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jeudi 29 mai 2014

Sur l'avenir de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) (N° 4)


Je poursuis et achève ici la lecture commentée du texte de Matematika publié dans Mediapart du 20 mai 2014 « Sur l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche en France ».

Rappel de la partie de ce texte en cause dans la suite :
Il est exact que comme on le lit dans le texte en cause « un espoir pour sauver la recherche française et faire cesser le harcèlement du personnel émergea en 2011 avec le changement de majorité, de président et de gouvernement ». Et l'on y poursuit sur ce point pour conclure que la nouvelle loi, la loi Fioraso « promulguée en 2013, poursuivait en empirant la loi Pécresse ou LRU de 2007 ». La conclusion me paraît peut-être excessive car, s'il est tout à fait clair que la loi de 2013 prolonge très directement celle de 2007, on ne peut peut-être pas aller toutefois jusqu'à dire qu’elle l'empire.

Les regroupements universitaires, quel que soit le nom dont on les baptise, s'inscrivait dans le droit fil des lectures fausses et même absurdes, pourtant assez générales du fameux classement de Shanghai. Pour ce qui me concerne, je l’ai dit et écrit dès 2009 et je ne citerai, pour le prouver, quelques lignes de mon livre sur l’université consacrées à cette question :
« La "masse critique"
Nous avons vu déjà l'erreur majeure qu'a constituée, au départ, l'idée que la recherche d'une "masse critique" (en gros 50 000 étudiants selon notre président [de la République] de l'époque) était un élément central dans l'évaluation de la qualité d'une université. L'idée est si évidemment absurde que j'ai peine à croire qu'elle n'ait pas été un simple prétexte pour masquer un dessein tout différent.
Comment ne pas avoir vu que TOUTES les universités américaines ou anglaises (Oxford et Cambridge pour ce second cas), les mieux classées par Shanghai (qu'on s'obstine sottement à prendre pour référence unique) avaient et ont toujours des effectifs d'étudiants qui, en gros, tournent, comme on l'a vu, autour de 25 000.
La frénésie du regroupement qu'on a pu observer, à certaines époques, au CNRS, comme je l'ai montré dans mon livre à son sujet, cache aussi souvent l'idée, qui évidemment n'est pas mise en avant, que ces opérations peuvent conduire à des économies, ce qui est une idée aussi fausse que la précédente. Comme on a pu le voir dans le cas précis de la nouvelle université d'Aix et de Marseille, en réunissant les trois universités en une seule[1], on n'a rien fait d'autre qu'ajouter une quatrième assiette supplémentaire sur la pile de trois et, par là même, augmenter les coûts au lieu de les réduire. 
Le problème est que, à travers ces erreurs, le modèle visé, sans que cela soit dit ni même perçu, par la loi Pécresse est clairement celui d'une université américaine, dont la structure comme la culture sont extrêmement différentes de celles d'une université française classique. » (2013 : page 111).

La plupart de ces regroupements n'ont pas eu le moindre effet si ce n'est d'alourdir encore des structures universitaires déjà fort pesantes.

L'estimation selon laquelle cette politique s'est accompagnée de « une forte diminution des postes de maître de conférences et de chargés de recherche » devrait être nuancée. Pour ce qui est des universités en tout cas, les taux d'encadrement selon les disciplines sont extrêmement différents, mais les disciplines qui n'ont plus d'étudiants ou très peu, s'arc-boutent sur la conservation de leurs postes, alors que l'université a toujours eu, bien avant ces deux lois, la possibilité de changer l'étiquette disciplinaire d’un poste vacant, même si l’on ne le fait que rarement et non sans peine. Tout le monde se tient par la barbichette et dès lors rien ne se passe.

Il est évident, et je l'ai déjà dit, que le système des promotions, qu’elles relèvent des conseils d'administration des universités ou des sections du CNU concernées, fonctionne pour une bonne part sous le régime de copinage personnel et/ou syndical. Chacun le sait et il est inutile d'insister tant les faits sont évidents.

Pour les sciences humaines et sociales (SHS),  les risques de fraude, de plagiat, d’espionnage ou de conflits d'intérêts n'existent guère. S'agissant du CNRS, la section 35 qui, sous la houlette et le timbre de la philosophie regroupe d’hétéroclites micro-domaines qui ne sont là que pour faire nombre (dont en 35 la philologie ce qui étonne quand on voit les erreurs de traductions multiples dans les écrits des philosophes grecs !) , n'est guère exposée à de tels risques ; on n'a pas constaté dans les dernières années que les dizaines de chercheurs en philosophie du CNRS ait sensiblement fait progresser cette discipline sur le plan international.

Pour l’université, on peut surtout s'interroger sur le maintien, dans toutes les sections, du premier cycle des études scientifiques tant les meilleurs éléments sont systématiquement éloignés de l'université au profit des classes préparatoires, désormais en aussi grand nombre que les écoles d'ingénieurs. Il est amusant, pour ceux qui ont l’âge adéquat et quelque mémoire, de constater que « l'interdisciplinarité » qui fut le maître-mot et l’échec majeur de la loi Edgar Faure (1968 !) refait surface ; on sait que la réinvention de ce que l'on a supprimé quelques dizaines d'années auparavant est une des lois d'airain du système de l'administration française ; on ne tardera pas à le constater avec le rétablissement de la première partie du bac (déjà en cours) ou celui de l'examen d'entrée en sixième. Comme disait ma bonne grand mère « Faire et défaire c'est toujours travailler ! ».

Il est temps de conclure ses réflexions déjà trop longues et sur lesquelles on doit pas se tromper ; je ne suis nullement, comme on pourrait le croire par une lecture trop rapide, ni un ennemi de la recherche et ni, moins encore, celui de la recherche fondamentale ou académique.

Je me borne à constater simplement, pour ne retenir qu'une seule remarque de tous ces propos, qu'il y a en France une totale et constante impuissance à la réforme qu’illustre plus que tout autre, le cas du CNRS ; le seul ministre de la recherche sensé et courageux et qui en avait conscience fut Claude Allègre, dont je n'appréciais pas toujours la brutalité, tout en reconnaissant que cette voie était peut-être la seule possible.

Je m'amuse en me souvenant que la réforme du CNRS faite je crois par Chevènement qui a conduit à fonctionnariser son personnel, qui était auparavant constitué de simples contractuels, a suscité alors des réactions extrêmement négatives de la part de beaucoup de ces derniers. Sur ce point, ils se préoccupaient bien moins de voir leurs recherches orientées de façon autoritaire par l'État que de perdre les avantages que leur statut de contractuels leur assurait par rapport à la fonction publique classique.

Depuis des années, faute d'avoir le courage de supprimer CNRS, on l’étrangle sournoisement par une technique qui s’apparente fort à celle du garrot qui fut en usage en Espagne jusqu’en 1974 !
La suppression du CNRS  est parfaitement possible, en versant une bonne partie de son personnel dans les universités, où les filières d'enseignement et de recherche correspondent en gros aux sections du CNRS et où l’on se plaint sans cesse du manque d’enseignants. Pour les autres, selon leurs choix, on retournerait à une contractualisation qui permettrait enfin réellement à l'État, si il en a le souci et la volonté, d'orienter les recherches vers les secteurs qu'ils jugent prioritaires et qu’il financerait aux niveaux nécessaires.

Au lieu de faire une telle réforme, indispensable et évidente, on essaye d'étrangler le CNRS sournoisement par des mesures, aussi dérisoires que contradictoires, comme des primes pour aller en fac, la réduction des possibilités de promotion ou plus récemment la création d'organismes du style de l’ANR ou de l’AERES qui le vident progressivement de son activité réelle sans le moindre profit réel et en reprenant d’ailleurs les mêmes.

Comme une partie de son personnel n’a guère d’activité réellement scientifique, souvent moindre que celles d’enseignants chercheurs (j'en connais de multiples exemples et j’ai été amené à conduire des comparaisons précises) dont souffre surtout celles et ceux qui ont une motivation réelle à la recherche et un désir sincère d'en conduire. Il est parfaitement possible de faire de telles réformes pour, avec un nouveau statut, organiser la recherche comme cela se passe dans des pays comme les États-Unis ou l'Allemagne qui ne sont tout de même pas des déserts ou des champs de ruines sur le plan scientifique.

Mais quel sera le ministre qui trouvera le courage de faire une telle réforme et de fermer enfin chez nous ce Jurassic Park de la science stalinienne ?

mercredi 28 mai 2014

Bygmalion ou Pygmalion ?


Pygmalion était, selon la légende grecque, un sculpteur de Chypre. Tombé amoureux d'une statue de femme en ivoire qu’il avait lui-même sculptée,  il obtint d'Aphrodite qu'elle donnât la vie à sa statue ; il l'épousa alors en présence d'Aphrodite et en eut deux enfants. Les créateurs UMP de la Société Bygmalion, dont je me demandais où ils étaient allés pêcher un tel nom, anciens élèves de J.F. Copé à Sciences Po, sont donc moins incultes qu’on pourrait le craindre, même si l’idée n’est pas d’eux. Ils se voulaient sans doute, au sens métaphorique classique, les pygmalions de la communication politique. Plus habiles que l’antique sculpteur chypriote, ils se flattaient de pratiquer cinq métiers à la fois, presque comme le petit tailleur de notre enfance avec ses mouches, comme le soulignait leur slogan (« Bygmalion : l’agence aux cinq métiers : construire, gérer, protéger et valoriser l’image des personnes et des marques ». Je n’en trouve personnellement que quatre ; compter ne doit pas en faire partie et le vrai cinquième métier doit être de changer le plomb en or !

