Vice-président de la Commission de l'agriculture et du développement rural ; membre de la Délégation à la
commission parlementaire Cariforum-UE ; membre
suppléant de la Commission du commerce international, de la Délégation
pour les relations avec la République populaire de Chine, de la Délégation pour
les relations avec l'Australie et la Nouvelle-Zélande, le député européen EELV
José Bové a bien changé ! Sans aller jusqu'à la cravate (j'ai cherché en vain
dans son iconographie officielle), le député Bové à adopté la veste sombre,
voire un élégant veston de cuir fort peu écologique, et a renoncé aux chemises
de bucheron canadien. Tout cela m'a remis en mémoire un portrait du José
d'antan que j'avais fait, après son arrestation/Ascension, un peu à la manière de Roland Barthes évoquant la
"forêt de signes" qu'était, à ses yeux, l'Abbé Pierre. Un petit coup
de flemme dominical me pousse ici à le reprendre.
"C’est une belle image dans
laquelle tout est soigneusement choisi pour faire sens.
La moustache est assurément
l’élément majeur de signification. On sait que l’homme d’autorité, dans la
mythologie populaire, porte moustache. Pour ne pas remonter trop loin Hitler,
Staline, Pinochet et Sadam Hussein furent des moustachus. Les dictateurs glabres
ne font pas d’usage, comme l’ont montré les cas de Mussolini ou Pol Pot. Signe
de virilité, la moustache est tout naturellement signe de force. Les Turcs sont
tous moustachus donc forts. Il y a toutefois moustache et moustache... Les
arrangements pileux dont la taille se limite, approximativement, à la largeur
des narines signalent le dictateur hystérique et caricatural (Hitler imitait
Charlot et Himmler imitait Hitler..). La force tranquille de la bonne brute se
marque par une moustache épaisse et fournie, particulièrement appréciée des
tyrans moyen-orientaux. La moustache de José Bové s’inscrit nettement dans la
lignée de celle de Staline, mais avec une rusticité savante qui lui donne
l’apparence d’un fagot de broussailles. Un tel arrangement, doublement
écologique, nécessite, à n’en pas douter, des soins aussi quotidiens
qu’attentifs, de façon à assurer un équilibre harmonieux entre la force
tranquille d’une virilité rurale et la fantaisie poilue d’un non-conformisme
bucolique. En matière de moustache comme ailleurs, un beau désordre ne saurait
être qu’un effet de l’art. Bien entendu, les nuances du poil ne sont pas
dépourvues de sens; cette moustache, nourrie sous la mère dans le Larzac, a les
tons mordorés et fauves de la forêt de novembre, le jus de tabac de la pipe
permettant d’enrichir encore cette palette des nuances automnales du poil
naturel et authentique.
La pipe est presque aussi riche
de signes que la moustache. La cigarette n’est pas le propre d’un sexe et il y
a désormais plus de fumeuses que de fumeurs. En revanche, la pipe est
incontestablement mâle, tout au moins dans nos sociétés occidentales, et elle
tend même à manifester le machisme. Elle se situe d’ailleurs depuis toujours
aux antipodes de la distinction, voire de la politesse : on a la cigarette aux
lèvres, voire au bec, mais la pipe est un brûle-gueule. Le fumeur de pipe n’est
pas homme à se préoccuper d’autrui et il se moque bien d’empuantir
l’atmosphère. Sans oser l’afficher, il pense secrètement éloigner par là non
seulement les femelles, mais aussi tous les mâles douteux qui ne supporteraient
pas de se voir emboucanés par des remugles de chambrée.
La coupe de cheveux est également
pleine de sens. Par un miracle de la géométrie capillaire, elle réussit à se
situer à égale distance de la coupe monacale, autrefois dite au bol, de la
tignasse hirsute du SDF et du savant brushing kouchnérien. L’essentiel de la
force sémiologique de José Bové tient d’ailleurs à ce qu’il parvient à réunir
tous les signes de la ruralité abstraite et idéale, sans jamais tomber dans la
caricature. Pour parvenir à être le Jacquou le croquant, non pas de la forêt de
l’Herm (comme dans le roman), mais des plateaux de télévision, José Bové doit
se tenir sans cesse, avec une adresse et une vigilance de funambule médiatique,
à mi-chemin entre les stéréotypes classiques du paysan de comédie et l’image
abstraite de l’agriculteur moderne. Loin de lui, par exemple, l’idée triviale
de porter des sabots comme celle de se faire mettre, fût-ce par un coiffeur
habile, quelques brins de paille dans les cheveux. Le port des sabots serait
d’ailleurs aussi excessif qu’inutile, puisque nos personnages de télévision
sont tous des hommes-troncs. Peut-être, après tout, José Bové, dans ses
interventions médiatiques, cache-t-il sous les tables de studios les Berlutti
de Roland Dumas, comme il se donne peut-être la joie, secrète, mais d’autant
plus intense, de péter dans la soie sous ses pantalons de velours côtelé!
