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vendredi 24 mai 2013

L'article deuxième du projet de Madame Fioraso et la loi Toubon


L'article premier de la loi Toubon ( 1994, modifiée 1996) stipule : "Elle [la langue française] est la langue de l'enseignement, du travail, des échanges et des services publics." Vous aurez observé, sans doute, que, dans le respect du bon usage de notre langue, j'use, ici comme dans la suite, de l'ordinal (article premier, deuxième, etc.) et non du cardinal (un, deux, etc.), impropre en la circonstance ! La langue doit être respectée, plus encore que la loi !

L'Assemblée nationale, mercredi 22 mai 2013, a ouvert le débat sur le projet de loi sur l'enseignement supérieur et la recherche présenté par Geneviève Fioraso, ministre de l'enseignement supérieur.

La disposition sur l’enseignement en anglais à l’université, qui a monopolisé l'attention, de façon inattendue (cet usage, dans quelques disciplines, est déjà fort ancien), est soutenue par la principale organisation étudiante, l’UNEF, et, avec des réserves, par la CPU (Conférence des présidents d’université), mais elle est rejetée par le droite, comme par certains syndicats et le Front de gauche.

Jeudi 23 mai 2013, a finalement été ouverte la possibilité de donner des cours en anglais dans les universités par un vote à main levée sur l’article deuxième du projet de loi Fioraso. Les adversaires de cette disposition ont, en la circonstance invoqué l'article premier de la loi Toubon de 1994 que j'ai rappelé ci-dessus ; on peut donc s'attendre, comme souvent désormais, à un recours devant le Conseil constitutionnel.

Le problème de l'université a été largement abordé par les deux parties mais on a peu parlé de la loi Toubon elle-même, à laquelle je m'attacherai plutôt ici car elle me paraît bien oubliée. En 2004, pour le dixième anniversaire de cette loi du 4 août 1994 (notez le quantième !), j'avais tenté un bilan de l'application de ce texte que J. Legendre définit « comme l’instrument juridique privilégié de la défense de notre langue sur notre territoire » (Rapport n° 75, tome XVII,  Commission des Affaires Culturelles du Sénat, 2004 : 37) ? Le Ministère de la Culture avait alors, en effet, confié à un Inspecteur Général la mission d’établir ce bilan « compte tenu notamment des exigences du droit communautaire ». Cette dernière formule ne laisse pas d’inquiéter car, en particulier sur ce terrain, on ne manquera pas d’opportunités de contester des dispositions légales françaises qu’on peut taxer de protectionnisme linguistique et de limitation abusive de l’usage des autres langues européennes. 

L’exemple québécois est clair et intéressant sur ce point. On a vu se multiplier en effet, au Québec, les recours contre la législation provinciale québécoise en matière de langues par recours aux lois fédérales canadiennes. Il risque d'en être de même dans l'Union européenne. Naguère, pour mes étudiants, j’illustrais souvent ce conflit juridico-linguistique par l’exemple des phoques. Au Canada, la mer relève du domaine fédéral et le phoque étant un animal marin, il est lui-même de ce ressort. Les lacs sont, en revanche, du domaine provincial. Que se passe-t-il, lorsque comme cela se produit parfois, on trouve des phoques dans un lac ? De quelle législation relèvent-ils, fédérale ou provinciale ? Quand on observe que le Traité européen relatif à la « libre circulation des marchandises » mentionne que les dispositions nationales en matière de langue d’information sur les produits concernés doivent être strictement proportionnées au but de protection du consommateur qu'elles poursuivent [souligné par moi], on comprend aisément que cette exigence de proportionnalité laisse un vaste espace à des formes diverses et multiples de contestation !

Limitons-nous ici à quelques observations quotidiennes, sans aller jusqu’à examiner les compte rendus annuels de la DGLFLF qui recensent toutes les actions conduites par diverses instances pour assurer le respect de la loi Toubon.

