La multiplication des canaux d’information et la recherche incessante entre les chaînes télé et radio des moyens de se différencier des autres, conduisent à une perte totale du suivi et de l’analyse de l’information, seul le scoop étant recherché, fût-ce au prix de la validité même de l’information, comme on vient de le voir avec la photo truquée du cadavre de Ben Laden.
Dans une émission, on me posait récemment la question de la « reconstruction » d'Haïti et du silence total qui entourait cette opération, après la vive et universelle émotion à la nouvelle du séisme qui, rappelons-le, a fait 230.000 victimes. La réponse est bien simple et tient dans une formule de notre sagesse populaire « Un clou chasse l'autre ». Le séisme haïtien du 12 janvier 2010 a été effacé presqu’aussitôt, hélas pour Haïti, par un deuxième tremblement de terre au Chili, puis par l’affaire des 34 mineurs enfermés au fond de leur mine, des semaines durant ; la politique a repris le dessus en Côte d'Ivoire, mais ce cas a été supplanté par la Tunisie, elle-même remplacée par l’Egypte qui, à son tour, a été évincée par la Libye, tout cela étant éclipsé, pour finir par Ben Laden.
Sauf dans quelques rares chaînes spécialisées dans l'information, l’information est toujours reléguée à l’arrière-plan, désormais, par la publicité et le divertissement, les profits de la première finançant le second. Le signe le plus clair et le plus grave de cette évolution est que les vrais journalistes (qui ont à peu près tous disparu depuis longtemps), sont remplacés par des bateleurs. Naggui et Dechavane finiront aux JT nationaux s’ils ne sont pas morts avant ! La recherche frénétique des pourcentages d'audience sur lesquels mentent toutes les chaînes comme d’ailleurs, les organismes qui sont chargés de mesurer ces taux, conduit à des débauchages de personnel comparables à ceux du football, le talent des intéressés en moins ! Le plus bel exemple m’a été donné, ce matin même. Europe1, qui ne cesse de se vanter de sa croissance d’audience, après s'être récemment débarrassée de Fogiel qu’on a remplacé par Cahour, acheté à RMC, vire ce dernier au profit de Bruce Toussaint, pitoyable bateleur de Canal+ qu’on achète, sans doute à prix d’or, après qu’il a vidé « L'édition spéciale » de cette chaîne de tout contenu au profit de copies des imitateurs des radios et de jeux stupides. Il procédera sans doute de la même façon avec la « matinale » d'Europe1, ce qui, il faut en convenir, ne sera pas une grande perte. Mais je ne veux pas repartir ici sur l’un de mes thèmes favoris qui est la nullité et la servilité de la plupart de nos journalistes.
Revenons donc au sujet. Dieu sait que tout récemment encore la Côte d'Ivoire a occupé antennes et écrans, au moment où la France a permis à Ouattara de chasser Gbagbo de son repaire. Mais avez-vous la moindre idée de ce qui s'est passé depuis ces événements ? Le moindre incident concernant, où que ce soit, des citoyens français fait pourtant l'objet de l'attention nationale. Toutefois, en Côte d'Ivoire, on a froidement assassiné un professeur français à Yamoussoukro et, par ailleurs, deux Français ont disparu après avoir été enlevés à l’hôtel Novotel d'Abidjan. En avez-vous entendu parler ? Moi non ! On ne peut même pas invoquer sur ce point un clivage politique puisqu'il est probable qu'ils ont été victimes, l'un et les autres, de factions ivoiriennes opposées. C'est tout simplement que la Libye a focalisé toutes les attentions qui se sont d'ailleurs, depuis dimanche, totalement détournées de ce pays pour se consacrer de façon exclusive à Ben Laden.
On pourrait donc finir par se demander si, comme je l’ai laissé, un peu naïvement, supposer les États-Unis ont utilisé l'affaire Ben Laden pour détourner l'attention des médias de la mort, suite au bombardement de leur maison, du fils et des trois petits enfants de Kadhafi ou si c'est Kadhafi lui-même qui a fait livrer Ben Laden aux Américains pour pouvoir tranquillement reprendre son offensive contre Misrata et la rébellion cyrénaïque. Allez savoir....
Le moloch communicationnel consomme, voracement et inlassablement, des images nouvelles et à peine sont-elles diffusées qu'il passe immédiatement à d'autres. Ouattara a fini par triompher de Gbagbo ; la chose était inscrite dans le ciel d'autant que le poids de la France était dans cette affaire totalement décisif. Le vrai problème n'était pas dans l’issue de la rivalité, mais celui de savoir ce qu'on allait faire dans la suite. Or, là-dessus, aucune information. Il semble pourtant que la situation à Abidjan soit loin d'être totalement apaisée et que le nouveau président ne soit même pas installé officiellement dans les locaux officiels qui devraient être les siens.
À un moindre degré, car le pays est plus lointain et d'importance plus réduite, la situation en Haïti, vue depuis la France, est réglée. En fait, il n'en est rien, loin de là, même si le président Martelly a bien été largement élu, sans que cette élection entraîne les violences qu’on pouvait craindre. En effet, les révisions ultérieures des élections législatives (députés et sénateurs) ont été fortement contestées (on a changé les résultats pour près d’une vingtaine de sièges !) ; on ne sait donc pas comment pourra se faire la réforme constitutionnelle prévue, car une minorité de l’assemblée refuse de sièger et le quorum nécessaire pour un vote constitutionnel n’est pas atteint. Tout le monde semble pourtant souhaiter la réforme, qui devait être votée, au plus tard, le 9 mai 2011, le président nouvellement élu entrant en fonction le 14 mai 2011. Naturellement de tels incidents législatifs, en dépit de leur importance, ne sauraient faire la une d'un journal télévisé ou radiodiffusé et moins encore fournir des images mouvementées ou racoleuses.
Heureusement nous avons désormais le feuilleton Ben Laden, dont nous ne sommes encore qu'aux premiers épisodes car nul doute que les hypothèses les plus hardies vont être formulées à son propos. Tout donne, en outre, à penser que certains de ses épigones vont organiser quelques attentats qui pourront fournir à nos services d'information la matière sanguinolente qu’ils affectionnent.
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