On raconte que François Mitterrand, homme précautionneux s'il en fut, disait volontiers qu'il avait deux avocats, Robert Badinter pour le droit et Roland Dumas pour le tordu. Je lui aurait volontiers d'ajouter un principe général, sans avoir par ailleurs moi-même deux avocats, qui est le suivant : il est indispensable, dans toute affaire qui risque de mal tourner, d'inclure, dans une position assez forte, un vieillard.
Pour être plus clair, prenons un cas concret actuel
Dans l'affaire de l'arbitrage qui a amené chez Bernard Tapie ces 403 millions d'euros qu'il a déjà quasi dépensés dès qu'on parle de les lui reprendre, il est infiniment probable que, si les choses ont une suite, il faudra trouver un coupable
De toute évidence, ce ne peut-être Monsieur Bernard Tapie, la victime dont tout, et surtout lui-même à l'entendre, indique qu'il est blanc comme neige et innocent comme l'agneau qui vient de naître ; ni Monsieur Sarkozy, qui avait fait changer de bord politique, l'homme de gauche (MRG ou assimilé) et l'ancien ministre de Mitterrand, par le seul charme de son verbe au cours de leurs nombreux entretiens ; ni Monsieur Guéant, qui il a tout l'air de ne rire que quand il se brûle et ne semble pas être homme à fraterniser avec Nanar qui aime à plaisanter ; ni Madame Lagarde qui, en dépit de ses curieux mari et beau-frère, n'est qu'une innocente colombe, abusée par une "bande organisée" d'escrocs et que protège surtout son statut de directrice générale du FMI (si l'on était obligé de virer successivement les deux directeurs français du FMI, notre drapeau en sera à jamais terni)
"Ces chose là sont rudes" comme disait le poète !
En outre, tous ces gens-là sont assez jeunes et paraissent tous en excellente santé. Reste donc comme responsable potentiel le trio des arbitres.
Du même auteur "L'espoir changea de camp. Le combat changea d'âme"
Pour le coup, tous sont octogénaires (85 ans de moyenne d'âge, le doyen étant P. Estoup) et quelque peu égrotants (d'où l'absence initiale de ce dernier devant le juge). Tous ces arbitres sont en effet des retraités de diverses fonctions, dont le grand âge est censé tenir lieu de sagesse et le carnet d'adresses, même un peu périmé, le modus operandi. Si l'on sait que, dans l'affaire en cause, ces trois arbitres (mieux payés et moins exposés qu'au football) se sont partagés, en parts égales, un million d'euros pour un travail modeste et surtout discutable, on comprend facilement que les candidats ne manquent pas.
L'avantage des arbitres pour le moins octogénaires, est, en la circonstance, qu'en cas de problème, on peut espérer que, dans des délais raisonnable (notre justice est si lente), au moins l'un des trois passe l'arme à gauche, ce qui dans un concours de métaphores, permettra de lui faire porter le chapeau et d'éteindre l'action de la justice.
Pour en revenir à François Mitterrand avec lequel j'ai commencé mon propos, expert en la matière, il avait su s'entourer de collaborateurs qui avaient le bon goût, dans les difficultés, soit de sauter d'eux-mêmes le pas (même si on les y aidait un peu) comme ce bon Monsieur de Grossouvre qui se fait, sans faire le moindre bruit, sauter la cervelle au 11,43 ou, cas plus clair encore, de mourir opportunément comme ce brave Roger-Patrice Pelat, ami intime du Président et si généreux créancier de P. Bérégovoy. Compromis dans l'affaire Pechiney-Triangle (avec un achat officiel de 10.000 actions en France et de 20.000 en Suisse, en douce et on ne sait trop pour qui...), il est inculpé de délit d'initié le 16 février 1989, mais a l'esprit de mourir d'une crise cardiaque quelques jours plus tard, le 7 mars, sans avoir à s'expliquer davantage sur quoi que ce soit !
J'ai été fort intéressé par les commentaires de SCHOUM1 à mon post d'hier et, faute de pouvoir lui en demander la permission, j'en reproduis ci-dessous une partie car j'avais déjà écrit mon texte du jour :
"Toujours avis perso,
Je trouve que dans toute ces affaires politico financière, il y a toujours des hommes, qui soit se suicident, ou meurt de crise cardiaque, ou autres
Depuis 3 mois que sortent toutes les affaires, financement politique, train de vie de l’Etat, certaines vente du patrimoine français,(Chantilly et j’en passe, Bettencourt et campagne électorale de Sarkozy et son financement, KARACHI etc. et j’en passe, la crise cardiaque de Philippe Seguin président de la Cour des comptes arrivait à point.
Premier président de la Cour des comptes de 2004 à sa mort, le 7 janvier 2010Philippe Séguin, grâce à sa notoriété, a redonné de la visibilité à cette institution, en intensifiant le nombre de rapports et en lançant une importante réforme des juridictions financières." SCHOUM1
J'ai moi-même, à l'époque, écrit (je le chercherai) un blog sur l'ASSASSINAT (si opportun) de Philippe Seguin!
Donc à plus tard.
vendredi 31 mai 2013
jeudi 30 mai 2013
Affaire Tapie : une coïncidence de plus.
Puisqu'on en est à chercher les coïncidences
curieuses dans l'affaire de l'"arbitrage Tapie", je m'étonne que l'on
n'ait pas noté (mais peut-être cela m'a-t-il échappé) que paraît, en 1989, un gros livre de 297 pages (édition Litec) intitulé
La justice française : acteurs,
fonctionnement et médias dont l'auteur est Pierre Estoup qui est encore en
activité à ce moment (il ne prend sa retraite qu'en 1991).
Rien que de très normal et il signe d'ailleurs son
livre "Pierre Estoup, Premier Président de la Cour d'Appel de Versailles".
Ce qui est déjà plus remarquable est que l'auteur de
la préface de cet ouvrage Jean Denis Bredin . Si l'on dédicace un ouvrage à
n'importe qui et il a même pour ça des séances publiques dites de signatures
pour ça et seule la formuler importe, on ne saurait demander à n'importe qui et
moins encore à un inconnu de préfacer un livre qu'on juge important.
Ce qui l'est pour le coup tout à fait inattendu est
qu'en juillet 2008,le hasard faisant bien le choses, surtout si on l'aide un peu,
Pierre Estouf et Jean Denis Bredin se retrouvent, ensemble, comme deux des
trois arbitres dans l'affaire Tapie.
Sans commentaire.
mercredi 29 mai 2013
La France au Mali : tout baigne !
"Quand nous aurons le vote de la population malienne en
direction d’une nouvelle présidence, puis des élections législatives en même
temps que le dialogue, en même temps que la sécurité, en même temps que les
outils du développement économique, que la réinstallation de l’administration
malienne dans l’ensemble du territoire, eh bien je pense que du bon travail
aura été fait."
Et les villes à la campagne alors ?
Et tout le monde riche et bien
portant plutôt que pauvre et malade ?
Telle est la conclusion de L. Fabius, au terme de son voyage à
Niamey puis à Bamako (pas à Kidal rassurez-vous) , après l'adoption par le
Conseil des ministres malien du projet de loi fixant au 28 juillet 2013 le
premier tour de l'élection présidentielle (le second tour éventuel étant fixé
au 11 août) montre que tout baigne, sans que toutefois que le terme précis de
cette si favorable évolution soit précisé davantage.
Le "terminus ad quem"
est, en la circonstance, le plus important mais le plus problématique, voire le
plus incertain aussi ; le "terminus
a quo", lui, il est désormais arrêté puisque les élections auront
lieu, quoi qu'il arrive, y compris dans le Nord-Mali et à Kidal, le 28 juillet,
ce qui naguère encore semblait fort improbable à tous les observateurs, mais
où, comme l'a précisé notre ministre "des dispositions seront prises",
sans qu'on sache en quoi elles consisteront ni comment elles régleront une
question qui est à l'origine de tous les troubles du pays depuis un demi-siècle
et des dissensions entre le Nord et le Sud depuis des millénaires.
Quelques menus détails restent certes à régler, comme l'établissement
de listes électorales et la fabrication, inévitablement postérieure, de
quelques millions de cartes d'électeurs (offrant, s'il vous plait, la photo de
leur titulaire pour éviter toute fraude !). Cette fabrication (des cartes, non
des listes!), comme le précise le ministre français, "a été confiée à une
société" (formule d'un vague qui se veut rassurant, mais sur lequel
l'absence de listes des électeurs jette une ombre d'inquiétude...). Bof ! Tout
cela, vu du Quai d'Orsay, ne pose guère de problèmes.
Deux attentats meurtriers ont été commis tout récemment au Niger ; ces
attaques ont visé un camp militaire nigérien à Agades et un site d'Areva à
Arlit (lieu qui a déjà défrayé la chronique terroriste) donc des intérêts
français. L. Fabius, au Sahel pour la deuxième fois en deux mois, s'était auparavant
rendu à Niamey cette fois-ci. Tout le monde s'accorde désormais, pour le coup,
à mettre en cause la Lybie d'où seraient venus les djihadistes dont certains se
réclament pourtant du MUJAO. Le Premier Ministre
libyen, Ali Zeidan, lui, nie ce point, ce qui rendra sans doute délicate
l'action commune avec cet Etat que L. Fabius nous laisse espérer.
Il est clair que, de proche en proche, les risques
terroristes et le malaise diplomatique gagnent tous les Etats de la zone. Les
Tchadiens se regardaient, non sans quelques raisons, comme la "chair à
canon" des troupes françaises dans le Nord-Mali où ils ont perdu deux ou
trois cents hommes ; l'Algérie s'est vue atteinte dans ses oeuvres vives avec
l'attaque de son champ pétrolier ; le Niger est désormais frappé (une
vingtaine de morts avouée) ; la Lybie, elle, est à nouveau accusée.
Décidément, il se passe toujours quelque chose dans l'auberge
sahélienne et nous ne sommes pas près d'en sortir!
mardi 28 mai 2013
Du bon usage du paintball.