Si les chaussures sont un élément
accessoire pour ne pas dire inutile dans la panoplie sémiologique de José Bové,
le pull-over, toujours au centre de l’image, est en revanche essentiel. Le
cashmere n’appartient pas, on l’aura deviné, à l’appareil vestimentaire visible
de José Bové. Foin (sans jeu de mots) de ces fines et douce laines, aussi
urbaines que bourgeoises quand elles ne sont pas en outre hprriblement
synthétiques. En demi-saison, une rude chemise de bûcheron canadien ; durant
l’hiver, des pull-overs rugueux dont tout porte à croire qu’ils ont été
tricotés au coin de l’âtre avec la laine de ses moutons par une Pénélope
larzacienne. La matière est essentielle, mais moins que les couleurs. José Bové
affectionne, en effet, les teintes automnales qui s’accordent, en les mettant
en valeur, avec les ocres de sa moustache. Ces bruns verdâtres ou ces verts
brunâtres signalent, à ceux qui ne les auraient pas encore perçus la ruralité
et l’ancrage dans la glèbe. Ils ne craignent ni les taches de cassoulet ni les
bavures de pipe, quand on s’assoupit dans son fauteuil, après une rude journée
passée à démonter des MacDo pour « Zone Interdite » ou à faucher des
plants d’OGM en vue du « 20 heures ». Là encore, tout l’art de José
tient à son adresse diabolique à éviter tous les excès : pas de trous au coude
ou de brûlures résultant d’une escarbille mal contrôlée, pas de manches
grossièrement rapetassées. De tels effets, tentants mais faciles, signaleraient
inévitablement l’imposture. N’attendons pas de José Bové les grossières erreurs
d’un Marc Blondel, qui ne manquait pas, naguère encore, avant qu’un conseiller
en communication avisé ne l’en détourne, d’arborer son écharpe rouge du défilé
du Premier mai tout en fumant des Davidoff à 200 francs pièce.
Le velours, de préférence côtelé,
met une touche finale et même confédérale à cette si parfaite collection de
signes. José Bové évite toutefois les vestes à coudières de cuir ; cela fait un
peu trop gentleman-farmer. Du fait de sa parfaite maîtrise de l’anglais, peu
courante chez les éleveurs de mouton du Larzac, on pourrait le prendre, au
Sheraton de Seattle ou à l’Hyatt de Porto-Alegre, pour une taupe de la CIA ou
MI5 ce qui serait tout de même un comble.
Ce personnage, si parfaitement
composé, a en outre le rare talent de savoir s’adapter aux situations
nouvelles. Celles des studios de télévision lui sont si familières qu’il n’a
pas, comme les novices, à demander sottement quelles sont les bonnes caméras.
Comme tous les grands acteurs, il se passe d’accessoires. Nul besoin de figue
comme Caton dénonçant la menace punique devant le Sénat romain ou d’un sac de
riz comme Kouchner en Somalie! Il sait improviser ; mieux encore, comme un
pommier fait des pommes, il fait du sens avec tout ce qui passe à sa portée. Ce
détail a bien entendu échappé aux pandores qui, chargés naguère de le conduire en
prison, ont cédé à la tentation de se donner l’ultime plaisir de lui mettre les
menottes. Erreur fatale ; ces menottes, instrument de justice et d’opprobre par
lequel les gendarmes voulaient marquer leur domination et souligner sa honte,
sont devenues, comme la couronne d’épines imposée au Christ sur le chemin de
croix, le signe de son immolation volontaire et joyeuse à la cause paysanne.
Loin de dissimuler son visage comme le font les filous ordinaires ou de cacher
ses menottes sous sa veste, José Bové a levé les mains au dessus de sa tête,
devant la multitude des caméras et des appareils photos, fournissant ainsi à
toute la presse française, encadrée par les instruments de la justice ainsi
dénoncée, l’image éclatante, moderne et souriante de Saint José le croquant.
Condamné à la prison ferme, il se
terre chez lui en attendant l’arrivée de la force publique. Le bougre sait bien
que tous les chemins du coin vont être barrés par ses partisans juchés sur
leurs tracteurs. Les policiers le savent aussi, mais une fois encore ils vont
tomber dans le piège, pourtant évident. Un vulgaire malandrin est conduit à la
geôle en panier à salade, un hélicoptère va opérer l’Ascension du héros.
José
Bové n’est plus. Vive Jésus Bové !"
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