Bygmalion, créée en 2008, s’illustre tout de suite par diverses affaires un peu douteuses, à la Mairie de Saint-Maur des Fossés puis, par d’étranges contrats de prestations à France Télévision où avait d'importantes fonctions un de ses deux créateurs ; selon le Canard enchaîné, la société empoche 1,2 million d’euros (affaire en cours depuis avril 2014) !

Venons-en au scandale actuel. Notre presse est de mieux en mieux ! J'ai entendu, à défaut de les écouter, les innombrables reportages et « spéciales » sur les factures de Bygmalion et de l'UMP, dont en particulier l'interview de Jean-François Copé par Monsieur Gilles Bouleau sur TF1.

Dans tous les cas, y compris ce dernier, on a tout entendu, les uns et les autres se repassant la patate chaude, sans bien entendu la faire remonter jamais jusqu'au principal intéressé ; on ne saurait être trop prudent car on ne sait jamais ce que l'avenir nous réserve. Quel a été le sens exact des transits des millions entre l’UMP et Bygmalion ? Ce nom est une véritable trouvaille quand on voit la suite, car cette société avait non seulement, comme on l’a vu, le rare talent de changer le plomb en or, mais aussi celui de faire muer des modèles de vertus civiques en escrocs notoires.

Peu importe d'ailleurs qui a fait quoi car, à mes yeux comme à ceux de toute personne de bon sens, la seule vraie question est celle de savoir d'où venaient les millions supplémentaires en cause surgis on ne sait d’où, question que personne ne pose car elle risquerait fort de nous faire traverser la Méditerranée pour invoquer le témoignage des mânes de feu Kadhafi.

J'attends avec impatience le moment où quelque journaliste posera enfin cette question ; si vous avez la réponse, je vous remercie d'avance de me la donner.

J'ajoute mais avec prudence car je n'ai entendu qu’une fois et une seule évoquer cette question du coût réel pour l’Etat (donc pour nous tous) de l'opération de mendicité organisée, dite « Sarkothon », qui a permis d'extraire, en douce, des poches des Français une bonne partie des onze millions dus par notre précédent président. Lors de cette opération, on a bien entendu omis de préciser que si elle a permis de mettre 11 millions dans ses poches, elle conduira à  en a retirer plus de sept des caisses de l'État par le jeu des exonérations fiscales sur ces versements faits par les citoyens imposables !

mardi 27 mai 2014

Sur l'avenir de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) (N° 3)


Je poursuis ici la lecture commentée du texte de Matematika publié dans Mediapart du 20 mai 2014 « Sur l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche en France ».

Rappel de la partie de ce texte en cause dans la suite :
« En 2007, fut adoptée la loi LRU, loi relative aux "libertés et responsabilités des universités". Nous savons aujourd'hui combien cette loi est néfaste pour les universités et leurs personnels. Bien gérées ou non, elles sont contraintes de vendre leurs biens immobiliers, ceux de l'état, sous prétexte de manque de ressources. Ainsi, l'Université Paris 6 a vendu son dernier bien en 2013, son château d'Annecy. Ayant probablement mal interprété le mot "liberté" (ou trop bien ?), certaines dérivèrent dans l'affairisme avec notamment des partenariats public-privé (PPP) comme à l'USVQ.".

Nous en revenons à la loi LRU et, comme je l'ai déjà dit, je suis très étonné de lire : « Nous savons aujourd'hui combien cette loi est néfaste pour les universités et leur personnel ».
Tout observateur, informé, attentif et de bon sens, savait, dès le départ, combien cette loi était néfaste pour les universités et leur personnel. Il a fallu toute l'astuce de Valérie Pécresse pour la faire passer sans trop de mal, dans la mesure où elle s'était gagnée, en satisfaisant toutes leurs demandes, les faveurs, essentielles en l’occurrence, des présidents d'université, même réputés de gauche ! En effet, eux seuls ont le pouvoir d’ouvrir aux forces de l’ordre les portes d’une université bloquée par des grévistes (étudiants ou non). Ce fut le cas à Aix-Marseille 1, traditionnel bastion de la Gauche universitaire.

Par ailleurs, confier aux universités la gestion de leur patrimoine était un piège évident , puisqu'elles n'avaient pas, en général, les moyens d'en assumer la charge, même quand il s'agissait de locaux proprement pédagogiques. Je suis désolé d’apprendre qu'en 2013 l'université Paris VI a dû « vendre son château d'Annecy », dont j’ignorais qu’elle le possédât et dont si je ne vois pas très bien ce que pouvait en faire cette grande université Paris parisienne ! Je laisse de côté l'affaire de l'université de Versailles, car ce type de dérive « affairiste » est demeuré, par la force des choses, relativement rare car les affairistes s'intéressent généralement peu aux universités.

Poursuivons la lecture du texte en cause :
"Les enseignants-chercheurs et chercheurs furent alors placés sous différentes doubles contraintes contradictoires :

[ …  ]
Exemple 1. Trouver des ressources financières pour leur recherche, ce qui prend nécessairement du temps sur la recherche elle-même, même en cas de succès, tout en étant menacé d'être écarté des laboratoires sous couvert de production insuffisante."

J'ai déjà évoqué ce que j'avais nommé alors « la valeur ajoutée » (aux crédits alloués par le CNRS) en précisant que certains directeurs de laboratoires, dont j'étais, se consacraient à cette recherche. Il est évident qu'en pareil cas, c'est surtout au directeur de laboratoire qu'il incombe de rechercher des financements complémentaires à ceux du CNRS ou de l’université. Je ne m'y attarde pas ici car il est évident que, suivant la nature des recherches, les sources de financement qu'on peut solliciter sont extrêmement différentes et que la première nécessité est de les identifier puis de les sensibiliser par des argumentaires spécifiques ce qui suppose une parfaite connaissance des domaines en cause.
L’évaluation des chercheurs est un problème difficile mais essentiel et fort mal posé et traité en France, ce qui rendait indispensable une réforme.

« De façon concomitante, afin probablement d'augmenter la pression, des règles homogènes (toutes disciplines confondues) de nombre de publications apparurent avec les nouvelles évaluations. On fit donc accepter cette nouvelle règle. Ensuite, il suffira d'en changer le curseur pour créer la pression voulue ou exclure des laboratoires. Cette menace d'exclusion des laboratoires s'accompagna d'un décret qui prévoyait que ceux n'exerçant plus d'activité de recherche (au sens ne respectant pas les règles de publication en vigueur) devait voir augmenter leur charge d'enseignement. Ce nombre pouvant évidemment être régulé via le nombre de projets octroyés. ».

Qu’on me permette de citer ici le début du sixième chapitre de mon libre de 2013 sur le CNRS intitulé « Le problème de l’évaluation de la recherche : l’exception française. » : « De nombreuses critiques ont été émises, en particulier, par la Cour des comptes et l'Inspection générale des finances sur le fait que les laboratoires du CNRS seraient rarement, voire jamais, évalués de manière « indépendante » c'est-à-dire, en fait, extérieure. Ces institutions notent aussi que la plupart de ces laboratoires et les syndicats-maison de chercheurs récusent, comme outil d'évaluation, la bibliométrie, à la différence de la plupart des organismes anglo-saxons et même du monde qui l'ont, pour la plupart, adoptée.
Le syndicat SNCS-FSU s'oppose à la généralisation de la bibliométrie et refuse
d'ailleurs, dans le même mouvement, la généralisation de l'évaluation individuelle, à laquelle il préfère l'évaluation des recherches, mais sans recours à la bibliométrie. Il souligne le caractère collectif de toute recherche et déclare impossible les tentatives « scientifiques » de donner une note aux chercheurs afin d'évaluer leurs compétences sur une échelle numérique, en fonction, par exemple, du "facteur-h" (qui corrèle le nombre de publications dans certaines revues scientifiques et le nombre de mentions d'un auteur), démarche considérée à peu près partout comme mesure légitime de la productivité et du rayonnement d'un chercheur. » (2013 : 69).

Ces considérations générales faites, revenons au texte de Matematika. Les choses ne sont pas très claires en effet  ici, car s'il s'agit de laboratoires propres du CNRS, il n'y a pas lieu d'évoquer l'augmentation des charges d’enseignement puisque le personnel CNRS n’en pas, dans son service du moins.

De toute façon, la modulation des charges d'enseignement au sein même de l'université n'a jamais réellement fonctionné ; des « enseignants-chercheurs » (tous le sont en principe) qui ne font aucune recherche, ne sont pas sanctionnés ; ils peuvent, au pire, ne pas bénéficier de promotions de grade, mais sans jamais voir leur charge d'enseignement augmenter. Le seul cas que je connaisse (je vais encore faire de l'histoire sur ce point, au grand désespoir de mon commentateur) est celui des maîtres assistants agrégés d’autrefois qui devaient, en principe, huit heures par semaine (au lieu de six) s’ils ne faisaient pas de recherche ; je dois ajouter que je n'ai jamais vu observer cette règle pourtant bien établie.

