiens et largement oisifs (même s’ils sont censés avoir un emploi) mais justifient sans doute leur salaire par cette présence médiatique ; leur « expertise » ne relève en fait que la paresse intellectuelle et physique des producteurs de telles émissions.

 Il en est de même pour l'Afrique ; entre le Mali et désormais la RCA, en pimentant de temps en temps son quatuor d'invités caucasiens par quelques blacks plus ou moins journalistes, Calvi nous inflige de prétendus spécialistes à la fois de l'Afrique et de la géopolitique dont le sinistre et inévitable Boniface (pape de la géopolitique et du football), dont on peut pas dire que la carrière universitaire à laquelle il a aspiré ait été  aussi brillante qu'il pouvait le souhaiter. Fort heureusement pour ce domaine, il y a de temps en temps l'ancien directeur de la Lettre du continent, Antoine Glaser, qui lui est, pour le coup, lui un connaisseur et un vrai spécialiste de l'Afrique. Fine mouche et courtois, il se borne malheureusement souvent à des propos limités (les autres ont toujours la gueule ouverte sans avoir rien à dire), tout en souriant discrètement et poliment aux sottises qu'il peut entendre, sans jamais les relever comme telles.

Il est toutefois un « expert », qui m'insupporte tout particulièrement et qui se donne pour le spécialiste de la géopolitique, de la stratégie et de l'armée, le colonel de réserve Pierre Servent ;  il doit être, en fait, lieutenant-colonel mais a bénéficié de cette promotion en partant à la retraite, comme on promeut les vice-amiraux pour qu'il puisse bénéficier durant une retraite, longue et oisive, du quart-de-place à la SNCF.

Je ne m'attarderai pas sur le cas de Pierre Servent qui est fort occupé, en ces temps de conflits divers, à passer des plateaux de télévision aux studios des diverses radios bignoles où il officie car j'ai découvert que le 4 avril 2011 il avait été habillé pour l'hiver par Nicolas Gaudreau dans un article intitulé « Média et Libye - Des experts militarisés déguisés en civil : le cas de Pierre Servent », texte très informé que vous retrouverez sans problème, comme moi-même, grâce à Google. L'auteur de cet article confirme ce que j'avais moi-même constaté depuis longtemps et montre que les liens, nombreux et multiples, avec les institutions militaires et le ministère de la défense expliquent la faveur dont jouit ce VRP multicartes de notre armée, ce que souligne avec humour l'auteur de cet article en le baptisant : « Pierre Servent spécialiste de l'expertise ou expert en spécialité ? ».

Bien entendu ses liens avec le ministère de la défense sont soigneusement dissimulés, de façon à lui donner toute l'apparence d’un journaliste (don je vois mal comment il pourrait avoir la carte) et d’un expert objectif, vêtu de probité candide et de lin blanc. Tu parles. C’est en tout la voix de son maître !
Je me limite donc ici à quelques remarques personnelles qui tiennent d’abord à ce que un lieutenant-colonel, fut-il promu colonel dans la réserve, ne peut guère passer pour un expert en « stratégie militaire », car on peut espérer que ce n’est à ce niveau de responsabilité et de commandement que se définit la « stratégie » de la France, encore que nos insuccès militaires successifs puissent donner à penser que les choses se passent ainsi.

Pierre Servent est-il expert en stratégie militaire, j’en doute fort ? Il est en revanche expert en « ménages » de toutes sortes et en stratégie commerciale à en juger par la multiplicité et la diversité de ses interventions comme des lieux où elles s'opèrent ; tout cela donne à penser qu'il est en fait plutôt chargé de communication au ministère de la défense où il  a pour fonction essentielle de faire passer, subliminalement, les messages officiels sous couvert d’information.

Les opérations militaires sont, d’abord et surtout, de bonnes affaires pour les militaires eux-mêmes, tant sur le plan de la rémunération (les soldes doublent ou triplent) que sur celui des états de service et de la retraite (il en est de même pour les années dans leurs calcul). Tous se les disputent d’ailleurs !
Dès le début de l'opération malienne, j'avais pensé et écrit dans mes blogs que François Hollande avait été totalement manipulé par les militaires de façon à lui donner à penser qu'il avait redorer son blason en Afrique. C'est ainsi que les choses se sont passées au début et, comme Joseph Prudhomme, il a déclaré que son séjour triomphal à Bamako était le plus beau jour de sa vie, comme le sabre du précédent. Les choses se sont un peu moins bien passées à Bangui et de toute façon nous ne sommes pas encore sortis, loin de là, de l'auberge sahélienne.

Il est certain que l’Etat-Major a mis le pain noir des accusations anticolonialistes et les problèmes de la suite de la suite sous les croissants et les pains au chocolat de l'accueil triomphal du départ. Mais Monsieur Pierre Servent et les militaires s'en foutent pas mal car les présidents de la République passent, tandis que la Grande Muette et ses intérêts demeurent et prospère, même sous la Gauche ; les « experts » pourront donc tranquillement continuer à faire « des ménages » et à en vivre largement !

lundi 23 décembre 2013

De la désinformation sous toutes ses formes



Je ne reprendrai pas ici, une fois de plus, mon éternel couplet sur la piètre et scandaleuse qualité de l'information qui nous est offerte, puisque, pour une fois, je n'ai eu qu'à me féliciter de mon écoute d’une radio du matin.

