La loi Toubon, votée le 4 août 1994, dont on
reparlera à propos de l'usage de l'anglais dans nos universités, a imposé, pour
les textes administratifs, l'usage d’un vocabulaire français
"officiel", disposition qui, comme dans le cas de "courriel" n'est guère respectée. Dans ces circonstances et à cette fin, il a donc fallu, à
la hâte, fabriquer et éditer un Dictionnaire
de termes officiels de la langue française ( sans nom d'auteur, DGLF).
Issu des travaux des multiples commissions de
terminologie des ministères français (chacun a la sienne comme dans "l'Ami
Bidasse"), ce dictionnaire, outre des aberrations qu'il contient, a un vice
bien plus grave à mes yeux. Comme on le verra par des exemples, il prend quasi
systématiquement le contre-pied des propositions québécoises en matière de
terminologie, alors qu'on ne cesse de nous vanter l'harmonisation et la mise en
synergie au sein de la francophonie. Or, les Québécois, par la force des choses
et l’effet de leur Loi 101, se sont consacrés, bien plus que les Français et
depuis bien plus longtemps, au développement terminologique de la langue
française. Il aurait donc été courtois, logique et intelligemment coopératif de
retenir un certain nombre des termes dont ils avaient usé avant nous et qui,
souvent, étaient aussi convenables, sinon meilleurs, que ceux qui ont été
proposés dans la suite par la France.
On sait l’importance du social dans le lexical;
cette remarque est toujours d'actualité et on peut la faire, de nos jours,
à propos de ce Dictionnaire de termes officiels de la langue française. Si l'on
y examine les vocabulaires du sport par exemple, on ne peut être que stupéfait
de voir la place accordée au golf qui ne paraît pourtant pas être en France le
sport le plus répandu. Si, comme on peut le penser, l'auteur a compilé les
propositions des Commissions ministérielles de terminologie, force est de
conclure que les distingués membres de la Commission du Ministère de la
jeunesse et des sports fréquentent davantage les « greens » que les
jeux de boules des bistrots, les terrains de « foot » ou les
« play grounds » des banlieues (N'oublions pas que l’actuel Président
de la Commission générale de terminologie est Monsieur de Broglie qui n'a rien
d'un bouliste ni d’un hooligan !). C'est, après tout, leur droit, mais cela
perpétue néanmoins, dans l'innovation terminologique, une tradition
lexicographique qui remonte au XVIIe siècle (ce n'en est que mieux aux yeux de
certains!). Le vrai et seul problème est que tout donne à penser que les
membres de cette Commission sont, hélas, meilleurs golfeurs que terminologues!
Dans ce dernier domaine, leur « handicap » apparaît en effet très
lourd.
Le vocabulaire de ce sport constitue environ 40% des
termes sportifs contenus dans l’ouvrage. Ce choix est un peu étrange, je viens
de le dire, mais le plus important est ailleurs. En effet, sur le plan
proprement terminologique, deux aspects apparaissent nettement.
D’une part, une grande indigence proprement
néologique. On y procède essentiellement par des traductions littérales
absurdes des mots anglais qu’on prétend éviter. On impose ainsi
« aigle » pour « eagle » ou « oiselet » pour
« birdie », etc. L’innovation proprement terminologique est donc
nulle. Autant garder les termes anglais, éventuellement en les francisant à la
Marcel Aymé (sur le modèle de « biftèque » ou de
« coquetèle »)
La seconde remarque tient à l’évitement systématique
des termes proposés par les Québécois. Pourquoi proposer, par exemple, de dire
en français « chien de fusil » pour l’anglicisme « dog
leg » (« trou dont le tracé dessine un coude très accentué »),
tout en signalant que « les termes allée coudée et trou coudé sont
également utilisés au Canada ») (1994 : 37). Les termes québécois
sont bien meilleurs que le terme proposé qui, en français moderne, est désuet,
hors de l’expression « dormir en chien de fusil ». Qui sait, de nos
jours, ce qu’est un « chien de fusil » ? J’ajoute que dire
"au Canada " et non "au Québec, me paraît une mesquinerie
inutile ou, plus grave encore, une ignorance de la sensibilité des Québécois à
l’égard d’une telle formulation. On trouve mieux encore avec l’article
« par » : « par n.m., Domaine Sport/golf. Définition
« Nombre de coups considéré comme la référence sur [sic ; je dirais plutôt
« pour », que « sur » mais enfin…] un trou. Note : le
terme utilisé au Canada [même remarque que plus haut] pour le par est « la
normale ». Anglais : "par". On voit qu’on déroge au
principe, réputé fondateur, d’éviter l’emprunt anglais pour la seule
satisfaction de ne pas user du terme (québécois) de « normale » qui
semble pourtant excellent.
Outre l’inventaire terminologique lui-même,
l’ouvrage publié en janvier-février 1994, comprend un recueil de « textes
généraux » de près de 150 pages (315-462). Tout cela est d’une pesanteur
insupportable et même absurde, puisque tous les arrêtés comportent une annexe
qui n’est pas reproduite dans la mesure où les termes proposés figurent
eux-mêmes dans le dictionnaire. On a le sentiment qu’on a voulu chercher à
donner à l’ouvrage une taille impressionnante car ces annexes doublent le
volume de l’inventaire des termes lui-même. Il y a toutefois là une indication
éventuelle sur l’identité de l’auteur de ce travail puisque, à cette même
époque, a été soutenue une thèse dont le contenu paraît fort proche et qui, par
sa nature même, conduit à pareille recension de documents, tout à fait inutile
en dehors du genre académique.
