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jeudi 23 mai 2013

L'autonomie des Universités. Troisième épisode


Au milieu de l'année 2007, il était amusant de constater que venaient sur le tapis politique français, au même moment et à la même initiative mais sans qu'on les rapproche, la « liquidation » de mai 68 et une réforme, alors conduite par Madame Pécresse, visant à développer « l’autonomie des universités » qui serait le remède à tous leurs maux.

Je laisserai de côté le premier point dans son ensemble, car il y a là une auberge espagnole où chacun trouve naturellement ce qu’il y apporte ; j’ai même vu, le mardi 29 mai 2007, Jean-Michel
Aphatie avancer, hardiment et sans rire, que Nicolas Sarkozy portait sur Mai 68 une main parricide, dans la mesure où sa famille personnelle était une famille recomposée! On aura décidément tout entendu !

Pour moi, je ne suis pas sûr que la libération des mœurs ou la loi sur l’avortement soient des conséquences, immédiates et directes, du seul Mai 68. La loi Neuwirth sur « la régulation des naissances » et la contraception, qui est une étape essentielle, date de décembre 1967 ! Ces évolutions ne sauraient donc être portées au seul crédit des événements du printemps de l’année suivante. En revanche, s’il est une loi qui est un pur produit de mai 68, c’est bien la loi Edgar Faure sur les universités qui met en place un système qui est, en gros, celui que nous connaissions encore avant la loi Pécresse vu le peu de changements de fond apportés au système universitaire français entre 1968 et 2007.

Le paradoxe le plus frappant est que « l’autonomie », qu’on a prétendu instaurer en 2007 et dont on aurait mieux fait de célébrer le quarantième anniversaire, constituait en effet la maître-mot de cette loi de 1968, même si on l'a oublié.
Le terme est quasi obsessionnel dans ce texte. L’autonomie y est partout, qu’elle soit « administrative » (Titre III), « pédagogique » (Titre IV) ou « financière » (Titre V). « Autonomie » est le PREMIER mot des trois principaux « Titres » de la loi de 1968, qu’on nomme en général loi Edgar Faure (Le mot « titre » est à prendre ici au sens technique et désigne un ensemble d’articles dans le texte d’une loi).

La loi Edgar Faure est sans doute le plus pur produit de mai 68, dans la mesure où elle visait, surtout et d’abord, à casser le vieux système universitaire français dont la référence suprême et ultime était l'antique Sorbonne, pour tenter d'instaurer une forme de démocratie universitaire, au moins verbale. La limite essentielle de la réforme demeurait toutefois dans le fait que les universités dépendaient toujours, de façon quasi exclusive, du financement de l’Etat.

Le premier aspect fut plus facile à régler que le second.

Dans l’ordre symbolique, cette réforme mit d’abord fin au privilège de l’Université de Paris. Certains enseignants parisiens, de l’une ou l’autre des treize universités parisiennes actuelles (la quatorzième, souvent et  longtemps rêvée, peut-être par superstition après tout, vu le caractère maléfique attribué au nombre treize, ne vit jamais le jour), continuent à se présenter, toujours fallacieusement et le plus souvent par pur mercantilisme, comme « Professeur à la Sorbonne ». Or, ce titre n’existe plus depuis 1968 et moins encore la rémunération spéciale qui s’y attachait. Il n’y a plus de Sorbonne ! Paris-Sorbonne ou Sorbonne Nouvelle ne sont que des succédanés aussi nostalgiques qu'abusifs. En fait, ces universités ont pour seule authentique dénomination administrative, Paris 4 et Paris 3. Ce sont leurs conseils qui ont adopté, comme ils en avaient le droit et comme l’ont fait aussi l’immense majorité des universités provinciales, des dénominations moins austères ou plus prestigieuses, à leurs yeux du moins.

