Un brin d’histoire et d’anthropologie ultramarines sont ici
nécessaires.
Habitués que nous sommes à l’immédiateté de l’information
mondiale, nous ne pensons plus qu’au XIXe siècle encore, les nouvelles de Paris
mettaient plusieurs mois pour parvenir dans les colonies. De ce fait, la
nouvelle du décret Schoelcher (avril 1848) n’est parvenue que quelques mois
plus tard, aux Antilles et plus tard encore à la Réunion. Cette île étant la
plus lointaine, l’abolition n’y a été proclamée que le 20 décembre 1848 par
Sarda-Garriga, qui était arrivé dans l’île le 13 octobre. De ce fait, tous les
ultramarins célèbrent la mémoire de l’événement à des dates différentes. Chaque
D.O.M. aurait donc naturellement souhaité que sa propre date soit retenue pour
l’ensemble des anciennes colonies. Impossible à envisager de ce fait même.
Les D.O.M. ne pouvant donc être que divisés sur le choix d’une
date de commémoration, restaient les Domiens de France qui, même si on ne le
savait pas, l’étaient tout autant, non
cette fois du fait de leurs origines géographiques et de leur histoire,
mais en raison de leurs regroupements politico-idéologiques.
Comme pour l’Islam dit de France, on a tenté le coup de créer une
grande association nationale, le « Conseil National des Associations
Noires », le C.R.A.N. (ça ne vous rappelle rien ?) qu’on a réuni, en
grande pompe, à l’Assemblée Nationale (tout un symbole !) le 26 novembre
2005.
Le but était de couper l’herbe sous le pied à des dizaines de
regroupements ethniques incontrôlés, souvent assez anodins, comme le
« Collectif DOM », mais parfois potentiellement dangereux comme la
« Tribu Ka » (fondée en décembre 2004, pour succéder au Parti Kémite
de Kemi Seba et qui s’est illustrée surtout par son antisémitisme). Le C.R.A.N.
s’est donné alors comme président un non-Antillais (P. Lozès, pharmacien
initialement U.M.P, né au Bénin, où son père fut ministre et qui s’affirma un
moment candidat à la présidentielle de 2012), mais les Antillo-Guyanais y
eurent, logiquement, une place de choix (L.G. Tin, Martiniquais, S. Pocrain,
Guadeloupéen, et... C. Taubira, Guyanaise). Le panachage politique est en
camaïeu avec Lozès (U.P.M.), Pocrain (Verts) et Taubira-Delannon (P.S.).
Le C.R.A.N. visait à ratisser large, mais c’est aussi ce qui
faisait problème. Le Collectif DOM, toujours présent, réunissait, sous la
présidence de P. Karam, présent sur tous les fronts et grand amoureux de la
procédure, des personnalités actives et remuantes comme C. Ribbe et S. Bilé.
Le premier voulait surtout promouvoir ses livres ; cet auteur,
mi-guadeloupéen, mi-creusois, normalien et agrégé de philosophie, nourrissait,
comme Mazarine, de plus nobles ambitions que celles d’enseigner ; on le
vit donc se jucher sur Alexandre Dumas ( Alexandre Dumas, le dragon de la reine ) pour tirer
sur Napoléon ( Le crime de Napoléon ).
Le second, S. Bilé, journaliste (en Martinique un moment) et
écrivain ivoirien, ne manque pas d’éclectisme, puisque, après un livre
aguichant, La légende du sexe surdimensionné des Noirs (l’auteur
est fort heureusement noir lui-même ce qui le met à l’abri des
poursuites !), il a publié, sans
plus de succès toutefois, Noirs dans les camps nazis.
Le Collectif DOM a toujours montré plus de virulence que le
C.R.A.N. que C. Ribbe, dans une envolée gaullienne, a qualifié un jour de
« quarteron de petits arrivistes d’origine africaine » (Ne serait-ce
pas un peu raciste ?) ; le Collectif DOM a surtout multiplié les
attaques aussi bien contre ce qu’il regarde comme sa droite (contre Max Gallo
d’abord, puis contre O. Pétré-Grenouilleau, historiens estimés, eux) ; l’un et
l’autre furent taxés de révisionnisme, avec, dans le second cas, des procédures
judiciaire et administrative rapidement
abandonnées devant le tollé unanime des historiens français. Le Collectif
DOM s’opposait aussi, sur sa gauche, à ce qu’on pourrait regarder comme les
formes extrêmes de ses positions « noiristes » (la « Tribu
Ka », dont le « chef » Kemi Seba fut traîné devant les tribunaux
par P. Karam).
Bref,
ce ne sont là que rivalités dérisoires et ambitions minuscules, la grande
question est autre et j’ose la poser ici.
Où
et quand faut-il célébrer l’abolition de l’esclavage ?
L’histoire
a certes tranché en faveur du Luxembourg (le Jardin, pas le paradis fiscal!)
pour le lieu et, pour la date, choisi le 10 mai, même si, comme on l'a vu, on
peut douter de la légitimité de tels choix et on devrait au moins s’interroger
sur eux.
Aurait-il fallu célébrer l’abolition de l’esclavage à la Bastille,
le 10 mai (la date officielle choisie par J. Chirac et entérinée par le
C.R.A.N, ce « quarteron de ... (cf. supra) ») ou à la Nation,
le 23 mai (en souvenir de la première manifestation du 23 mai 1998 qui, sans
être exclusivement domienne ou désormais ultramarine, l’était quand même de
façon massive) ?
10 ou 23 mai ? Bastille ou Nation ? Il y a là un dilemme
insupportable dont il faut bien sortir.
Puis-je, sans être Antillais ou « d’origine africaine »,
risquer une suggestion de commencement de début de compromis, tout en sachant
bien les risques immenses que je prends.
Gratuitement comme toujours et au nom d'Usbek & Co Consulting,
je propose de célébrer désormais l’abolition de l’esclavage à la station de
métro Faidherbe-Chaligny (à égale distance, deux stations, de Bastille et de
Nation) le 16 mai à minuit (donc à égale distance du 10 et du 26 mai).
Salomon lui-même ne ferait pas mieux non ?
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