J'ai vu, ce dimanche 26 mai 2013, sur toutes les chaînes de télévision (car les innombrables équipes de journalistes des multiples chaînes nous offrent toutes les mêmes images), le combat qui opposait rue de l'Université à Paris (vers la station de métro Invalides) aux forces de l'ordre. J'avoue que j'ai été littéralement stupéfait par le spectacle qui nous était donné.
Les
casseurs en question n'étaient, en rien, de petits voleurs de banlieue venus,
comme d'habitude, faire, à Paris, leurs razzias de Nike, d'Adidas et de Lacoste
et que coursent ensuite les policiers.
Le
spectacle était pour le moins curieux ; les policiers (CRS, ou militaires, je
ne sais), assiégés eux-mêmes, étaient embusqués derrière une barrière
métallique amovible qui avait été posée là pour empêcher l'accès à la rue de
l'Université. Les manifestants, qu'on hésite à nommer ainsi, masqués et
casqués, pourvus d'armes diverses (du bâton à la barre de fer) s'attaquaient à
cette clôture métallique, le conflit s'organisant surtout autour d'une porte
centrale qu'ils essayaient d'ouvrir, tandis que les policiers, de l'autre côté,
s'employaient à tenir fermée.
Des
photographes (véritables ou policiers déguisés en photographes), un peu à
l'arrière des manifestants, opéraient ; l'un d'entre eux fut même agressé à
grands coups de pieds par des manifestants qui ne tenaient pas à les voir
exercer dans ces conditions leur activité quoique l'un d'entre eux ait pris le
temps d'expliquer que c'était là une reconquête de sa liberté par le peuple
français.
L'ensemble
de la scène avait quelque chose d'extravagant et de risible, du fait de la
fureur stupide des assaillants, car il était clair qu'ils ne pouvaient parvenir
à leurs fins qui étaient d'ouvrir cette porte ou de renverser cette barrière ;
le ridicule était aussi dans le caractère dérisoire des réactions de la police ;
le manifestant le plus enragé qui essayait, sans cesse et en vain d'ouvrir la
porte, était repoussé par le policier qui la tenait de l'autre côté par le jet
d'une bombinette lacrymogène du type de celles qu'on peut trouver dans le
commerce et que les dames emportent, par prudence, dans leur sac à main en cas
d'agression.
Tout
cela était tout simplement dérisoire et grotesque et cela d'autant que j'avais
vu, peu avant, dans C Politique, sur France 5, Monsieur Manuel Valls froncer
ses noirs sourcils, catalans et ministériels, en évoquant la sévérité dont
allaient faire preuve les forces de l'ordre à l'égard de ces casseurs. Je pense
qu'il faudrait absolument que notre ministre de l'intérieur fasse un petit
stage en Russie ou aux États-Unis pour voir comment on règle ce genre de
problème dans ces pays.
On
nous informe, en ce matin du lundi 27 mai 2013, suite à l'agression dont a été
victime l'un de nos soldats à la Défense, que les vaillants et martiaux militaires
de Vigipirate (drôle de nom entre nous car nous sommes, là, aussi loin des
vigies que des pirates !)qui déambulent, en uniforme, dans les gares et autres
lieux publics de notre beau pays, n'ont, en réalité, aucune munition dans les
armes qu'ils exhibent fièrement et grâce auxquelles ils espèrent terroriser les
terroristes. Ils n'ont, paraît-il, que des munitions sous emballage plastique
fort difficile à ouvrir et dont il leur est pratiquement interdit de se servir.
Seul un gradé dans ces patrouilles est, prétend B. Debré, porteur d'une arme de
poing, pourvue elle de neuf cartouches. Comme ils ne sont en général que trois
dans cet exercice, je doute fort qu'il y ait toujours parmi eux un gradé
porteur d'un Glock (une arme autrichienne en plus, et non un bon vieux
Manurhin français !) à moins que l'armée française n'ait virée à la mexicaine,
depuis l'époque où j'y ai moi-même séjourné comme "marsouin" de deuxième
classe.
Je
pense qu'on devrait s'inspirer pour le traitement de ces manifestations d'un
sport qui est peu connu le "paintball". Ce sport est relativement
récent puisque les premiers instruments qui permettent de le pratiquer, les "lanceurs"
ou "marqueurs" permettent d'envoyer par air comprimé ou par CO² des
billes de peinture de calibres divers (de 0,40 à 0,68) qui permettent de
"marquer" la cible qu'elles atteignent.
Les
premiers "lanceurs", qui ont l'apparence de fusils (avec des
variantes), furent utilisés par les éleveurs australiens pour marquer le bétail
dans les années 1970 ; l'immensité des ranchs et le mode d'élevage libre
obligeaient les éleveurs à marquer des troupeaux qui se mélangeaient inévitablement
entre animaux de divers ranchs. Ces ranchs couvrant des centaines d'hectares,
on ne pouvait y accéder souvent qu'en 4x4 voire en avion et les lanceurs
permettaient de marquer, sans les rassembler ni même les approcher, les animaux
de diverses couleurs, pour les identifier ensuite. Les couleurs étant
indélébiles, cette technique permettait d'éviter le traditionnel mais
impossible marquage au fer rouge.
Remplacer
les grotesques bombinettes lacrymogènes de nos pauvres gardiens de l'ordre par
des lanceurs de billes colorées indélébiles aurait trois avantages majeurs. D'abord cette technique
permettrait, dans la suite immédiate de la manifestation, l'identification, sûre,
facile et incontestable des manifestants qui, évidemment, après coup, se déclarent
tous blancs comme neige et nient toujours avoir participé à quoi que ce soit. Ensuite,
la peinture indélébile permettrait de gâter définitivement les vêtements et les
accessoires portés par les manifestants. Enfin, on pourrait même parfois les
identifier après coup, si quelque partie de leur corps avait été atteinte par
la peinture, fût ce façon quasi imperceptible.
Que
notre ministre de l'intérieur réfléchisse à cette suggestion qui serait, me
semble-t-il, à la fois peu coûteuse, écologique (pour ménager les EELV, on
pourrait user de lanceurs à air comprimé, sans employer ceux qui marchent au CO²)
et surtout, et c'est l'essentiel, efficace !
lundi 27 mai 2013
Journaliste ou cadreurs ?
On
a trop tendance à oublier ou, pire, à ignorer, que, dans le journalisme
audiovisuel, on peut souvent se demander si le rôle le plus important est celui
du journaliste ou celui du gestionnaire de l'image (celui qui la choisit et/ou celui qui la
définit, c'est-à-dire le cadreur). Je penche plutôt pour le cadreur !
Je
me faisais cette réflexion, au départ, en revoyant sur France5, dans C Politique, le
discours fait à Leipzig par notre Président de la République, en présence de la
chancelière Angela Merkel qui avait, à sa gauche, l'ex-chancelier Schröder. A
ce que j'ai lu, mais je ne puis faire confiance totalement à une telle
information, la dernière version écrite du discours de François Hollande ne
comportait pas cet éloge de Gérard Schröder qui y a figuré dans la séance
elle-même. Cette ultime changement de pied est d'autant plus étrange que F.
Hollande s'est toujours montré critique envers les options majeures de la
politique de l'ancien chancelier.
Peut-être
n'était-il pas prévu, du côté français, que Schröder assiste à cette session et,
par conséquent, notre Président de la République, qui en est tout à fait
capable (30 ans de PS !) a dû improviser cet hommage en découvrant ainsi, face de
lui, l'ancien chancelier dont il avait souvent critiqué la politique.
En
fait l'intérêt du discours de François Hollande était moins dans son propos lui-même,
que je connaissais, en ce dimanche après-midi, pour l'avoir entendu répéter
dans tous les médias depuis deux jours, mais, dans les quelques vues que
nous avions de l'assistance et en particulier du premier rang du public, où se
trouvaient côte à côte l'ancien chancelier et Madame Merkel. Il était à la fois intéressant
de voir Monsieur Schröder, qui buvait manifestement du petit lait à écouter
François Hollande et Madame Merkel qui semblait s'intéresser, contre toute
attente plutôt à son voisin de droite (un illustre inconnu pour moi) à qui elle
glissait quelques a parte qu'à celui de gauche qui était son prédécesseur. Sans
savoir lire sur les lèvres et, en outre, ne connaissant pas l'allemand, je
suppose néanmoins, à son sourire un brin ironique, qu'elle devait observer combien le
discours de notre Président avait changé, à la fois sur la politique
franco-allemande et sur ses sentiments personnels à l'égard de Schröder
lui-même. L'expression même du visage de Madame Merkel dispensait de percevoir
et de traduire ses propos.
Dans
un genre tout différent, car cet extrait du discours de François Hollande se
trouvait repris dans l'émission C Politique de Dominique Roux, on pouvait faire
les mêmes observations à propos de cette émission elle-même où l'invité du jour était
notre ministre de l'intérieur.
L'une des curiosités de cette émission, au demeurant bien
conduite par l'une des deux ou trois journalistes compétentes et intelligentes
de notre télévision (je dis deux ou trois par pure bonté d'âme et bénévolence,
quand je n'en vois, en fait, qu'un seule autre, sur Arte, en dehors de Dominique
Roux) tient à la vaste collection d'escarpins à talons aiguilles de cette
journaliste. Il faut bien dire que ceux qu'elle portait ce jour-là n'étaient pas
des plus réussis, mais là n'est pas mon propos. Elle avait, en ce dimanche 27
mai 2013, une "petite robe noire" extrêmement stricte (pour compenser
les escarpins sans doute!), mais avec un décolleté profond dont elle n'est pas
coutumière et qui ignorait la "modestie". Cette particularité amenait les cadreurs, qui avaient sans doute des
consignes, de même que le technicien chargé du choix des images, à nous faire
des plans mettant en valeur ce décolleté pour distraire un peu les téléspectateurs
mâles de l'austérité des propos et des mines du sombre Manuel Valls. Non seulement
les cadreurs pouvait jouer sur cette image, mais ils pouvaient également
descendre plus ou moins, du gros plan au "plan poitrine" (dont la dénomination
est si juste en la circonstance). Je ne sais pas si Dominique Roux avait donné des
instructions à ce propos, mais je pense que la chose est assez probable, vu
l'insistance qui a été faite à nous offrir ces perspectives.
