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samedi 7 mai 2011

« Cedant arma togae » Valeria Pecressa


Dans son ambitieux programme qui ne vise rien de moins qu'à faire des universités françaises les meilleures du monde (excusez du peu !), Valérie Pécresse dispose d'une arme absolue quoique inattendue : la toge. C'est d'ailleurs ce qui m'a si opportunément fourni le titre de ce blog « Cedant arma togae » qu’Usbek Consulting and Co met à la disposition du ministre, gratuitement comme toujours !

Ce noble et vieil adage latin, qu'on peut traduire par « Que les armes cèdent à la toge ! », en d'autres lieux, souligne que la force doit céder devant la loi et donne à penser, dans le présent contexte universitaire, que la toge permettra de pallier (au sens le plus propre) le manque de moyens de notre système.

La loi Edgar Faure (qui fit suite à 68), n'avait nullement supprimé la toge (contrairement à ce que l'on pourrait penser) ; cet oripeau ne se portait déjà plus guère mais, au grand dam de certains, cette loi (faite par un agrégé de droit iconoclaste) avait supprimé les anciennes « facultés » au profit des UER (unité d'enseignement et de recherche). Feues les facultés de droit avaient d'ailleurs toutes immédiatement contourné cette loi (qui n’est jamais applicable aux juristes eux-mêmes!) dans la rédaction de leurs nouveaux statuts. On s’amusait alors que tous les statuts de toutes les nouvelles UFR de droit eussent la même rédaction : « Article premier : l’UFR de droit et de science juridique prend le nom de Faculté de droit. Article deuxième : le directeur de l’UFR de droit et de sciences juridiques prend le titre de Doyen » !

Il faut reconnaître que, dans le domaine du conservatisme universitaire et vestimentaire comme dans les autres, les juristes ont toujours été à la pointe de l’action. Le costume universitaire, qui a pris sa forme définitive en France au XVIIe siècle, était à l'origine inspiré directement de celui de la faculté de droit de Paris. Réforme majeure toutefois, le chaperon fourré, qui était le couvre-chef réglementaire initial, s'est transformé en une épitoge à laquelle, en bon militaire qu’il était, Napoléon a donné, dans la suite, la possibilité de marquer, de façon ostensible, les grades avec ses trois rangs d'hermine (ou de lapin !) : un rang pour le bachelier, deux pour le licencié, trois pour le docteur.

C'est aussi à l'Empire que nous devons l'usage de couleurs particulières pour distinguer les ordres de disciplines : le rouge (écarlate pour les juristes naturellement, plus modestement cramoisi pour les médecins et bourgeoisement saumon pour les pharmaciens), le violet pour les sciences dures et, pour finir le jaune (la couleur des cocus) pour les lettres !

Mai 68 a porté le coup (provisoirement) fatal au commerce des accoutrements universitaires comme à l'usage effectif de tels vêtements. Fort heureusement, quelques rares établissements (les facultés de droit naturellement ) ont tenu bon et, dans certaines d'entre elles au moins, il y a quelques années encore le professeur de droit en grand costume faisait une entrée majestueuse dans l'amphithéâtre pour les cours magistraux, introduit par un appariteur qui annonçait aux étudiants l’arrivée du maître.

Il semble que, depuis quelques années (et Mme Pécresse n'a fait que surfer sur une vague qui l'avait précédée), le port de la toge revienne en force, non seulement dans les cérémonies officielles (où ce déguisement ne concerne que les professeurs) mais également dans toutes les occasions festives à public plus large, du style remises de diplômes ou réunions de même nature.

Je pense qu'il s'agit là moins d'une politique que d'une mode. Comme lorsque les voleurs de mobylettes appellent désormais leur juge, en correctionnelle, « Votre Honneur » (comme à la télé), cette mode est liée essentiellement aux séries télévisées américaines qui dominent notre paysage audiovisuel. De même que les commissaires Maigret, Bourel ou Navarro ont disparu, victimes de la mode des feuilletons américains et sont désormais totalement supplantés par la « police scientifique » (type NCIS ou Experts, non plus de Miami ou Los Angeles mais de Bécon-les-bruyères ou de Chaponost), de même ce sont surtout les cérémonies universitaires télévisées américaines ou anglaises qui ont amené non pas la résurgence mais la création de ce foklore universitaire nouveau. On ne tardera assurément pas, dans nos universités, à organiser toutes ces cérémonies sur le strict modèle anglo-saxon et on verra enfin nos étudiants porter ces coiffures ridicules et les lancer vers le ciel à la clôture de ces réunions.

Tout cela n'est pas bien grave, mais je suis moins sûr que Mme Pécresse que de pareilles réformes suffisent, comme elle le souhaite, à faire de nos universités les meilleures du monde.

Pour conclure sur un thème qui m'est cher, la rédaction de ce petit texte m'a amené à faire une rapide enquête dans la presse. Ell m'a permis de constater, une fois de plus, la nullité de nos médias. M'étant rendu, à cette fin, dans un site intitulé « Paris tribune » (en date du 6 mai 2011), j'ai constaté dans la rubrique « Paris Tribune indiscrétion » sous le titre suivant « Des diplômes remis en grande toge [sic] » (le texte de mars 2010 évoque, sans nommer cette université, une cérémonie de Paris V, puisque y officiait le pauvre Axel Kahn qui doit avoir fière allure en toge et jabot présidentiel ) que, dans un texte d'une dizaine de lignes, on relève pas moins de quatre erreurs ou sottises.

Les premières sont que, selon cet article, les « lettres » auraient une toge universitaire de couleur rouge. C’est une double stupidité puisque ce n'est pas la toge, toujours noire, mais l'épitoge, portée sur l’épaule, est de couleur et par ailleurs, comme on l’a vu, les Lettres sont vouées au jaune. Seconde double sottise « L'université de la Sorbonne a été éclatée en 14 universités éparpillées dans Paris ». Cette formule est deux fois fausse puisque ces universités parisiennes n'ont pas été éparpillées dans Paris ; certaines ont été alors créées hors de ses murs, en banlieue (comme Paris X, Paris-XI, Paris-XII et Paris-XIII). et surtout qu'il n'y en a pas eu 14 mais 13. Ce n'était peut-être pas là un choix de chiffres très heureux si l’on adopte le point de vue de ceux qui évitent, partout et toujours le nombre 13 (censé porter malheur), pour les sièges d’avion, les chambres d’hôtel ou même les étages !

Comme je suis sympa, petite bibliographie du sujet (toujours gratos!) pour le cabinet de Madame Pécresse :
Dauvilliers (J), "Origine et histoire des costumes universitaires", Annales de la Faculté de Droit de Toulouse, t. VI, fasc. I, 1958, 3-41,
Neveu (B.), « Le costume universitaire français : règles et usage » in La Revue Administrative ; Paris, 1996
Touzeil-Divina (M.), « Réflexions sur un port honni : le costume universitaire » in Un Dix juridique (Journal des étudiants des Universités de Paris X et de Paris I) , Paris, Adfu ; 2005, n° 3 (novembre) .

3 commentaires:

tf a dit…

Bonjour,
Petite question : As-tu à ta disposition les articles associés à la biblio indiquée ? Merci par avance pour ton retour.

Anonyme a dit…

Cher(e) tf

Non je n'ai pas ces textes mais on doit les trouver pour la plupart surinternet. Usbek

tf a dit…

Non, malheureusement payant :/