Les tentatives, imprudentes et irréfléchies, faites par Valérie Pécresse et qui concernaient les enseignants de droit, ont mis ces derniers dans la rue, ce qui ne s'était jamais vu. Il est vrai que, si la plupart d'entre eux ne font pas effectivement de recherche ; ils exercent souvent un second métier (avocats ou consultants en général). On se demande d'ailleurs encore comment la ministre a pu envisager de prendre pareille mesure sur laquelle elle est immédiatement revenue, comme je l’avais annoncé d’emblée ! Pour les universités, il  clair que l'on aurait dû offrir aux enseignants, dès le départ, le choix entre un statut d' « enseignant-chercheur » (à mi-temps pour chaque activité) et un statut d'enseignant avec une charge d'enseignement supérieure voire double (comme pour les PRAG). Selon les types d'enseignements et les niveaux auxquels ils sont prodigués (IUT par exemple), il est bien évident qu'il n'est pas nécessaire de faire la recherche pour enseigner à l'université.

Le problème de l'évaluation est évidemment délicat, mais il n'y a guère d'autre moyen des procéder que par le biais des publications de l'intéressé, quelle que soit la méthode retenue. Le nombre, le volume et le rythme des publications est  évidemment un élément important ; la qualité et la réputation des lieux de publications entrent aussi en jeu ; on peut également, à l’américaine et par la bibliométrie , se référer aux index de citations ; on risque fort alors de tomber dans le piège des échanges de séné et de rhubarbe entre chercheurs complices, ce qui est une pratique américaine des plus courantes !

« Exemple 2. Encadrer des étudiants en thèse, pour être bien évalué, obtenir des promotions, des primes, faire vivre son équipe, son activité (car passant du temps à aller chercher les contrats, le chercheur a moins de disponibilité pour sa recherche) tout en subissant la diminution du nombre des bourses de thèses ; de surcroît certaines universités interdisent d'encadrer des thèses sans financement de l'étudiant. Ceci sous prétexte de ne pas précariser les étudiants qui bientôt verront leurs droits d'inscription augmenter par la volonté des mêmes qui disent vouloir les protéger. »

C'est sur ce dernier point que la notion de « valeur ajoutée » peut intervenir aussi car il est évident que le temps que directeur de recherche passe à rechercher des crédits pour le fonctionnement de son équipe est inévitablement déduit du temps qu'il peut lui-même consacrer à sa recherche personnelle.

Là aussi c'est une situation que j'ai bien et longtemps connue, mais il est évident que pour trouver des financements auprès d'interlocuteurs, éventuels financeurs qu'on aura identifiés, il faut soi-même être en mesure de « vendre » le projet de recherche pour lequel on est en quête de financement. Il faut donc nécessairement le connaître à fond, dans son contenu comme dans ses applications, et surtout avoir des arguments pour y intéresser des bailleurs de fonds éventuels. C'est, en Amérique du Nord, l'activité bien connue de « funding » qui est parfaitement admise, reconnue et estimée et qui intervient  dans l'évaluation des chercheurs. Par ailleurs nous retrouvons ici le problème du nombre de thèses dirigées qui devrait nécessairement être très réduit, la dizaine étant vraiment en la matière le maximum !

À suivre.

lundi 26 mai 2014

Sur l'avenir de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) (N° 2)

Je poursuis ici la lecture commentée du texte de Matematika publié dans Mediapart du 20 mai 2014 « Sur l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche en France ».
Rappel de la partie de ce texte en cause dans la suite : « Les chercheurs du secteur public devaient abandonner une grande partie de leur recherche académique pour s'intéresser à des enjeux sociétaux ou industriels »
Il est clair qu'il n'y a pas de contradiction fondamentale entre la recherche académique et les applications qui peuvent en résulter et donc des « enjeux industriels » ; la liste des exemples d'application industrielle de découvertes académiques serait trop longue pour que je tente ici d'en établir le simple début ; l'auteur poursuit : « À terme les universités devaient devenir des centres de coûts et de profits et augmenter les droits d'inscription au risque de pénaliser une population étudiante déjà massivement atteinte par la précarité ».
On mélange ici des questions très différentes : on ne voit pas pourquoi un Etat qui consacre des milliards à faire fonctionner un système de recherche étatique (le CNRS qui est, en fait, sans grand rapport avec l’université) devrait s'interdire d’en tirer profit pour y faire conduire des recherches qu’il juge urgentes et prioritaires ? Aux Etats Unis, des profits importants peuvent résulter, pour les universités, (les Américains ont la chance de ne pas avoir  de CNRS !) de découvertes, de contrats et de brevets déposés par les universités elles-mêmes, qu’elles soient d’Etat ou privées. D'autre part, l'augmentation des droits d'inscription n'est en rien liée à une modification de l'orientation des recherches universitaires bien au contraire puisque, en tout état de cause, l'État français prend en charge de façon quasi totale le fonctionnement des universités et que les droits d'inscription sont des plus symboliques, ce qui est à peu près l’exception française, sur laquelle je reviendrai.
Il y a d'ailleurs là une contradiction voire une aberration fondamentale qui résulte de la copie servile du modèle soviétique, archaïque et inadapté, qui demeure celui de nos établissements publics scientifiques et techniques (EPST). Dans le système soviétique de l'URSS, sans entrer dans le détail, il était bien évident que les chercheurs s'inscrivaient, tous et inévitablement, dans les programmes de recherche définis par l'État et qu'il aurait été fort risqué pour eux de prétendre se comporter autrement. C’était le passage assuré et direct de l’Académie au goulag ! C'est donc en fait l'État qui définissait, de façon exclusive, totale et absolue, les programmes  de recherche des chercheurs, même s’ils étaient absurdes (ce n’est pas par hasard que j’ai mis Lyssenko et Staline  sur la couverture de mon livre) !
Il n'en est rien évidemment dans le CNRS français ou dans l'ex-ORSTOM (devenu IRD) qui sont les deux EPST que je connais le mieux et où je prends, de ce fait, la plupart de mes exemples. En effet, il est rigoureusement et totalement impossible d'obliger un spécialiste des papillons de la Nouvelle-Calédonie  à travailler sur ceux de la Guyane puisqu'il a été recruté sur la base d’une thèse sur les lépidoptères calédoniens,  s’il ne souhaite pas changer de terrain. Je connais de nombreux cas de chercheurs qui sont restés dans une quasi-inactivité, durant des périodes plus ou moins longues, parce qu'ils n’entendaient, en aucune façon, changer de domaine de recherche.
J’ai souvent discuté de ces questions avec un chercheur de l’INSERM (autre EPST), au moment où commençaient les travaux sur le sida dans le milieu des  années 80 ; je lui demandais comment il se faisait qu'aucune équipe de l’INSERM ne se consacrait aux recherches sur les traitements ou les vaccins de cette nouvelle maladie. Il me répondait bien entendu, comme on peut le deviner, qu'il était impossible à l’INSERM d'obliger qui que ce soit en quoi que ce soit à travailler sur ce domaine s'il ne souhaitait pas !
On peut donc se demander quelle est la logique d'une réforme de mise en place d'un organisme comme l'« Agence Nationale de la Recherche » (ANR) qui fait, par appel d’offres, des propositions de sujets ou de programmes de recherches, sans avoir le moindre moyen d'imposer aux chercheurs payés par l'État, qui pourraient s’engager dans de tels programmes, de le faire. Certes ils pourraient le  faire, mais rien ne les y oblige et pourquoi le feraient-ils ? Rien n'oblige un chercheur à faire autre chose que ce qu'il fait dans le domaine qui lui convient et sous  la forme et au rythme qui lui conviennent. Il lui suffit d’avoir une modeste activité scientifique qui lui permette d'élaborer son rapport de recherche personnelle pour qu'il puisse couler des jours paisibles, sans la moindre observation et sans la moindre obligation d'une autre nature jusqu'à sa retraite.
On touche là à ce qu'on pourrait appeler la « lâcheté » de l'administration française dont on voit de multiples exemples tous les jours et dans tous les domaines. C’est surtout là ce qui rend toute réforme un peu forte impossible ! Faute de pouvoir réformer réellement le CNRS ou mieux encore de le supprimer, puisque sa structure est devenue totalement inadéquate. On essaye, lâchement, de l'étrangler sournoisement, d’abord en réduisant de façon forte les promotions de DR, en donnant des primes pour le passage à l’université, en créant ensuite un organisme comme l’ANR (qui propose sous forme d'appel d'offres des projets de recherche qu’on est incapable d’imposer !) ou encore comme l’AERES chargée de l’évaluation,  qu’on feint de substituer à l’auto-évaluation traditionnelle de règle au CNRS comme à l’université. Il suffit de voir, pour s’en convaincre, le fonctionnement de l’AERES et la composition de ses instances comme de ses jurys.
Les quelques rapports que j'ai eu l'occasion de lire sur des universités que je connaissais m’ont paru profondément comiques,  témoignant à l'évidence d'une totale ignorance des réalités de ces établissements. La chose n'est pas pour surprendre d'ailleurs, puisque on ne peut guère demander à des instances composées elles-mêmes d'enseignants-chercheurs d'autres universités de se montrer sévère ou même simplement sérieux dans le jugement (« signé » car les évaluations ne sont même pas anonymées comme dans le moindre comité de lecture) des activités de leurs collègues, qui ne manqueraient pas de procéder de la même façon le jour où inévitablement cette situation serait inversée. Ce n'est évidemment pas, en passant un jour ou deux au mieux, dans un autre établissement, qu'on est en mesure de porter un jugement autorisé sur son activité.
Poursuivons la lecture du texte en cause :
« Pour faire accepter le changement, il faut en faire accepter les outils. Ainsi apparurent de nouveaux outils de transformation de l'organisation de l’ESR français. Citons les plus marquants que sont :
  1. Les primes des enseignants-chercheurs [… ] Ces primes étaient de trois ordres : administration, enseignement et recherche
  2. La recherche par projets avec un budget contingenté. »
3. Je n'ai pas trouvé de trois dans le texte mais peu importe.
Pour ce qui concerne les primes, les primes d'administration ont existé bien plus tôt encore (en particulier pour les présidents d'université mais elles étaient au tout début totalement dérisoires et ont très sensiblement augmenté dans la suite).
La principale réforme pour la recherche fut effectivement celle des primes dites « d’encadrement doctoral et de recherche » qui ne concernaient que les professeurs et étaient en nombre limité, sur décision d’une commission ad hoc. En fait, dès le départ, une réforme indispensable aurait été de limiter de façon drastique le nombre de thèses que pouvait diriger un professeur, alors que des professeurs parisiens « dirigeaient » parfois une centaine de thèses (j’ai connu un record à 142 !). La limitation du nombre de thèses dirigées est un élément qui n'est survenu que beaucoup plus tard, alors qu'il était pourtant sans doute la réforme la plus facile à mettre en œuvre et la plus raisonnable. De toute façon, même à son taux maximum (variable selon le grade), ces primes demeuraient modestes, et, dans bien des cas, on a pu se demander de quelle façon fonctionnait la commission chargée leur attribution. Par prudence et pour prévenir les commentaires injurieux prévisibles, je signale que, pour ce qui me concerne, j'ai toujours bénéficié de cette prime d'encadrement doctoral et de recherche ; il y a donc nulle acrimonie dans mon propos.
Pour le point de la recherche par appel d’offres sur projets, le système abracadabrant de l’ANR ne tient qu’à ce qu’il est impossible, on m'a vu, de contraindre quelque chercheur ou enseignant-chercheur que ce soit à s'engager dans quelque projet que ce soit. Si ce système fonctionne à peu près partout dans le monde, c’est que nulle part les chercheurs sont des fonctionnaires innamovibles et qu’ils ont à peu près partout des statuts contractuels.
Ces appels d’offres de recherche par projets ont existé bien avant l’ANR d'ailleurs, le cadre même du CNRS, mais il est évident que les procédures étaient très souvent biaisées. En général, lorsqu'un projet faisait l'objet d'un appel d'offres, l'équipe retenue à son terme avait été constituée et choisie bien avant la publication de l'appel d'offres ! Les jeux étaient le plus souvent faits à l'avance !
Sur ce point également, je pourrais donner des exemples très précis qui montreraient le fonctionnement de cette procédure. Je n’ai pas à insister sur ce point puisque le texte de Matematika que je commente le dit d'une façon tout à fait claire :
« Ceux qui participaient aux jurys étaient bien placés pour faire accepter les leurs ou ceux de leurs « amis » »
Le texte poursuit non sans cruauté :
« Sans oublier que, dans le domaine de la recherche publique, les évaluateurs sont aussi les employés du même employeur ».
Voilà qui est dit avec plus d'élégance et de force que je ne saurais le faire !
 À suivre.

