« Sur l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche en France ». Réponses et commentaires à propos de l'article de Matematika dans Mediapart du 20 mai 2014. (N° 1)
Votre article, cité ici en référence, mérite de ma part une réponse d'autant plus étendue et précise que, contrairement à ce qu'on pourrait penser au premier abord, nos points de vue ne sont pas si éloignés l'un de l'autre, car mon livre sur le CNRS s’éclaire dans un autre, exactement contemporain que j’ai publié chez le même éditeur en 2013 et qui s’intitule « Université : l'impossible réforme. Edgar, Valérie, Geneviève et les autres » (Paris, l'Harmattan). Nous n'avons donc pas eu à échanger des injures, comme le font certains commentateurs dont un certain Monsieur Spin, qui est probablement du CNRS, ce dont on pourrait douter à voir sa pratique de l'orthographe et de la syntaxe du français ; fort heureusement, son blog est totalement vide !
Le titre de mon livre, CNRS : le Jurassic Park de la science stalinienne, tout en étant évidemment quelque peu provocateur, correspond à une réalité historique et structurelle que l'histoire officielle du CNRS (car il y en a une, ce qui confirme la pertinence de ma formule, s’il en est besoin) tente de gazer ou même de dissimuler. Les « pères fondateurs » du CNRS, grands et légitimes admirateurs de l’URSS, ont en effet emprunté le modèle soviétique qui avec le temps s’est sclérosé encore davantage dans une syndicalocratie que nul ne peut contester. Il suffit pour s'en convaincre d'examiner à la fois le mode d'élection des Commissions de sections (en dépit des prétendus changements qu'on y a apportés) comme leur composition, où l’on s'étonne toujours de ne pas trouver les principaux noms de la discipline en cause qui, à n’en pas douter, ont sans doute autre chose à faire.
Cela me conduit à apporter une première nuance à l'analyse générale que vous faites de la recherche et des évolutions récentes du CNRS comme de l’université. Vous faites observer, à juste titre, que les entreprises françaises ont moins de ressources que les allemandes par exemple, en raison de la différence dans le taux des « charges sociales » qui pèsent sur elles (64,7 % France et 49,4 % en Allemagne). Sur ce point précis, le politiquement correct hollandais impose désormais de ne plus dire « charges » mais « cotisations » sociales, ce qui n’en change certes pas le taux mais donne une connotation bien différente, le nom étant plus facile à changer que le taux !
Pour ce qui est de l’investissement privé dans la recherche, j’entendais l'autre jour M. Gattaz du Medef parler des « marges » des entreprises ; il était question des salaires des dirigeants et des dividendes des actionnaires, mais il n'a pas pris la peine d’évoquer les investissements dans le domaine de la recherche qui ne le préoccupe guère. J'ai fait exactement la même remarque en écoutant Mme Parisot, l’ancienne présidente de ce même MEDEF. La recherche universitaire donne un fâcheux et illustre exemple quand le Président de la Conférence des Présidents des universités française J-L Salzmann, vigilant lecteur de votre texte, vend sans vergogne à une grosse société américaine, Avax Technologies, la « start up » que les moyens étatiques de la recherche française l’ont aidé à développer (cf, la thèse de M. Rémondet).
Pourquoi ne pas raisonner ainsi après tout puisque, comme dans l'Union soviétique d'antan, la recherche est prise en charge de la façon la plus large par l'État qui possède huit « établissements publics scientifiques et techniques » (EPST) dans le principal, pour le domaine en cause est le CNRS avec ses 35 000 employés et ses 3 milliards de crédits annuels ?
Permettez-moi ici de citer une expérience personnelle, du moins dans mon domaine des sciences humaines et sociales. A l'époque où le CNRS était encore Quai Anatole France, j'ai fait scandale (Serait-ce chez moi une habitude ?), lors d'une réunion des directeurs d'équipes, en demandant si on allait enfin se décider à prendre en compte dans les attributions de crédit, ce que j'avais appelé, déjà un peu par provocation, la « valeur ajoutée » par l’équipe elle-même. Je désignais ainsi ce qu'une équipe de recherches pouvait trouver (souvent non sans mal comme vous le notez) en crédits de fonctionnement ou de recherche en dehors de l'attribution des moyens qui lui était faite annuellement par le CNRS. J'illustrais en général ce propos en disant que pour ma formation, une des plus modestes de la section car aussi une des plus récentes, ce crédit annuel payait en gros le téléphone et le courrier. Disons que pour 1 franc que je nous recevions annuellement du CNRS, je m'arrangeais pour en trouver 10 autres à l'extérieur. En revanche, les vieilles et grosses formations ne trouvaient au mieux par leurs propres moyens (dans les rares cas où elles en cherchaient) que le centième des crédits qu'elles recevaient du CNRS. Pour ma discipline et à cette époque, j'illustrais cette vérité par le cas précis et chiffré de l’énorme LACITO parisien, longtemps dirigé par J. Thomas, présidente de la Commission !
Vous écrivez dans le début de votre article : « À partir de 2004 on s'était effectivement rendu compte que les entreprises françaises, handicapées par un euro inadapté à notre économie, ne pouvaient plus faire assez de recherche et d'innovation. La direction de l'UMP (puis du PS) avait alors décidé de réorganiser complètement l'enseignement supérieur et la recherche pour qu’ils suppléent à la recherche privée défaillante. ».
Faut-il que je précise que je suis en désaccord avec cette chronologie comme avec cette analyse ? Je pense même que vous l’êtes vous-même aussi, quoique en partie et de façon latente, à lire la suite de votre article qui démontre qu'à l'évidence, vous ne croyez guère à cette hypothèse pour expliquer la naissance et la forme de la loi dite LRU de 2007 et fort improprement intitulée « loi relative aux libertés et responsabilités des universités ». Tout le monde s’accorde à reconnaître aujourd'hui combien cette loi est néfaste pour les universités et leur personnel. Ce qui m'étonne et même me stupéfie dans cette affaire est que vous-même et tant de gens aient mis sept ans à se rendre compte de la véritable nature et des objectifs de la loi Pécresse-Fioraso !
Je m'amuse d'ailleurs de voir que, dans les commentateurs de votre texte, se trouve Monsieur Jean-Loup Salzmann, encore lui, président actuel de la CPU qui, semble-t-il, n'a pas été un adversaire très actif et très résolu de la loi Pécresse dont il a plus que quiconque bénéficié. Grâce à cette loi, il a été élu et réélu à Paris XIII en 2008 et 2012 puis à la CPU. Il en est à son deuxième mandat présidentiel alors que la possibilité de faire deux mandats était une des principales dispositions (sinon la principale disposition) de la loi de Valerie Pécresse, du moins aux yeux des présidents d'université que Madame Pécresse a eu la grande habileté (de son fait ou inspirée par Monsieur Coulhon !) de placer au centre de sa réforme avec une mainmise quasi totale sur les nouvelles nominations en université, toutes majeures et explicites revendications de la CPU.
Le seul mérite que je revendique (ou en tout cas le principal) est avoir, dès l'abord, dénoncé les perversités de la LRU de V.Pécresse qui s’est acheté à peu de frais les présidents d’université ; on peut très facilement le vérifier par la lecture de mon autre petit livre Université : l'impossible réforme. Edgar, Valérie, Geneviève et les autres où les dates de mes textes sont aisément vérifiables.
À suivre.
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