Dès le premier texte de cette
série, j'avais pressenti, sans grand mérite, que la France s'engageait là dans
une opération que François Hollande, sans doute poussé par les militaires,
jugeait de toute évidence, immédiatement et sans grand risque, glorieuse, mais
qui risquait de changer de caractère dans la suite, la durée de l'opération
étant elle-même indéterminée en dépit des affirmations de retrait rapide. Cette
intervention risquait fort, en outre, de tourner à la dénonciation du néo-colonialisme
français, ce qui est facile et bien commode dans toutes les affaires africaines
où des Etats du Nord ont l'imprudence de s'immiscer, fût-ce à la demande
initiale expresse des intéressés.
Connaissant un peu le Mali, je
savais l'opposition millénaire qui existe entre le Nord (les "peaux rouges"
ou "blanches", Arabes ou Tamasheq) et le Sud (les mélanodermes, parmi
lesquels les gens du Nord sont venus, des siècles durant, chercher les
esclaves). Je connaissais aussi, depuis les indépendances, toutes les revendications
successives du Nord et les vaines tentatives qui avaient été faites, plus ou
moins sérieusement, pour essayer de porter remède à cette opposition et aux
inégalités socio-économiques et politiques.
L'une d'entre elles, tout à fait
significative et exemplaire, a consisté à construire, dans le Nord pour les
nomades, des centres de protection maternelle et infantile (PMI) et à y envoyer
du personnel de santé du Sud; avant de se rendre compte du caractère impossible
voire absurde d'une telle l'opération, dans la simple mesure où ces infirmiers
parlaient le bambara, alors que les femmes et les enfants qu'ils devaient soigner
ne parlaient que le tamasheq (ou amazigh) et qu'en outre, dans la culture
touareg, les femmes ne peuvent pas être soignées par des hommes. Le problème
est qu'on ne s'est aperçu de ces détails, jugés accessoires ou sans doute même
ignorés, qu'après et on a compris
qu'après coup qu'ils ruinaient tout espoir de succès dans une opération au
demeurant louable et même estimable.
Cela dit, ce genre d'échecs du
"développement" par ignorance ou mépris des cultures locales est si
courant que je m'amusais, à une certaine époque, (et j'ai écrit tout cela) à les
recenser sous la rubrique "les éléphants blancs (ou roses) du
développement". Le cas est toutefois si fréquent que je n'ai pas tardé à devoir
mettre un terme à cette recension qui se prolongeait au-delà du raisonnable.
Revenons aux affaires maliennes. Le
7 mai 2013, comme on pouvait s'y attendre et le délai m'a même étonné, un chefaillon
d'Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) a diffusé une vidéo dans laquelle il
invitait à s'attaquer aux intérêts français partout dans le monde, cette guerre sainte étant
légitimée par la croisade menée par la France contre les Musulmans au Mali. Réponse
attendue du berger à la bergère. Tout cela était parfaitement prévisible mais ce
n'est peut-être pas le plus grave en la circonstance.
On commence, en effet, à
découvrir que la pacification du Mali, qu'on prétendait terminée, en peu de
temps et à peu de frais (6 morts du côté français, mais quelques centaines,
dissimulées bien sûr, du côté nigérien), ne l'est peut-être pas autant qu'on pourrait
le souhaiter et surtout qu'on le dit. Les accrocs au prétendu calme affirmé
sont nombreux et divers.
Selon RFI (le 5 mai 2013), la
seule source un peu sérieuse et intéressée au domaine dans nos médias, à Ber (ville à quelques dizaines
de kilomètres au nord de Tombouctou), les communautés arabe et touareg
commencent à s'affronter. Aucun soldat malien, français ou burkinabé en poste à
Tombouctou ne s’est rendu à Ber, la ville elle-même étant contrôlée par le MAA,
le Mouvement des Arabes de l’Azawad,. Si le MAA affirme ne rien avoir contre
les Touaregs (enfin, à l'en croire, ce qui n'est pas l'avis des Tamasheq
eux-mêmes), il entend chasser le MLNA de toutes ses positions. On commence par
ailleurs à enlever des habitants de la ville dont le fils du marabout touareg
de Ber qui a disparu.
