Curieusement, par hasard, nos télévisions ont diffusé deux documentaires concernant un même sujet ; le premier portait sur la Somalie (Planète, le 18 mai 2011), le second sur le Ghana (TF1 dimanche 29 mai 2011). L'un et l'autre évoquaient, de façon et sous des angles très différents, le problème que j'ai abordé moi-même dans un blog précédent, l'envoi systématique de toutes sortes de nos déchets dans les pays du Sud (en l'occurrence en Afrique, de l’Est et de l’Ouest). On y constate, sous deux formes, les réalités cachées de la scandaleuse politique du Nord pour tout ce qui touche au prétendu recyclage de ses déchets industriels ou technologiques, mais surtout on y voit la claire indifférence des courants écologiques patentés à ces funestes activités, la prolifération de ces déchets de toute nature et par là de dangerosités diverses, étant naturellement engendrée par le productivisme et le consumérisme frénétiques qui caractérisent nos sociétés « développées ».
Je n'ai pas vu le premier de ces deux documentaires qui portait sur la Somalie mais l’une de mes amis qui l'a vu m’en a parlé en détail et j’ai toute confiance dans son témoignage ; je n’ai donc pas pris la peine d'aller voir le film sur internet, d’autant qu’il s’agit d’un documentaire de P. Forestier qui ne doit pas beaucoup différer du livre de ce même auteur Pirateries et commandos , paru en 2010. Il y retraçait son enquête au « Puntland » somalien, mais tout était plutôt centré, comme le titre le souligne, sur les aspects pittoresques de la lutte contre les pirates somaliens dans l’océan Indien. Cet aspect est à mes yeux secondaire car ce qui m’intéresse en cette affaire est moins la lutte armée des commandos contre ces pirates que les raisons qui ont conduit des pêcheurs somaliens à abandonner leur activité traditionnelle pour se livrer à la piraterie.
Le sujet avait déjà été abordé, de façon plus proche de mon point de vue, par P. Moreira qui avait déjà évoqué, dans « 90 minutes » je crois, à propos de la Somalie, les trafics d’armes et les dépôts, illicites et clandestins, de déchets toxiques sur sddees côtes. Il avait été rappelé qu’une journaliste italienne, Ilaria Alpi, qui enquêtait sur ces affaires dans ce pays y avait été assassinée. Moreira avait montré comment échouent sur les plages somaliennes des fûts de provenance inconnue contenant des produits gravement toxiques dont les industries du Nord veulent se défaire à bon compte. A l’hôpital de Mogadiscio, on accueille des enfants atteints de maladies ou de malformations dues à une exposition prolongée de leurs mères à ces substances ou à la consommation d’aliments contaminés par elles. Pour les Somaliens, les véritables pirates sont ceux se débarrassent de ces déchets chimiques sans le moindre souci des conséquences pour la population. Les dégazages sauvages de pétroliers paraissent bien innocents à côté de ce genre de largages criminels.
La Somalie est toute désignée, vu son état politique et économique, pour servir de décharge aux déchets industriels du Nord et en particulier à des déchets hautement toxiques dont les fûts métalliques sont largués au large sans grand risque et que vents et courants portent à la côte. La pollution des eaux a donc peu à peu conduit à la ruine des activités de pêche traditionnelle, les poissons étant devenus inconsommables. C'est ce qui a conduit, au départ, les pêcheurs somaliens, privés qu'ils étaient de leurs ressources, à se tourner vers la piraterie dans les conditions et avec les conséquences que chacun sait et qu'il est inutile de décrire ici.
Le second de ces documentaires, diffusé sur TF1 dimanche 30 mai à 19:30 (dans le cadre de l'émission « Sept à huit » d’Harry Roselmack) portait sur le Ghana. On y présentait, dans des conditions et avec des résultats un peu différents, le même phénomène de décharge illicite de déchets venus du Nord. La principale différence est qu’il ne s’agit nullement dans ce cas d’opérations clandestines. En effet y arrivent, par porte-containers entiers, des appareils de toutes sortes (en particulier, semble-t-il, dans le domaine de l'informatique) qui sont censés être en état de marche et sont donc exportés comme tels alors qu’en fait, ces appareils sont hors d’usage et destinés à la destruction. On a observé des pratiques un peu du même ordre en Côte d'Ivoire, mettant en cause, après enquête une société italienne, mais, comme en Somalie, ces déchets, des résidus chimiques toxiques, avaient provoqué des dizaines de morts dans les populations ivoiriennes voisines. L'affaire avait fait scandale et la destination ivoirienne avait donc dû être abandonnée par ceux qui se livraient à ces sinistres trafics.