Pour
sourire un peu en conclusion, on ne nous a pas assez montré à Cannes la montée des
marches par DSK qui, le pauvre, semble se faire manipuler (mais il semble y prendre goût), tant par les auteures
en mal de gros tirages (au sens propre) que par les communicantes humanitaires. La dernière de
la liste offrait toutefois aux cadreurs de belles opportunités de gros
(im)plants !
Libellés :
Angela Merkel,
C Politique,
D. Roux,
F. Hollande,
journalistes,
Schröder
dimanche 26 mai 2013
Innovation pédagogique dites-vous ?
On lit dans le
site du gouvernement pour l'éducation le texte suivant qu'on invite en outre à
faire partager ce que je fais, sans plus tarder :
" George Pau-Langevin, ministre
déléguée chargée de la réussite éducative, et Vincent Peillon, ministre de
l’éducation nationale, ont installé, le 19 avril 2013 au Collège Aimé-Césaire [le choix est sans doute de Madame Pau-Langevin],
le Conseil national de l’innovation pour la réussite éducative (CNIRE), présidé
par Didier Lapeyronnie, sociologue.
À l’issue de la première journée de
travail, les membres du Conseil ont envisagé les trois thèmes de travail
suivants pour cette première année :
l'engagement : les innovations
pédagogiques et institutionnelles à l’intérieur de l’école
l'ouverture : famille et territoire
la compétence : formation initiale
et continue des enseignants "
Vaste programme,
même s'il y manque la construction des villes à la campagne !
Hier, samedi 25
mai 2013, j'écoutais, vers 19h30, l'émission hebdomadaire de France Culture
consacrée à l'éducation qui portait sur ce nouveau conseil et où était présent
son président. J'ai entendu, en début d'émission, poser pour la quinzième ou
vingtième fois la même question stupide qui révèle, de la part des journalistes
comme des intervenants, une ignorance très fâcheuse des réalités sur lesquelles
ils sont amenés à s'exprimer ou pire à faire des propositions et même parfois à
suggérer des décisions.
La question
sempiternelle sur laquelle on s'interroge inlassablement est la suivante (je
résume) : Pourquoi envoie-t-on dans les quartiers difficiles des professeurs inexpérimentés
au lieu de professeurs confirmés qui opèrent dans des zones où leur travail est
pourtant infiniment plus facile ?
On s'interroge à
l'infini sur cette étrangeté alors que la réponse est évidente et d'une
parfaite clarté.
On fait comme ça parce qu'on ne peut pas faire
autrement.
Si l'on a la
moindre connaissance du milieu et des pratiques de l'enseignement français, on sait que le
seul moment où l'on peut envoyer un enseignant occuper un poste, sans le
consulter et même contre son gré, est le moment de sa première nomination, parfois accompagnée d'une année de stagiarisation.
S'il ne rejoint pas ce poste, il est regardé comme démissionnaire !
En France il est
totalement impossible d'obliger un enseignant (sauf en cas de rarissimes
sanctions) à quitter son poste de Plougastel Daoulas, de Guéret ou de Manosque,
pour se voir nommé dans un établissement de la banlieue parisienne ou des
quartiers Nord de Marseille. En revanche, un jeune professeur; qui vient de
passer le CAPES ou l'agrégation ou, mieux encore, qui n'est pas titulaire (quelle
que soit la catégorie à laquelle il appartient) peut être nommé n'importe où, sans qu'il ait quoi que ce soit ce soit à dire
sur cette nomination, forcé qu'il est de l'accepter.
On comprend
évidemment, de ce fait, que c'est dans ce vivier de jeunes professeurs débutants,
inévitablement inexpérimentés (seraient-ils expérimentés que ça ne changerait
rien à la chose) que l'on puise les enseignants qu'on envoie dans ces quartiers
que fuient, dès qu'ils le peuvent, celles et ceux qui ont été précédemment
affectés, à condition toutefois qu'ils puissent obtenir la mutation à laquelle
ils peuvent aspirer après avoir passé deux ans dans leurs premiers postes.
Comment peut-on
prétendre réfléchir, en quoi que ce soit sur quoi que ce soit, sans connaître
des dispositions majeures, si anciennes et si évidentes.
Lors d'une
précédente émission, j'entendais aussi accumuler les sottises sur les différences
de catégories chez les enseignants. On y affirmait que les uns, professeurs
certifiés, devaient 18 heures de cours par semaine, alors que les agrégés n'en
devaient que 14 ; le service des agrégés n'est pas en effet de 14
heures mais de 15 (les 14 heures de cours sont attachées au service d'enseignement
dit de "première chaire" c'est-à-dire comportant un minimum d'heures
d'enseignement dans des classes d'examen) ; si les intervenants l'avaient su,
ils auraient pu ajouter que pour les classes préparatoires des lycées, les services
sont encore moindres et les heures supplémentaires mieux payées.
Le principe
est que les certifiés enseignent en premier cycle (donc dans les collèges)
alors que les agrégés devraient le faire dans les lycées donc pour des classes
de second cycle. Ce principe n'est d'ailleurs pas toujours respecté mais il est
assez logique que les charges d'enseignement soient considérées comme plus
lourdes dans le second cycle que dans le premier. Ajoutons qu'en principe,
l'agrégation est censée être un concours plus difficile que le CAPES et que, de
toute façon, rien n'empêche un professeur certifié de passer l'agrégation pour
accéder à cette catégorie.
J'entendais donc au
cours de cette émission qu'a été mis en place le Conseil
national de l’innovation pour la réussite éducative, présidée par un sociologue, Monsieur Didier Lapeyronnie qui
était présent lors de cette émission et qui a eu la candeur ou l'honnêteté de
dire qu'il n'avait jamais été spécialisé ni versé dans les problèmes de
l'école, ce que confirme tout à fait d'ailleurs l'examen de son
curriculum vitae.
Sauf erreur de
ma part, un conseil de ce type avait déjà été mis en place par Jack Lang en
2000 (personne n'en parle!) et il n'avait pas entraîné, me semble-t-il, un
changement notable dans la situation de notre système éducatif. Je crains fort que
ce nouveau bazar, qui ne comprend pas moins de 40 membres et est des plus
hétéroclites, ne soit qu'une usine à gaz de plus dans l'approche des problèmes
de notre école. Ils sont pourtant, selon moi, d'une aveuglante clarté et ils
tiennent, pour l'essentiel, aux considérables changements qualitatifs qui ont radicalement
transformé sa "clientèle", devenue hautement hétérogène, sans qu'on y
ait pris garde et sans qu'on ait touché, en quoi que ce soit, aux modalités, aux
contenus et même aux programmes de l'éducation qui leur est proposée.
samedi 25 mai 2013
Université et recherche : du Rapport Le Déaut à la Loi Fioraso
Je n'irai pas jusqu'à
vous conseiller la lecture de ce volumineux rapport au titre plein de promesses
" Refonder l'université. Dynamiser la recherche. Mieux coopérer pour
réussir"; il a été "remis à Jean-Marc
Ayrault, Premier ministre, le 14 janvier 2013, par Jean-Yves Le Déaut, Député
du bassin minier de Lorraine". Ce texte est aisément disponible sur
Internet et facilement convertible en Word ce qui n'est pas désagréable, même
si la loi Fioraso a passé sans encombre en première lecture.
Monsieur Le Déaut
n'étant pas forcément connu de tous les lecteurs, je vous livre donc un extrait
de sa biographie qui figure en fin de ce rapport : "Député depuis 25 ans d’une circonscription de Meurthe-et-Moselle,
Jean-Yves Le Déaut est actuellement Premier vice-président de l’Office
parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST),
dont il a assuré trois fois la présidence depuis 1989. Depuis 2004, il est
aussi Premier vice-président du Conseil régional de Lorraine, délégué au
Développement et à la Mobilisation économique (Innovation, Recherche,
Enseignement supérieur). Il appartient par sa formation initiale à la
communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche, puisqu’il est
docteur es sciences en biochimie, et professeur des universités. Il a dirigé le
laboratoire de l'aliment et l'unité de sciences biologiques de l'université de
Nancy.
Dans le cadre de
l’OPECST, il a réalisé quelque 11 études, concernant les biotechnologies, mais
aussi les énergies renouvelables, la société de l’information et la gouvernance
de l’Internet, ou encore des questions au cœur des controverses entre la
science et la société comme les déchets nucléaires, l’amiante, les OGM, le chlordécone.
Son dernier rapport, publié en janvier 2012, a concerné l’innovation face aux
peurs et aux risques, thème sur lequel il assure depuis plusieurs années un
enseignement à Sciences Po Paris."
Parmi les multiples activités de J.Y. Le Déaut, cette dernière référence
n'est sans doute pas la meilleure dans le climat que connaît l'institution
citée! Toutefois, on doit aussi admettre que toutes ces tâches, aussi diverses
que multiples, ont dû quelque peu éloigner le rapporteur des réalités quotidiennes
de l'université française, même s'il est clair qu'il n'oublie jamais ni la
Lorraine ni les biotechnologies. On le sait, dès la lecture de l'épigraphe un
peu insolite de son texte : « Des mines de fer ... aux
mines de matière grise »... en passant, mine de rien, par les mines de sel vu
l'ampleur de ses tâches?
Je ne signalerai
toutefois ici que quelques points de ce long rapport qui ont attiré mon
attention au cours de la lecture cursive que j'en ai faite dans un premier
temps. Je ne les classe nullement ici par ordre d'importance mais en fonction
de la place que les points évoqués occupent dans ce texte de près de 170 pages.
La question des
étudiants étrangers, très présente aussi dans la loi Fioraso.
L'auteur du rapport
remarque avec fierté que "notre pays demeure bien placé en termes
d'attractivité : nous accueillons aujourd'hui 284.000 étudiants étrangers. Ces
derniers représentent 12 % de nos effectifs et ce pourcentage s'élève à plus de
40 % au niveau du doctorat. Cette performance nous place au troisième ou
quatrième rang mondial selon les années. Nous devons veiller à conserver cet atout".
Je serai nettement
moins enthousiaste et j'ajouterai une ou deux remarques à ce constat qui marque
une si vive satisfaction sur ce point. Par expérience, j'ai observé que bon
nombre d'étudiants étrangers, en particulier originaires du Sud, de l'Est ou du
Moyen-Orient, sont en fait souvent de faux étudiants ; ils trouvent, en
s'inscrivant dans nos universités, un moyen commode et peu coûteux à la fois de
bénéficier de la sécurité sociale et surtout d'obtenir un titre de séjour.
C'est tout particulièrement vrai au niveau du doctorat, ce qui explique
d'ailleurs aisément que le pourcentage d'étrangers s'élève alors à 40 % ! Bien
entendu, bon nombre de ces étudiants étrangers ont, par ailleurs, un travail
illicite qui leur permet de subsister, car leurs pays d'origine n'entretiennent
guère les boursiers sur un grand pied ... quand ils donnent des bourses. Bien
entendu aussi, beaucoup d'entre eux ne parviennent pas jusqu'au terme de leurs
cursus mais ils ne s'en soucient guère. Les récentes dispositions pour contrôler
et limiter le nombre des inscriptions ont sans doute eu des effets heureux en
la matière.
Il y aurait beaucoup à
dire sur le passage du rapport qui concerne les doctorats et plus globalement
l'enseignement des sciences "dures" (Sciences de la Structure et de
la Matière ou SSM). Ce point mériterait à lui seul un long développement
particulier, car on se trouve en présence de conséquences, parfois fâcheuses,
de la prétendue recherche de l'harmonisation européenne et, au delà, du fameux
processus de Bologne qui visait, en particulier, à harmoniser par le haut les
études doctorales en Europe, alors que, dans les faits, rien n'a changé, comme par
exemple, dans le cas des directions de thèses franco-allemandes en co-tutelles,
dont j'ai eu à connaître ; se posent alors, vu les différences de procédures de jury et d'évaluation
entre les systèmes , des problèmes complexes voire des incompatibilités qui
vont bien au-delà du port de la toge, du rituel académique ou des formules
latines des thèses hollandaises ou belges par exemple!
Le problème a commencé
dès 1984 ; auparavant, l'accès aux fonctions de professeur des universités
était, en France, strictement conditionné par la thèse de doctorat d'État que
de nombreux pays d'Europe nous enviaient, notons-le. La loi Savary a remplacé
le doctorat d'État, dans les faits, par l'imposture du prétendu "Diplôme
d'habilitation à diriger des recherches", l'HDR, dont chaque université a
interprété les dispositions à sa guise.
Le mot "habilitation" lui-même n'était
qu'un calque abusif de ce que les Allemands certes appellent ainsi mais qui,
chez eux, fait suite au doctorat et surtout exige du candidat la rédaction
d'une seconde étude, plus importante que la thèse elle-même et surtout sur un
sujet tout différent, qui doit être soutenue devant un jury similaire à celui
du doctorat. En France, en revanche, l'HDR, dans une procédure souvent bâclée,
sur des dossiers parfois fort légers (une vieille thèse de troisième cycle et
quelques articles qui la reprennent), est jugée, sans mention, avec "oui"
ou par "non" (je n'ai jamais vu de "non" !) comme seule
issue possible à la soutenance pour des candidats qui, par définition, n'ont
jamais dirigé de recherches, faute d'en avoir le droit ! En Allemagne, seul ce
très gros travail supplémentaire (Privatdozent) ouvre au professorat
d'université. Rien de tel avec notre HDR ! L'accès au professorat d'université
est, de ce fait, bien plus difficile en Allemagne qu'en France, ce qui explique
d'ailleurs le nombre croissant des candidatures d'Outre-Rhin à des postes
français vacants! Sur ces questions, le rapport Le Déaut contient diverses
erreurs sur lesquelles je ne reviens pas.
En fait, le rapport
traite d'un sujet aussi ample qu'ambitieux, mais, à mon avis, assez mal surtout
par manque de hauteur de vue, ce que souligne le nombre extravagant de
références au "code de l'éducation" dans un texte qui se veut de
réflexion et de prospective.
La question des
sciences dures à l'université illustre cet aspect. Pour les sciences de la
structure et de la matière qui en sont le coeur, la concurrence initiale entre
les classes préparatoires (les "prépas") qui, d'emblée, attirent TOUS
les très bons et bons étudiants, fait que les filières universitaires ne
séduisent que celles et ceux qui n'ont pas réussi à se faire admettre dans
l'une de ces multiples classes préparatoires qui existent maintenant avec la
prolifération des écoles d'ingénieurs.
La solution proposée
par J-Y Le Déaut me paraît très insatisfaisante . La loi Fioraso fera payer les
inscriptions en "prépas" au tarif de l'université, avec un
argumentaire social débile que la ministre elle-même aurait, dit-on, récusé ! En
fait, rien n'empêche et n'a jamais empêché les élèves des classes préparatoires
("khâgnes" comme "maths sup" et "maths spé") de
s'inscrire à l'université. C'est ce que faisaient autrefois, en particulier,
tous les élèves qui, dans les classes préparatoires littéraires à la rue d'Ulm
(hypokhâgnes et khâgnes), s'inscrivaient systématiquement à l'université sans
jamais y mettre les pieds et y passaient la propédeutique (ou, dans la suite,
le DUEL ou le DEUG selon les époques), puis des certificats de licence, car
chacun savait, pour le coup, qu'ils n'"intégreraient" pas tous
"l'école" ! Certains "khâgneux", qui faisaient trois années
de khâgne (« les bicas »), étaient parfois, de ce fait, titulaires d'une bonne
demi-douzaine de certificats de diverses licences (car on ne pouvait entrer à
" la rue d'Ulm" avec une licence complète!), pour lesquels ils
n'avaient jamais suivi le moindre cours à l'université, se contentant des
enseignements qu'ils recevaient dans les classes préparatoires. Toutefois, ils
n'avaient ensuite aucune difficulté à regagner le système universitaire
lui-même, où ils étaient même souvent, vu l'excellence de leur préparation
deux, trois voire quatre années durant, les meilleurs éléments. La pratique
était courante aussi dans les "prépas" scientifiques pour "maths géné" par exemple qu'on
allait passer à la "fac" sans y avoir suivi le moindre cours.
On espère que la
solution proposée par Monsieur Le Déaut n'est pas simplement inspirée, comme on
peut le croire à certains propos, par l'idée de tirer 180 € par an aux élèves
des classes préparatoires pour alimenter les budgets d'universités où ils ne se
rendent jamais !
Pour conclure, je vous
allèche dès maintenant par quelques unes des perles ou curiosités de ce rapport.
Le rapporteur croit aux
vertus du verbe comme le montre son goût immodéré pour les changements de noms
dont il pense, de toute évidence, qu'ils changeront aussi les choses. Un
exemple : "Je propose de donner à la structure de coopération
l'appellation de "communauté d'universités" et non celle de
"grande université".". Fichtre !
Pour finir gaiement,
une formule du rapport, parmi les meilleures :
« Quand on a un socle
qui est gravé dans le marbre [sic],
il faut donner de la souplesse et le droit d'expérimenter ».
On regrette le nombre
excessif de fautes d'orthographe dans ce texte, à commencer par la première
ligne de la première page du rapport où, dans les remerciements (page VII), la
ministre compétente, Madame Fioraso, est prénommée "Geneviive"!
Espérons pour elle qu'elle n'a pas ouvert ce rapport!
Libellés :
classes préparatoires,
étudiants étrangers,
Fioraso,
HDR,
Le Déaut,
recherche,
université
vendredi 24 mai 2013
L'article deuxième du projet de Madame Fioraso et la loi Toubon
L'article
premier de la loi Toubon ( 1994, modifiée 1996) stipule : "Elle [la langue
française] est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des
services publics." Vous aurez observé, sans doute, que, dans le respect du
bon usage de notre langue, j'use, ici comme dans la suite, de l'ordinal
(article premier, deuxième, etc.) et non du cardinal (un, deux, etc.), impropre
en la circonstance ! La langue doit être respectée, plus encore que la loi !
L'Assemblée
nationale, mercredi 22 mai 2013, a ouvert le débat sur le projet de loi sur
l'enseignement supérieur et la recherche présenté par Geneviève Fioraso,
ministre de l'enseignement
supérieur.
La
disposition sur l’enseignement en anglais à l’université, qui a monopolisé l'attention, de
façon inattendue (cet usage, dans quelques disciplines, est déjà fort ancien),
est soutenue par la principale organisation étudiante, l’UNEF, et, avec des
réserves, par la CPU (Conférence des présidents d’université), mais elle est rejetée
par le droite, comme par certains syndicats et le Front de gauche.
Jeudi
23 mai 2013, a finalement été ouverte la possibilité de donner des cours en
anglais dans les universités par un vote à main levée sur l’article deuxième du
projet de loi Fioraso. Les adversaires de cette disposition ont, en la
circonstance invoqué l'article premier de la loi Toubon de 1994 que j'ai
rappelé ci-dessus ; on peut donc s'attendre, comme souvent désormais, à un
recours devant le Conseil constitutionnel.
Le
problème de l'université a été largement abordé par les deux parties mais on a
peu parlé de la loi Toubon elle-même, à laquelle je m'attacherai plutôt ici car
elle me paraît bien oubliée. En 2004, pour le dixième anniversaire de cette loi
du 4 août 1994 (notez le quantième !), j'avais tenté un bilan de l'application
de ce texte que J. Legendre définit « comme l’instrument juridique
privilégié de la défense de notre langue sur notre territoire » (Rapport
n° 75, tome XVII, Commission des
Affaires Culturelles du Sénat, 2004 : 37) ? Le Ministère de la
Culture avait alors, en effet, confié à un Inspecteur Général la mission
d’établir ce bilan « compte tenu notamment des exigences du droit
communautaire ». Cette dernière formule ne laisse pas d’inquiéter car, en
particulier sur ce terrain, on ne manquera pas d’opportunités de contester des dispositions légales françaises qu’on peut
taxer de protectionnisme linguistique et de limitation abusive de l’usage des
autres langues européennes.
L’exemple
québécois est clair et intéressant sur ce point. On a vu se multiplier en
effet, au Québec, les recours contre la législation provinciale québécoise en
matière de langues par recours aux lois fédérales canadiennes. Il risque d'en
être de même dans l'Union européenne. Naguère, pour mes étudiants, j’illustrais
souvent ce conflit juridico-linguistique par l’exemple des phoques. Au Canada,
la mer relève du domaine fédéral et le phoque étant un animal marin, il est
lui-même de ce ressort. Les lacs sont, en revanche, du domaine provincial. Que
se passe-t-il, lorsque comme cela se produit parfois, on trouve des phoques
dans un lac ? De quelle législation relèvent-ils, fédérale ou
provinciale ? Quand on observe que le Traité européen relatif à la
« libre circulation des marchandises » mentionne que les dispositions
nationales en matière de langue d’information sur les produits concernés
doivent être strictement proportionnées au but de protection du consommateur
qu'elles poursuivent [souligné par moi],
on comprend aisément que cette exigence de proportionnalité laisse un vaste
espace à des formes diverses et multiples de contestation !
Limitons-nous
ici à quelques observations quotidiennes, sans aller jusqu’à examiner les
compte rendus annuels de la DGLFLF qui recensent toutes les actions conduites par
diverses instances pour assurer le respect de la loi Toubon.
Une
des dispositions jugées majeures de la loi Toubon était de donner à des
associations agréées le droit d’agir en justice. Si l’on se réfère au rapport
2004 de la DGLFLF « Trois associations (Avenir de la langue française, Défense de la langue française et
Association francophone d'amitié et de liaison) bénéficient d'un agrément
accordé pour trois ans par les ministres chargés de la culture et de la
justice, afin de se porter partie civile devant les tribunaux dans certains
litiges concernant notamment l'information des consommateurs. Ces associations
interviennent de façon modulée (à ma connaissance jamais dans le domaine universitaire) quand elles observent des manquements à la loi
du 4 août 1994 et recourent à l'action contentieuse dès lors qu'une solution
amiable s'avère impossible. » (2004 : 18).
Globalement,
on constate que le nombre des interventions a baissé, mais que le pourcentage
des infractions constatées par la DGCCRF (communément nommée « Répression
des fraudes ») a augmenté. Ces variations, de faible importance, n’ont pas
grand sens et de toute façon, il est très rare que les infractions constatées
soient réellement sanctionnées. Pour prendre deux années de référence où le
nombre des infractions constatées est à peu près le même (1998 et 2003), on
note les chiffres suivants (2004 : 14)
Infractions PV transmis Condamnations
1091 366 56
958 190 24
Autant
dire que 2% seulement des infractions constatées sont suivies d’une
condamnation ! La répression n’est donc pas féroce et cela d’autant moins
que deux domaines que je connais un peu me semblent épargnés, alors que les
infractions y sont multiples et patentes.
Le
premier est celui des produits alimentaires asiatiques dont la consommation
s’est largement vulgarisée dans la France urbaine. Hors des boutiques ou des
grandes surfaces « françaises » qui vendent des marchandises
exotiques, souvent de provenance française, on trouve, dans les magasins spécialisés,
souvent asiatiques, beaucoup de produits vendus dans des emballages d’origine
d’où le français est totalement absent. Les commerçants, en infraction mais avisés,
placent parfois sur leurs rayons des pancartes avec les noms français.
Plus
important me paraît le domaine de l’informatique qui pourtant, selon les termes
mêmes de la DGLFLF, est l’objet d’une attention particulière. Toutefois, cette
vigilance ne semble s’exercer que sur les notices de logiciels et de machines, et non sur
les services eux-mêmes. Wanadoo, qui en dépit de son nom vaguement exotique, est
une marque française qui contrevient un peu, phonétiquement du moins, à la loi
Toubon, envoie à ses clients français, en cas de problème de transmission de
ses courriels, des messages en anglais de
ce type : “This is the SMTP Server program at host wanadoo.fr. I'm sorry
to have to inform you that the message returned below could not be delivered to
one or more destinations.”. Qu’on ne vienne pas me dire que ce n’est pas
Wanadoo qui envoie ces messages, mais le « SMTP server » !
Serait-il réellement impossible que de tels messages, en outre parfaitement
stéréotypés, soient délivrés en français quand ils s’adressent à des
expéditeurs français? Serait-ce un exploit technique de le faire ? Est-il
légal qu’ils soient adressés en anglais ?
La
"Toile" a assurément porté le coup fatal à la loi Toubon ; cette
dernière devait être plus efficace que la loi Bas-Lauriol dont l’objet était
déjà en gros le même ; il n'en est rien . Certes quelques associations de paladins de la francophonie peuvent, grâce à elle,
exercer un contrôle bénévole, mais les procès-verbaux devant être dressés par
le Service de la répression des fraudes, on peut penser que les inspecteurs de
ce service ont sans doute, très souvent, des tâches plus urgentes et peut-être
plus indispensables à remplir, en matière d’alimentation et de santé en
particulier. Le fait que l’immense majorité des procès-verbaux transmis au
Parquet ne soient pas suivis de condamnations ne les incite probablement pas à
se montrer plus vigilants et actifs dans ce domaine.
Deux
remarques de conclusion :
Je
ne crains pas de voir enseignants et étudiants français aller massivement vers
l'anglais pour la simple et bonne raison que, dans leur immense majorité, ils
ne sont pas assez compétents dans cette langue pour le faire. Jetez donc un
coup d'oeil aux statistiques en la matière ... quand elles se risquent à
vérifier les compétences déclarées.
Au
fait, les universités françaises ne sont-elles pas autonomes ? La pédagogie
comme la didactique seraient-elles hors du champ de cette autonomie ?
jeudi 23 mai 2013
L'autonomie des Universités. Troisième épisode
Au milieu de l'année 2007, il était amusant de constater que venaient sur le tapis politique français, au même moment et à la même
initiative mais sans qu'on les rapproche, la « liquidation » de mai 68 et une
réforme, alors conduite par Madame Pécresse, visant à développer « l’autonomie
des universités » qui serait
le remède à tous leurs maux.
Je laisserai de côté le premier point dans son ensemble, car il y a là une auberge espagnole où chacun trouve naturellement ce qu’il y apporte ; j’ai même vu, le mardi 29 mai 2007, Jean-Michel Aphatie avancer, hardiment et sans rire, que Nicolas Sarkozy portait sur Mai 68 une main parricide, dans la mesure où sa famille personnelle était une famille recomposée! On aura décidément tout entendu !
Pour moi, je ne suis pas sûr que la libération des mœurs ou la loi sur l’avortement soient des conséquences, immédiates et directes, du seul Mai 68. La loi Neuwirth sur « la régulation des naissances » et la contraception, qui est une étape essentielle, date de décembre 1967 ! Ces évolutions ne sauraient donc être portées au seul crédit des événements du printemps de l’année suivante. En revanche, s’il est une loi qui est un pur produit de mai 68, c’est bien la loi Edgar Faure sur les universités qui met en place un système qui est, en gros, celui que nous connaissions encore avant la loi Pécresse vu le peu de changements de fond apportés au système universitaire français entre 1968 et 2007.
Le paradoxe le plus frappant est que « l’autonomie », qu’on a prétendu instaurer en 2007 et dont on aurait mieux fait de célébrer le quarantième anniversaire, constituait en effet la maître-mot de cette loi de 1968, même si on l'a oublié.
Je laisserai de côté le premier point dans son ensemble, car il y a là une auberge espagnole où chacun trouve naturellement ce qu’il y apporte ; j’ai même vu, le mardi 29 mai 2007, Jean-Michel Aphatie avancer, hardiment et sans rire, que Nicolas Sarkozy portait sur Mai 68 une main parricide, dans la mesure où sa famille personnelle était une famille recomposée! On aura décidément tout entendu !
Pour moi, je ne suis pas sûr que la libération des mœurs ou la loi sur l’avortement soient des conséquences, immédiates et directes, du seul Mai 68. La loi Neuwirth sur « la régulation des naissances » et la contraception, qui est une étape essentielle, date de décembre 1967 ! Ces évolutions ne sauraient donc être portées au seul crédit des événements du printemps de l’année suivante. En revanche, s’il est une loi qui est un pur produit de mai 68, c’est bien la loi Edgar Faure sur les universités qui met en place un système qui est, en gros, celui que nous connaissions encore avant la loi Pécresse vu le peu de changements de fond apportés au système universitaire français entre 1968 et 2007.
Le paradoxe le plus frappant est que « l’autonomie », qu’on a prétendu instaurer en 2007 et dont on aurait mieux fait de célébrer le quarantième anniversaire, constituait en effet la maître-mot de cette loi de 1968, même si on l'a oublié.
Le terme est quasi obsessionnel dans ce texte. L’autonomie y est
partout, qu’elle soit « administrative » (Titre III), « pédagogique » (Titre
IV) ou « financière » (Titre V). « Autonomie » est le PREMIER mot des trois
principaux « Titres » de la loi de 1968, qu’on nomme en général loi Edgar Faure
(Le mot « titre » est à prendre ici au sens technique et désigne un ensemble
d’articles dans le texte d’une loi).
La loi Edgar Faure est sans doute le plus pur produit de mai 68, dans la mesure où elle visait, surtout et d’abord, à casser le vieux système universitaire français dont la référence suprême et ultime était l'antique Sorbonne, pour tenter d'instaurer une forme de démocratie universitaire, au moins verbale. La limite essentielle de la réforme demeurait toutefois dans le fait que les universités dépendaient toujours, de façon quasi exclusive, du financement de l’Etat.
Le premier aspect fut plus facile à régler que le second.
Dans l’ordre symbolique, cette réforme mit d’abord fin au privilège de l’Université de Paris. Certains enseignants parisiens, de l’une ou l’autre des treize universités parisiennes actuelles (la quatorzième, souvent et longtemps rêvée, peut-être par superstition après tout, vu le caractère maléfique attribué au nombre treize, ne vit jamais le jour), continuent à se présenter, toujours fallacieusement et le plus souvent par pur mercantilisme, comme « Professeur à la Sorbonne ». Or, ce titre n’existe plus depuis 1968 et moins encore la rémunération spéciale qui s’y attachait. Il n’y a plus de Sorbonne ! Paris-Sorbonne ou Sorbonne Nouvelle ne sont que des succédanés aussi nostalgiques qu'abusifs. En fait, ces universités ont pour seule authentique dénomination administrative, Paris 4 et Paris 3. Ce sont leurs conseils qui ont adopté, comme ils en avaient le droit et comme l’ont fait aussi l’immense majorité des universités provinciales, des dénominations moins austères ou plus prestigieuses, à leurs yeux du moins.
Le vrai problème était (et demeure) celui du financement des universités et non celui de savoir si l'on peut ou non y faire des cours en anglais ! Il continue à dépendre quasi exclusivement de l’Etat, d’abord et surtout par la rémunération des personnels enseignants, techniques, administratifs ou de service. A titre indicatif, dans le prix de revient global d’une université (ne parlons pas du seul budget, car il n’incluait pas la rémunération des personnels statutaires, qui sont payés directement par l’Etat, hors budget), les traitements représentent, en gros, en moyenne et au minimum, les trois quarts.
Cette masse est évidemment à la fois énorme et incompressible. L’université, en outre, dans certaines limites, ne peut donc « agir » que sur une modeste fraction de son budget affiché ; ajoutons que, dans cette fraction budgétaire elle-même, des dépenses incompressibles (entretien courant, fluides, chauffage, heures complémentaires, personnel contractuel recruté sur budget universitaire, etc.) tiennent une place très importante. Comparer le budget d’une université française avec, par exemple, celui d’une université américaine, privée et même publique (d'Etat), n’a donc guère de sens, si l’on ne prend pas en compte les énormes différences structurelles et même culturelles.
Globalement d’ailleurs, depuis la loi Edgar Faure, les rares aménagements qui ont été apportés sont, pour la plupart, allés dans le sens d’un très léger accroissement de l’autonomie budgétaire de détail des établissements, mais, par la force des choses, dans des limites très modestes. Ainsi a-t-on pu plus facilement, dans certains cas, faire passer des crédits d’une ligne budgétaire à une autre (dans le cas des heures complémentaires par exemple), même si les contraintes restaient très pesantes. Le problème majeur demeure toutefois que, dans un budget universitaire, le pourcentage de crédits sur lesquels peut s’exercer cette prétendue « autonomie » est très faible. L’université a une autonomie, mais elle n’a pas les moyens de l’exercer.
En feignant de parler d’autonomie des universités, n’est-ce pas en fait de privatisation qu’on a voulu parler, sans oser le dire, et sans qu'une telle évolution soit d'ailleurs possible ? La privatisation ne peut dès lors conduire qu'à la paupérisation globale et à des choix masqués, la prétendue autonomie servant en fait à couvrir un désengagement, politique, moral et financier, de l'Etat et l'étouffement progressif des petits établissements qu'on a multipliés de façon excessive sans oser désormais les supprimer.
Un exemple significatif : la France peut-elle ou veut-elle continuer à offrir la quasi-gratuité des études supérieures, quasi unique dans le Nord, sans pratiquer une sélection à l’entrée des universités, comme cela se fait à peu près partout, et en laissant s’opérer, de plus en plus, une sélection cachée, tant par l’orientation aveugle vers des filières-poubelles que par l’échec massif dans les premières années ?
La première mesure à prendre, élémentaire et salutaire, ne serait-elle pas de supprimer le baccalauréat (qu’obtiennent entre 82 et 90% des candidats - selon le mode de calcul) ? Il coûte très cher sans qu'on sache même exactement combien, car tout dépend de ce que l'on fait entrer dans le calcul de son prix de revient, (on va parfois jusqu'à 300 millions d’euros par an, sans en rien savoir en fait) ; le pire est qu'il ampute et désorganise les fins d’années scolaires, et, sans servir à quoi que ce soit, empêche de poser le problème de la sélection à l’entrée à l’université, qu’on laisse s’opérer clandestinement, comme les détournements de la carte scolaire, par des consultations, faites en douce, des livrets scolaires, des exigences latentes de mentions, des droits supplémentaires et subreptices, etc. Il en est de même pour le détournement, ancien et constant, des filières courtes (IUT, BTS) dont la plupart des étudiants passent, dès qu'ils ont leur DUT ou leur BTS, par équivalences, dans les filières longues. Ces choix sont majeurs, même s’ils ne sont pas explicités et si, quand ils sont esquissés, le sont de façon détournée et/ou latente.
La loi Edgar Faure est sans doute le plus pur produit de mai 68, dans la mesure où elle visait, surtout et d’abord, à casser le vieux système universitaire français dont la référence suprême et ultime était l'antique Sorbonne, pour tenter d'instaurer une forme de démocratie universitaire, au moins verbale. La limite essentielle de la réforme demeurait toutefois dans le fait que les universités dépendaient toujours, de façon quasi exclusive, du financement de l’Etat.
Le premier aspect fut plus facile à régler que le second.
Dans l’ordre symbolique, cette réforme mit d’abord fin au privilège de l’Université de Paris. Certains enseignants parisiens, de l’une ou l’autre des treize universités parisiennes actuelles (la quatorzième, souvent et longtemps rêvée, peut-être par superstition après tout, vu le caractère maléfique attribué au nombre treize, ne vit jamais le jour), continuent à se présenter, toujours fallacieusement et le plus souvent par pur mercantilisme, comme « Professeur à la Sorbonne ». Or, ce titre n’existe plus depuis 1968 et moins encore la rémunération spéciale qui s’y attachait. Il n’y a plus de Sorbonne ! Paris-Sorbonne ou Sorbonne Nouvelle ne sont que des succédanés aussi nostalgiques qu'abusifs. En fait, ces universités ont pour seule authentique dénomination administrative, Paris 4 et Paris 3. Ce sont leurs conseils qui ont adopté, comme ils en avaient le droit et comme l’ont fait aussi l’immense majorité des universités provinciales, des dénominations moins austères ou plus prestigieuses, à leurs yeux du moins.
Le vrai problème était (et demeure) celui du financement des universités et non celui de savoir si l'on peut ou non y faire des cours en anglais ! Il continue à dépendre quasi exclusivement de l’Etat, d’abord et surtout par la rémunération des personnels enseignants, techniques, administratifs ou de service. A titre indicatif, dans le prix de revient global d’une université (ne parlons pas du seul budget, car il n’incluait pas la rémunération des personnels statutaires, qui sont payés directement par l’Etat, hors budget), les traitements représentent, en gros, en moyenne et au minimum, les trois quarts.
Cette masse est évidemment à la fois énorme et incompressible. L’université, en outre, dans certaines limites, ne peut donc « agir » que sur une modeste fraction de son budget affiché ; ajoutons que, dans cette fraction budgétaire elle-même, des dépenses incompressibles (entretien courant, fluides, chauffage, heures complémentaires, personnel contractuel recruté sur budget universitaire, etc.) tiennent une place très importante. Comparer le budget d’une université française avec, par exemple, celui d’une université américaine, privée et même publique (d'Etat), n’a donc guère de sens, si l’on ne prend pas en compte les énormes différences structurelles et même culturelles.
Globalement d’ailleurs, depuis la loi Edgar Faure, les rares aménagements qui ont été apportés sont, pour la plupart, allés dans le sens d’un très léger accroissement de l’autonomie budgétaire de détail des établissements, mais, par la force des choses, dans des limites très modestes. Ainsi a-t-on pu plus facilement, dans certains cas, faire passer des crédits d’une ligne budgétaire à une autre (dans le cas des heures complémentaires par exemple), même si les contraintes restaient très pesantes. Le problème majeur demeure toutefois que, dans un budget universitaire, le pourcentage de crédits sur lesquels peut s’exercer cette prétendue « autonomie » est très faible. L’université a une autonomie, mais elle n’a pas les moyens de l’exercer.
En feignant de parler d’autonomie des universités, n’est-ce pas en fait de privatisation qu’on a voulu parler, sans oser le dire, et sans qu'une telle évolution soit d'ailleurs possible ? La privatisation ne peut dès lors conduire qu'à la paupérisation globale et à des choix masqués, la prétendue autonomie servant en fait à couvrir un désengagement, politique, moral et financier, de l'Etat et l'étouffement progressif des petits établissements qu'on a multipliés de façon excessive sans oser désormais les supprimer.
Un exemple significatif : la France peut-elle ou veut-elle continuer à offrir la quasi-gratuité des études supérieures, quasi unique dans le Nord, sans pratiquer une sélection à l’entrée des universités, comme cela se fait à peu près partout, et en laissant s’opérer, de plus en plus, une sélection cachée, tant par l’orientation aveugle vers des filières-poubelles que par l’échec massif dans les premières années ?
La première mesure à prendre, élémentaire et salutaire, ne serait-elle pas de supprimer le baccalauréat (qu’obtiennent entre 82 et 90% des candidats - selon le mode de calcul) ? Il coûte très cher sans qu'on sache même exactement combien, car tout dépend de ce que l'on fait entrer dans le calcul de son prix de revient, (on va parfois jusqu'à 300 millions d’euros par an, sans en rien savoir en fait) ; le pire est qu'il ampute et désorganise les fins d’années scolaires, et, sans servir à quoi que ce soit, empêche de poser le problème de la sélection à l’entrée à l’université, qu’on laisse s’opérer clandestinement, comme les détournements de la carte scolaire, par des consultations, faites en douce, des livrets scolaires, des exigences latentes de mentions, des droits supplémentaires et subreptices, etc. Il en est de même pour le détournement, ancien et constant, des filières courtes (IUT, BTS) dont la plupart des étudiants passent, dès qu'ils ont leur DUT ou leur BTS, par équivalences, dans les filières longues. Ces choix sont majeurs, même s’ils ne sont pas explicités et si, quand ils sont esquissés, le sont de façon détournée et/ou latente.
On aurait dû voir, en revanche, un signe prémonitoire dans le fait que le Président de la
Conférence des Présidents d’Universités, au moment de la loi
Pécresse, s’appelait... Monsieur Finance ?