J'écoute le plus souvent, en début de matinée, France-Culture, dont les productions sont à vrai dire inégales, mais en ce matin du 23 décembre 2013, dans l'émission de Thierry Pech, « l'invité du matin » était Gaël Giraud qui est l’un de mes auteurs favoris par la qualité de l'information qu'il donne et la compétence dont il fait montre. Ce mathématicien est devenu « trader » à New-York, au début de sa vie professionnelle, avant d’abandonner cette voie pour la recherche en économie et d’entrer dans la Compagnie de Jésus, ce qui est un parcours pour le moins singulier et qui mérite le détour !
Il a même bénéficié (j’y reviendrai) d'une flatteuse promotion au CNRS ou il a été nommé directeur de recherche tout récemment, après une longue période de séjour comme « chargé de recherche de deuxième classe » d'abord, puis de première classe. Gaël Giraud  est un spécialiste de l’économie financière de grande qualité, d’une rare expérience dont témoigne sa carrière, mais d'une grande sincérité ce qu’évidemment n'apprécient guère les médias.

Deux remarques liminaires avant d'en venir au sujet proprement dit.

La première tient à sa récentpromotion comme directeur de recherche au CNRS ce qui me conduit à tempérer (mais à peine) tout le mal que je dis du CNRS, institution  que j'ai qualifiée récemment, dans un livre que je viens de publier le mois dernier, de « Jurassic Park de la science stalinienne ». Le CNRS a eu certes le mérite de nommer Gaël Giraud « directeur de recherche » (sans doute de deuxième classe !),  ce qui est une décision certes intéressante en ce moment où ces postes ont été raréfiés précisément pour chasser ceux qui pouvaient y prétendre en direction des universités.

La seconde remarque tient aux économistes qu'on voit défiler sans cesse sur nos écrans ; ils viennent soit faire la promotion de leur dernier ouvrage, soit, pire encore  y faire la pub. Discrètes (du moins le pensent-ils ) des produits financiers qu'ils promeuvent et vendent sous une autre casquette (suivez mon regard), soit encore y parader en faisant état de titres universitaires en principe illégaux, comme tel économiste d’entre eux qui se présente à la fois comme « Directeur de recherche au CNRS » et « Professeur à Sciences-po », alors que le cumul de telles fonctions est strictement interdit par la loi.

J'observe d'ailleurs au passage que la plupart des invités de ces émissions se présentent avec des titres usurpés sans vergogne ( les producteurs seraient bien inspirés de vérifier ) ; je ne compte même plus le nombre des « professeurs à la Sorbonne » qu'on réunit devant les caméras de la télévision française, alors que la Sorbonne n'existe plus et que ce titre a disparu depuis un demi-siècle. Qu’on prenne les émirs pour des imbéciles et qu’on leur vende une Sorbonne depuis longtemps disparue n'est pas pour étonner et n’est pas bien grave ; après tout, Victor Lustig avait bien essayé autrefois de vendre la Tour Eiffel !

Mais j'en reviens au vrai sujet de mon blog du jour, c'est-à-dire à Gaël Giraud qui a la suite de la publication de son livre, Illusion financière, a fini par se faire une place certes modeste mais intéressante à France Culture à cette heure matinale. Son livre, paru en 2012, a déjà connu en 2013 deux rééditions et il avait été l'objet en avril 2013 d'un intéressant article de Télérama sous le titre « Après cinq ans de crise, un livre remet les banques en accusation » (par Olivier Milot, Télérama, numéro 32 99).

Je n'entends pas ici résumer les propos de Gaël Giraud puisqu'il est facile à chacun soit de les retrouver dans Google grâce à l'article de Télérama, soit de les entendre par le « podcast » de France Culture.

Ce qui me paraît intéressant dans cette affaire et qu'en dépit de sa notoriété et son expérience, la carrière de Gaël Giraud au CNRS n'a pas été des plus rapides comme c'est la règle dans cette institution pour tous ceux qui n'en sont pas le produit ou n'y exercent pas des responsabilités syndicales. Comme on le murmure là-bas entre soi, au CNRS,  il vaut mieux faire du syndicalisme que de la recherche !

Petit rappel : entré au CNRS en 1999 comme chargé de recherche de deuxième classe, alors qu'il est ancien élève de l'École normale supérieure (la vraie) et titulaire d'une brillante thèse de mathématiques, il devra attendre cinq années avant d'être promu à la deuxième classe des chargés de recherche! En 2004, il fera un étonnant double choix, à la fois personnel et scientifique, en se faisant jésuite et en soutenant une habilitation à diriger des recherches en économie !

Vu la nullité extrême de l'information au CNRS (secret de défense nationale oblige sans doute !) et quoique je sache parfaitement où il  est et les références de l'UMR dont il relève, je n'ai pas été en mesure de savoir à quel moment  précis il avait été promu directeur de recherche ; je ne doute pas un instant que ce soit une promotion récente et je me demande si elle n’a pas eu lieu dans le vain espoir de le faire taire. Lui-même a confessé à Télérama  qu'il a fait l'objet de pressions discrètes à la fois du milieu bancaire et de sa hiérarchie. L’écoute subreptice de son téléphone et l'interception de ces courriels n’apportaient sans doute pas de résultats suffisants (le bâton) ;  on a donc ans doute essayé, avant ou après, la carotte avec la promotion comme directeur de recherche.  

Tout cela témoigne d'ailleurs des contradictions qu'on constate au sein du parti socialiste. Un article de Gaël Giraud où il critiquait la politique financière de Bercy, à propos en particulier de la séparation des banques de dépôt et d’affaires , publié sur le site (socialiste) de Terra Nova, a déclenché la colère de  ce ministère qui a demandé le retrait de cet article que Terra Nova a fort heureusement et très courageusement refusé.

