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lundi 16 juin 2014

Lettre ouverte à mon commentateur Expat

16/06/2014


Cher Expat
Comment vous dire le plaisir que j'ai eu à retrouver les commentaires et les débats, éclairés mesurés et informés, du Blog des internautes du Nouvel Obs.com après les vitupérations et les invectives qui sont trop souvent l'ordinaire de Mediapart quand Anastasie n'y a pas porté ses ciseaux vigilants ? Vous m'avez adressé plusieurs commentaires ; tous sont intéressants sur des plans divers ; les uns, sur le sujet général que j'avais traité (« les experts !? ») ; les d'autres, plus personnels, sur lesquels je me montrerai plus discret tout en vous répondant néanmoins.
Réglons d'abord le problème des « experts », militaires en particulier,  car votre contribution est décisive sur ce point (je précise, pour éclairer le lecteur, que vous êtes vous-même un ancien militaire de grade élevé, sans en dire plus pour ne pas trahir votre anonymat) ; vous nous apportez en effet une  information, décisive à mes yeux, sur le cas de Pierre Servent qui occupe abusivement nos écrans en tant que spécialiste universel de tout ce qui peut avoir un rapport très lointain avec la chose militaire et la géostratégie. Je me bornerai ici à vous citer :
« 15 juin 2014
Mon cher Usbek [C’est là mon pseudo dans certains de mes blogs intitulés « Nouvelles persaneries »],

je ne voudrais pas vous décevoir, mais Pierre Servent n'a jamais été militaire d'active. Il a juste un grade dans la réserve qu'il a acquis je ne sais trop comment, mais pas en tant qu'officier d'active retraité.
Les militaires qui ont une expertise à vendre vous aurez davantage de chances de les rencontrer dans des officines comme Geos que sur les plateaux télé. D'ailleurs ça paie beaucoup mieux.
Servent est d'abord un journaliste qui a ses entrées au ministère, et qu'on peut donc soupçonner de porter une certaine parole.
C'est un peu un Merchet ou un Guisnel qui se servirait d'un grade dans le réserve pour s'autoproclamer expert dans les questions de défense et en géostratégie. Les deux autres restent à un niveau bien plus crédible. »
Dois-je vous redire, cher Expat,  le plaisir, à vrai dire un peu sadique, que j'ai pris à voir enfin démasqué ce personnage qui encombre sans cesse de sa suffisance pseudo-guerrière nos écrans et nos micros. Encore merci de cette information !

Je dois dire, et là j'exprime des points de vue plus personnels, que je me suis amusé à nouveau, comme il m’arrivait de le faire autrefois lorsque nous échangions, plus fréquemment, sur le blog du Nouvel Observateur, à vous titiller (car curieusement j’ai alors, contre tout bon sens et Dieu seul sait pourquoi, pensé à vous !) par quelques pointes sur la chose militaire à laquelle je vous sais, fort légitimement et fort honorablement d'ailleurs, attaché par votre passé.

C'est là le point qui nous sépare, car sans être un vrai antimilitariste, quelque diable me pousse néanmoins de ce côté, quoique ou parce qu’étant « deuxième classe de réserve de l'infanterie de marine » où je n'ai pas réussi à pousser jusqu'à la première classe !) Du moins un peu rétif à la chose militaire, bien antérieurement d'ailleurs à l'accomplissement de mon service militaire lui-même. Je dois dire que la fin de la Guerre froide et de l'Union soviétique m’ont renforcé dans la conviction que, contrairement à ce que j'entendais dire par un de nos généraux récemment à la télévision, je ne distingue pas de menace précise  d'envahissement de notre territoire national par quelque puissance que ce soit, même si sont proches de nos frontières Monaco et la principauté d'Andorre !

Ce que je reproche surtout à notre armée est sa gestion et c’est là, je crois, un reproche partagé par nombre de militaires. Comme trop souvent, nous maintenons une structure depuis longtemps dépassée, au lieu d'avoir une force militaire adaptée moins aux menaces éventuelles que surtout aux besoins qui sont ceux de notre pays ou plutôt aux modes d'intervention auquel nous sommes appelés. Nous inventons plus ou moins les drones mais nous n’en avons pas ! Toutes nos interventions récentes montrent aussi que si nous avons des avions remarquables dont personne ne veut (sauf Mr. Dassault !) et des forces qui peuvent intervenir sur le terrain, nous somment totalement incapables de les y transporter faute d'avions gros-porteurs que nous ne fabriquons pas en revanche et que sommes obligés de louer à grands frais aux Américains ou aux Russes.

La force nucléaire, fort coûteuse, a sans doute été utile en son temps et considérée comme telle par le général De Gaulle (que je considère comme le plus grand voire le seul de nos vrais hommes d’Etat du siècle) ; elle est sans doute désormais désuète et dépassée techniquement, car nous sommes probablement hors de mesure de faire dans ce domaine les investissements technologiques et scientifiques qui seraient probablement indispensables si l’on entend la garder !

Je vais citer ici vos commentaires qui s'insèrent dans cette problématique.
«15 juin 2014 16:59
Par ailleurs quand vous parlez de l'influence des militaires sur le pouvoir politique et je cite cette phrase d'anthologie "les militaires s'en foutent pas mal car les Présidents de la République passent, tandis que la Grande Muette et ses intérêts demeurent et prospèrent(dommage que je ne puisse pas souligner ce dernier mot [ je le fais pour vous !]), même sous la Gauche" (j'ai viré Servent car hors sujet), j'ai quand même un peu de mal à vous suivre.
Vous qui fûtes et êtes peut-être toujours un membre éminent de notre système éducatif, ne pensez-vous pas qu'à l'aune de l'évolution des budgets et des effectifs, on pourrait considérer que les membres de l'EN ont davantage d'influence sur les politiques que les militaires.

Par ailleurs quand vous écrivez que les militaires se disputent les opérations, il y aurait tout lieu de s'en réjouir (je mets le conditionnel parce que ce n'est pas toujours vrai) car c'est quand même, il faut du moins l'espérer, le but de leur présence sous l'uniforme. De même qu'on est en droit d'espérer qu'un prof ait envie d'enseigner.".
Vous me mouchez si gentiment que je pense inutile de vous répondre, en particulier sur la question du budget, même si je crois me souvenir que, si il y a 40 ou 50 ans, le traitement d'un agrégé de nos lycées correspondait à peu près à celui d'un colonel de notre armée, mais que les choses ont beaucoup changé depuis et pas dans un sens favorable pour les membres du corps enseignant !
Mais passons et laissons de côté la question du budget au profit de celle de la politique. Je crois que celle qui est conduite dans nos armées n'est par meilleure que celle de la gestion de notre système éducatif ; les résultats le prouvent dans un domaine comme dans l'autre, même s'ils sont fort différents. J'ai écrit sur notre école un petit livre critique que je serais heureux de vous envoyer (il est tout récent puisque paru en 2014) et je pense que vous pourriez tout aussi bien en écrire un de la même veine sur notre armée.
Je vais conclure car je reste attaché au blog comme une forme d'expression brève et là encore je vous donnerai la parole car nos échanges ont été nombreux pour ce week-end de la Fête des Pères :
« 15 juin 2014, 21:58
Je vais vous rapporter ce qu'un des mes amis, officier également, avait l'habitude de dire « Il y a deux types d'antimilitaristes, les civils mais qui ne sont pas dangereux parce qu'ils ne savent pas, et les militaires, bien plus dangereux parce qu'ils savent".
Mais merci quand même de penser à moi quand vous écrivez des vacheries sur l'armée.
 Amitiés.
15 juin 2014 22:13
Au fait j'ai posté une vidéo de Lugan sur l'Afrique qui devrait vous intéresser et qui en tout cas est assez en phase avec vos propos habituels au mois sur le Mali.15 juin 2014, 22:16 »


3 commentaires:

Expat a dit…

Cher Usbek,

Je suis d'accord avec vous quand vous mettez en cause la gestion des armées, voyant davantage sous ce terme un problème de structures que vous jugez inadaptées. Mais sans doute pas pour les mêmes raisons.
J'ai l'impression que vous jugez les structures figées tandis que mon expérience me ferait dire qu'elles sont au contraire trop mouvantes. En une trentaine d'années de carrière j'ai toujours vu l'armée (de terre) en perpétuel changement ballotée entre les contraintes liées aux budgets et aux effectifs (c'est en général dans le même paquet), aux copinages politiques qui parvenaient à placer des régiments loin de où, au regard de leur mission et de leurs moyens, ils auraient dû être implantés, aux choix politiques majeurs (fin de la conscription par exemple), et aux variations de la définition des menaces. Chacun de ces points pourrait être développé longuement, mais en y regardant bien vous verrez que tout vient du politique, même le dernier point mal intitulé puisqu'il faut inclure ce qui est sans doute l'essentiel à savoir les objectifs de la France en matière de politique étrangère.

