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mercredi 22 mai 2013

Langue française : la loi Toubon et le Dictionnaire de termes officiels de la langue française


La loi Toubon, votée le 4 août 1994, dont on reparlera à propos de l'usage de l'anglais dans nos universités, a imposé, pour les textes administratifs, l'usage d’un vocabulaire français "officiel", disposition qui, comme dans le cas de "courriel" n'est guère respectée. Dans ces circonstances et à cette fin, il a donc fallu, à la hâte, fabriquer et éditer un Dictionnaire de termes officiels de la langue française ( sans nom d'auteur, DGLF).
Issu des travaux des multiples commissions de terminologie des ministères français (chacun a la sienne comme dans "l'Ami Bidasse"), ce dictionnaire, outre des aberrations qu'il contient, a un vice bien plus grave à mes yeux. Comme on le verra par des exemples, il prend quasi systématiquement le contre-pied des propositions québécoises en matière de terminologie, alors qu'on ne cesse de nous vanter l'harmonisation et la mise en synergie au sein de la francophonie. Or, les Québécois, par la force des choses et l’effet de leur Loi 101, se sont consacrés, bien plus que les Français et depuis bien plus longtemps, au développement terminologique de la langue française. Il aurait donc été courtois, logique et intelligemment coopératif de retenir un certain nombre des termes dont ils avaient usé avant nous et qui, souvent, étaient aussi convenables, sinon meilleurs, que ceux qui ont été proposés dans la suite par la France.

On sait l’importance du social dans le lexical; cette remarque est toujours d'actualité et on peut la faire, de nos jours, à propos de ce Dictionnaire de termes officiels de la langue française. Si l'on y examine les vocabulaires du sport par exemple, on ne peut être que stupéfait de voir la place accordée au golf qui ne paraît pourtant pas être en France le sport le plus répandu. Si, comme on peut le penser, l'auteur a compilé les propositions des Commissions ministérielles de terminologie, force est de conclure que les distingués membres de la Commission du Ministère de la jeunesse et des sports fréquentent davantage les « greens » que les jeux de boules des bistrots, les terrains de « foot » ou les « play grounds » des banlieues (N'oublions pas que l’actuel Président de la Commission générale de terminologie est Monsieur de Broglie qui n'a rien d'un bouliste ni d’un hooligan !). C'est, après tout, leur droit, mais cela perpétue néanmoins, dans l'innovation terminologique, une tradition lexicographique qui remonte au XVIIe siècle (ce n'en est que mieux aux yeux de certains!). Le vrai et seul problème est que tout donne à penser que les membres de cette Commission sont, hélas, meilleurs golfeurs que terminologues! Dans ce dernier domaine, leur « handicap » apparaît en effet très lourd.
Le vocabulaire de ce sport constitue environ 40% des termes sportifs contenus dans l’ouvrage. Ce choix est un peu étrange, je viens de le dire, mais le plus important est ailleurs. En effet, sur le plan proprement terminologique, deux aspects apparaissent nettement.
D’une part, une grande indigence proprement néologique. On y procède essentiellement par des traductions littérales absurdes des mots anglais qu’on prétend éviter. On impose ainsi « aigle » pour « eagle » ou « oiselet » pour « birdie », etc. L’innovation proprement terminologique est donc nulle. Autant garder les termes anglais, éventuellement en les francisant à la Marcel Aymé (sur le modèle de « biftèque » ou de « coquetèle »)
La seconde remarque tient à l’évitement systématique des termes proposés par les Québécois. Pourquoi proposer, par exemple, de dire en français « chien de fusil » pour l’anglicisme « dog leg » (« trou dont le tracé dessine un coude très accentué »), tout en signalant que « les termes allée coudée et trou coudé sont également utilisés au Canada ») (1994 : 37). Les termes québécois sont bien meilleurs que le terme proposé qui, en français moderne, est désuet, hors de l’expression « dormir en chien de fusil ». Qui sait, de nos jours, ce qu’est un « chien de fusil » ? J’ajoute que dire "au Canada " et non "au Québec, me paraît une mesquinerie inutile ou, plus grave encore, une ignorance de la sensibilité des Québécois à l’égard d’une telle formulation. On trouve mieux encore avec l’article « par » : « par n.m., Domaine Sport/golf. Définition « Nombre de coups considéré comme la référence sur [sic ; je dirais plutôt « pour », que « sur » mais enfin…] un trou. Note : le terme utilisé au Canada [même remarque que plus haut] pour le par est « la normale ». Anglais : "par". On voit qu’on déroge au principe, réputé fondateur, d’éviter l’emprunt anglais pour la seule satisfaction de ne pas user du terme (québécois) de « normale » qui semble pourtant excellent.
Outre l’inventaire terminologique lui-même, l’ouvrage publié en janvier-février 1994, comprend un recueil de « textes généraux » de près de 150 pages (315-462). Tout cela est d’une pesanteur insupportable et même absurde, puisque tous les arrêtés comportent une annexe qui n’est pas reproduite dans la mesure où les termes proposés figurent eux-mêmes dans le dictionnaire. On a le sentiment qu’on a voulu chercher à donner à l’ouvrage une taille impressionnante car ces annexes doublent le volume de l’inventaire des termes lui-même. Il y a toutefois là une indication éventuelle sur l’identité de l’auteur de ce travail puisque, à cette même époque, a été soutenue une thèse dont le contenu paraît fort proche et qui, par sa nature même, conduit à pareille recension de documents, tout à fait inutile en dehors du genre académique.
On s’étonne, mais sans le regretter, de ne pas trouver, dans cet ensemble, insipide et répétitif, le texte fondateur de cette entreprise terminologique française, le décret n° 72-19 du 7 janvier 1972 instituant auprès des administrations centrales des commissions de terminologie et rendant, dès cette époque, obligatoire l’emploi des termes ainsi retenus dans tous les documents officiels. On a peut-être, dans ce dernier détail, la vraie raison de l’omission de ce document essentiel, cette circonstance illustrant, une fois de plus, le goût, bien français, pour des lois et décrets qu’on n’applique pas réellement (ce qui est également le cas de la loi Toubon elle-même).