Le vrai problème était (et demeure) celui du financement des universités et non celui de savoir si l'on peut ou non y faire des cours en anglais ! Il continue à dépendre quasi exclusivement de l’Etat, d’abord et surtout par la rémunération des personnels enseignants, techniques, administratifs ou de service. A titre indicatif, dans le prix de revient global d’une université (ne parlons pas du seul budget, car il n’incluait pas la rémunération des personnels statutaires, qui sont payés directement par l’Etat, hors budget), les traitements représentent, en gros, en moyenne et au minimum, les trois quarts.

Cette masse est évidemment à la fois énorme et incompressible. L’université, en outre, dans certaines limites, ne peut donc « agir » que sur une modeste fraction de son budget affiché ; ajoutons que, dans cette fraction budgétaire elle-même, des dépenses incompressibles (entretien courant, fluides, chauffage, heures complémentaires, personnel contractuel recruté sur budget universitaire, etc.) tiennent une place très importante. Comparer le budget d’une université française avec, par exemple, celui d’une université américaine, privée et même publique (d'Etat), n’a donc guère de sens, si l’on ne prend pas en compte les énormes différences structurelles et même culturelles.

Globalement d’ailleurs, depuis la loi Edgar Faure, les rares aménagements qui ont été apportés sont, pour la plupart, allés dans le sens d’un très léger accroissement de l’autonomie budgétaire de détail des établissements, mais, par la force des choses, dans des limites très modestes. Ainsi a-t-on pu plus facilement, dans certains cas, faire passer des crédits d’une ligne budgétaire à une autre (dans le cas des heures complémentaires par exemple), même si les contraintes restaient très pesantes. Le problème majeur demeure toutefois que, dans un budget universitaire, le pourcentage de crédits sur lesquels peut s’exercer cette prétendue « autonomie » est très faible. L’université a une autonomie, mais elle n’a pas les moyens de l’exercer.

En feignant de parler d’autonomie des universités, n’est-ce pas en fait de privatisation qu’on a voulu parler, sans oser le dire, et sans qu'une telle évolution soit d'ailleurs possible ? La privatisation ne peut dès lors conduire qu'à la paupérisation globale et à des choix masqués, la prétendue autonomie servant en fait à couvrir un désengagement, politique, moral et financier, de l'Etat et l'étouffement progressif des petits établissements qu'on a multipliés de façon excessive sans oser désormais les supprimer.

Un exemple significatif : la France peut-elle ou veut-elle continuer à offrir la quasi-gratuité des études supérieures, quasi unique dans le Nord, sans pratiquer une sélection à l’entrée des universités, comme cela se fait à peu près partout, et en laissant s’opérer, de plus en plus, une sélection cachée, tant par l’orientation aveugle vers des filières-poubelles que par l’échec massif dans les premières années ?

La première mesure à prendre, élémentaire et salutaire, ne serait-elle pas de supprimer le baccalauréat (qu’obtiennent entre 82 et 90% des candidats - selon le mode de calcul) ? Il coûte très cher sans qu'on sache même exactement combien, car tout dépend de ce que l'on fait entrer dans le calcul de son prix de revient, (on va parfois jusqu'à 300 millions d’euros par an, sans en rien savoir en fait) ; le pire est qu'il ampute et désorganise les fins d’années scolaires, et, sans servir à quoi que ce soit, empêche de poser le problème de la sélection à l’entrée à l’université, qu’on laisse s’opérer clandestinement, comme les détournements de la carte scolaire, par des consultations, faites en douce, des livrets scolaires, des exigences latentes de mentions, des droits supplémentaires et subreptices, etc.
Il en est de même pour le détournement, ancien et constant, des filières courtes (IUT, BTS) dont la plupart des étudiants passent, dès qu'ils ont leur DUT ou leur BTS, par équivalences, dans les filières longues. Ces choix sont majeurs, même s’ils ne sont pas explicités et si, quand ils sont esquissés, le sont de façon détournée et/ou latente.
On aurait dû voir, en revanche,  un signe prémonitoire dans le fait que le Président de la Conférence des Présidents d’Universités, au moment de la loi Pécresse, s’appelait... Monsieur Finance ?

 

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