Pour tenter d'illustrer mon propos je vais tenter en quelques lignes, ça va être difficile, de vous brosser ce qui s'est passé entre la guerre du Golfe quand Mitterrand envoya nos militaires faire de la figuration dans la grande coalition qui avait bien plus valeur de symbole en tant que coalition que d'effets militaires. Je dois avouer que je comprends très bien la position de Chevènement à l'époque même si par ailleurs il est difficile de lui pardonner un abandon de poste au moment crucial.
(à suivre)

Expat a dit…

(Suite)(on est limité ici en nombre de caractères)

Donc en 90 l'armée est encore structurée pour la guerre froide qui vient de s'achever même s'il existe des éléments dédiés à nos interventions en Afrique. La décision, mais qui s'en étonnerait, de ne pas envoyer le contingent dans le Golfe amène à un bricolage assez extraordinaire que bien évidemment ceux qui e sont pas dans l'institution ne peuvent voir, mais qui montre aux militaires une énorme faille (on était à peu près incapables de faire une relève). Le problème devient le service national qui empêche une restructuration en profondeur et oblige encore pendant quelques années à des contorsions et des contournements du règlement pour envoyer des appelés en Yougo par exemple (il suffisait qu'ils signent un contrat de 2 mois dans le cadre d'un service long volontaire et qu'ils veuillent évidemment participer à ces opérations de maintien de la paix. Les volontaires ne manquèrent pas). En fait c'est Chirac qui prend une décision cohérente en supprimant le SN qui permet donc d'opérer une réforme en profondeur des armées et surtout d l'armée de terre qui était la moins professionnalisée. Mais le politique s'arrête aux grandes décisions : budgets, effectif (loi de programmation), définition des objectifs en termes de mission (livre blanc). C'est ensuite aux militaires de mener la réforme dans les détails grands et petits. Pour y avoir participé (on appelait ça la refondation), je peux vous affirmer que le critère central restait l'opérationnel, donc la capacité opérationnelle et la satisfaction des objectifs du livre blanc. Evidemment ça a été pollué par les habitudes prises, surtout les mauvaises, et, dois-je le dire, surtout par des généraux devenus trop nombreux eu égard à la nouvelle donne (mais je pourrais éventuellement expliquer pourquoi le nombre de généraux, 1ère section évidemment, ne diminue jamais ou peu quelles que soient les réformes) qui s'accrochaient à leur pouvoir ou aux signes de celui-ci (je me souviens, parce que c'était mon job avoir fait des propositions qui m'ont valu un violent renvoi da mes buts mais qui néanmoins furent adoptées quelques années plus tard quand les vieilles badernes qui ne voulaient pas en entendre parler finirent par partir.) En fait les lieutenants-colonels et les colonels étaient sans doute les plus aptes à mener une vraie réforme de fond. Enfin finalement la refondation eut lieu et l'armée de terre, 5 ans après la décision de professionnaliser, avait un tout nouveau visage avec en termes d'organisation, sous-tendu par les principes de recentrage sur le métier et de modularité, les structures pour répondre aux objectifs fixés par le politique. Sauf que celui-ci n'a pas tenu les siens en amputant pendant ces 5 années la loi de programmation de 20% de ses moyens avec un impact évidemment amplifié sur le matériel, le reste étant plus difficilement compressible (fonctionnement courant, soldes par exemple).
Cela pour vous montrer qu'en matière de défense on marche sur deux pattes et qu'en l'occurrence c'est bien le politique qui a failli et qui continue. Mais c'est quand même lui qui tient tout. Il pouvait décider de faire un effort pour que l'équipement soit adapté aux missions qu'il a lui-même fixé. Ou alors reformater l'armée en fonction des équipements qu'il voulait bien lui offrir et en même temps reconsidérer les missions. C'est la seconde solution qui a été choisie. C'est son droit. Mais en même temps il doit comprendre qu'on ne fera plus ce qu'on faisait, qu'à la fin de la loi de programmation actuelle il serait impossible à Hollande si le destin s'acharnait sur la France et le reconduisait à son poste, de fêter le plus beau jour de sa vie à Bamako avant d'aller faire un tour à Bangui.

Expat a dit…

(suite et fin)

Bon je vais m'arrêter là car j'ai déjà été trop long. Mais il y aurait beaucoup à dire notamment sur les conditions d'exercice du métier militaire notamment en opération. Rappelons-nous par exemple que le premier militaire mort au Mali était pilote de Gazelle, touché par balle. Or selon les lois de programmation, ça fait belle lurette qu'il aurait dû piloter un Tigre disposant d'un blindage. Pour l'anecdote on a quand même réussi à ouvrir il y a une dizaine d'années l'école de pilotage franco-allemande du Tigre alors même que le premier exemplaire ne serait pas livré avant un an.

(Posté également sur NO)