samedi 24 mai 2014

Petite salade historico-politique et dominicale : Dunois et Souad.


L'affaire de la Marseillaise et de Madame Taubira est depuis longtemps close et même oubliée, fort heureusement, mais nul n’a songé, dans cette affaire, alors qu’on faisait grand cas de la Syrie et des Français qui s’y rendaient, à rapprocher la Marseillaise d'un autre chant français qui la remplaça un moment, surtout sous le Second Empire, même s'il était né sous le Premier.

Ce fut alors une sorte de chant national officiel, alors que Napoléon III (« le petit ») avait plus ou moins fait interdire la Marseillaise, jugée républicaine voire révolutionnaire. Il s'agit d'un chant qui aurait été composé par Hortense de Beauharnais, sur un texte de 1807 écrit par Alexandre de Laborde. Ce poème rapproche, sans le dire, la campagne d'Égypte du général Bonaparte d'une prétendue croisade de Jean de Dunois (1402-1468), le « bâtard d'Orléans » qui, si je me souviens bien, s’est limité en fait à un projet de croisade. Les premiers vers  furent une véritable « scie » à cette époque et tout le monde fredonnait le début de ce chant :

« Partant pour la Syrie, / Le jeune et beau Dunois… ».

Ces jours-ci, le « jeune et beau Dunois » a été remplacé par Madame Souad Merah dont on ne savait pas trop si elle était, elle aussi, « partie pour la Syrie ». Cette dame avait connu déjà un moment de gloire, après les assassinats commis par son frère et sa mort lorsqu’elle exalta ses crimes (vous souvenez sans doute qu'il avait massacré des enfants juifs et un professeur ainsi que trois parachutistes, ce qui constitue assurément un titre de gloire pour la famille Merah). Elle fut quelque peu inquiétée par la police pour ses déclarations jugées provocatrices, mais fut très rapidement mise hors de cause, à juste titre en dépit de ses opinions.

Comme ces derniers jours, elle avait disparu avec ses quatre enfants, on s'interrogea sur sa destination, sa mère affirmant qu'elle était en vacances à Djerba tandis que la police la soupçonnant, Dieu sait pourquoi, d'être partie pour la Syrie (comme le jeune et beau Dunois en son temps !) avec ses quatre lardons pour y rejoindre un mari, un concubin ou un amant qui, semble-t-il, était déjà sur place.

J’avoue assez mal comprendre pourquoi notre police, qu’on dit fort occupée, aurait pu ou dû surveiller cette matrone à moins qu'on ne soupçonnât la présence, sous son voile intégral, de quelque barbu poseur de bombes. Le ministère de l'intérieur, un moment largué, vient de nous faire savoir qu'avec ses quatre marmots, Souad aurait gagné la Syrie par un chemin assez compliqué ; à partir de Barcelone puis d’Istanbul, elle aurait en effet rejoint la frontière turco-syrienne.

Je comprends guère l’émoi qui entoure ce départ et je ne vois pas de raison légale de s’y opposer ! Je suis même plutôt tenté de dire « Bon vent et surtout bon débarras ! » car nous voilà enfin débarrassés de cette famille qui risque fort de subir là-bas, de la part de Monsieur Bachar el Assad, un traitement autrement radical et expéditif que celui des services français. Je n'aurais pas été jusqu'à suggérer qu'on leur offrît le billet d'avion (aller simple !) mais je ne suis pas loin de le penser.

À la différence du « jeune et beau Dunois » (dont je  pense qu'il n'a jamais véritablement en œuvre son projet de voyage vers la Syrie), Madame Souad a donc débarrassé notre territoire national sans qu’on ait besoin de l’expulser et je crois que, loin de nous inquiéter, nous ne pouvons que nous en féliciter.

Elle n'a même pas l’espoir, à la différence du jeune et beau Dunois, de rencontrer là-bas une belle Isabelle puisqu'elle est déjà pourvue d’un barbu de  service conjugal. Donc une fois encore "Bon vent et surtout ne songez pas à revenir !"

vendredi 23 mai 2014

« Sur l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche en France ». Réponses et commentaires à propos de l'article de Matematika dans Mediapart du 20 mai 2014. (N° 1)

« Sur l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche en France ». Réponses et commentaires à propos de l'article de Matematika dans Mediapart du 20 mai 2014. (N° 1)

Votre article, cité ici en référence, mérite de ma part une réponse d'autant plus étendue et précise que, contrairement à ce qu'on pourrait penser au premier abord, nos points de vue ne sont pas si éloignés l'un de l'autre, car mon livre sur le CNRS s’éclaire dans un autre, exactement contemporain que j’ai publié chez le même éditeur en 2013 et qui s’intitule « Université : l'impossible réforme. Edgar, Valérie, Geneviève et les autres » (Paris, l'Harmattan). Nous n'avons donc pas eu à échanger des injures, comme le font certains commentateurs dont un certain Monsieur Spin, qui est probablement du CNRS, ce dont on pourrait douter à voir sa pratique de l'orthographe et de la syntaxe du français ; fort heureusement, son blog est totalement vide !