Dans son émission du matin, malheureusement trop courte au bénéfice d’une ânerie prétendument musicale, Gaël Giraud a évoqué nombre de problèmes, inévitablement de façon brève mais a souligné l'évidente contradiction entre les propos de François Hollande durant la campagne électorale quant à la séparation des banques de dépôt et des autres et des engagements de campagne de notre président vite oubliés par les médias grâce aux ineptes débats sur le mariage gay qui ont occupé la scène et les politiques durant la période, qu'on aurait pu consacrer à la réforme promise du  secteur financier et bancaire. En réalité, le prétendu sauvetage des banques que lequel G. Giraud illustre en particulier par le cas exemplaire de l'Irlande a été fait sur le dos des citoyens européens et en faisant passer la dette publique irlandaise de 25 à 100 % du PIB du pays.

 Quant au fameux projet de loi sur la séparation des types de banques, on s'est borné à le vider de son contenu ; finalement, on ne contraint les banques qu'à « filialiser » qu’une fraction infime (2% je crois) de leurs activités de marché. Cette filialisation n'est en rien une « sanctuarisation » ; tout a été donc fait pour détourner l'attention de ce qui aurait dû être le vrai  débat sur les banques et la finance.
Cette question essentielle  a été purement et simplement éliminée en deux jours au terme de débats parlementaires grotesques sur le mariage pour tous qui évidemment, s'ils faisaient beaucoup plus bouger les foules dans la rue, étaient, en réalité, infiniment moins importants que l'affaire des banques et de la finance. On s'est borné à affirmer mensongèrement que la crise du secteur bancaire n'avait rien coûté aux contribuables français ; c’est bien entendu faux, puisque la seule affaire Dexia a coûté 12 milliards d'euros aux contribuables français et belges et que l'État français a mis 85 milliards d'euros en garantie pour cette banque. Ces mêmes contribuables ont eu, en revanche, la chance que le sauvetage d’AIG  aux E.U. par les contribuables américains en 2008, a permis, aux frais de ces derniers, à la Société Générale, à BNP-Paribas et au Crédit Agricole de récupérer près de 20 milliards de dollars.

Il est clair que vous n'entendrez aucun économiste patenté du PAF vous parler de tout cas dans les étranges lucarnes ; tous ne sont là que pour vendre leurs livres, faire leur pub ou encourager le placement des économies des gogos de téléspectateurs de préférence dans l'une des sociétés dont ils font la promotion.

Reste le grand mystère qui est celui du changement de pied final du président normal. Il avait eu l’imp(r)udence de faire de la lutte contre la finance la devise majeure de sa campagne électorale. Certes le pantouflage systématique  des hauts fonctionnaires dans la banque est sans doute un élément qui génère, tout naturellement, de multiples conflits d'intérêts et favorise les renvois d'ascenseur entre l’Etat et la finance, comme on a pu le constater à de nombreuses reprises et sans doute aussi dans cette affaire.

Je ne pense pas, en revanche, qu'il faille incriminer, dans cette dérobade finale, l'atavisme, peut-être involontaire, de Valérie, petite-fille et arrière-petite-fille de banquiers ! 

mercredi 18 décembre 2013

Fondamentaux, médecins intérimaires, rapport Véran, OCDE, Père Ubu

Nul ne sait plus compter et en outre ce pauvre cher vieux pays marche décidément sur la tête.
Chaque jour nous apporte son nouveau rapport qui déchaîne aussitôt toute la presse ;  comme nous avons quasiment un rapport tous les jours, les journalistes ne manquent pas d'ouvrage. Avant hier c'était l'intégration et le voile (décidément inusable !) qui revenait sur le tapis (de prière bien sûr !) ; hier c'est l’inattendu  « travail temporaire » des médecins et il faut reconnaître que ce marronnier est plus et mieux chargé que le précédent.
Je suppose que, comme moi vous avez fait, un jour ou l'autre, une expérience hospitalière et que vous avez pu y constater l'exotisme relatif du personnel médical. Autrefois, nous faisions venir nos infirmières d'Espagne, ce sont maintenant les médecins du Sud ou de l'Est qui peuplent nos hôpitaux ; je crois me souvenir qu'il y a plus de médecins béninois en France qu'au Bénin ! J’ai voisiné, je ne sais plus où, avec un malade qui recevait la visite d'un kinésithérapeute moldovalaque ou quelque chose d'approchant, dont nous ne comprenions goutte, ni l’un ni l'autre, au discours professionnel.
Grâce à Olivier Veran, député socialiste de l'Isère, dont le rapport a été publié par le Parisien, nous avons découvert le scandale quotidien qui tient dans l'intitulé même du rapport de cet honorable parlementaire formulé en ces termes, de façon provocante mais hélas exacte  « Hôpital cherche médecin coûte que coûte ».
Rarement l'expression coûte que coûte n'a été employée à si bon escient puisqu'à en croire ce rapport, les 6000 médecins intérimaires employés par les structures hospitalières de France grâce à des agences d'intérim et des cabinets de recrutement parfois basés à l'étranger sont payés 650 € nets pour une journée et de 1300 à 1500 € pour une garde de 24 heures. S'ajoutent à ces sommes les frais de transport, d'hébergement et de nourriture fournie par l'établissement, ainsi que les indemnités dites de précarité et les congés payés.
Heureusement que nos gouvernants ne savent plus compter ! Sans quoi ils comprendraient mieux les chiffres avancés puisque, à mi-temps, à de tels tarifs, on peut aisément gagner 13 000 € par mois voire davantage avec des gardes donc deux fois le salaire d'un médecin hospitalier au dernier échelon.
Faisons donc les multiplications pour nos ministres ! En gros, ces tarifs et les compléments multiplient le coût du personnel par trois, ce qui conduit, pour l'ensemble de nos hôpitaux, à un surcoût de 500 millions d'euros par an, c'est-à-dire trois fois le déficit hospitalier, global et total, qui s'établit autour de 150 millions d'euros. On ne va pas mégoter pour 50 millions !
Je ne vais pas vous refaire ici le rapport que vous trouvez partout dans la presse et que vous avez entendu dix fois sur toutes les radios. Cette situation tient naturellement à ce que les médecins hospitaliers titulaires dans les spécialités les plus recherchés (anesthésistes, chirurgiens, radiologues et urgentistes) sont payés de façon très inférieure avec une échelle indiciaire qui, si je me souviens bien, plafonne, à son plus haut degré, à moins de 6000 € par mois. Naturellement on trouve de moins en moins de médecins qui acceptent de telles conditions puisque ces salaires sont naturellement, même en fin de carrière dérisoires par rapport aux précédents. helon.
Mieux encore selon l’enquête de l'IGAS publiée en 2010, ces médecins intérimaires ont gagné en 2008 entre 127.500 et 156.700 euros annuels. Rien donc d'étonnant à ce que peu de jeunes médecins s'engagent dans cette voie, ce qui explique les chiffres cités ci-dessus et l’existence de ces 6000 intérimaires qui coûtent à l'État 500 millions d'euros par an, alors que, rappelons-le, c’est l’Etat qui, par le numerus clausus, est le maître absolu du nombre et du recrutement des médecins.
Je ne suis en rien un spécialiste de ces questions, mais je connais bien l'argument des médecins qui avancent toujours leurs sept années d'études à l’appui de toutes leurs revendications ; je sais aussi que ces études sont chez nous gratuites et offertes par l'État qui pourrait fort bien, comme pour d'autres formations, exiger en contrepartie un engagement à le servir pendant un certain nombre d'années, ce qui serait déjà un élément de solution partielle du problème. C'est ce qui se passe pour les concours de recrutement de l'éducation nationale comme aussi, si je me souviens bien, pour les médecins militaires, dont, après un concours, les études sont prises en charge assurément mais qui doivent ensuite un certain temps de service à l'État dans l'armée. Il n’y a là que des mesures de bon sens et on ne comprend pas qu’on n’y ait pas songé. Encore faut-il savoir compter et se préoccuper de ce genre de détails.
Le nombre sans cesse croissant des médecins, africains et plus généralement du Sud, dans nos hôpitaux, est aussi et surtout un drame pour les Etats dont ils sont originaires. Ces médecins qui ont été formés (souvent gratuitement en France pour l'Afrique francophone) quittent leur pays natal pour venir exercer dans les hôpitaux français (j'ai observé par ailleurs qu’ils sont également nombreux dans les services du type SOS médecins). Il est donc assez curieux pour ne pas dire absurde qu'on aide à la fois à la formation de ces médecins africains et qu'on facilite ensuite leur exil vers le Nord une fois qu'ils ont été formés.
J'ai constaté, à la lecture sommaire de ce rapport, que notre système hospitalier n'était pas plus capable de donner le nombre exact de ces médecins intérimaires que notre ministère de l'éducation nationale n’est en mesure de fournir le nombre précis de ses fonctionnaires. Notre administration est donc à la fois monstrueuse par ses dimensions mais si protéiforme et si incertaine dans ses structures et son fonctionnement qu'elle est en général incapable de fournir ce genre de données élémentaires…sans doute, là aussi, faute de savoir compter. 
Bien entendu, comme toujours en France, la complexité même voire l'absurdité du système fait qu'il y a là un élément qui facilite énormément la fraude quand il n’y pousse pas.
 En fait un directeur d'hôpital peut imposer, par réquisition, à son service comptable un chiffre exorbitant pour la rémunération d’un médecin intérimaire ; l’intérimaire en question, payé à un taux bien supérieur, peut donc tout à fait reverser en douce au directeur complice une partie de son salaire, surtout si ce dernier se situe très au-delà de ce qu’il pouvait espérer. Il semble qu'il puisse aussi voir payer des gardes qui ne sont pas réellement effectuées ou que ses temps partiels soient déclarés comme des pleins temps. Bien entendu tout cela est invérifiable, ce qui ne fait qu'encourager encore les fraudes.
Il en est évidemment de même du côté des médecins ; un médecin, qui est déjà à plein temps dans un service hospitalier, peut travailler dans un autre durant ses périodes de liberté. Il est amusant de constater que, comme chez les journalistes et les hommes de radio et de télévision, on appelle cette pratique « faire des ménages » ; les tarifs varient aussi  bien entendu en fonction des urgences et si le tarif d'une garde s'établit autour de 1300 €, on a vu certains intérims payés jusqu'à 3000 € pour un tel service.
On comprend qu'on assiste parfois même  à des démissions de praticiens hospitaliers puisque, en une semaine d'intérim, ils pourront gagner plus qu'en un mois dans un service hospitalier.
En 2012, 15 000 postes de titulaires étaient vacants dans certaines régions ou dans certaines spécialités en particulier, ce qui représente à peu près un quart des postes pour les praticiens à temps plein et plus de 40 % pour les temps partiels.
Le pire est même ailleurs car on peut ajouter que le système n'est pas sans risques ! Quand des intérimaires sont recrutés, dans l'urgence, voire en passant par des agences étrangères, il est bien difficile de vérifier que ces médecins ont véritablement les compétences requises. Le passage par des agences d'intérim conduit à pratiquer en outre des tarifs très élevés puisque naturellement ces agences prélèvent leur dîme sans trop vérifier le reste ! Mais après tout on a bien confié le pilotage d’avions à des escrocs qui produisaient de faux états de services et, selon l’OCDE qui nous en veut sans doute, nous sommes quasiment les plus mal classés pour les accidents hospitaliers.

mardi 17 décembre 2013

« L'HISTEGĖ » UN « TRÉSOR NATIONAL »