On s’étonne, mais sans le regretter, de ne pas
trouver, dans cet ensemble, insipide et répétitif, le texte fondateur de cette
entreprise terminologique française, le décret n° 72-19 du 7 janvier 1972
instituant auprès des administrations centrales des commissions de terminologie
et rendant, dès cette époque, obligatoire
l’emploi des termes ainsi retenus dans tous les documents officiels. On a
peut-être, dans ce dernier détail, la vraie raison de l’omission de ce document
essentiel, cette circonstance illustrant, une fois de plus, le goût, bien
français, pour des lois et décrets qu’on n’applique pas réellement (ce qui est
également le cas de la loi Toubon elle-même).
Il n’aurait donc pas été mauvais, avant la publication
de ce Dictionnaire de termes officiels, de recueillir à son propos quelques
avis compétents. Il constitue, en effet, une sorte de florilège des erreurs et
aberrations en matière lexicographique et néologique. La simple consultation de
la couverture du livre et de sa quatrième de couverture laisse rêveur. Sur la
première, on trouve, d’une façon qu’on a sans doute jugée ingénieuse et percutante, les définitions des mots qui forment
le titre même du livre. Pour « des » (Dictionnaire des
termes [observez que le vrai titre est, de façon étrange
"Dictionnaire de termes" ]),
on lit donc « article masc. et fém. pluriel ». Fournir pour ce terme,
en pareil cas, une telle définition n’aurait pas été pardonné à un élève de
cours moyen deuxième année, à l’époque où l’on savait encore la grammaire et où
l’on faisait de « l’analyse grammaticale ». Dans cet emploi, « des »
( < « de les ») est un article contracté et, comme tel, il est, en
outre, à classer sous « de » dans un dictionnaire ! Sur la quatrième
de couverture, on lit : « Doter la langue française de termes inventifs
[sic], telle est la tâche des commissions de terminologie ». Enrichir la
langue, soit ; encore faut-il la connaître et ne pas trop la malmener.
« Inventif » est ici tout à fait impropre, car cet adjectif ne peut
qualifier que celui qui a le don d’inventer ou qui est fertile en ressources.
On voit mal comment un mot pourrait présenter ces caractères. Peut-être a-t-on
voulu dire « inventés », mais de pareilles approximations ne laissent
pas d’inquiéter surtout sur la couverture d’un tel ouvrage. On ne peut
s’empêcher de songer au grand Emile Littré. Il perdait si peu ses moyens et ses
réflexes professionnels que, Madame Littré le trouvant un jour au lit avec la
bonne et s’exclamant « Emile, je suis surprise de vous trouver
là ! », il lui fit aussitôt observer, non sans esprit et à
propos : « Pas du tout, ma chère ! Vous êtes étonnée ;
c’est nous qui sommes surpris ! ».
Ce livre qu’on baptise, aussi pompeusement
qu’inexactement, « dictionnaire » n’est donc qu’un simple agrégat de
termes, eux-mêmes issus de listes, que caractérise une totale absence de
systématicité. Le vocabulaire le plus courant, celui des médias par exemple,
avec sa nuée d’emprunts à l’anglo-américain, de « prime time » à
« pannel » en passant par « medley », n’est même pas pris
en compte (à croire qu’il ne doit pas y avoir de Commission pour ça!).
L’exemple du sport est l’un des plus absurdes, mais
aussi des plus significatifs. On y rompt des lances contre des mots intégrés
dans le français ordinaire depuis près d’un siècle (la proscription aberrante
de « corner » et « penalty » a révolté, à juste titre, B.
Pivot, grand amateur de football !) et l’on y pourfend des termes que nul
n’emploie jamais. Ainsi évoque-t-on un mythique « goal » qu’on
dénonce alors que nul n’en use! Sur tous les terrains de foot de France, un "goal"
est un « gardien de but » et non un « but ». On note nombre
d'erreurs de référents. Remplacer « starter » par
« démarreur » prouve qu’on ne sait pas plus ce qu’est un démarreur
qu’un starter, ces deux pièces étant tout à fait différentes! Le fait
que nul n’ait fait remarquer pareille bévue, à ma connaissance du moins, montre
le peu d’intérêt que portent à un tel ouvrage les professionnels, qui sont
pourtant les premiers concernés. La commission technique en cause apparaît donc
n’être guère plus compétente en mécanique qu’en lexicographie. Autre
exemple : « cafèterie » est imposé pour remplacer
« cafétéria » qui, notons-le en passant, est parfaitement intégré au
français ; or, le mot « cafèterie » existe déjà dans notre
langue depuis longtemps avec le sens de « plantation de caféiers ».
Les membres de la Commission et les académiciens ignoreraient-ils aussi le
français ? On aurait pu, en tout cas, vérifier tous ces détails dans de vrais dictionnaires.
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