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jeudi 19 juin 2014

« Pères-mi-temps » et « permittents » ?


 N'allez pas croire, à lire ce titre, que je vais encore vous parler de la Coupe du monde de football 2014 !  Pour avoir vu quelques matches et en particulier, hier, la rencontre de qualification entre l'Espagne, championne du monde en titre, et le Chili, je pourrais songer à qualifier les footballeurs espagnols de « Pères-mi-temps ». En effet, comme les Français en Ligue 1, ils ont pour habitude de jouer une mi-temps en « pères tranquilles » et de faire la sieste durant l’autre. C'est en général plutôt à la seconde qu’est réservée la sieste, car évidemment il faut tout de même, durant la première, faire semblant de se bouger un peu pour ne pas trop encourir les foudres de la presse spécialisée.
En réalité, ces braves « intermittents du football » (car ces professionnels du sport ne peuvent assurément pas jouer plus de 45 minutes sans être « cramés »!) sont aujourd'hui éclipsés par les « permittents », non des terrains… mais du spectacle. Ce « mot-valise » apparu, vers 2010-2011, est fabriqué, selon la recette bien connue, à partir du début de « perm-anents » et de la fin de « l'inter-mittent ». Il désigne désormais, dans le vocabulaire français qui doit sans cesse s’enrichir pour nommer les innovations de tous ordres, les pseudo intermittents du spectacle qui sont en général sont en réalité des employés à plein temps mais que les sociétés (et en particulier, contre toute attente,) les sociétés qui dépendent de l'État,  engagent, sous le régime de l'intermittence (vraie ou fausse) pour le bénéfice commun de leurs propres finances et parfois aussi de travailleurs qui devraient avoir des CDI, puisqu’ils travaillent en fait à temps plein.
Dans le désert informatif de la presse française, on trouve toutefois une information durable et étendue dans le site d’ACRIMED (entre 2003 et 2013) ; j'ai lu aussi avec le plus grand plaisir un article, un peu ancien (Le point.fr du 27 avril 2011) d'Emmanuel Beretta qui (comment résister à la tentation ?) révolvérise un problème que le reste des journalistes s'emploient à présenter sous des jours divers, mais souvent insatisfaisants.
J’en cite ici le début qui présente bien les choses et fait apparaître, un peu trop discrètement à mon goût, que le cœur du problème n’est pas là où on le fait croire :
« Collusions d'intérêts, fraudes, démission des politiques, injustice sociale... Le scandale des "permittents" du spectacle coûte chaque année 1 milliard d'euros aux salariés du privé, qui se voient ainsi chargés de porter sur leur dos le poids social de "l'exception culturelle française". Par "permittents", on désigne ces intermittents du spectacle qui n'en sont pas vraiment, car leur emploi - en réalité permanent - ne justifie pas qu'ils jouissent du statut protecteur des artistes et techniciens du spectacle inventé à l'origine pour protéger les comédiens et danseurs d'une carrière, par nature, aléatoire ».
Je signale d'ailleurs, quoiqu’on ne fasse guère mention de ce détail que le statut de l'intermittence du spectacle n’est nullement récent puisqu'il date des années 30 où il n'avait évidemment pas la place qu'il occupe  aujourd'hui pour les raisons qui apparaitront dans la suite.
Si j'en juge par l'information que j'ai eue personnellement de la meilleure source (le festival d'Aix-en-Provence), ce qui touche en réalité le plus de cette affaire et dans l'immédiat, les « vrais » intermittents du spectacle est que la période de « carence », pendant laquelle ils ne seraient pas encore indemnisés, passerait à 30 jours (un mois) pour les intermittents, dont l'indemnisation serait inférieure à 3.000 € par mois, les autres conservant les privilèges antérieurs ! La chose me paraît si ahurissante que je ne l'ai pas crue d'abord, à la fois parce que nul n'en parle, et surtout parce que cette mesure me paraît tellement antisociale, qu'elle ne pourrait être, en bonne logique, qu'antisocialiste, donc devrait n’avoir que peu de chances d'émaner d'un gouvernement socialiste et cela d’autant que l’incidence budgétaire est des plus minimes !
On parle bien entendu de la fraude qui est chez nous un sport national car, à la louche, un « permittent » coûte deux fois moins cher qu’un permanent même s’il l’est en fait! Après le travail noir (clandestin et sans le moindre document !), largement dépassé, nous avons, dans nombre de secteurs, le « travail gris » qui repose sur de faux documents établis par accord des deux parties (surtout dans la restauration et l’intermittence ou la « permittence » du prétendu spectacle, sans parler de la Sécu) ! En la circonstance, la fraude est très difficile à traquer puisque le système repose sur les déclarations conjointes des dits « intermittents » et de leurs employeurs, lesquels peuvent avoir tous les deux intérêt à détourner le système. Cela se passe donc comme désormais, de plus en plus, pour la procédure des « ruptures conventionnelles » qui deviennent des moyens de faire payer par l’Etat (désormais 4 milliards par an) des mises en retraite anticipée, au bénéfice commun des employeurs comme des pseudo-retraités à partir de 58 ans !
Je vous conseille très vivement de lire l'article d'Emmanuel Beretta même s’il n’est pas tout récent. Il présente de nombreux exemples très savoureux qui vont de celui des  décorateurs qui refont la cuisine du producteur en échange d'un emploi sur le tournage aux combines qui permettent d'enchaîner les montages d'une production à l'autre, sans prendre les jours de congés qui s'imposeraient pour le travailleur à plein temps d'une entreprise. « Travailler plus pour gagner plus » ça ne vous rappelle rien ? C’est encore mieux en grugeant l’Etat et les exemples, de plus en plus nombreux, viennent de haut !
Un « permittent » arrive ainsi à augmenter de 30 à 50 % sa rémunération mensuelle par rapport à ses collègues en CDD ou en CDI ! Qui s’en plaindrait ?  Les « permittents » enchaînent ainsi, par exemple, les montages et les décors, alors qu'ils ne pourraient pas travailler autant en CDI !
Comme toujours, en France, l’édiction de nouvelles mesures, qui grossissent à l'infini le code français du travail, ne conduit qu'à faire imaginer et mettre en œuvre, sans cesse, de nouvelles mesures et techniques de contournement ou de fraude. La Cour des Comptes a limité en 2005 le nombre des intermittents, pigistes et vacataires de tous poils de France-Télévision. Cette société, championne de France ou même du monde de la « permittence », surtout grâce au jeu de ses multiples filiales de production dont le nombre n’est même pas connu,  parvient à maintenir, dans les faits, son taux de personnel non permanent, en utilisant des filiales qui échappent au champ d'application de la restriction légale. Voilà qui rappelle un peu la technique des grandes entreprises du BTP qui n’ont jamais employé un seul travailleur dans les grands chantiers nationaux, se bornant à sous-æ avec sociétés qui s’en occupaient et disparaissaient, avec leurs clandestins et leurs casseroles éventuelles, aussi rapidement qu’elles étaient apparues !
Je me permettrai encore une fois de citer l'article d'Emmanuel Beretta pour illustrer la « permittence » par un cas dont tout le monde connaît le héros : Stéphane Guillon. Je cite  donc Emmanuel Beretta :
« L'affaire Guillon, qui vient de frapper Radio France au portefeuille, est une illustration des excès du système. Stéphane Guillon était chroniqueur sur France Inter depuis 2003. Chaque saison, il était donc reconduit depuis 7 ans quand Jean-Luc Hees décide de se séparer de lui. Naturellement, le conseil des prud'hommes de Paris a requalifié ses contrats en CDI. Et il en a coûté 212 011,55 euros à Radio France. On comprend que la première saison, la collaboration de Guillon pouvait être conçue comme temporaire puisqu'elle dépendait de son succès. Mais en renouvelant systématiquement ses contrats durant 7 ans, forcément, Radio France a fait peser sur la collectivité des salariés du privé les vacances de Stéphane Guillon... »


Le français est décidemment une belle langue, élue entre toutes ; il permet de faire si heureusement si opportunément face à des situations toujours nouvelles comme la défaite soudaine et inattendue au Brésil de l’Espagne, championne du monde aussi bien qu’à diversité infinie des champs inexplorés que nos lois offrent à l'entourloupe et à la fraude.

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