Le titre de mon livre, CNRS : le Jurassic Park de la science stalinienne, tout en étant évidemment quelque peu provocateur, correspond à une réalité historique et structurelle que l'histoire officielle du CNRS (car il y en a une, ce qui confirme la pertinence de ma formule, s’il en est besoin) tente de gazer ou même de dissimuler. Les « pères fondateurs » du CNRS, grands et légitimes admirateurs de l’URSS, ont en effet emprunté le modèle soviétique qui avec le temps s’est sclérosé encore davantage dans une syndicalocratie que nul ne peut contester. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner à la fois le mode d'élection des Commissions de sections (en dépit des prétendus changements qu'on y a apportés) comme leur composition, où l’on s'étonne toujours de ne pas trouver les principaux noms de la discipline en cause qui, à n’en pas douter, ont sans doute autre chose à faire.

Cela me conduit à apporter une première nuance à l'analyse générale que vous faites de la recherche et des évolutions récentes du CNRS comme de l’université.  Vous faites observer, à juste titre, que les entreprises françaises ont moins de ressources que les allemandes par exemple, en raison de la différence dans le taux des « charges sociales » qui pèsent sur elles (64,7 % France et 49,4 % en Allemagne). Sur ce point précis, le politiquement correct hollandais impose désormais de ne plus dire « charges » mais « cotisations » sociales, ce qui n’en change certes pas le taux mais donne une connotation bien différente, le nom étant plus facile à changer que le taux !

Pour ce qui est de l’investissement privé dans la recherche, j’entendais l'autre jour M. Gattaz du Medef parler des « marges » des entreprises ; il était question des salaires des dirigeants et des dividendes des actionnaires, mais il n'a pas pris la peine d’évoquer les investissements dans le domaine de la recherche qui ne le préoccupe guère. J'ai fait exactement la même remarque en écoutant Mme Parisot, l’ancienne présidente  de ce même  MEDEF. La recherche universitaire donne un fâcheux et illustre exemple quand le Président de la Conférence des Présidents des universités française J-L Salzmann, vigilant lecteur de votre texte, vend sans vergogne à une grosse société américaine, Avax Technologies, la « start up » que les moyens étatiques de la recherche française l’ont aidé à développer (cf, la thèse de M. Rémondet).

Pourquoi ne pas raisonner ainsi après tout  puisque, comme dans l'Union soviétique d'antan, la recherche est prise en charge de la façon la plus large par l'État qui possède huit « établissements publics scientifiques et techniques » (EPST) dans le principal, pour le domaine en cause est le CNRS avec ses 35 000 employés et ses 3 milliards de crédits annuels ?

Permettez-moi ici de citer une expérience personnelle, du moins dans mon domaine des sciences humaines et sociales. A l'époque où le CNRS était encore Quai Anatole France, j'ai fait scandale (Serait-ce chez moi une habitude ?), lors d'une réunion des directeurs d'équipes, en demandant si on allait enfin se décider à prendre en compte dans les attributions de crédit, ce que j'avais appelé, déjà un peu par provocation, la  « valeur ajoutée » par l’équipe elle-même. Je désignais ainsi ce qu'une équipe de recherches pouvait trouver (souvent non sans mal comme vous le notez) en crédits de fonctionnement ou de recherche en dehors de l'attribution des moyens qui lui était faite annuellement par le CNRS. J'illustrais en général ce propos en disant que pour ma formation, une des plus modestes de la section car aussi une des plus récentes, ce crédit annuel payait en gros le téléphone et le courrier. Disons que pour 1 franc que je nous recevions annuellement du CNRS, je m'arrangeais pour en trouver 10 autres à l'extérieur. En  revanche, les vieilles et grosses formations ne trouvaient au mieux par leurs propres moyens (dans les rares cas où elles en cherchaient) que le centième des crédits qu'elles recevaient du CNRS. Pour ma discipline et à cette époque, j'illustrais cette vérité par le cas précis et chiffré de l’énorme LACITO parisien, longtemps dirigé par J. Thomas, présidente de la Commission !

Vous écrivez dans le début de votre article : « À partir de 2004 on s'était effectivement rendu compte que les entreprises françaises, handicapées par un euro inadapté à notre économie, ne pouvaient plus faire assez de recherche et d'innovation. La direction de l'UMP (puis du PS) avait alors décidé de réorganiser complètement l'enseignement supérieur et la recherche pour qu’ils suppléent à la recherche privée défaillante. ».

Faut-il que je précise que je suis en désaccord avec cette chronologie comme avec cette analyse ? Je pense même que vous l’êtes vous-même aussi, quoique en partie et de façon latente, à lire la suite de votre article qui démontre qu'à l'évidence, vous ne croyez guère à cette hypothèse pour expliquer la naissance et la forme de la loi dite LRU de 2007 et fort improprement intitulée « loi relative aux libertés et responsabilités des universités ». Tout le monde s’accorde à reconnaître  aujourd'hui combien cette loi est néfaste pour les universités et leur personnel. Ce qui m'étonne et même me stupéfie dans cette affaire est que vous-même et tant de gens aient mis sept ans à se rendre compte de la véritable nature et des objectifs de la loi Pécresse-Fioraso !

Je m'amuse d'ailleurs de voir que, dans les commentateurs de votre texte, se trouve Monsieur Jean-Loup Salzmann, encore lui, président actuel de la CPU qui, semble-t-il, n'a pas été un adversaire très actif et très résolu de la loi Pécresse dont il a plus que quiconque bénéficié. Grâce à cette loi, il a été élu et réélu à Paris XIII en 2008 et 2012 puis à la CPU. Il en est à son deuxième mandat présidentiel alors que la possibilité de faire deux mandats était une des principales dispositions (sinon la principale disposition) de la loi de Valerie Pécresse, du moins aux yeux des présidents d'université que Madame Pécresse a eu la grande habileté (de son fait ou inspirée par Monsieur Coulhon !) de placer au centre de sa réforme avec une mainmise quasi totale sur les nouvelles nominations en université, toutes majeures et explicites revendications de la CPU.

Le seul mérite que je revendique (ou en tout cas le principal) est avoir, dès l'abord, dénoncé les perversités de la LRU de V.Pécresse qui s’est acheté à peu de frais les présidents d’université ; on peut très facilement le vérifier par la lecture de mon autre petit livre Université : l'impossible réforme. Edgar, Valérie, Geneviève et les autres où les dates de mes textes sont aisément vérifiables.
À suivre.

mercredi 21 mai 2014

À propos du CNRS

Cher(e) Matematika
Vous écrivez : 
"Le but du CNRS est la recherche fondamentale  cela marche plutot bien, par exemple 11 médailles Fields en Maths (les USA en ont eu 13),
(...)
Quand Albert Fert a publié son travail sur la magnéto-résistance géante, les américains d IBM ont traversé l'Atlantique ..."

Je me limite à ces deux points en citant le huitième chapitre de mon petit livre de 2013.

Huitième section : CNRS, Prix Nobels et Médailles Fields

Le CNRS, pépinière de Prix Nobels? La bonne blague !

Ayant eu, par hasard l’occasion de discuter avec un responsable du CNRS, j’ai entendu à nouveau l’argument selon lequel le CNRS aurait offert à nouveau à la France un Prix Nobel en la personne d’Albert Fert.

Il est clair que c’est faux. Cet ancien élève de l’Ecole normale supérieure a toujours enseigné à l’université. A Grenoble d’abord, puis à Paris XI. Appartenir à une équipe "associée" au CNRS (ce qui fut mon propre cas durant près de trois décennies) n’implique nullement qu’on appartienne au CNRS lui-même.

 Les faits méritent attention, dans le cas de Fert comme dans celui de la plupart des autres.
 Sauf omission de ma part, voici, en la matière et depuis la guerre (auparavant pas de CNRS sous sa forme actuelle), le bilan de la France pour les Prix Nobel (physique et chimie) et les médailles Fields (mathématiques) :

Prix Nobel de physique : Alfred Kastler (1966) ; Louis Néel (1970) ; Pierre-Gilles de Gennes (1991) ; Georges Charpak (1992) ; Claude Cohen-Tannoudji (1997), Albert Fert (2007).
Prix Nobel de chimie : Jean-Marie Lehn (1987) ; Yves Chauvin (2005).
Médailles Fields (mathématiques) : Laurent Schwartz (1950) ; Jean-Pierre Serre (1954) ; René Thom (1958) ; Alexander Grothendieck (1966) ; Alain Connes (1982) ; Pierre-Louis Lions (1994) ; Jean-Christophe Yoccoz (1994) Laurent Lafforgue (2002) ; Wendelin Werner (2006) ; Cedric Villani (2010).

Sur ces dix-huit éminents savants, seul A. Connes était en fonction au CNRS lorsqu’il a été l’objet de cette haute distinction. Le cas de Jean-Pierre Serre est plus douteux, car il a quitté le CNRS pour l’université en 1954, l’année même où il a reçu la Médaille Fields. Certes, treize d’entre eux ont appartenu un moment au CNRS, le plus souvent, pour quelques années, en général en tout début de carrière, la seule exception notable étant Alfred Kastler, qui y a été directeur de recherche de 1968 à 1972, donc APRES son Nobel de 1966. Cinq d’entre eux (Néel, de Gennes, Chauvin, Yoccoz et Fert) n’ont jamais appartenu au CNRS.

Aurais-je fait une erreur de détail sur l’un ou l’autre cas, que rien ne changerait dans le fond, même s’il faut tout de même rétablir quelque peu la vérité des faits, de temps en temps. Le CNRS n’est nullement la pépinière de génies scientifiques, qu’il pourrait et surtout devrait être, comme certains (du CNRS comme par hasard) veulent nous le faire croire.

En fait, on constate que, quand ils ont parfois commencé leur carrière au CNRS, la plupart de ces chercheurs ont choisi de quitter une institution où ils n’avaient pourtant nulle obligation professionnelle autre que la recherche, qui était leur vocation majeure et où ils auraient pu et dû demeurer, sans trop de problèmes, ce qui est encore heureux !

 Il y a donc un problème. Il est clair que ces savants exceptionnels, n’ont pas été l’objet de la reconnaissance attendue, au sein même du CNRS, où l’on progresse plus vite et plus sûrement, on l’a vu, en faisant du syndicalisme que de la recherche.

Un seul exemple. Laurent Lafforgue, normalien et agrégé, qui entre en 1990 comme chargé de recherche au CNRS, se voit attribuer, après huit ans, une dérisoire « médaille de bronze du CNRS », alors qu’il a déjà obtenu ou va obtenir plusieurs importants prix scientifiques et, seulement quatre plus tard, la Médaille Fields ! De qui se moque-t-on? Est-il étonnant qu’il choisisse de devenir professeur à l’IHES en 2000 pour pouvoir confronter ses points de vue à ceux des brillants étudiants qu’il va trouver là, en lieu et place de collègues médiocres et, par là même, manifestement jaloux ?; Il sera certes directeur de recherches au CNRS... mais après !

Si la pépinière des Prix Nobel et des Médailles Fields n’est assurément pas au CNRS, on sait en revanche très bien où elle se trouve. Elle est dans les grandes écoles scientifiques et, surtout, à l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm. Aucun de ces dix-huit lauréats français qui ne soit ancien élève de l’un ou l’autre de ces établissements. L’ENS se taille, bien sûr, la part du lion avec, dans ses anciens élèves, les trois-quarts des Prix ou Médailles. Polytechnique, l’Ecole des Mines et plus rarement des écoles de réputation plus modeste, comme, pour deux Nobels dont Yves Chauvin, l’Ecole supérieure de chimie de Lyon. Pour les mathématiciens, la voie de l’agrégation de mathématiques est très souvent empruntée, souvent de façon brillante (la plupart y furent "caciques").
 Certains sont de véritables phénomènes académiques comme J.C. Yoccoz, reçu premier à l’ENS et à Polytechnique, avant de l’être, un peu plus tard, à l’agrégation de mathématiques. La seule exception est un étranger arrivé enfant en France, dans des conditions difficiles. Il s’agit d’A. Grothendieck. né à Berlin d’un père juif victime du nazisme ; il fréquentera néanmoins, sans y être élève, l’ENS grâce à Henri Cartan qui remarque son génie mathématique et lui ouvre ses séminaires.

.Ces faits illustrent en outre un point capital que j’ai déjà abordé. Aucun de ces grands savants n’est issu, au départ, des universités scientifiques françaises ; elles coûtent très cher et ne servent pas à grand chose, en particulier dasn le premier cycle, puisque tous les meilleurs esprits scientifiques en sont, a priori, écartés par la structure même du système éducatif de la France. En revanche, par la force des choses, tous ont dû  s’inscrire à l’université pour soutenir leurs thèses.

Quant au CNRS, ils sont assez nombreux à y faire de brèves incursions, surtout en début de carrière car il faut bien vivre, mais bien des signes indiquent qu’ils n’y sont pas spécialement reconnus. Aucun d’entre eux ou presque n’y reste longtemps, attirés qu’ils sont par des lieux, plus exigeants mais plus stimulants, comme l’ENS (où plusieurs reviennent comme professeurs) ou le Collège de France, dans lesquels la recherche peut s’accompagner d’un enseignement de haut niveau."
R. Chaudenson, CNRS : le Jurassic Park de la science stalinienne, (Paris, l'Harmattan, 2003)

dimanche 18 mai 2014

Deux centième ! De Kerviel au Qatar !


Pour mon deux centième billet dans ce blog, j’espérais un sujet un peu plus brillant et intéressant ! Hélas il faut faire avec la maigreur de l’information en ce dimanche de printemps.
Bien sûr, je pourrais, une fois de plus, me moquer de nos médias qui se sont encore surpassés en cette matinée où j'ai entendu, sur France Info, à huit heures quarante cinq, une speakerine mal réveillée nous informer que la prochaine finale du Championnat de France de rugby se déroulera dimanche prochain à Cardiff. On nous a ensuite précisé que les « côtes » de je ne sais quoi (qui étaient, en fait, bien entendu, des « cotes » !) étaient en hausse (ou en baisse je ne sais plus). Bref la concentration des âneries et des fautes de français est telle dans nos médias que j'ai depuis longtemps renoncé à les relever.

La grande nouvelle du jour est que Monsieur Kerviel (dont le prénom n’est pourtant pas Léonardo), après avoir rencontré le Pape veut être reçu par le Président (qui serait prêt à le grâcier ce que refuse Leonardo Kerviel ! ). Prétendant regagner Paris à pied par Fréjus depuis Rome (nouvelle mode de revendication !) ; il s'est par prudence arrêté à la frontière de peur de se retrouver sur la paille humide (même à Fréjus!) des cachots. A-t-il enfin trouvé un avocat rusé où s'est-il enfin adjoint un spécialiste de la communication ?  Toujours est-il qu'il arrive à prendre la main sur son affaire qui s'est pourtant déjà bien arrangée puisqu'on a passé l'éponge sur les 5 milliards d'amende qui lui avait été infligés. Il s'est même trouvé un curé poitevin assez naïf pour se déclarer tout prêt à reprendre sa marche depuis Fréjus au cas où il serait incarcéré. Qui cherche donc à faire le « buzz », de Kerviel ou du curé ? Je n'en sais rien et à vrai dire cela ne me préoccupe guère.

Reste en cette période d'étiage informationnel, la réunion de Paris sur l'affaire de Boko Haram dont on ne sait même pas établir l’origine exacte de la dénomonation. Là encore les informations comme leur traitement sont, si j’ose je dire à mourir de rire comme le prouve  l'affaire des 200 écolières nigérianes. Cette nouvelle est restée près d’un mois sous le boisseau, sans que personne n'en parle. Il a fallu que Michele Obama pour relancer une popularité en  berne (suivie chez nous par V. Trierweiler pour des raisons analogues) et rallumer un peu aux USA la flamme de la lutte anti-terroriste) reprenne l’initiative d’une autre, en brandissant sa pancarte « Bring back our girls » pour que les médias américains et les nôtres, à la suite comme toujours, se saisissent de l’affaire.

En revanche, l'assassinat dans leur dortoir d'une cinquantaine de lycéens nigérians en février 2014 n'avait guère fait de bruit. Il est vrai que dans un pays, où depuis la dictature de Sani Abacha, dont le président Jonathan Goodluck est un admirateur, les assassinats collectifs et les atrocités les plus folles ont été le quotidien du Nord du Nigéria. En Afrique, Lagos est, depuis longtemps, la seule grande ville où l’on vous recommandait, lorsque vous étiez en voiture, de ne surtout pas vous arrêter quel que soit le nombre de cadavres que vous croisiez dans la rue durant votre parcours !

La dernière blague sur cette affaire est la réunion de Paris par laquelle notre président, à la demande de Goodluck paraît-il,  essaye de regagner quelques points dans les sondages sans trop se mouiller. Il est bien clair que les intentions manifestées par les chefs d'Etats africains réunis pour cette session ne seront en rien suivies d'effet. Comme dit, en créole de l’océan Indien, la sagesse populaire locale : « Paroles de noir, coup de pète ( « pet ») de chien  » (Je précise pour le CRAN que c'est là un proverbe bien connu dans cette région et nullement une affirmation dont je prendrai la responsabilité !).
Il y a eu au Nigéria, dans le nord essentiellement bien sûr où règne plus ou moins la charia, entre les massacres de Boko Haram et les représailles gouvernementales par bombardements, des dizaines de milliers sinon des centaines de milliers de victimes.

On ne doit toutefois pas oublier, dans une perspective plus large, comme je ne cesse de répéter depuis 20 ans, que l'erreur majeure a été de ne pas soutenir l'activité et l'enseignement des medersas africaines caractérisés par un Islam spécifique modéré et de laisser, peu à peu, les Emirats et le wahabisme prendre le relais de l’école islamique locale à coups de milliards pour former, dans leurs propres écoles puis dans leurs propres universités, les nouvelles élites musulmanes de l'Afrique !
Il suffit d'ailleurs de se souvenir sur ce point que le fondateur de Bolo Haram est Mohamed Yousouf qui avait été lui-même formé en Arabie Saoudite. On serait tenté de faire la même hypothèse  à propos de Boubacar Shekau, qu’on nous a montré à la télévision, si un tel individu était susceptible de recevoir où que ce soit quelque enseignement que ce soit. Il n'empêche que l'Islam réellement africain, tout différent, n’a et ne cesse cessé de reculer et que nous payons et nous continuerons à payer toutes les conséquences de notre erreur.

