On ne s’y retrouve plus entre les « journées » (de la femme, des secrétaires, du cancer, de je ne sais quoi, etc.), les « semaines » (pour la suite voir ci-dessus) voire les « années » (de… idem). Autre vogue insupportable, les e-…(prière de prononcer i-) du commerce aux « books » (on légifère sur le prix de ce dernier avec un parfait mépris de la loi de ce pauvre Monsieur Toubon, bien oubliée aujourd’hui !). Le « e-an » que je suggère ici est donc l’année du « e-», ce qui me fait irrésistiblement penser au « hi-han » de l’âne quoique je n’aie jamais entendu un asin s’exprimer de cette façon.
Sur ce sujet, je tiens des propos non conformistes depuis des années ; en particulier depuis 2006, année du Sommet francophone de Bucarest, où l’on avait déjà choisi comme thème les « NTIC », les « nouvelles techniques d’information et de communication », qui ont d’ailleurs, depuis, perdu, fort logiquement, leur caractère de nouveauté. On essayait alors de se persuader (ou, au moins, de donner à croire) que les NTIC allaient résoudre les problèmes du développement du Sud. Notons que, si, à ce moment, si les actuelles TIC avaient encore le N initial de leur adjectif, le développement n’était pas encore devenu « durable » !
A l’appui de ce que je viens de dire, je citerai ici un extrait d’un texte que j’ai écrit, courant 2006, donc comme on pourra le constater, avant le Sommet francophone de Bucarest et espérant, en vain bien sûr, qu’il puisse y être entendu :
« Liquidons tout de suite une ambiguïté car je vois déjà s'agiter les sectateurs de la modernité la plus récente, parfois animés en outre par des motivations mercantiles qui, bien entendu, ne s'avouent jamais comme telles. Je les devine, en outre, frétillants d’enthousiasme à la vue de la thématique proposée pour le Sommet de Bucarest (septembre 2006), « L’éducation et les nouvelles technique de la communication ». […]
Dans les pages qui précèdent, en évoquant l’audiovisuel, je ne pense nullement à l’enseignement audiovisuel classique, ni à l'enseignement par ordinateur ou assisté par ordinateur, ni à la réception de l’internet ou de la télévision sur les téléphones portables, ni à aucun des multiples gadgets qu’on ne cesse de nous proposer. Ce ne sont là, pour les dernières techniques, qu’obsessions de technomanes du Nord qui, pour la plupart sont d’abord et surtout préoccupés de placer leurs marchandises, mais ne connaissent rien aux réalités du Sud. On devrait absolument les envoyer passer quelques semaines, dans la brousse, au fin fond du Tchad ou du Niger, pour leur faire découvrir enfin les réalités quotidiennes du Sud et leur remettre les idées en place.
Je me suis réjoui de voir signalé tout récemment le numéro, n° 66 d’Africultures, dont le titre me paraissait prometteur : « Leurres et lueurs du cyberespace ». Comme on ne peut pas en faire une lecture directe sur le site (le résumé m’avait alléché), je l’ai acheté par paiement électronique mais, à ce jour (plusieurs mois après), quoique mon compte ait été débité, je n’ai malheureusement toujours rien reçu. J’en profite donc, au passage, pour dénoncer cette modeste escroquerie, bel exemple d’un « leurre du cyberespace » et pour éviter ce désagrément à d’autres, qui seraient tentés, comme moi, d’acheter ce texte, dont j’espère tout de même qu’il dénonce les « leurres » du cyberespace, sans se contenter d’en offrir une coupable illustration.
Je suis d’autant plus porté à mettre en garde contre les rêveries irréalistes sur le « cyberespace » du Sud que, depuis quinze ans, je suis confronté aux difficultés de communication avec le Sud, tant par téléphone ou fax (jusqu’aux années 2000), que par internet depuis quelques années. Récemment encore, dans le cadre d'un projet du réseau « Observation du français et des langues nationales » de l'AUF, en 2004, j’ai passé plusieurs mois à essayer de prendre contact avec des chercheurs du Sud de l'espace francophone, en privilégiant, dans un premier temps, ceux qui semblaient avoir une adresse de courriel. Après avoir constaté, mais cela ne m'a pas étonné, que rares étaient ceux qui en disposaient à titre personnel, j'ai pu voir que bon nombre de ces adresses étaient fausses ou qu'elles avaient été abandonnées, sans doute pour des raisons de coûts trop élevés.
Je ne reviens pas sur l’illusion, volontairement créée et entretenue, de la « réduction de la fracture numérique » entre le Nord et le Sud. Loin de se combler, la fracture numérique est devenue un gouffre qui ne cesse de croître.
J'ai toujours le plus grand mal à communiquer avec nombre de collègues africains, par quelque voie que ce soit (téléphone, fax, courriel). Je suis donc à la fois étonné et inquiet, quand je prends connaissance de tous les projets qui sont, en principe, conduits ou envisagés par internet. Je pense ici au RESAFAD, avec ses chantiers sur la formation des directeurs d'école (au Niger par exemple, où le taux de scolarisation est l'un des plus faibles du monde et où il y a un seul utilisateur de l’internet pour 1000 habitants) ou de planificateurs de l'éducation, aux projets PROCOOPTIC (Programme de promotion des TIC en Afrique lancé par la Coopération française en 1999) ou aux AVU (Universités Virtuelles Africaines), subventionné par la Banque Mondiale depuis 1997 dans le cadre d'Infodev.
Quelques beaux spécimens d'arbres électroniques implantés dans des centres administratifs bien équipés (services et techniciens de maintenance, lignes téléphoniques sécurisées, groupes électrogènes, onduleurs, etc.) ne cachent-ils pas l'immense misère du cyber-désert africain ? Croit-on réellement qu'on va résoudre le problème de l'éducation pour tous par ce genre d'opérations qu'il vaut, sans doute, mieux examiner depuis les rives du Potomac, du Saint-Laurent ou de la Seine que depuis celles du Niger ou du Congo?
A suivre
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