Une des dispositions jugées majeures de la loi Toubon était de donner à des associations agréées le droit d’agir en justice. Si l’on se réfère au rapport 2004 de la DGLFLF « Trois associations (Avenir de la langue française, Défense de la langue française et Association francophone d'amitié et de liaison) bénéficient d'un agrément accordé pour trois ans par les ministres chargés de la culture et de la justice, afin de se porter partie civile devant les tribunaux dans certains litiges concernant notamment l'information des consommateurs. Ces associations interviennent de façon modulée (à ma connaissance jamais dans le domaine universitaire) quand elles observent des manquements à la loi du 4 août 1994 et recourent à l'action contentieuse dès lors qu'une solution amiable s'avère impossible. » (2004 : 18).

Globalement, on constate que le nombre des interventions a baissé, mais que le pourcentage des infractions constatées par la DGCCRF (communément nommée « Répression des fraudes ») a augmenté. Ces variations, de faible importance, n’ont pas grand sens et de toute façon, il est très rare que les infractions constatées soient réellement sanctionnées. Pour prendre deux années de référence où le nombre des infractions constatées est à peu près le même (1998 et 2003), on note les chiffres suivants (2004 : 14)

Infractions     PV transmis      Condamnations
1091                      366                        56

958                        190                        24

Autant dire que 2% seulement des infractions constatées sont suivies d’une condamnation ! La répression n’est donc pas féroce et cela d’autant moins que deux domaines que je connais un peu me semblent épargnés, alors que les infractions y sont multiples et patentes.

Le premier est celui des produits alimentaires asiatiques dont la consommation s’est largement vulgarisée dans la France urbaine. Hors des boutiques ou des grandes surfaces « françaises » qui vendent des marchandises exotiques, souvent de provenance française, on trouve, dans les magasins spécialisés, souvent asiatiques, beaucoup de produits vendus dans des emballages d’origine d’où le français est totalement absent. Les commerçants, en infraction mais avisés, placent parfois sur leurs rayons des pancartes avec les noms français.

Plus important me paraît le domaine de l’informatique qui pourtant, selon les termes mêmes de la DGLFLF, est l’objet d’une attention particulière. Toutefois, cette vigilance ne semble s’exercer que sur les notices de logiciels et de machines, et non sur les services eux-mêmes. Wanadoo, qui en dépit de son nom vaguement exotique, est une marque française qui contrevient un peu, phonétiquement du moins, à la loi Toubon, envoie à ses clients français, en cas de problème de transmission de ses courriels, des messages en anglais de ce type : “This is the SMTP Server program at host wanadoo.fr. I'm sorry to have to inform you that the message returned below could not be delivered to one or more destinations.”. Qu’on ne vienne pas me dire que ce n’est pas Wanadoo qui envoie ces messages, mais le « SMTP server » ! Serait-il réellement impossible que de tels messages, en outre parfaitement stéréotypés, soient délivrés en français quand ils s’adressent à des expéditeurs français? Serait-ce un exploit technique de le faire ? Est-il légal qu’ils soient adressés en anglais ?

La "Toile" a assurément porté le coup fatal à la loi Toubon ; cette dernière devait être plus efficace que la loi Bas-Lauriol dont l’objet était déjà en gros le même ; il n'en est rien . Certes quelques associations de paladins de la francophonie peuvent, grâce à elle, exercer un contrôle bénévole, mais les procès-verbaux devant être dressés par le Service de la répression des fraudes, on peut penser que les inspecteurs de ce service ont sans doute, très souvent, des tâches plus urgentes et peut-être plus indispensables à remplir, en matière d’alimentation et de santé en particulier. Le fait que l’immense majorité des procès-verbaux transmis au Parquet ne soient pas suivis de condamnations ne les incite probablement pas à se montrer plus vigilants et actifs dans ce domaine. 

Deux remarques de conclusion :

Je ne crains pas de voir enseignants et étudiants français aller massivement vers l'anglais pour la simple et bonne raison que, dans leur immense majorité, ils ne sont pas assez compétents dans cette langue pour le faire. Jetez donc un coup d'oeil aux statistiques en la matière ... quand elles se risquent à vérifier les compétences déclarées.

Au fait, les universités françaises ne sont-elles pas autonomes ? La pédagogie comme la didactique seraient-elles hors du champ de cette autonomie ?

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