Le Ghana a donc été choisi comme poubelle informatique ; on y voit désormais, dans la zone portuaire, des kilomètres carrés couverts de débris d’appareils de toutes sortes, dans lesquels de malheureux Ghanéens, souvent des enfants, s'efforcent de récupérer des débris métalliques (du cuivre en particulier), pour survivre en gagnant ainsi un ou deux euros par jour. Comme ces métaux sont souvent sous plastique (autre calamité !), on doit les brûler pour mettre à nu le métal (dans les conditions et avec les fumées que vous imaginez facilement) pour les revendre à des intermédiaires nigérians, sans qu'on sache exactement quels chemins prennent ensuite les métaux ainsi récupérés. Comme les choses se passent en Afrique, c'est probablement en direction de la Chine ou de Taïwan que les métaux repartent, même si les intermédiaires se refusent à donner la destination finale de ces produits. Naturellement les montagnes de déchets qui restent sont, pour la plupart, précipitées dans les cours d’eau ou dans la mer, la première des deux voies aboutissant inévitablement à la seconde.
On ne peut pas dire que le problème ne soit pas posé puisqu’il a fait l’objet non seulement de multiples réunions, mais qu’elles ont conduit à un solennel accord mondial. Créée en 1989 à grand bruit, sous l’autorité des Nations unies, la Convention de Bâle est chargée de contrôler et de réglementer la production ainsi que tous les mouvements transfrontaliers des déchets. Toutefois, une trentaine de pays (dont les Etats-Unis naturellement) ont refusé de ratifier la convention et, de ce fait, ne transmettent pas de statistiques. Parmi les Etats signataires, 110 (sur 165 – soit environ 70 % des pays membres –) ne communiquent pas ces données, y compris la vertueuse Norvège dont la politique environnementale se veut pourtant très affirmée. Les données ainsi recueillies, pour lacunaires qu’elles soient, permettent de constater que le volume de déchets traités a quadruplé en cinq ans, étant entendu que ne sont pas pris en compte les déchets des trois-quarts des Etats du monde, sans même parler de toutes les exportations illicites et clandestines du type de celles qui ont été évoquées ci-dessus.
Naturellement on peut s'étonner que l'accord international qui a été signé sur les déchets soit si peu appliqué par les Etats qui pourtant l’ont signé. Les déchets ainsi abandonnés n’ont bien entendu guère d’indices de traçabilité sans enquêtes approfondies, mais il semble, par exemple, qu’au Ghana, une partie des déchets vienne des États-Unis. La chose d'ailleurs sans grande importance puisqu'il est clair que même les pays qui l’ont signé se gardent de l'appliquer. En revanche, comme vous le savez sans doute si vous avez fait quelques acquisitions dans ce domaine, on ne manque pas de nous faire payer, pour chaque achat, une sorte de taxe qui est en principe destinée à couvrir les frais de recyclage de ces déchets mais dont l'utilisation est naturellement tout autre que celle qu'on invoque pour nous la faire payer. Il est vrai que les profits sont immenses puisque, dit-on, acheminer, de façon illicite, une tonne de déchets clandestins en Afrique ne revient qu’à 2,50 $ !
Les scandales successifs, en Somalie d'abord, en Côte d'Ivoire ensuite, au Ghana maintenant ne conduisent en fait qu'à changer de pays et de destination ; le procédé reste toujours le même, le Sud servant de poubelle au Nord. Il en est de même en Asie et on prétend que certaines îles y sont devenues des dépôts d'ordures et ne servent plus qu’à cette fin mais cette zone étant fort riche en îles, il n'est pas difficile d'en trouver sans cesse de nouvelles pour en faire des dépotoirs.
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