Pour finir sur une note plus optimiste (quoique … !) j'ai entendu ce matin que le patron qatari du PSG déclarait se foutre comme de son premier keffieh de l'amende de 60 millions que prétend lui infliger la Fédération internationale de football pour non respect des règles ; il continuera à dépenser ce qu'il veut pour acheter autant de joueurs qu'il veut au prix qu’il veut pour gagner enfin la coupe d'Europe des clubs ! Je suis très étonné qu’il n’ait pas songé à l’acheter. Ce serait tellement plus simple !

vendredi 16 mai 2014

Écotaxe, écoredevance ou éco-redevance ?


Le 19 novembre 2013 a été mise en place, à l’Assemblée nationale par la Conférence des présidents, une mission d'information sur « l'écotaxe » poids lourds qui fut à l'origine d'un certain nombre de troubles l'ordre public, dont les plus notables ont été la destruction des portiques par les « bonnets rouges » bretons.

Cette affaire a peu à peu conduit à découvrir son étrange organisation et surtout cette mystérieuse société internationale Écomouv (derrière laquelle était entre autres le groupe italien Benetton) qui s’était vue attribuer ce marché et surtout offrir des conditions léonines, dignes de nos anciens fermiers généraux, pour la perception de ces écotaxes. Ils bénéficiaient sur ces recettes d’un pourcentage de près de 20 %, ce qui était jugé, par tous les experts, tout à fait exorbitant. Un voile pudique a été désormais jeté sur cette affaire. Comme souvent, on a préféré tout reprendre en créant, comme on dit aujourd'hui, un « think tank » constitué par une « mission d'information ». Cette commission s'est donnée pour rapporteur-président (le cumul de ces fonctions s’explique par le refus de l’UMP d’assumer la fonction présidentielle) le 4 décembre 2013, le député PS Monsieur Jean-Paul Chanteguet, dont le patronyme est, en lui-même, tout un programme optimiste sur les résultats des travaux de cette commission !

J'ai essayé de me renseigner quelque peu sur le fonctionnement  des commissions parlementaires et en particulier sur leur coût (essentiel en ce moment et, comme on va le voir, vu leurs résultats !) ; c'est un point que tous les documents que j'ai pu consulter jugent sans doute inconvenant et ne mentionnent même pas, puisque je n'ai rien trouvé à ce sujet, même si on peut  par ailleurs trouver une infinité de renseignements de tous ordres sur le fonctionnement de ces commissions. Je crois néanmoins que ces instances doivent disposer d’un budget conséquent, puisque non seulement elles peuvent procéder, des mois durant, à toutes les auditions qu'elles souhaitent, mais qu'elles sont même en mesure de se déplacer où elles le désirent, en France comme à l'étranger.
Bref, comme d'habitude, quand on aime on ne compte pas ! Si l’on ne sait pas le coût de cette mission, on est en revanche informé dans le plus grand détail sur les auditions auxquelles elle a procédé, dont un certain nombre ont d'ailleurs été ouvertes à la presse, les autres ne l’étant pas sans qu’on voie bien pourquoi.

J'observe à lire ce calendrier des auditions que l'une des dernières, sans doute la principale, (audition qui n'était pas ouverte à la presse !) a été celle de Madame Ségolène Royal, ministre de l'écologie, du développement durable et de l'énergie, qui a été entendue le 30 avril 2014 à 11h30. Je reviendrai sur ce point.

Le rapport de la mission d'information sur « l’écotaxe poids lourds », numéro 1937, a été déposé le 14 mai 2014 par Monsieur Jean-Paul Chanteguet. Je vous épargne le détail des treize mesures qui permettraient d'aménager un système jugé  "indispensable au développement des infrastructures de transport" (et surtout en raison des contraintes léonines du contrat signé sous Sarkozy !), et dans lequel "l'État est massivement engagé". La principale de ces mesure est, de façon inattendue, d'ordre … lexical.

Suite au constat que l'abandon de l'écotaxe n'est pas « envisageable », on s'est borné à en changer le nom, proposant de la renommer « éco redevance poids lourds » (Il va falloir absolument régler le problème essentiel du trait d’union !). La commission juge que, de cette façon on « légitime le dispositif » en lui donnant enfin « une dénomination conforme à ses fondements » ( Sens SVP ? ?? !!! ???). La principale erreur du premier état du projet tient à ce mauvais choix lexical. L’absence de problème en Italie ou en Allemagne s’explique de toute évidence par ce détail, en revanche capital chez nous !

Le raisonnement paraît un peu étrange mais ce changement lexical, sur lequel insiste beaucoup le texte du rapport, est le principal argument. C’est le seul en tout cas qui a fait l’unanimité et n’a pas donné lieu, semble-t-il, à des affrontements assez vifs entre la commission et son président-rapporteur et Madame Royal qui avait suggéré, pour le reste, d'autres solutions, dont la contribution des sociétés autoroutières et la possibilité de taxer les camions étrangers traversant le territoire français.

Les réactions de Monsieur Jean-Paul Chanteguet ont été très vives sur ces points ; elles peuvent se résumer dans l’une de ses très rudes formules « Le sentiment que j'ai eu est que Madame la ministre ne connaissait pas le dossier et ignorait la réglementation européenne ». Bigre ! Bonjour l'ambiance ! Mieux valait en effet ne pas inviter la presse pour la clôture !

La querelle ne s'est pas interrompue pour autant, puisque si la mission et son président-rapporteur partent du principe que « l'éco redevance » va être appliquée, Ségolène Royal demeure d'un avis contraire, comme elle l'a encore déclaré dans sa récente et tonitruante interview à Paris-Match.
Somme toute, les six mois de réflexion de la commission ont accouché d'une souris lexicale ; on serait tenté de conclure « comme souvent » ; toutefois puisque c’est aujourd’hui la « journée de l’optimisme », considérons que ce « think tank » n’est qu’un « thin tank » dont la minceur même fait que le contenu ne peut être que modeste !

mercredi 14 mai 2014

Justice Juive

On sait depuis Salomon et son fameux jugement que la justice juive aussi juste qu’efficace, ce qui est fort loin d’être le cas en tout lieu. On vient d'en avoir une nouvelle preuve avec l’affaire Ehud Olmert dont nos médias n’ont guère parlé.

Homme politique majeur en Israël, récent ancien Premier Ministre, Ehud Olmert vient en effet d'être condamné à six ans de prison pour corruption et pour avoir reçu, il y a quelques années dans une obscure affaire immobilière, 120 000 €. Aux six ans de prison auxquels il a été condamné, s’est ajoutée une amende de 210 000 €.  Ces choses là sont rudes ! En outre, l’énoncé de la sentence a été retransmis par toutes les radios du pays ; on a entendu le juge déclarer : « Il avait le poste le plus central et le plus important et il a fini condamné pour les crimes les plus méprisables ! » ajoutant même « Un responsable public qui accepte des pots-de-vin est comparable à un traître ».

Quel pays ! Verrait-on pareil procès et surtout  pareil jugement  chez nous, ce qui ne prouve hélas en rien que certains de nos hommes politiques ne sont pas susceptibles de tels actes délictueux ! Cela me rappelle ce pauvre Président Jules Grévy, contraint à la démission en 1887, par la fameuse affaire des décorations. Son gendre Daniel Wilson, député d’Indre et Loire, vendait, en effet, les décorations (la légion d’honneur se négociant entre 25.000 et 100.000 francs, en général dans des maisons closes !). On en fit alors une chanson demeurée célèbre (« Ah ! Quel malheur d’avoir un gendre ! ) ; en revanche, Wilson, protégé (déjà !) par son immunité parlementaire, ne fut guère inquiété mais surtout (et c’est là que je veux en venir) se fit réélire député deux fois dans la suite!

Pour en revenir à Ehud Olmert qui, pour son malheur est israëlien, la carrière et la politique du personnage n'est pourtant pas, sans intérêt. Olmert avait été maire de Jérusalem de 1993 à 2003 avant d'être Premier Ministre de 2006 à 2009.  On voit par là l'importance du personnage que les débuts de cette affaire ont pourtant fragilisé dès 2008 et conduit à renoncer à se présenter alors aux primaires du parti Kadima qu’il avait créé en 2005.

Vice-Premier Ministre et ministre des Finances du gouvernement de Sharon, après un bref interim, il avait succédé , comme Premier Ministre, au bouillant Ariel frappé par un AVC. Le point le plus remarquable, assez inattendu pour un ancien du Likoud, a été sa conviction intime, acquise peu à peu, qu'on pouvait aboutir à une solution négociée dans le conflit israélo-palestinien. Entre 2006 et 2008, Olmert avait mené des négociations avec Mahmoud Abbas. Son projet était de voir Israël se retirer de la plus grande partie des territoires palestiniens, tout en gardant sous son contrôle, sous une forme ou sous une autre, les colonies de Cisjordanie. On sait maintenant, par des sources américaines, qu’Olmert avait secrètement proposé aussi, en mai 2008, de restituer la plus grande partie de la Cisjordanie aux Palestiniens contre des échanges de territoires et surtout un partage de Jérusalem qui serait devenue la capitale des deux Etats.

Tout cela a malheureusement échoué, comme bien d'autres tentatives en ce sens. Il ne reste donc pas grand-chose de la vie politique d’Olmert, sinon sa fin qui, si elle n'est pas très glorieuse pour un ancien Premier Ministre, force l'admiration pour Israël sur le plan de la justice comme de la démocratie.

lundi 12 mai 2014

Esclavage et réparations : Taubira "Chassez le naturel..."

J’émettais hier l’hypothèse que Chirac qui avait choisi  le 10 mai comme date de célébration de l’abolition de l’esclavage pour faire une niche posthume  à Tonton n’avait pas prévu qu’une ex-indépendantiste, ayant même porté cette loi funeste qui porte son nom, serait un jour Garde des Sceaux et, comme telle, au centre même de la cérémonie de célébration, entre le Président et Fabius, le premier des ministres dans l’ordre protocolaire! Je dois dire que dans ma revue de presse personnelle pour vérifier les faits, j’ai vu au moins trois videos différentes de cette même cérémonie dont deux avec le Premier Ministre et une sans lui ! A mourir de rire ! Une fois de plus nos médias sont à la hauteur ! C. Taubira a-t-elle eu une bouffée d’indépendantiste, vu les circonstances ? Elle a en tout cas, davantage créé le buzz, en évoquant à propos de sa réserve vocale un refus de se mêler à un « karaoké d’estrade » ! Faut-il penser que, par une ruse ultramarine, elle a volontairement créé le buzz pour éviter qu’on ne reparle, à l’occasion de cette célébration, d’un sujet qui lui avait causé quelques ennuis il y a exactement un an, à propos des « réparations » que certains de ses anciens amis politiques ne manqueraient sans doute pas de réclamer à nouveau. J’ai donc relu, dans cette perspective mon blog de mai 2013 sur le sujet et ai jugé opportun de le republier ici.

 "J'aurais volontiers conseillé la prudence à Madame Taubira ! Celle-ci, dans cette affaire, prône une "politique foncière" pour les descendants d'esclaves. Evoquant les discriminations et le racisme qui sont "les survivances de cette violence", la Ministre de la justice affirme que "nous sommes tous comptables des injustices qui s'entretiennent et se reproduisent, parce qu'elles sont enracinées dans cette période d'esclavage et de colonisation", dans un entretien au JDD (à paraître ; cité dans Atlantico 12/5/13).

La Garde des Sceaux évoque la "confiscation des terres" qui " fait que, d'une façon générale, les descendants d'esclaves n'ont guère accès au foncier". Elle poursuit : "Il faudrait donc envisager, sans ouvrir de guerre civile, des remembrements fonciers, des politiques foncières. Il y a des choses à mettre en place sans expropriation, en expliquant très clairement quel est le sens d'une action publique qui consisterait à acheter des terres". "En Guyane, l'État avait accaparé le foncier, donc là, c'est plus facile. Aux Antilles, c'est surtout les descendants des maîtres qui ont conservé les terres donc cela reste plus délicat à mettre en oeuvre".

Sous la réserve que ces propos soient bien ceux de la Garde des sceaux, ma première remarque concerne la phrase suivante : "La confiscation des terres fait que, d'une façon générale, les descendants d'esclaves n'ont guère accès au foncier". Que signifie l'expression "la confiscation des terres" ; terres confisquées à qui, par qui et au profit de qui ? La structure même de la phrase donne à penser qu'il s'agit des terres des esclaves qui, par définition même n'en avait pas ! Quant à la formule qui suit ( " d'une façon générale, les descendants d'esclaves n'ont guère accès au foncier"), elle est évidemment fausse car certains d'entre eux, comme on dit ailleurs, ont "du foin dans leur bottes", comme ce député réunionnais qui a, par l'importance de ses revenus et de son patrimoine, défrayé récemment la chronique métropolitaine.

Le cas d'Haïti, à la période de l’indépendance et dans les décennies qui la suivent immédiatement, est à cet égard intéressant et significatif ; on pouvait, en effet, s'y attendre à une "révolution foncière" et à une distribution aux esclaves libérés des terres devenues disponibles par la mort ou le départ de leurs propriétaires blancs. N'étant pas historien moi-même, je me range sur ces aspects aux côtés d’André-Marcel d’Ans, dont je partage la plupart des points de vue qu’il a exprimés avec talent dans son remarquable ouvrage de 1987, Haïti. Paysage et société, qui, à mon sens, demeure la référence majeure. Selon cet auteur, on n’assiste alors nullement, dans le pays, à la révolution sociale et en particulier agraire qu’on aurait pu imaginer après la fin de la colonisation française. Ainsi le système plantationnaire, où les Mulâtres (souvent des affranchis donc d'anciens esclaves) ont déjà une large place sociale dès la fin de la période française, puisqu’ils possèdent alors une bonne partie des terres, dans le Sud surtout ; le système est donc maintenu, naturellement à leur profit, par les nouveaux maîtres du pays qui sont portant tous d'anciens esclaves ou leurs descendants. Toussaint Louverture lui-même, en 1801, prend un décret sur les transactions foncières qui vise à empêcher l’émergence de propriétés petites ou moyennes, de surface inférieure à 50 carreaux (D’Ans, op.cit., 1987 : 179). Il en résulte donc une marginalisation des Noirs, anciens esclaves désormais libres, quand ils ne s’intègrent pas dans un système qu’A.-M. d’Ans n’hésite pas à qualifier de « néo-esclavagiste » et qui  est maintenu au bénéfice des généraux noirs dans le Nord comme à celui des Mulâtres dans le Sud. Il y a là les premiers signes de la lutte entre Noirs et Mulâtres qui va marquer, tout au long, l’histoire d’Haïti et qui fonde la scission qui, à la suite de l’assassinat de Dessalines par les anciens affranchis, s’opère en octobre 1806, entre le Royaume du Nord d’Henry Christophe qui s’appuie sur les « planteurs militaires » noirs et le Sud tenu par Alexandre Pétion, réputé plus libéral, où dominent les Mulâtres. Le problème majeur est toutefois, d’abord et surtout, économique. Non seulement la production agro-industrielle de sucre s’est fortement réduite, mais les événements de Saint-Domingue ont, de ce fait même, ouvert le marché sucrier à de nouveaux concurrents, en particulier la Jamaïque et Cuba qui doublent voire triplent leur production, au moment même où en Europe le sucre de betterave prend une place de plus en plus grande. Les morts de Pétion et de Christophe permettent, pour une vingtaine d’années (1821-1843), l’arrivée au pouvoir de Jean-Pierre Boyer, ancien officier mulâtre comme Pétion. Boyer va non seulement réunifier le pays, mais « envoyer les invétérés traîneurs de sabre de la noblesse christophienne reconquérir la partie orientale –anciennement espagnole – de l’île, où d’ailleurs ces officiers et leurs soudards, firent tout ce qu’il fallait pour rendre le nom d’haïtien définitivement odieux pour les Dominicains » (D’Ans, op.cit., 1987 : 190). C’est aussi Boyer qui, comme je l'ai déjà montré, négociera avec la France le paiement des 150 millions de francs or (finalement devenus 90) destinés, en principe, à indemniser les colons français que l’indépendance du pays avait dépossédés. Certains historiens haïtiens, sans toujours bien connaître les conditions et les modalités de cet accord comme de cette négociation, ont fait reproche à Boyer d’avoir signé ce traité, condition indispensable à la reconnaissance et à la sécurité du nouvel Etat. J'ai déjà évoqué cette question et je n'y reviens donc pas. La mauvaise situation d'Haïti tient donc moins à l'indemnité payée à la France (même si elle n'a en rien arrangé les choses!) qu'à la ruine, déjà consommée, de l'économie agro-sucrière.

Madame Taubira ne connaît assurément pas l'histoire sociale et économique d'Haïti ; on ne peut trop lui en faire grief ! En revanche, elle rêve, quand elle déclare à propos des Antilles françaises : "Il y a des choses à mettre en place sans expropriation, en expliquant très clairement quel est le sens d'une action publique qui consisterait à acheter des terres [...]. En Guyane, l'État avait accaparé le foncier, donc là, c'est plus facile. Aux Antilles, c'est surtout les descendants des maîtres qui ont conservé les terres donc cela reste plus délicat à mettre en oeuvre".

Une telle opération serait sans doute "délicate", mais elle est surtout sans la moindre logique historique et sociale (sauf dans le cadre d'une vraie "révolution agraire"...un peu tardive et peu probable !) ; elle serait en outre et surtout follement coûteuse vu le prix des terrains dans ces départements ultramarins ; rien ne prouve d'ailleurs que les descendants d'esclaves (sans même parler des Domiens de métropole) aient le moindre goût pour la culture de la banane ou de la canne à sucre, ce qui conduirait peut-être à faire venir, sous une forme ou une autre, de nouveaux esclaves !"