 Le Dictionnaire en cause est donc un travail contestable au plan lexicographique proprement dit. Il n’y a pas lieu de s’en étonner quand on sait que ces commissions, dont l’activité relève pourtant, pour une part importante, des sciences du langage, ne comportent aucun lexicographe ou lexicologue. Certes, l’appui et le contrôle scientifiques sont apportés, dans les commissions spécialisées, par le « Commissaire général à la langue française ou son représentant », dans la commission générale, par ce même Commissaire général, le Secrétaire général du Haut Conseil de la Francophonie « ou son représentant » et le Secrétaire Perpétuel de l’Académie française « ou son représentant ». Si éminentes que puissent être ces personnalités, elles n’ont pas nécessairement le profil scientifique précis en cause. Pour prendre des exemples parmi les personnalités qui ont occupé certaines de ces fonctions durant la période concernée, S. Farandjis était, par exemple, historien et A. Magnant, administrateur civil ; en outre, leurs multiples occupations ne leur permettent guère, en général, de prendre part de façon régulière et suivie aux travaux de ces commissions.
Il n’aurait donc pas été mauvais, avant la publication de ce Dictionnaire de termes officiels, de recueillir à son propos quelques avis compétents. Il constitue, en effet, une sorte de florilège des erreurs et aberrations en matière lexicographique et néologique. La simple consultation de la couverture du livre et de sa quatrième de couverture laisse rêveur. Sur la première, on trouve, d’une façon qu’on a sans doute jugée ingénieuse et percutante, les définitions des mots qui forment le titre même du livre. Pour « des » (Dictionnaire des termes [observez que le vrai titre est, de façon étrange "Dictionnaire de termes" ]), on lit donc « article masc. et fém. pluriel ». Fournir pour ce terme, en pareil cas, une telle définition n’aurait pas été pardonné à un élève de cours moyen deuxième année, à l’époque où l’on savait encore la grammaire et où l’on faisait de « l’analyse grammaticale ». Dans cet emploi, « des » ( < « de les ») est un article contracté et, comme tel, il est, en outre, à classer sous « de » dans un dictionnaire ! Sur la quatrième de couverture, on lit : « Doter la langue française de termes inventifs [sic], telle est la tâche des commissions de terminologie ». Enrichir la langue, soit ; encore faut-il la connaître et ne pas trop la malmener. « Inventif » est ici tout à fait impropre, car cet adjectif ne peut qualifier que celui qui a le don d’inventer ou qui est fertile en ressources. On voit mal comment un mot pourrait présenter ces caractères. Peut-être a-t-on voulu dire « inventés », mais de pareilles approximations ne laissent pas d’inquiéter surtout sur la couverture d’un tel ouvrage. On ne peut s’empêcher de songer au grand Emile Littré. Il perdait si peu ses moyens et ses réflexes professionnels que, Madame Littré le trouvant un jour au lit avec la bonne et s’exclamant « Emile, je suis surprise de vous trouver là ! », il lui fit aussitôt observer, non sans esprit et à propos : « Pas du tout, ma chère ! Vous êtes étonnée ; c’est nous qui sommes surpris ! ».
Ce livre qu’on baptise, aussi pompeusement qu’inexactement, « dictionnaire » n’est donc qu’un simple agrégat de termes, eux-mêmes issus de listes, que caractérise une totale absence de systématicité. Le vocabulaire le plus courant, celui des médias par exemple, avec sa nuée d’emprunts à l’anglo-américain, de « prime time » à « pannel » en passant par « medley », n’est même pas pris en compte (à croire qu’il ne doit pas y avoir de Commission pour ça!).
L’exemple du sport est l’un des plus absurdes, mais aussi des plus significatifs. On y rompt des lances contre des mots intégrés dans le français ordinaire depuis près d’un siècle (la proscription aberrante de « corner » et « penalty » a révolté, à juste titre, B. Pivot, grand amateur de football !) et l’on y pourfend des termes que nul n’emploie jamais. Ainsi évoque-t-on un mythique « goal » qu’on dénonce alors que nul n’en use! Sur tous les terrains de foot de France, un "goal" est un « gardien de but » et non un « but ». On note nombre d'erreurs de référents. Remplacer « starter » par « démarreur » prouve qu’on ne sait pas plus ce qu’est un démarreur qu’un starter, ces deux pièces étant tout à fait différentes! Le fait que nul n’ait fait remarquer pareille bévue, à ma connaissance du moins, montre le peu d’intérêt que portent à un tel ouvrage les professionnels, qui sont pourtant les premiers concernés. La commission technique en cause apparaît donc n’être guère plus compétente en mécanique qu’en lexicographie. Autre exemple : « cafèterie » est imposé pour remplacer « cafétéria » qui, notons-le en passant, est parfaitement intégré au français ; or, le mot « cafèterie » existe déjà dans notre langue depuis longtemps avec le sens de « plantation de caféiers ». Les membres de la Commission et les académiciens ignoreraient-ils aussi le français ? On aurait pu, en tout cas, vérifier tous ces détails dans de vrais dictionnaires.

 

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