Vient de naître à Kidal (RFI, 6
mai), d'où les soldats maliens sont toujours exclus, un Haut Conseil de
l'Azawad (HCA) qui prétend, lui, à la fois fédérer les mouvements touareg,
qu'ils soient ou non armés, et "faire la paix avec le Sud" ; ce HCA
négocie avec la Commission "Dialogue et Réconciliation", récemment
installée à Bamako (sur le modèle de la RCA et du Congo Démocratique). Le HCA
entend intégrer dans son sein les deux principaux mouvements armés touareg :
le MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad) bien connu et le récent Mouvement
Islamique de l'Azawad ( le MIA, dissidence d'Ansar Dine).
On voit par là quelle totale confusion
règne dans toutes ces affaires. Si tout cela concerne essentiellement le Nord,
on peut désormais craindre des troubles dans les quartiers populaires de Bamako
où la police aurait démantelé une cellule du MUJAO qui, après que ses membres
ont reçu dans le Nord, une formation militaire, s'est installé dans les
principaux quartiers populaires de la capitale où la police les a découverts et
arrêtés.
Dans ces conditions, on se
demande comment le gouvernement de transition dirigée par Dionkounda Traoré
pourrait organiser réellement les élections qu'exigent la communauté internationale
et les Américains (l'absence de gouvernement élu dispense ces derniers de se
mêler de tout cela) et qui sont prévues pour le 7 juillet 2013. On voit mal, à
l'évidence, comment cela serait possible dans le Nord du pays (rappelons que
les troupes maliennes du Sud sont interdites d'entrée à Kidal et même à Ber). Partout,
les listes électorales ne sont pas prêtes et les commissions administratives
qui doivent les établir ne sont même pas en état de commencer à le faire,
chaque commission attendant en vain les documents d'une autre commission. Tout
indique qu'il est impossible d'établir des cartes d'électeurs pour le 7 juillet,
d'autant que, pour éviter les fraudes, on prétend que chacune d'entre elles devra
porter la photographie de l'électeur concerné ! Par ailleurs, se pose le
problème insoluble du vote des Maliens réfugiés dans les pays voisins qui ne
sont évidemment même pas recensés.
Le seul point un peu sérieux et positif
est la constitution de la Plate-forme des cadres et des leaders tamasheq (c'est-à-dire
touareg, ce terme qui est le seul en usage au Mali n'est apparu que récemment
dans les articles sur le sujet) qui s'est constituée depuis un mois et qui prétend
représenter les positions de la communauté tamasheq favorable à l'unité
malienne.
Le problème est que le contenu des propositions de cette plate-forme
reprend bien des points qui ont déjà été définis, sans grands changements
observables, comme des objectifs politiques et économiques majeurs et urgents depuis
un demi-siècle ; y figurent, au premier chef, le développement économique du Nord
du Mali et la décentralisation. L'affirmation des "besoins en matière de
services sociaux de base" ne peut que rappeler l'affaire des centres de
PMI dont j'ai parlé au début de ce post.
Il semble d'ailleurs que la
Plate-forme tamasheq (qui par
l'usage même de cette dénomination s'affirme explicitement comme telle et se
distingue à la fois du MLNA et du HCA!) ait, sur les questions politiques les
plus importantes, des positions différentes des autres mouvements. Le
gouvernement de Bamako cherche naturellement à jouer, à son profit, sur la
création de ces diverses organisations. La multiplication d'instances concurrentes
n'est évidemment pas un élément de facilitation de la solution des principaux
problèmes ; on peut prévoir, dans cette perspective, un enlisement progressif
du dialogue, d'autant que la fameuse Commission "Dialogue et réconciliation"
semble désormais s'ouvrir du côté de la CEDEAO comme de l'ONU, ce qui n'est
probablement pas fait pour faciliter son action locale.
Comme je le disais dans un post
précédent, nous ne sommes pas encore sortis de l'auberge malienne !
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire