Haïti offre un excellent exemple des problèmes que posent les TIC dans le Sud et des perspectives réelles qu’on y trouve.
En Afrique par exemple, on pourrait être tenté de faire un rapprochement entre le succès fulgurant du téléphone dit « cellulaire » et celui qu’a connu en Europe le « portable ». La différence faite, en français même, mérite qu’on s’y arrête. Alors qu’en France la dénomination a caractérisé l’appareil lui-même (les nouveaux téléphones étant caractérisés comme « portables » ou "mobiles" par rapport aux anciens dits « fixes), au début du moins, ce caractère qui en rendait possible l’usage, en tous lieux, y compris dans la rue et en public, en a fait un élément quasi ostentatoire de luxe et de modernité. On se souvient qu’en Italie, en particulier, on fabriqua et on vendit même des téléphones factices qui permettaient de donner le change. Dans le Sud, le nouvel usage imposa le nom de « téléphone cellulaire » car l’essentiel était non pas dans la « portabilité » du nouvel objet mais dans sa technique qui le distinguait, totalement et radicalement, du téléphone traditionnel qui, dans la plupart des pays, fonctionnait très mal voire pas du tout ! C’était donc, de ce fait, la fiabilité du nouvel outil de communication qui était essentielle, tout autre caractère devenant par là-même secondaire. L’argument majeur des sociétés téléphoniques nouvelles était donc là ; elles n’eurent donc pas, dans la plupart des cas, à s’imposer face à des sociétés de téléphone traditionnel qui ne fonctionnaient à peu près pas, comme le savent tous ceux qui comme moi, ont souvent essayé d’appeler en vain des abonnés au téléphone rwandais ou burkinabés.
En Haïti, le cas de la société Digicel est exemplaire, tant par les modalités de son implantation locale que par son action depuis le séisme du 12 janvier 2011.
Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Digicel n’a nullement attendu cette catastrophe et les immenses dégâts d’infrastructure qu’elle a entraînés pour débuter ses activités dans le pays. Elles y ont commencé depuis cinq ans déjà et le 3 mai 2011, Digicel a même célébré cet anniversaire en distribuant, d’après le Nouvelliste, 130 millions de gourdes aux 2,6 millions de clients qu'elle prétend avoir sous la forme d'un cadeau de 50 gourdes de minutes par abonné. En 2006, le réseau téléphonique traditionnel n’existait déjà pratiquement plus en Haïti ; on comptait alors 10 postes pour 1000 foyers avec un usage des plus incertains ; la porte était donc largement ouverte à la technologie cellulaire, le seul problème étant celui de l’étendue du marché, non pas en fonction des besoins mais des capacités économique des usagers potentiels. La nombreuse diaspora haïtienne laissait toutefois espérer des perspectives prometteuses dans le marché local lui-même.
Digicel, société créée en 2001 par Denis O’Brien, s’était donné comme champ d’action la zone caribéenne et avait entamé son programme par la Jamaïque avec, partout, la même politique de communication très agressive, fondée sur des actions spectaculaires dont la musique, la mode et surtout la sponsorisation des équipes et des compétitions de football. En Haïti, au cours de sa première année d’implantation, Digicel aurait rassemblé 1,4 million d’abonnés. Comme le note Frantz Duval dans le Nouvelliste : « Ses abonnés, la Digicel les chouchoute. La compagnie vient de dépenser huit millions de dollars pour rénover ses magasins. Le mégastore qui lui sert de flagship à Turgeau est une merveille. L'immeuble peut résister à un tremblement de terre de magnitude 10. Tous les produits exposés peuvent être utilisés, essayés par les clients comme cela se fait à l'étranger dans un environnement convivial, bien éclairé, wifi free, ouvert sept jours sur sept ».
L’action promotionnelle la plus spectaculaire de Dennis O’Brien a sans doute été, durant l’année 2010, la reconstruction du « marché de fer », au coeur de Port-au-Prince, qui, construit en 1889, était inspiré, de toute évidence, des Halles parisiennes de Baltard. Cette magistrale et rapide reconstruction a été assurée, sur ses fonds propres (pour 15 millions de $), par le milliardaire irlandais qui, ne nous le cachons pas, a fait, par cette action généreuse et surtout efficace qu’il a conduite et surveillée d’un bout à l’autre, une large publicité à sa société Digicel, dont le nom est désormais répété et reproduit, à l'envi, sur les maillots des joueurs de foot comme sur les T-shirts des ouvriers haïtiens !
Le marché haïtien suscite toutefois des convoitises et ici comme ailleurs, on voit débarquer les Asiatiques. Natcom, un concurrent vietnamien, est arrivé et on s’interroge sur la stratégie d’intervention qu’il va choisir. La meilleure défense étant l’attaque, Digicel qui, depuis 2006 aurait investi plus de 500 millions de $ en Haïti, en a consacré, depuis 2010, cent vingt à accroître le taux de couverture de son réseau comme la fiabilité de ses sites.
Qu’en conclure, pour Haïti et sur un plan plus général ? Nous le verrons demain !
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