La réforme de "l'histégé" en terminale envisagée par Luc Chatel en décembre 2009 avait fait le buzz et la une des médias. Comme on pouvait le prévoir, cette réforme a suscité une réaction et une pétition des professeurs d’histoire, car ce sont eux surtout qui ont pris la tête du mouvement, dans la mesure où ils fréquentent bien plus les médias audiovisuels que leurs obscurs collègues géographes ; ils ont donc pensé, avec bon sens, qu’ils seraient mieux et plus vite entendus. Les promoteurs de l’idée sont Azéma, Kaspi, Stora et Tulard, invités quasi permanents de nos chaînes, de France-Culture aux niaiseries historisantes de Stéphane Bern.
J’ai cru comprendre que « l’idée », si l’on peut appeler ça une idée, est de réduire d’une heure, entre la première et la terminale de la filière S (l’élite ), les enseignements d’histoire et de géographie, en supprimant, du même coup, le caractère obligatoire de ces matières en terminale ; elles seront en option avec un horaire réduit pour les élèves de terminale qui le souhaiteront, mais on alourdira leur horaire en première avec une épreuve de contrôle définitive en fin d’année. Cela participe, comme toujours de façon sournoise, du rétablissement subreptice de la première partie du bac qu’on a supprimée dans le passé. J’ai déjà évoqué ce point et je n’y reviens pas.
On reconnaît là une loi permanente de l’évolution de l’administration française qui finit toujours par rétablir ce qu’elle a précédemment supprimé, comme elle supprime, après un certain temps, ce dont elle avait proclamé, à grand son de trompe, l’absolue nécessité de création. Ces cas sont ceux des IUFM (pour l’éducation nationale) et de la DGCID (pour le ministère des affaires étrangères). Comme disait ma bonne grand’mère "Faire et défaire c’est toujours travailler".
Tout cela appelle trois remarques, outre celle que je viens de formuler et qui concerne le fonctionnement général de nos administrations.
La première tient au mouvement clairement corporatiste de nos plus éminents historiens. Tout le monde se plaint tout le temps que les programmes scolaires sont trop chargés, mais, dès qu’on touche au programme d’une discipline quelconque, en l’allégeant ou en le modifiant à peine, on voit aussitôt se dresser la corporation concernée, qu’il s’agisse du latin, de l’histoire ou de la gymnastique !
Deuxième observation : Ce genre de réaction n'est que l’application spécifique d’une loi plus générale, inscrite au tréfonds de notre identité nationale actuellement en débat : « Toutes les réformes sont toujours souhaitées par tout citoyen français, sauf celles qui le concernent et le touchent directement et personnellement en quoi que ce soit ». La réforme en somme, c’est toujours pour les autres !
Troisième point. Cette affaire montre, une fois de plus, combien nos ministres sont mal conseillés. Personne ne s’avise, en effet, parmi eux de dire que « l’histoire et la géographie » ou, dans le jargon professionnel, « listégé », constituent une étrange spécialité hybride, purement française donc inscrite, par là-même, dans notre identité nationale à défaut de l’être dans nos gènes. Nul autre pays ne songe à rapprocher deux spécialités si totalement différentes et si parfaitement étrangères l'une à l'autre. Bien des formes de géographie spécialisée, de la géographie physique (glaciaire par exemple) à la géographie économique sont plus proches de sciences comme la géologie ou l’économie qui ne sont nullement présentes dans les facultés de lettres et de sciences humaines, où est enseignée l’histoire.
Je ne vais pas faire ici l’histoire du « concept », mais si la rue de Grenelle avait eu la bonne idée de me consulter, j’aurais, stratégiquement, conseillé de séparer d’abord les deux disciplines, à la fois pour diviser l’opposition corporatiste (vieille tactique toujours efficace) et pour régler une question pédagogique bien réelle, tant ces deux disciplines sont différentes.


