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lundi 2 juin 2014

Réalité « augmentée » et la réalité arrangée.


N'allez pas confondre la réalité « augmentée » qui nécessite un matériel pesant (des lunettes et autres appareils) avec la réalité arrangée qui n'est qu'une affaire de discours et d'imagination. Un court exemple, des plus récents, valant mieux qu'un long discours, j’illustrerai cette différence par l'affaire de l'arrestation de Mehdi Nemmouche, le meurtrier « présumé » du musée juif de Bruxelles.

Une petite remarque sur les guillemets dont j’ai pourvu le terme « présumé », d'usage obligatoire tant que le présumé coupable n'a pas été jugé et condamné ; ils me paraissent ici un peu superflus, puisque non seulement on a retrouvé dans ses bagages ou sur lui  les armes du crime, mais qu'il avait pris soin de prendre des photos,  faute d'avoir pu filmer la scène elle-même et qu'il y a même ajouté semble-t-il des documents revendiquant cette attentat.

Mais revenons à notre réalité augmentée ou arrangée ?

Dimanche notre Président de la République, en voyage en Normandie, a fait, sur le terrain, une déclaration fracassante pour annoncer  "l'arrestation du tireur présumé" et surtout souligner qu'il avait été interpellé et arrêté  "dès qu'il a mis le premier pied en France".  

Mehdi Nemmouche a été arrêté à la gare Saint-Charles à Marseille, dans la mesure où les véhicules venant de Hollande (Pardon – pas de mauvais jeux de mots -  … des Pays-Bas puisqu'il s'agissait d'une liaison Rotterdam-Marseille), sont  systématiquement fouillés et contrôlés, en raison de l'important trafic de cannabis et plus généralement de drogue avec les Pays-Bas.

La déclaration très rapide du Président sur cette affaire visait bien entendu à souligner la vigilance et l’efficacité de nos services de police et de lutte antiterroriste ; elle donnait à penser que nos services étaient déjà sur la piste de l'assassin et qu'ils s'étaient postés, au terme d’une filature de l'autocar Bruxelles-Marseille pour cueillir le suspect à sa descente du véhicule. Il n’y donc pas là une petite erreur de détail comme le lapsus présidentiel de sa conférence de presse précédente, au lendemain des élections (usage de l'adjectif « européen » en lieu et place de son contraire « antieuropéen » sur lequel notre presse, sans doute distraite, ne s'est pas attardée !). Il s'agissait, en la circonstance, de faire flèche de tout bois et d'essayer de remonter, si peu que ce soit, la pente des sondages, en démontrant fût-ce à tort, l'efficacité d'un service.

Depuis, sans que l'on revienne beaucoup sur la déclaration liminaire de notre président, la presse a donné le détail de l'affaire pour souligner le caractère, en réalité  purement fortuit, de l'arrestation de Mohamed Nemmouche. Je n'avais moi-même nullement l'intention de revenir sur ce détail, mais comme toujours l'occasion a fait le larron ; le déclencheur a été deux  déclarations que j'ai entendues ce matin même sur une de nos « radios bignoles », faites l’une par le ministre de l’intérieur, l’autre par un voyageur du car, témoin oculaire du voyage et de l'arrestation qu'il a narrés dans le détail.
Monsieur Cazeneuve, notre ministre de l'intérieur, a repris dans leur détail les termes de F. Hollande, déclarant que l'assassin, pardon le « présumé » assassin, avait été arrêté "dès qu'il a mis le premier pied en France". À moins que les limites de la France aient été brutalement transportées jusqu'à Marseille, le « présumé » coupable a été arrêté une bonne douzaine d'heures après son entrée sur le territoire français, puisque le témoin du voyage et de l'arrestation a précisé ce matin que la durée du voyage avait été d'une quinzaine d'heures (ce qui n'a rien d'étonnant pour le trajet Bruxelles-Marseille en car). Il a surtout confirmé que le témoin avait été arrêté tout à fait par hasard, puisqu'en fait c'est le sac qu'il avait avec lui et dont il ne s'était pas séparé durant tout le voyage (y compris pendant les arrêts et les descentes du bus indispensables) qui a attiré l'attention des policiers dans la mesure ce sac de sport contenait … une kalashnikov. C’est ce menu détail  qui a attiré l'attention sur un voyageur dont la police ne se préoccupait en aucune façon. Les policiers ayant demandé à qui était ce sac ; M. Nemmouche s’est signalé et comme il portait aussi sur lui un revolver, il a été alors arrêté. Auparavant, il n'était donc lui-même, en aucune façon, victime de surveillance ni très clairement l’objet du moindre signalement.

La réalité n'est donc aucunement « augmentée » dans cette affaire, mais elle a été très clairement « arrangée », à la fois pour confirmer la déclaration liminaire, quelque peu inexacte, de François Hollande et pour la plus grande gloire des services que dirige notre ministre de l'intérieur, qui a fait ce matin un récit de l’arrestation, hélas bien différent de celui qu’a fait le témoin oculaire de cet événement.

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