Libellés :
autonomie,
baccalauréat,
Edgar Faure,
Fioraso,
pécresse,
réforme,
sélection,
universités
mercredi 22 mai 2013
Langue française : la loi Toubon et le Dictionnaire de termes officiels de la langue française
La loi Toubon, votée le 4 août 1994, dont on
reparlera à propos de l'usage de l'anglais dans nos universités, a imposé, pour
les textes administratifs, l'usage d’un vocabulaire français
"officiel", disposition qui, comme dans le cas de "courriel" n'est guère respectée. Dans ces circonstances et à cette fin, il a donc fallu, à
la hâte, fabriquer et éditer un Dictionnaire
de termes officiels de la langue française ( sans nom d'auteur, DGLF).
Issu des travaux des multiples commissions de
terminologie des ministères français (chacun a la sienne comme dans "l'Ami
Bidasse"), ce dictionnaire, outre des aberrations qu'il contient, a un vice
bien plus grave à mes yeux. Comme on le verra par des exemples, il prend quasi
systématiquement le contre-pied des propositions québécoises en matière de
terminologie, alors qu'on ne cesse de nous vanter l'harmonisation et la mise en
synergie au sein de la francophonie. Or, les Québécois, par la force des choses
et l’effet de leur Loi 101, se sont consacrés, bien plus que les Français et
depuis bien plus longtemps, au développement terminologique de la langue
française. Il aurait donc été courtois, logique et intelligemment coopératif de
retenir un certain nombre des termes dont ils avaient usé avant nous et qui,
souvent, étaient aussi convenables, sinon meilleurs, que ceux qui ont été
proposés dans la suite par la France.
On sait l’importance du social dans le lexical;
cette remarque est toujours d'actualité et on peut la faire, de nos jours,
à propos de ce Dictionnaire de termes officiels de la langue française. Si l'on
y examine les vocabulaires du sport par exemple, on ne peut être que stupéfait
de voir la place accordée au golf qui ne paraît pourtant pas être en France le
sport le plus répandu. Si, comme on peut le penser, l'auteur a compilé les
propositions des Commissions ministérielles de terminologie, force est de
conclure que les distingués membres de la Commission du Ministère de la
jeunesse et des sports fréquentent davantage les « greens » que les
jeux de boules des bistrots, les terrains de « foot » ou les
« play grounds » des banlieues (N'oublions pas que l’actuel Président
de la Commission générale de terminologie est Monsieur de Broglie qui n'a rien
d'un bouliste ni d’un hooligan !). C'est, après tout, leur droit, mais cela
perpétue néanmoins, dans l'innovation terminologique, une tradition
lexicographique qui remonte au XVIIe siècle (ce n'en est que mieux aux yeux de
certains!). Le vrai et seul problème est que tout donne à penser que les
membres de cette Commission sont, hélas, meilleurs golfeurs que terminologues!
Dans ce dernier domaine, leur « handicap » apparaît en effet très
lourd.
Le vocabulaire de ce sport constitue environ 40% des
termes sportifs contenus dans l’ouvrage. Ce choix est un peu étrange, je viens
de le dire, mais le plus important est ailleurs. En effet, sur le plan
proprement terminologique, deux aspects apparaissent nettement.
D’une part, une grande indigence proprement
néologique. On y procède essentiellement par des traductions littérales
absurdes des mots anglais qu’on prétend éviter. On impose ainsi
« aigle » pour « eagle » ou « oiselet » pour
« birdie », etc. L’innovation proprement terminologique est donc
nulle. Autant garder les termes anglais, éventuellement en les francisant à la
Marcel Aymé (sur le modèle de « biftèque » ou de
« coquetèle »)
La seconde remarque tient à l’évitement systématique
des termes proposés par les Québécois. Pourquoi proposer, par exemple, de dire
en français « chien de fusil » pour l’anglicisme « dog
leg » (« trou dont le tracé dessine un coude très accentué »),
tout en signalant que « les termes allée coudée et trou coudé sont
également utilisés au Canada ») (1994 : 37). Les termes québécois
sont bien meilleurs que le terme proposé qui, en français moderne, est désuet,
hors de l’expression « dormir en chien de fusil ». Qui sait, de nos
jours, ce qu’est un « chien de fusil » ? J’ajoute que dire
"au Canada " et non "au Québec, me paraît une mesquinerie
inutile ou, plus grave encore, une ignorance de la sensibilité des Québécois à
l’égard d’une telle formulation. On trouve mieux encore avec l’article
« par » : « par n.m., Domaine Sport/golf. Définition
« Nombre de coups considéré comme la référence sur [sic ; je dirais plutôt
« pour », que « sur » mais enfin…] un trou. Note : le
terme utilisé au Canada [même remarque que plus haut] pour le par est « la
normale ». Anglais : "par". On voit qu’on déroge au
principe, réputé fondateur, d’éviter l’emprunt anglais pour la seule
satisfaction de ne pas user du terme (québécois) de « normale » qui
semble pourtant excellent.
Outre l’inventaire terminologique lui-même,
l’ouvrage publié en janvier-février 1994, comprend un recueil de « textes
généraux » de près de 150 pages (315-462). Tout cela est d’une pesanteur
insupportable et même absurde, puisque tous les arrêtés comportent une annexe
qui n’est pas reproduite dans la mesure où les termes proposés figurent
eux-mêmes dans le dictionnaire. On a le sentiment qu’on a voulu chercher à
donner à l’ouvrage une taille impressionnante car ces annexes doublent le
volume de l’inventaire des termes lui-même. Il y a toutefois là une indication
éventuelle sur l’identité de l’auteur de ce travail puisque, à cette même
époque, a été soutenue une thèse dont le contenu paraît fort proche et qui, par
sa nature même, conduit à pareille recension de documents, tout à fait inutile
en dehors du genre académique.
On s’étonne, mais sans le regretter, de ne pas
trouver, dans cet ensemble, insipide et répétitif, le texte fondateur de cette
entreprise terminologique française, le décret n° 72-19 du 7 janvier 1972
instituant auprès des administrations centrales des commissions de terminologie
et rendant, dès cette époque, obligatoire
l’emploi des termes ainsi retenus dans tous les documents officiels. On a
peut-être, dans ce dernier détail, la vraie raison de l’omission de ce document
essentiel, cette circonstance illustrant, une fois de plus, le goût, bien
français, pour des lois et décrets qu’on n’applique pas réellement (ce qui est
également le cas de la loi Toubon elle-même).
Il n’aurait donc pas été mauvais, avant la publication
de ce Dictionnaire de termes officiels, de recueillir à son propos quelques
avis compétents. Il constitue, en effet, une sorte de florilège des erreurs et
aberrations en matière lexicographique et néologique. La simple consultation de
la couverture du livre et de sa quatrième de couverture laisse rêveur. Sur la
première, on trouve, d’une façon qu’on a sans doute jugée ingénieuse et percutante, les définitions des mots qui forment
le titre même du livre. Pour « des » (Dictionnaire des
termes [observez que le vrai titre est, de façon étrange
"Dictionnaire de termes" ]),
on lit donc « article masc. et fém. pluriel ». Fournir pour ce terme,
en pareil cas, une telle définition n’aurait pas été pardonné à un élève de
cours moyen deuxième année, à l’époque où l’on savait encore la grammaire et où
l’on faisait de « l’analyse grammaticale ». Dans cet emploi, « des »
( < « de les ») est un article contracté et, comme tel, il est, en
outre, à classer sous « de » dans un dictionnaire ! Sur la quatrième
de couverture, on lit : « Doter la langue française de termes inventifs
[sic], telle est la tâche des commissions de terminologie ». Enrichir la
langue, soit ; encore faut-il la connaître et ne pas trop la malmener.
« Inventif » est ici tout à fait impropre, car cet adjectif ne peut
qualifier que celui qui a le don d’inventer ou qui est fertile en ressources.
On voit mal comment un mot pourrait présenter ces caractères. Peut-être a-t-on
voulu dire « inventés », mais de pareilles approximations ne laissent
pas d’inquiéter surtout sur la couverture d’un tel ouvrage. On ne peut
s’empêcher de songer au grand Emile Littré. Il perdait si peu ses moyens et ses
réflexes professionnels que, Madame Littré le trouvant un jour au lit avec la
bonne et s’exclamant « Emile, je suis surprise de vous trouver
là ! », il lui fit aussitôt observer, non sans esprit et à
propos : « Pas du tout, ma chère ! Vous êtes étonnée ;
c’est nous qui sommes surpris ! ».
Ce livre qu’on baptise, aussi pompeusement
qu’inexactement, « dictionnaire » n’est donc qu’un simple agrégat de
termes, eux-mêmes issus de listes, que caractérise une totale absence de
systématicité. Le vocabulaire le plus courant, celui des médias par exemple,
avec sa nuée d’emprunts à l’anglo-américain, de « prime time » à
« pannel » en passant par « medley », n’est même pas pris
en compte (à croire qu’il ne doit pas y avoir de Commission pour ça!).
L’exemple du sport est l’un des plus absurdes, mais
aussi des plus significatifs. On y rompt des lances contre des mots intégrés
dans le français ordinaire depuis près d’un siècle (la proscription aberrante
de « corner » et « penalty » a révolté, à juste titre, B.
Pivot, grand amateur de football !) et l’on y pourfend des termes que nul
n’emploie jamais. Ainsi évoque-t-on un mythique « goal » qu’on
dénonce alors que nul n’en use! Sur tous les terrains de foot de France, un "goal"
est un « gardien de but » et non un « but ». On note nombre
d'erreurs de référents. Remplacer « starter » par
« démarreur » prouve qu’on ne sait pas plus ce qu’est un démarreur
qu’un starter, ces deux pièces étant tout à fait différentes! Le fait
que nul n’ait fait remarquer pareille bévue, à ma connaissance du moins, montre
le peu d’intérêt que portent à un tel ouvrage les professionnels, qui sont
pourtant les premiers concernés. La commission technique en cause apparaît donc
n’être guère plus compétente en mécanique qu’en lexicographie. Autre
exemple : « cafèterie » est imposé pour remplacer
« cafétéria » qui, notons-le en passant, est parfaitement intégré au
français ; or, le mot « cafèterie » existe déjà dans notre
langue depuis longtemps avec le sens de « plantation de caféiers ».
Les membres de la Commission et les académiciens ignoreraient-ils aussi le
français ? On aurait pu, en tout cas, vérifier tous ces détails dans de vrais dictionnaires.
mardi 21 mai 2013
Email, mél ou courriel ?
Le choix terminologique entre ces termes, sans doute sans importance aux yeux de certains, est aux miens à la fois exemplaire et de la plus grande gravité. On me pardonnera donc d'en traiter ici dans le détail car il est essentiel. Alors que la Loi Toubon et le Dictionnaire de termes officiels de la langue française ( sans nom d'auteur, DGLF) datent de 1994, donc sont antérieurs à la création, en France, de la "Commission générale de terminologie et de néologie", la responsabilité de cette dernière est, en revanche, incontestable dans l’affaire que je vais évoquer ici. Elle souligne en outre que, dans tout cela, ces comportements, que je juge regrettables, reçoivent le soutien et même l’aval des autorités françaises les plus officielles, même si ces dernières ne sont sans doute ni informées, ni préoccupées du détail des faits (ce qui, à mes yeux, ne constitue en rien une excuse !).
La sotte prétention des Français à tout régenter, seuls et de façon exclusive, dans la langue française, pour le présent comme pour le futur, est illustrée de la façon la plus caricaturale par l'affaire de la création d'un équivalent français de l'anglo-américain e-mail. Je m'honore d'avoir joué un rôle modeste dans cette affaire, en particulier, en dénonçant ce scandale très publiquement, en présence même de Monsieur de Broglie, lors d'une réunion au Centre de conférences de l'avenue Kléber, en 2001 me semble-t-il.
Résumé de l'histoire.
Avant même que se pose le problème du choix d'un terme administratif pour désigner ce que les anglophones ont nommé e-mail, j'avais connaissance, par mes relations constantes avec le Québec, du terme « courriel » que les Québécois avaient adopté pour traduire ce mot. Ce choix m'avait paru excellent, à la fois par la pertinence et la transparence sémantiques du terme (une sorte de mot-valise pour « courrier-électronique ») et par ses possibilités paradigmatiques (courriel >courrieler). Certes j'avais quelque crainte quant aux réactions du côté français vu les comportements antérieurs (Dictionnaire de 1994!), mais on pouvait espérer voir ce néologisme si réussi adopté par les Français.
Il n’en a évidement rien été ! Le choix initial par la France du mot « mél » m'a néanmoins étonné, quoiqu'on y retrouve cet absurde parti-pris de s'affranchir de l'influence de l'anglais, en suivant, en même temps, cette langue de la façon la plus servile, comme lorsque, pour éviter, dans le vocabulaire du golf, cher à nos terminologues français officiels, birdie ou eagle, on leur donne, comme équivalents français, « oiselet » ou « aigle »!
Le choix français a été rendu officiel par un texte du 2/12/1997 dont je cite quelques extraits hautement significatifs, en notant au passage qu’en 1994, le Dictionnaire ignorait encore jusqu’à l’existence du courrier électronique :
« La commission générale de terminologie et de néologie s’est penchée sur la traduction française de l’anglo-américain e-mail et en particulier sur le symbole à utiliser […] Le symbole retenu est Mél [en gras dans le texte]. […] La commission générale a adopté un certain nombre de dénominations : […] message électronique [désigne] le document. […] L’Académie française vient d’approuver ces propositions qui seront publiées prochainement au Journal officiel ».
On a peine à croire qu’on puisse voir imposé, comme graphie officielle, approuvée par les plus hautes instances académiques, un mot mél (avec un accent aigu !). Une des règles absolues du français est, en effet, qu'un é (e fermé) est impossible devant la liquide l, finale de syllabe, comme on le constate dans tous les mots où se présente cette séquence. Dans ciel, miel ou fiel, non seulement e est toujours ouvert (è), mais il n'y a jamais d'accent (et surtout pas d'accent aigu). Dans cette ignorance inouïe, on distingue toutefois la raison possible d'une proposition si aberrante: peut-être a-t-on voulu, pour l'inévitable verbe dérivé (comme « faxer » issu de « fax »), éviter la confusion avec « mêler » qu'aurait suscitée le mot « mel » (sans accent). Je ne vois pas d'autres raisons quoique la rationalité de la chose m'échappe, puisque le verbe « mêler » a un accent circonflexe qui, de toute façon, distingue le terme de mel (sans accent) comme de mél (avec un impossible accent aigu).
Un point essentiel est que dans ce texte, aucune mention n’est faite du mot « courriel » dont l’usage était pourtant déjà, depuis longtemps, généralisé au Québec. Personnellement, j'ai, dès le départ, systématiquement usé de ce terme et mené une campagne, incessante mais vaine, en tous lieux et en tous temps, contre ce monstrueux mél.
L’histoire n’est pas finie. Elle s’achève sur un gros mensonge ou, en tout cas, si l’on est d’un naturel indulgent, sur une éclatante mauvaise foi. En effet, en juillet 2003 (donc au bout de près de six ans !), la Commission se range enfin dans la voie du bon sens, mais les termes, dans lesquels elle le fait, valent le détour:
« Utilisé depuis un certain temps notamment au Québec, ce néologisme s’est progressivement répandu dans l’usage français pour désigner le courrier électronique, qu’il s’agisse du message lui-même, ou, par extension de la messagerie utilisée. […] Evocateur, avec une sonorité bien française, le mot courriel est largement utilisé dans la presse et concurrence avantageusement l’emprunt à l’anglais mail. La commission générale se range donc à la proposition québécoise désormais consacrée par l’usage, tout en maintenant la forme courrier électronique comme synonyme. En effet, dès 1997, elle avait publié comme équivalent français de e-mail, le terme courrier électronique, qui reste parfaitement adapté.
Enfin le symbole Mél., qui n’a jamais été proposé comme terme équivalent de e-mail, reste utilisable comme symbole et jamais comme nom, devant une adresse électronique, de même que Tél. s’emploie devant un numéro de téléphone. »
Ce texte mérite d’être commenté en détail car il constitue un étonnant monument de mauvaise foi où, tout en cherchant, en apparence, la conciliation, on manifeste la volonté permanente d’avoir toujours raison, envers et contre tous… à la française en somme !
Petit commentaire. Le rédacteur de ce texte est si ému de devoir revenir sur la proclamation du 2 décembre 1997 qu’il en oublie de préciser de quel mot il s’agit (D’Austerlitz à Canossa, le parcours est difficile !). Le « depuis un certain temps » (en fait six ans !) est plaisant et n’est pas sans rappeler une histoire de feu Fernand Raynaud. Elle mettait en scène un adjudant interrogeant de jeunes recrues sur le temps que le fût du canon met à se refroidir après qu’on a tiré un coup. Les réponses des bidasses sont multiples et diverses (de deux secondes à trois mois), mais la vraie réponse, que personne ne trouve bien sûr et qui constitue la chute de l’histoire, est, comme ici,.... « un certain temps ».
Le « notamment au Québec » vise à montrer qu’on ne recule pas devant les seuls Québécois, mais qu’on cède noblement à une sollicitation générale qui se manifeste, en France même, dans la presse (ce qui me paraît aussi totalement faux !). Le mot est, en fait, très spécifiquement québécois, au départ du moins, la terminologie étant, avec le sirop d'érable, l'une des deux spécialités de la Belle Province.
La Commission se garde de noter que si le mot « courriel » s’est « progressivement répandu dans l’usage français » (ce qui est également faux car il est très loin de l'être, dix ans plus tard !), c’est que les Français n’ont pas tenu compte de son injonction de 1997. En outre, si les mérites de « courriel » (« Evocateur, avec une sonorité bien française ») sont si éclatants, on se demande pourquoi la Commission ne l’a pas retenu d’emblée !
On poursuit dans le même registre. Le texte de 1997, que celui de 2003 rend caduc, reste néanmoins « parfaitement adapté » ! Nous sommes bien toujours les meilleurs, même quand nous sommes contraints de revenir sur nos choix ! Bien que je nourrisse pas le fol espoir que mes critiques contre « mél » aient pu être entendues (je les avais plusieurs fois écrites et même communiquées en une circonstance publique à G. de Broglie), j’observe qu’on s’efforce ici d’y répondre, non sans astuce, mais avec une manifeste mauvaise foi. L’argument pour justifier l’aberrante orthographe de « mél. »que j’avais dénoncée est l’invocation d’un parallèle avec « tél. », dont on use devant un numéro de téléphone. Les deux cas sont, en réalité, sans aucun rapport. « Tél. » est clairement (avec ou sans point derrière) l’abréviation de « téléphone » qui a, lui, un accent aigu « normal ». De quel mot commençant par « mél-» ce « mél. » serait-il l’abréviation ?
L’argument est de toute évidence fallacieux, même couvert par l’autorité de l’Académie française. En outre, la Commission comporte, dans ses membres, quelques linguistes. Aucun d’entre eux ne pouvait ignorer que l’usage de ce « mél. », même limité au symbole précédant une adresse électronique, allait immédiatement entraîner la « substantivation » du terme et l’émergence d’un verbe dérivé, exactement comme dans le cas de « fax ».
Le bon sens a fini, non sans mal, par triompher et la France, contrainte et forcée, a abandonné ce « maudit » mél (je dis « maudit » par référence aux Québécois, pour lesquels nous sommes souvent, et nous le fûmes, en l'occurrence, six années durant et à raison, les « maudits » Français!). Nous avons en tout cas, en la circonstance, montré une fois de plus notre manque total d'esprit de coopération francophone et confirmé cette arrogance qu'on nous reproche tant et qui rend évident, une fois de plus, que nous nous jugeons les seuls propriétaires de la langue française.
J’ajoute que non seulement « courriel » a permis, comme on pouvait le prévoir, de créer le dérivé verbal « courrieler », mais qu’il a engendré, au Québec du moins, (mais peut-être en userons-nous à notre tour un jour), le terme « pourriel » qui désigne joliment les « courriels » importuns et souvent porteurs de virus qui, de plus en plus, envahissent nos messageries électroniques et que nos machines appellent "spams".
Cette affaire ramène, une fois de plus, le problème de la langue française que la loi Fioraso risque fort de poser à nouveau.
J'y reviendrai donc!
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