vendredi 13 décembre 2013

Ecole, statistiques et immigration

J'espère que cette accumulation initiale de 13 ne conduira pas à faire à ce livre, dont j'écris aujourd'hui les dernières pages, un sort trop malheureux. Il me faut néanmoins, un jour ou l'autre, mettre un terme à cette divagation sur notre école, mais j’aurais pu mieux choisir la date.
Je suis d'autant plus contraint à conclure que j'ai vu, il y a deux jours, sur France 5, une émission que j'ai déjà évoquée dans un billet précédent à propos de Madame Moisan, directrice, au ministère de l'éducation nationale, de la prévision et de la prospective (Vaste programme – du moins en ce moment -comme avait dit autrefois le Général, certes  sur un autre sujet mais, au fond, pas si éloigné que ça, comme on le verra dans la suite). Elle voisinait dans cette émission avec une rectrice en retraite, le président de quelque association parisienne de parents d'élèves, et un jeune homme qui, au bout de huit années de galère, avait rendu son tablier de professeur de ZEP. Comme souvent dans ce genre d'émission, les propos étaient très parisiens (Calvi veut éviter les frais de déplacement) et, en outre, le pauvre professeur de collège qui connaissait assurément le terrain mieux que les autres, en était réduit, le plus souvent, à faire de la figuration, en particulier du fait de la faconde de Madame Moisan.
Celle-ci, de formation mathématique comme on pouvait le supposer, nous a beaucoup parlé statistique, ce qu'imposait à la fois sa fonction et l'occasion qui avait conduit à réunir ces quatre personnes et qui était évidemment les résultats du PISA. Comme souvent les propos échangés (en dépit de l’absence de l’inévitable Christophe Barbier qui me fait fuir à tout coup) étaient sans grand intérêt. Le seul point qui ait véritablement retenu mon attention, même si ce ne fut guère le cas pour les autres participants, fut une remarque adjacente de Madame Moisan, signalant, au passage et sans s’y attacher, que la chute brutale des résultats scolaires français, du moins en croire les statistiques, se situait vers 1995.
Je ne suis en rien spécialiste de l'histoire de l'éducation et moins encore statisticien et je livre telle quelle une hypothèse en laissant le soin à des spécialistes le soin de la confirmer ou de la réfuter
J’ai en effet été frappé moins par le fait que le début de la chute des résultats scolaires français se situe en 1995 que par l’observation que 1995 se situe en gros une vingtaine d'années après la mise en œuvre de la politique dite du « regroupement familial » par Giscard d'Estaing durant sa présidence. Je me borne ici à quelques remarques sommaires.
Jusqu’à 1960, le taux de natalité de la population immigrée est inférieur à celui des Français, parfois largement. L'immigration féminine est alors rare et la population immigrée est surtout formée, en grande partie, de travailleurs qui sont des hommes isolés dont les familles restent au pays. La situation commence à changer en 1970. Dès 1971, on note 71.000 naissances de mère étrangère pour moins de 3,2 millions d'étrangers.
À partir de 1974, les choses changent radicalement avec la fin de l'immigration de travailleurs masculins isolés ; ce sont surtout dès lors des femmes (et des enfants) qui immigrent au titre du regroupement familial qu’organise le décret d’avril 1976. Ce changement amène un rythme soutenu de naissances au sein de l'immigration, malgré la stagnation et même parfois le recul du nombre des étrangers, surtout dû désormais aux naturalisations.
Pour résumer, depuis les années 1990, on observe une augmentation continuelle de l'immigration familiale en France et l’incidence de ce changement démographique a des incidences majeures sur l’école. Revenons un peu en arrière sur une remarque j'ai fait à plusieurs reprises dans mes blogs
La raison majeure de la dégradation des résultats de notre système éducatif me paraît tenir à deux facteurs essentiels.
D'une part, le changement considérable du public scolaire à la fois sous l'effet de la massification antérieure et sous celui de la nouvelle politique d'immigration à partir de 1975 00dont la principale caractéristique était le regroupement familial.
D'autre part, l'absence de modification des programmes et des objectifs de l'école, alors que le public scolaire a été radicalement modifié, ce qui aurait dû amener une réflexion sur l'adaptation des objectifs scolaires à cette nouvelle population, au moins durant les premières périodes de sa scolarisation.
Même si c'est un point de détail, j'ai tout de même été stupéfait d'entendre l'une de ces spécialistes (je ne sais plus si c'est l'ex rectrice ou la directrice des statistiques) qu'il y a 30 ans, donc vers 1995, les enfants français n'étaient pas tous scolarisés. ! Je vous jure qu’elle a dit ça ! Dans la bouche d’une si haute autorité éducative, une telle affirmation me paraît tout de même relever d’une stupéfiante ignorance ou d’une nullité crasse en calcul mental, les deux pouvant bien sûr coexister 
En tout cas, je n'ai nulle part entendu dire par aucun expert, ni en éducation ni en démographie ou en statistique, que la politique de regroupement familial avait été un facteur très important dans la dégradation de l’état de notre système scolaire et donc qu’il fallait, de toute évidence, en tenir compte et en tirer les conséquences. C'est en effet le regroupement familial qui a fait que, même si les migrants adultes continuent à former dans la population générale un pourcentage relativement modeste et qui se réduit du fait des naturalisations, il en a été tout autrement dans les populations scolarisables et ou scolarisées, en particulier pour ce qui est de l’intégration culturelle et linguistique des nouveaux arrivants ou des enfants nés dans des familles non francophones (mixtes ou non)..
Pour un témoin comme moi qui a habité Marseille durant plusieurs années, cette remarque est évidente, puisque j'y ai vu, durant toute cette période, des mères de famille maghrébines, comoriennes (Marseille est sans doute la ville comorienne la plus importante) ou africaines, tenant par la main ou traînant dans leur jupes ou leurs boubous, une demi-douzaine de marmots, ce qui n'est guère le cas des mères de famille « françaises de souche » comme dit l'autre. De ce fait, assez logiquement l'incidence majeure de ce facteur n'a cessé de croître entre (pour fixer les dates d'une façon arbitraire) 1975 et 1995, les faits majeurs apparaissant dans les statistiques de la réussite scolaire à partir de cette dernière date, selon Madame Moisan, témoin des plus autorisés par sa fonction de DEPP).
Je ne reviens pas sur les problèmes que pose la scolarisation d'enfants qui ne parlent pas le français dans un système scolaire qui n'est pas fait pour eux et où l’on persiste à croire, dur comme fer, (naïvement ou sottement comme vous voudrez) qu'enseigner enfrançais équivaut à enseigner le français ! 
Qu'on n’aille pas m’objecter que les CLIN ; les ZEP ou, ici ou là, les pitreries de cet acabit, poursuivent cet objectif et répondent de façon efficace à ces besoins évidents. Il s'agit là, comme autrefois dans les CEFISEM, de dispositifs qui ont toutes les allures de paysages à la Potemkine ! Il suffit de voir ce qui se passe dans les pays qui ont fait vraiment le choix de mettre en place des dispositifs spécifiques pour les enfants de la migration qui ne parlent pas la langue du pays, pour constater que c'est évidemment la seule solution, mais que c'est précisément celle qu'on se refuse, en France, à mettre en œuvre et même à envisager.
Je suis d'autant plus convaincu de la pertinence de ce point de vue que j'ai vécu de nombreuses années à la Réunion, où le problème a été longtemps le même, du fait que la plupart des enfants qui entraient à l'école parlaient le créole réunionnais et non le français. Je m’y suis heurté, durant toutes ces années, à la résistance farouche des autorités administratives éducatives locales comme à celle de la plupart des enseignants, de français surtout. Les choses ne sont pas réglées actuellement et il suffit pour s'en convaincre de regarder les statistiques de l'échec scolaire qui doivent  être familières à Madame Moisan  et devraient lui donner à réfléchir! 
Je me garderai, au terme de ce parcours, de formuler des conclusions et de suggérer des propositions dont on peut espérer que la plupart des responsables sont parfaitement conscients, même s'ils se refusent tous farouchement à les mettre en œuvre. Il en sera de même sans doute de la « Refondation du système éducatif » par la majorité de gauche actuellement au pouvoir. La ferait-elle d’ailleurs, contre la volonté de ses électeurs et de la plupart des enseignants, que le gouvernement de droite qui lui succédera vraisemblablement s'emploierait aussitôt à remettre en place les bonnes vieilles structures de notre système éducatif qui ont si sûrement et si heureusement fait leurs preuves avec Jules Ferry !

