Vous ne l'avez
sans doute pas remarqué, car vous avez, fort heureusement pour vous, d'autres
centres d'intérêt, mais nous en sommes déjà au troisième Comité pour la mémoire
de l'esclavage (2004, 2009, 2013). Dans chacun de ces cas, on a changé la
composition (ce qui peut s'expliquer, pour le premier surtout, en raison des
nombreuses démissions qui l'ont affecté), mais on a également changé, chaque
fois, le nom même de ce comité, ce qui entraîne des problèmes, dans le site
actuel, puisque il y est évoqué sous trois sigles différents, sans compter les
fautes de frappe qui font que certaines lettres de cet acronyme sont inversées.
Passons sur ce détail qui montre pourtant le peu d'attention que notre administration
centrale apporte à cette affaire.
En janvier 2004,
est créée la première version de ce comité appelé alors "Comité pour la
mémoire de l'esclavage" (CPME) ; j'en ai déjà parlé dans un post précédent
; je n'y reviens donc pas.
Un décret du 9
mai 2009 change à la fois le nom de ce comité et sa composition : le CPME
devient le CPMHE. Comme toujours, la vraie raison de ce changement n'est pas
explicitée, même si elle tient peut-être à l'ajout, peu justifié, du terme "histoire"
(on a vu que le premier de ces comités ne comportait pratiquement aucun
historien véritable), mais plutôt, me semble-t-il, au fait que l'acronyme CPME
correspondait à une quantité d'institutions et d'organismes sans aucun rapport
avec l'esclavage. Le décret donne également la liste des douze membres de ce
nouveau comité, qui est doté d'un secrétaire général, chargé de mission auprès
du Délégué général à l'outre-mer.
La composition
de ce comité est également curieuse puisque, si l'on a ajouté le terme "histoire"
dans son titre, on n'y trouve guère de vrais historiens de l'esclavage, sinon,
et en élargissant le champ d'investigation de l'histoire, Myriam Cottias et
Frédéric Régent ; François Durpaire, remarquable surtout par sa coiffure, plus
ou moins afro, est bien plutôt spécialiste des États-Unis pour lesquels il se déclare
lui-même « consultant pour la télévision et la radio" !
La principale
curiosité de ce comité est l'entrée, pour le moins inattendue mais plaisamment
paradoxale, de Françoise Vergès (comme présidente s'il vous plait !) ; quoiqu'insolite, un tel choix est des plus
heureux puisque, comme je l'ai déjà rappelé, elle descend en ligne directe, par
son père, d'une esclavagiste notoire de la Réunion, propriétaire de 128
esclaves affranchis au moment de l'abolition ! Il est inutile d'insister sur
le pittoresque de ce choix puisque F. Vergès a été oubliée par le nouveau
décret qui propose la troisième version de ce même comité.
En effet, par décret
en date du 10 mai 2013, sont nommés pour trois ans quinze membres d'un nouveau comité
qui change de composition mais aussi, à nouveau, de nom puisqu'il s'intitule
désormais « Comité national pour la mémoire et l'histoire de l'esclavage ». Voici
la composition de ce nouveau Comité :
M. Antonio
de ALMEIDA MENDES, maître de conférences en histoire. Mme Charlotte de
CASTELNAU L’ESTOILE, maître de conférences en histoire. Mme Audrey
CELESTINE, maître de conférences en sciences politiques. M. François
DURPAIRE, historien. Mme Annie FITTE-DUVAL, maître de conférences en droit
public. M. Emmanuel GORDIEN, maître de conférences des
universités-praticien hospitalier, vice-président du Comité Marche du 23 mai
1998. M. Gilles DESIRE DIT GOSSET, sous-directeur de l’accès aux archives
et de la coordination du réseau service interministériel des Archives de
France. M. Jean-Claude JUDITH DE SALINS, conseiller d’honneur de la
société internationale des arts plastiques de l’UNESCO. Mme Stéphanie
MELYON-REINETTE, consultante en entreprise. Mme Euzhan PALCY,
réalisatrice. M. Philippe PICHOT, directeur de l’association Pays du
Haut-Doubs, chef de projet « route des abolitions de l’esclavage ».
M. Frédéric REGENT, maître de conférences en histoire. Mme Josy
ROTEN, professeur d’anglais, responsable de l’association Mémoria.
Mme Maboula SOUMAHORO, maître de conférences en lettres et langues.
Le nom du comité
change donc une nouvelle fois, sans explication mais cette fois-ci de façon subreptice.
Il devient "national" (ne l'était-il donc pas ?) et on y supprime l'initiale de la préposition "pour", ce qui est d'ailleurs l'usage
habituel dans les acronymes. Le nombre des membres passe de 12 à 15 et la
présidence à Myriam Cottias, Françoise Vergès quittant le comité. Les véritables
historiens sont toutefois à peu près toujours aussi absents de ce nouveau
Comité, Madame Charlotte de Castelnau L'Etoile et Monsieur Almeida étant les
seuls historiens spécialisés à y entrer.
Pour la première
fois, ce comité prendra une existence solennelle, avec la
cérémonie du 10 mai 2013, honorée d'un important discours du Président de la
République et tenue au jardin du Luxembourg, en présence des principales
notabilités de l'État dont les présidents du Sénat, de l'Assemblée nationale et
la Garde des Sceaux, Madame Taubira dont la présence était doublement
symbolique.
Comme je le
faisais observer au départ, ces changements successifs de noms entraînent un
salmigondis de sigles dans le site officiel du Comité où personne, semble-t-il,
n'a pris la peine minimale d'une relecture attentive. Dès lors, que dire du
reste ?
Je reviens un
instant sur la question de "l'indemnisation de l'esclavage" (idée
écartée par François Hollande dans ce discours du 10 mai 2013 au Luxembourg)
et sur les disputes prévisibles au sein du CRAN que j'évoquais dans mon
précédent post.
La Garde des
sceaux, présente aux côtés de F. Hollande, "n'a jamais souhaité
s'inscrire" dans le débat sur les demandes de "compensation
financière" de l'esclavage présentées, ce même jour, par le président
du CRAN, L.-G. Tin.
Au sein même du CRAN, les réactions n'ont pas tardé. Le conseil d'administration a envoyé un communiqué de presse désavouant son président, au sujet des poursuites judiciaires entamées au nom du Conseil contre la Caisse des dépôts, accusée d'avoir tiré profit de la traite négrière.
"Le CRAN rejette totalement cette action qui n'engage que M. Tin et le met en garde sur les conséquences néfastes de sa dérive mégalomaniaque", écrit Madeiro Diallo, le président du conseil d'administration du CRAN. M. Diallo regrette "une gesticulation médiatique" qui a nui à la journée commémorative de l'abolition de l'esclavage et a présenté des excuses au nom du CRAN auprès de ceux qui ont été "blessés par cette mascarade indigne". Samedi, le prédécesseur de L.-G. Tin, Patrick Lozès, s'était lui aussi déclaré inquiet de la "dérive qui consiste à réduire la mémoire de l'esclavage à une transaction matérielle et à des considérations financières".
Bonjour l'ambiance au sein du CRAN !
On n'est pas sorti de l'auberge mémorielle et j'aurais volontiers conseillé la prudence à Madame Taubira! Celle-ci, dans cette affaire, prône une "politique foncière" pour les descendants d'esclaves. Evoquant les discriminations et le racisme qui sont "les survivances de cette violence", la ministre de la justice affirme que "nous sommes tous comptables des injustices qui s'entretiennent et se reproduisent, parce qu'elles sont enracinées dans cette période d'esclavage et de colonisation", dans un entretien au JDD (à paraître ; cité dans Atlantico 12/5/13).
La Garde des
Sceaux évoque la "confiscation [ le
terme est pour le moins inattendu !] des terres" qui "fait que, d'une façon générale, les
descendants d'esclaves n'ont guère accès au foncier". Elle poursuit
: "Il faudrait donc envisager, sans ouvrir de guerre civile, des remembrements fonciers, des
politiques foncières. Il y a des choses à mettre en place sans expropriation, en expliquant très
clairement quel est le sens d'une action publique qui consisterait à acheter des terres". "En Guyane,
l'État avait accaparé le foncier, donc là, c'est plus facile. Aux Antilles, c'est
surtout les descendants des maîtres qui ont conservé les terres donc cela reste
plus délicat à mettre en oeuvre".
Si ce sont là
les termes exacts des propos de C. Taubira, ils sont, pour le moins, étranges et je vous dirai demain en quoi !
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