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jeudi 16 mai 2013

Les comités pour l'abolition de l'esclavage : incertitudes et bizarreries.


Vous ne l'avez sans doute pas remarqué, car vous avez, fort heureusement pour vous, d'autres centres d'intérêt, mais nous en sommes déjà au troisième Comité pour la mémoire de l'esclavage (2004, 2009, 2013). Dans chacun de ces cas, on a changé la composition (ce qui peut s'expliquer, pour le premier surtout, en raison des nombreuses démissions qui l'ont affecté), mais on a également changé, chaque fois, le nom même de ce comité, ce qui entraîne des problèmes, dans le site actuel, puisque il y est évoqué sous trois sigles différents, sans compter les fautes de frappe qui font que certaines lettres de cet acronyme sont inversées. Passons sur ce détail qui montre pourtant le peu d'attention que notre administration centrale apporte à cette affaire.

En janvier 2004, est créée la première version de ce comité appelé alors "Comité pour la mémoire de l'esclavage" (CPME) ; j'en ai déjà parlé dans un post précédent ; je n'y reviens donc pas.

Un décret du 9 mai 2009 change à la fois le nom de ce comité et sa composition : le CPME devient le CPMHE. Comme toujours, la vraie raison de ce changement n'est pas explicitée, même si elle tient peut-être à l'ajout, peu justifié, du terme "histoire" (on a vu que le premier de ces comités ne comportait pratiquement aucun historien véritable), mais plutôt, me semble-t-il, au fait que l'acronyme CPME correspondait à une quantité d'institutions et d'organismes sans aucun rapport avec l'esclavage. Le décret donne également la liste des douze membres de ce nouveau comité, qui est doté d'un secrétaire général, chargé de mission auprès du Délégué général à l'outre-mer.

La composition de ce comité est également curieuse puisque, si l'on a ajouté le terme "histoire" dans son titre, on n'y trouve guère de vrais historiens de l'esclavage, sinon, et en élargissant le champ d'investigation de l'histoire, Myriam Cottias et Frédéric Régent ; François Durpaire, remarquable surtout par sa coiffure, plus ou moins afro, est bien plutôt spécialiste des États-Unis pour lesquels il se déclare lui-même « consultant pour la télévision et la radio" !

La principale curiosité de ce comité est l'entrée, pour le moins inattendue mais plaisamment paradoxale, de Françoise Vergès (comme présidente s'il vous plait !) ; quoiqu'insolite, un tel choix est des plus heureux puisque, comme je l'ai déjà rappelé, elle descend en ligne directe, par son père, d'une esclavagiste notoire de la Réunion, propriétaire de 128 esclaves affranchis au moment de l'abolition ! Il est inutile d'insister sur le pittoresque de ce choix puisque F. Vergès a été oubliée par le nouveau décret qui propose la troisième version de ce même comité.

En effet, par décret en date du 10 mai 2013, sont nommés pour trois ans quinze membres d'un nouveau comité qui change de composition mais aussi, à nouveau, de nom puisqu'il s'intitule désormais « Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage ». Voici la composition de ce nouveau Comité :

M. Antonio de ALMEIDA MENDES, maître de conférences en histoire. Mme Charlotte de CASTELNAU L’ESTOILE, maître de conférences en histoire. Mme Audrey CELESTINE, maître de conférences en sciences politiques. M. François DURPAIRE, historien. Mme Annie FITTE-DUVAL, maître de conférences en droit public. M. Emmanuel GORDIEN, maître de conférences des universités-praticien hospitalier, vice-président du Comité Marche du 23 mai 1998. M. Gilles DESIRE DIT GOSSET, sous-directeur de l’accès aux archives et de la coordination du réseau service interministériel des Archives de France. M. Jean-Claude JUDITH DE SALINS, conseiller d’honneur de la société internationale des arts plastiques de l’UNESCO. Mme Stéphanie MELYON-REINETTE, consultante en entreprise. Mme Euzhan PALCY, réalisatrice. M. Philippe PICHOT, directeur de l’association Pays du Haut-Doubs, chef de projet « route des abolitions de l’esclavage ». M. Frédéric REGENT, maître de conférences en histoire. Mme Josy ROTEN, professeur d’anglais, responsable de l’association Mémoria. Mme Maboula SOUMAHORO, maître de conférences en lettres et langues.

Le nom du comité change donc une nouvelle fois, sans explication mais cette fois-ci de façon subreptice. Il devient "national" (ne l'était-il donc pas ?) et on y supprime l'initiale de la préposition "pour", ce qui est d'ailleurs l'usage habituel dans les acronymes. Le nombre des membres passe de 12 à 15 et la présidence à Myriam Cottias, Françoise Vergès quittant le comité. Les véritables historiens sont toutefois à peu près toujours aussi absents de ce nouveau Comité, Madame Charlotte de Castelnau L'Etoile et Monsieur Almeida étant les seuls historiens spécialisés à y entrer.

Pour la première fois, ce comité prendra une existence solennelle, avec la cérémonie du 10 mai 2013, honorée d'un important discours du Président de la République et tenue au jardin du Luxembourg, en présence des principales notabilités de l'État dont les présidents du Sénat, de l'Assemblée nationale et la Garde des Sceaux, Madame Taubira dont la présence était doublement symbolique.

Comme je le faisais observer au départ, ces changements successifs de noms entraînent un salmigondis de sigles dans le site officiel du Comité où personne, semble-t-il, n'a pris la peine minimale d'une relecture attentive. Dès lors, que dire du reste ?

Je reviens un instant sur la question de "l'indemnisation de l'esclavage" (idée écartée par François Hollande dans ce discours du 10 mai 2013 au Luxembourg) et sur les disputes prévisibles au sein du CRAN que j'évoquais dans mon précédent post.

La Garde des sceaux, présente aux côtés de F. Hollande, "n'a jamais souhaité s'inscrire" dans le débat sur les demandes de "compensation financière" de l'esclavage présentées, ce même jour, par le président du CRAN, L.-G. Tin.

Au sein même du CRAN, les réactions n'ont pas tardé. Le conseil d'administration a envoyé un communiqué de presse désavouant son président, au sujet des poursuites judiciaires entamées au nom du Conseil contre la Caisse des dépôts, accusée d'avoir tiré profit de la traite négrière.

"Le CRAN rejette totalement cette action qui n'engage que M. Tin et le met en garde sur les conséquences néfastes de sa dérive mégalomaniaque", écrit Madeiro Diallo, le président du conseil d'administration du CRAN. M. Diallo regrette "une gesticulation médiatique" qui a nui à la journée commémorative de l'abolition de l'esclavage et a présenté des excuses au nom du CRAN auprès de ceux qui ont été "blessés par cette mascarade indigne". Samedi, le prédécesseur de L.-G. Tin, Patrick Lozès, s'était lui aussi déclaré inquiet de la "dérive qui consiste à réduire la mémoire de l'esclavage à une transaction matérielle et à des considérations financières".

Bonjour l'ambiance au sein du CRAN !

On n'est pas sorti de l'auberge mémorielle et j'aurais volontiers conseillé la prudence à Madame Taubira! Celle-ci, dans cette affaire, prône une "politique foncière" pour les descendants d'esclaves. Evoquant les discriminations et le racisme qui sont "les survivances de cette violence", la ministre de la justice affirme que "nous sommes tous comptables des injustices qui s'entretiennent et se reproduisent, parce qu'elles sont enracinées dans cette période d'esclavage et de colonisation", dans un entretien au JDD (à paraître ; cité dans Atlantico 12/5/13).

La Garde des Sceaux évoque la "confiscation [ le terme est pour le moins inattendu !] des terres" qui "fait que, d'une façon générale, les descendants d'esclaves n'ont guère accès au foncier". Elle poursuit : "Il faudrait donc envisager, sans ouvrir de guerre civile, des remembrements fonciers, des politiques foncières. Il y a des choses à mettre en place sans expropriation, en expliquant très clairement quel est le sens d'une action publique qui consisterait à acheter des terres". "En Guyane, l'État avait accaparé le foncier, donc là, c'est plus facile. Aux Antilles, c'est surtout les descendants des maîtres qui ont conservé les terres donc cela reste plus délicat à mettre en oeuvre".

Si ce sont là les termes exacts des propos de C. Taubira, ils sont, pour le moins, étranges  et je vous dirai demain en quoi !

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