mercredi 11 décembre 2013

Les hommes qui rient dans les cimetières


On se souvient qu’un perfide paparazzo (ça existait déjà) ayant réussi à photographier Clemenceau en train de rire devant une tombe, ce dernier s’était vu dans la suite défini par ses ennemis comme « l’homme qui rit dans les cimetières » ! Voilà qui risque d’arriver, si normal qu’il soit, à notre président !

Comme notre diplomatie, avec ou sans grandes oreilles, avait appris qu’Obama serait accompagné de tous ses prédécesseurs encore en état de marche, la question s’est dramatiquement posée pour nous. Chirac, fatigué à tous points de vue, risquait en outre de provoquer un incident fâcheux avec une accorte pleureuse-chanteuse ; Giscard tient encore la route mais un arrêt à Bangui sur le chemin du retour, réveillerai sûrement  de mauvais souvenirs et il n’y a plus guère de diamants sur le marché local. Restait Sarko qu’on se résigna à inviter et qui hélas accepta, mais refusa de voyager dans France ONE. Gros soupir de soulagement de François qui devait autant redouter la dizaine d’heures aux côtés de Sarko que la scène prévisible avec Valérie qui était du voyage !

Comme un malheur ne vient jamais seul ; le ciel, sans doute en prévision d’un arc-en-ciel ultérieur versa lui d’abondants larmes ; on ne parvint donc pas à remplir le stade de Soweto.

Ce stade avait été choisi, assez malencontreusement, à cause des fameuses émeutes de Soweto dont on a depuis longtemps oublié la cause, si on l’a toutefois jamais sue dans la presse française. Leur origine n'était en rien dans le nationalisme linguistique et en aucune façon, comme on le croit parfois, dans une exigence d'enseignement en langues africaines à l'école, Les manifestants refusaient l’afrikaan et réclamaient l'enseignement en anglais, car ils auraient été bien empêchés de s'accorder sur une seul des multiples langues africaines du pays et en particulier sur le choix entre les principales,  bien entendu ennemies, le zoulou et le xhosa. Bref tout cela est oublié et il n'en reste qu'un grand stade qu'on espèrait bien remplir pour la cérémonie en honneur de Nelson Mandela, ce but n’ayant été que partiellement atteint en raison de la pluie persistante.

François Hollande s'est donc senti obligé d'inviter Nicolas Sarkozy à l'accompagner en Afrique du Sud. Erreur fatale, même s'il avait cru par là compenser sa grossièreté de mai 2012, quand il n'avait pas jugé bon d’accompagner son prédécesseur au-delà du haut du perron de l'Élysée lors de la première rencontre à la présidence de la République.

Sarkozy accepta, hélas, mais, fort heureusement, entendit voyager dans un avion différent. Sans doute heureux de s'épargner la compagnie de son prédécesseur, François le fut surtout de bénéficier de la présence de Valérie qui aurait sans doute très mal pris de se voir éloignée au profit de Sarko !  En revanche, à Soweto, notre président dut, pendant trois heures d'horloge, voisiner avec Nicolas Sarkozy, fort heureusement à sa gauche !  Comme il est difficile de faire la gueule à son voisin pendant trois heures, il dut inévitablement, à un moment ou à un autre, lui faire quelques bribes de conversation voire même plaisanter avec lui.

On se doute que ces échanges n'échappèrent pas aux photographes français ; si Clémenceau riait dans les cimetières, on ne manquera pas de dire que François Hollande blaguait avec son ennemi à l'enterrement de Nelson Mandela, ce qui n'est pas bien mieux.

Comble de malheur pour ce qu’on croyait devoir être le comble de l’adresse, la présidence de la République avait jugé adroit  de faire une petite halte à Bangui sur le chemin du retour, pour saluer les troupes françaises qui venaient d'y débarquer en triomphatrice et partager ce moment de gloire. On espérait un triomph populaire comme naguère à Bamako. On croyait que c’était Grouchy et hélas ce fut Blucher !

Là aussi les choses s'arrangèrent au plus mal. Dans la nuit précédant la fiesta de Soweto, deux soldats français furent tués par un groupe de la Selaka ; ce pauvre François Hollande, qui sortait à peine des rites funéraires de l'ancien président de l'Afrique du Sud, dut ressortir son mouchoir et ranger son discours optimiste pour pleurer les deux soldats du 8e RIMA tués dans la nuit.

Autant dire que ce n'était pas joyeux, d'autant que cette expédition centrafricaine qu'on avait présentée comme la répétition de l'accueil triomphalde Bamako était en train de tourner au vinaigre, comme auraient pu le prévoir des esprits plus avertis ou mieux informés. La chose était pourtant d'autant plus prévisible qu'il est clair que les deux milliers de soldats de la « force africaine » qui sont sur place depuis un certain temps n'ont servi sans doute à rien, sinon à faire marcher quelque peu les bars et les bordels de la ville, à condition toutefois que les soldats de l'ONU aient touché effectivement une solde, ce qui est bien loin d’être sûr.

Bref nous ne sommes pas plus sortis de l'auberge centrafricaine que nous n'avons quitté la malienne.

lundi 9 décembre 2013

Refondation ou révolution permanente ?

Lecteur de mon blog, un des bons amis québécois, m'envoie un article intitulé "Révolution permanente" publié dans le Devoir du 6 décembre 2013 par Christian Rioux, à la suite d'un colloque tenu à Rouen. J'espère que l'auteur ne m'en voudra pas de le reproduire ici tant son point de vue me paraît pertinent i
"« Innovation », « nouveauté », « changement », « créativité »« originalité », « invention »,« transformation », « rénovation », « découverte », « mutation », « évolution », « renouvellement »,« modernité », « renouveau » et j’en passe. En quittant le grand amphithéâtre de l’Université de Rouen la semaine dernière, ces mots me tournaient dans la tête comme des mouches noires au-dessus de la chair fraîche. Toute la journée, ils avaient été scandés comme des sourates du Coran dans une madrasa.
On se serait cru dans un congrès de publicitaires chargés de convaincre des consommateurs blasés. Le clinquant moderniste ne semblait jamais assez étincelant. Ce colloque franco-québécois sur la pédagogie et le décrochage scolaire aurait d’ailleurs pu s’intituler « Révolution permanente ». La plupart des participants n’y auraient rien trouvé à redire, ne sachant probablement pas que ce titre prémonitoire était du révolutionnaire russe Léon Trotski.
Tous les conférenciers arboraient évidemment d’inutiles projections PowerPoint, gadget obligé de la modernité académique (et que personne n’avait véritablement le temps de lire). Ici, les mots « traditionnel », « classique » et « ancien » suffisaient à vous condamner sans autre procès. Comme si tout ce monde ne travaillait pas pour une institution dont le rôle essentiel était encore aux dernières nouvelles de transmettre des connaissances souvent millénaires comme lire, compter, écrire, s’exprimer, argumenter, raisonner, conjuguer, diviser et réfléchir.
Toutes choses que les élèves apprennent de plus en plus mal, nous révélaient cette semaine les tests Pisa divulgués par l’OCDE. Tous les trois ans, cet instrument de la mondialisation à tous crins est devenu le prétexte de grands mea-culpa aux quatre coins du monde. Les experts ont beau dire que ces enquêtes (qui ne sont pas sans intérêt) ne permettent pas de classer les systèmes d’éducation entre eux, les ministres en profitent pour promettre encore et toujours plus de nouvelles méthodes toutes plus innovantes destinées à ces cobayes que sont devenus les élèves.
On aura pourtant remarqué que la nouvelle coqueluche de l’éducation mondialisée n’est plus la gentille Finlande avec son école « cool » sans notes ni sélection. Ce sont aujourd’hui Singapour, la Corée du Sud et le Japon, où les jeunes étudient 50 heures par semaine, ont trois heures de devoirs tous les soirs, sont soumis à une sélection draconienne et où la « pédagogie de la découverte » reste inconnue. La presse québécoise va-t-elle se précipiter en Corée comme elle l’a fait en Finlande 
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À moins qu’au lieu de copier la Finlande hier, la Corée demain et peut-être un jour l’Arabie saoudite, on songe à redonner de toute urgence l’école aux professeurs ? À Rouen, une participante me confiait que les enseignants des quartiers pauvres de Montréal redécouvraient, au grand dam des fonctionnaires du ministère qui ne voulaient rien entendre, les vertus des cours magistraux, rebaptisés « enseignements explicites ». Une urgence pour ces élèves dont les parents ne peuvent pas combler les lacunes de l’école.
Quelques jours plus tard, à Paris, j’écoutais le professeur Loys Bonod expliquer que certains élèves étaient« devenus étrangers à leur propre langue ». Cet enseignant du lycée Chaptal, à Paris, tient un blogue sous-titré « Ce qui est moderne peut (aussi) être idiot ». Il incrimine l’omniprésence de l’anglais dès le primaire, mais surtout une profession qui n’est plus attractive. « Plus personne ne veut devenir professeur, dit-il.
Un jour, on veut refonder l’école avec des pédagogies nouvelles, le lendemain par le numérique. Ça fait rire tout le monde ! Qui peut penser que des tablettes vont sauver le niveau de nos élèves ? On est en période de crise et on dépense pour du numérique. On veut appliquer des méthodes pédagogiques qui sont celles de l’innovation alors qu’on ferait mieux de suivre la tradition. On avait une école qui savait former les élèves à lire et à écrire. Voyez tout ce qu’on a cassé avec 25 ans de sciences de l’éducation ! » L’éducation n’est pas une science mais un artisanat, dit-il.
Selon Loys Bonod, la solution n’est pas si compliquée. Il faudrait être plus exigeant à l’égard des professeurs et les laisser travailler en paix en cessant de leur imposer des pédagogies et des méthodes qui tiennent souvent plus de l’idéologie. « Il faudrait faire confiance aux enseignants car les enseignants savent ce qu’il faut faire. Mais, on leur a tout retiré, même leur pédagogie. »
À Rouen, devant moi, deux jeunes enseignantes faisaient la conférence buissonnière. Discrètement, elles sortirent une pile de copies de leur serviette. Je me suis penché vers elles. Pendant que les conférenciers tenaient des discours futuristes, elles corrigeaient minutieusement des dictées au stylo rouge. De bonnes vieilles dictées écrites à la main d’une écriture fine en lettres attachées sur du papier ligné. À chacune, elles mettaient une note dans la marge et un petit commentaire personnel. Exactement comme firent mes professeurs avant elles. Et si c’était elles, les vraies modernes…".