Avec la grève (et l’une ne va pas sans l’autre), le comptage des manifestants est un sport national français. L’un et l’autre sont pourtant parfaitement évitables et, oserai-je le dire, inutiles. La disparition de la première, au profit de l’inévitable négociation qui finit toujours par lui succéder pour y mettre fin, rend évidemment inutile le second.
Si l’on prend le cas des manifestations du 23 juin 2010, les indications sur le nombre total des manifestants varient de un (797.000 selon le pouvoir ; on est tenté de dire, après Rabelais, « sans compter les femmes et les petits enfants) à trois (plus de deux millions selon Ken Thibault, le flou du nombre visant à donner à rêver !).
Bref ! On peut pourtant, assez facilement évaluer, à Paris ou ailleurs, le nombre de manifestants par la simple prise de vue aérienne ou simplement d’un point élevé du cortège des manifestants à un moment T (même quand on fait redéfiler les mêmes personne, ce qui est une ruse aussi commune que grossière).
Ce qui me paraît plus intéressant dans cette affaire est le changement dans le style des « manifs ».
Il me fait penser à une évolution un peu analogue de notre presse écrite. Autrefois, les titres, pour les « unes » en particulier, s’efforçaient de rendre compte, de façon claire et brève, du contenu des articles auxquels ils faisaient référence. A la fin des années 60 me semble-t-il (mais je laisse le détail aux spécialistes du journalisme qui, dans leurs « écoles », forment de façon si efficace et si heureuses nos plumitifs actuels), la mode est lancée d’abord par Charlie Hebdo (souvenons-nous du fameux « Bal tragique à Colombey : un mort ») puis, à son imitation, par Libération. Désormais, seul compte le titre de la « une », de préférence accrocheur et drôle, si l’on y arrive. Le cupide chèvre-pied Laurent Joffrin vient même de faire un livre des unes de Libé !
« Quel rapport avec les manifs ? » vous interrogez-vous déjà , impatient(e) lecteur(e) ! J’y viens.
Si vous regardez de vieilles photos de manifestations (celles de 1958 ou de 1968 par exemple), vous y verrez des rangées serrées de manifestants ‘« au coude à coude » disait-on même alors, les lignes de manifestants étant surmontées de banderoles porteuses de revendications sérieuses voire vengeresses.
Plus rien de tel ! On recherche clairement désormais un style tout différent : deux ou trois manifestants seulement sur une ligne, causant gentiment entre eux, l’air détendu, avec un mêtre ou un mètre et demi entre eux et la rangée suivante. En somme, on vise à mettre dans un défilé le moins de manifestants possible au mètre carré, puisque les évaluations vont se fonder pour l’essentiel, sinon uniquement, sur la longueur du cortège. Un peu simple et grossier mais relativement efficace, au moins avec des méthodes de calcul parfaitement inadéquates!
Dans le même sens, on observe que les banderoles d’autrefois sont souvent remplacées par des pancartes individuelles. Une banderole barrant toute la rue mais tenue aux deux bouts par deux manifestants avec personne dessous, entre les deux porteurs, fait mauvais genre. Mieux vaut donc des pancartes artisanales, le plus souvent une simple feuille de carton couverte de formules peintes d’une écriture maladroite, au lieu des beaux calicots d’autrefois ! Elles sont plus nombreuses et couvrent mieux le terrain, même avec une moindre densité de manifestants. Comme le titre ést devenu essentiel dans la presse, depuis 68, le slogan percutant est aujourd'hui la précoccupation majeure des organisateurs et, avant les « manifs », on organise même des concours de slogans !
Là non plus, on n’arrête décidément pas le progrès :
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire