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lundi 20 mai 2013

On nous ment, même sur le Mali


La plupart des radios étant, le dimanche matin, vouées à la bagnole, au jardinage et au bricolage, j'entendais, ce matin, dimanche 19 mai 2013, vers 10h30 (vous aurez noté que je dis "j'entendais" et non pas "j'écoutais" !) l'émission dominicale de Jean-Pierre Elkabbach sur Europe.

Le héros du jour était Monsieur Le Driant, ministre de la défense, qui semble passer son temps dans les avions, ce qui devrait pourtant lui donner le temps de la réflexion sur les affaires dont il a la charge. Il était interrogé sur le récent Livre blanc de la défense et se défendait, somme toute assez bien, ce qui était pas trop difficile quand on prend en compte la qualité et l'information des "journalistes-sic" chargés de l'interwiewer. Ils étaient là, trois ou quatre, sous la houlette d'Elkabbach (76 ans aux pommes !) qui lui a, au moins l'excuse de l'âge ; je n'ai pas retenu grand-chose de leurs propos, infiniment prévisibles, sinon qu'il a été question, un moment, des "drones" que nous devrions nous employer à fabriquer au lieu de devoir les emprunter, en cas de besoin, comme dans l'affaire malienne, aux Américains, à défaut d'oser le faire aux Israéliens, puisque ce sont les deux seuls Etats qui sont en mesure de disposer de tels engins. Notre technicité en matière aéronautique ne devrait pas nous rendre la chose impossible, si un tel projet était inscrit dans les perspectives actuellement en cours de définition, mais il faudrait s'y mettre au lieu d'en acheter aux Etats-Unis.

Quelques minutes plus tard, au cours de cette même émission, Jean-Pierre Elkabbach, qui avait oublié cet épisode, demande au ministre combien les troupes françaises et tchadiennes (puisque les Maliens n'ont, contre toute attente, pas grand-chose à voir dans cette affaire) ont tué de terroristes ; le ministre lui répond, sans broncher et sans provoquer la moindre réaction de la part des autres prétendus journalistes, : « Comme nous n'avions pas de drones, nous n'avons pas pu les compter. ». Tout le monde aurait dû bondir de sa chaise, à défaut d'en être déjà tombé !

J'avais, en effet, cru comprendre, car la nouvelle avait été annoncée urbi et orbi et reprise à l'envi, en particulier dans "lemonde.fr" que, depuis leur base de Niamey au Niger, les Américains en avaient mis à notre disposition pour nos opérations militaires au Mali. Ils disposaient là bas d'une centaine d'hommes pour gérer ces drones et c'était même la seule contribution des États-Unis à cette affaire dont ils ne souhaitaient pas se mêler davantage, quitte à en recueillir dans la suite les fruits. Tout cela avait été annoncé et détaillé à la mi-mars 2013 ; on précisait même que les drones de question étaient du type « Predator" dont le nom est tout un programme car ce mot signifie en latin "ravisseur, destructeur, etc.". On nous précisait même que toutefois, en la circonstance, ces drones Predator (vieux modèles, prototypes de l'actuel "Reaper" "la faucheuse") n'étaient pas équipés de missiles, mais seulement d'appareils de prises de vue !

Quand nous a-t-on menti ? Mi-mars 2013 en nous annonçant la mise à disposition des troupes françaises de ces Predator américains ou, plus grave, le 19 mai 2013, quand le ministre, sur une radio importante et à une heure de grande écoute, a affirmé, de la façon la plus claire, que nous ne disposions pas dans les opérations militaires au Mali des drones que les Etats-Unis étaient censés nous avoir prêtés ?

Je suis évidemment tenté de répéter ici ce que je n'ai cessé d'affirmer ou de prétendre dans ma série de blogs : « Honni soit qui Mali pense ». Pour éviter de me répéter de façon fastidieuse, car les choses n'ont guère évolué depuis la publication de ces posts, je reprends ici une partie des termes du dernier numéro de cette série, car je ne pense pas que la visite humanitaire au Mali de Madame Valérie Trierweiler (qu'on s'obstine à baptiser Première Dame) changera quoi que ce soit dans toute cette affaire. Cet aspect risque, au contraire, d'illustrer, une fois de plus, la vanité de certaines opérations humanitaires qui, si louables qu'elles soient, échouent du simple fait de la totale ignorance des réalités démographiques et anthropologiques des pays où l'on souhaite intervenir, en l'occurrence le Mali.

Mes réserves sur l'intervention française au Mali tenaient et tiennent toujours surtout à ce que, connaissant un peu le Mali, je sais l'opposition millénaire et irréductible  qui existe entre le Nord (les "peaux rouges" ou "blanches", Arabes ou Tamasheq) et le Sud (les mélanodermes, parmi lesquels les gens du Nord sont venus, des siècles durant, enlever des esclaves). Je connais aussi, depuis les indépendances, toutes les revendications successives du Nord et les vaines tentatives qui ont été faites, plus ou moins sérieusement, pour essayer de porter remède à cette opposition et aux inégalités socio-économiques et politiques qui y sont liées.

L'une de ces tentatives, tout à fait significative et exemplaire, a consisté à construire, dans le Nord pour les populations nomades, des centres de protection maternelle et infantile (PMI) et à y envoyer du personnel de santé du Sud; avant de se rendre compte du caractère impossible voire absurde d'une telle l'opération. Cette impossibilité tenait d'abord à ce que ces infirmiers venus de Bamako parlaient le bambara, alors que les femmes et les enfants qu'ils devaient soigner ne parlaient que le tamasheq (ou amazigh) et ensuite à ce que, dans la culture tamasheq, les femmes ne peuvent pas être soignées par des hommes. Le problème est qu'on n'a pas pris garde à ces "détails", jugés accessoires ou sans doute même ignorés, et qu'on ne les a découverts qu'après ; on n'a donc compris qu'après coup qu'ils ruinaient tout espoir de succès dans une opération au demeurant nécessaire, louable et estimable, mais sous d'autres formes.

Cela dit, ce genre d'échecs du "développement" (quelle que soit l'épithète qu'on lui accole dans la longue série qu'on a constituée depuis un demi-siècle - inégal, en voie, endogène, durable, etc. -) causé par l'ignorance ou le mépris des cultures locales est si courant que je m'amusais, à une certaine époque, (et j'ai écrit tout cela) à les recenser sous la rubrique "les éléphants blancs (ou roses) du développement". Le cas est toutefois si fréquent que je n'ai pas tardé à devoir mettre un terme à cette recension qui se prolongeait au-delà du raisonnable.

Revenons aux affaires maliennes actuelles. Le 7 mai 2013, comme on pouvait s'y attendre et le délai m'a même étonné, un chefaillon d'Al Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI) a diffusé une vidéo dans laquelle il invitait à s'attaquer aux intérêts français partout dans le monde, cette guerre sainte étant légitimée par la croisade menée par la France contre les Musulmans au Mali. Réponse attendue du berger à la bergère. Tout cela était parfaitement prévisible mais ce n'est peut-être pas le plus grave en la circonstance.

On commence, en effet, à découvrir que la pacification du Mali, qu'on prétendait terminée, en peu de temps et à peu de frais (6 morts du côté français, mais quelques centaines, dissimulées bien sûr, du côté tchadien mais on invitera des soldzats tchadiens à défiler au prochain 14 juillet), ne l'est peut-être pas autant qu'on pourrait le souhaiter et surtout qu'on le dit. Les accrocs au prétendu calme affirmé sont aussi nombreux que divers.

Selon RFI (le 5 mai 2013), la seule source un peu sérieuse et intéressée au domaine dans nos médias, à Ber (ville à quelques dizaines de kilomètres au nord de Tombouctou), les communautés arabe et touareg commencent à s'affronter. Aucun soldat malien, français ou burkinabé en poste à Tombouctou ne s’est rendu à Ber, la ville elle-même étant contrôlée par le MAA, le Mouvement des Arabes de l’Azawad,. Si le MAA affirme ne rien avoir contre les Touaregs (enfin, à l'en croire, ce qui n'est pas l'avis des Tamasheq eux-mêmes), il entend chasser le MLNA de toutes ses positions. On commence par ailleurs à enlever des habitants de la ville dont le fils du marabout touareg de Ber qui a disparu.

Vient de naître à Kidal (RFI, 6 mai), d'où les soldats maliens sont toujours exclus, un Haut Conseil de l'Azawad (HCA) qui prétend, lui, à la fois fédérer les mouvements touareg, qu'ils soient ou non armés, et "faire la paix avec le Sud" ; ce HCA négocie avec la Commission "Dialogue et Réconciliation", récemment installée à Bamako (sur le modèle de la RCA et du Congo Démocratique). Le HCA entend intégrer dans son sein les deux principaux mouvements armés touareg : le MNLA (Mouvement National de Libération de l'Azawad) bien connu et le récent Mouvement Islamique de l'Azawad ( le MIA, dissidence d'Ansar Dine).

On voit par là quelle totale confusion règne dans toutes ces affaires. Si tout cela concerne essentiellement le Nord, on peut désormais craindre des troubles dans les quartiers populaires de Bamako où la police aurait démantelé une cellule du MUJAO qui, après que ses membres ont reçu dans le Nord, une formation militaire, s'est installé dans les principaux quartiers populaires de la capitale où la police les a découverts et arrêtés.

Dans ces conditions, on se demande comment le gouvernement de transition dirigée par Dionkounda Traoré pourrait organiser réellement les élections qu'exigent la communauté internationale et les Américains (l'absence de gouvernement élu dispense ces derniers de se mêler de tout cela, comme on l'a vu avec les drones) et qui sont prévues pour le 7 juillet 2013. On voit mal, à l'évidence, comment cela serait possible dans le Nord du pays (rappelons que les troupes maliennes du Sud sont interdites d'entrée à Kidal et même à Ber). Partout, les listes électorales ne sont pas prêtes et les commissions administratives qui doivent les établir ne sont même pas en état de commencer à le faire, chaque commission attendant en vain les documents d'une autre commission. Tout indique qu'il est impossible d'établir des cartes d'électeurs pour le 7 juillet, d'autant que, pour éviter les fraudes, on prétend que chacune d'entre elles devra porter la photographie de l'électeur concerné ! Par ailleurs, se pose le problème insoluble du vote des Maliens réfugiés dans les pays voisins qui ne sont évidemment même pas recensés.

Le seul point un peu sérieux et positif est la constitution de la Plate-forme des cadres et des leaders tamasheq (c'est-à-dire touareg, ce terme qui est le seul en usage au Mali n'est apparu que récemment dans les articles sur le sujet) qui s'est constituée depuis un mois et qui prétend représenter les positions de la communauté tamasheq favorable à l'unité malienne.

Le problème est que le contenu des propositions de cette plate-forme reprend bien des points qui ont déjà été définis, sans grands changements observables, comme des objectifs politiques et économiques majeurs et urgents depuis un demi-siècle ; y figurent, au premier chef, le développement économique du Nord du Mali et la décentralisation. L'affirmation des "besoins en matière de services sociaux de base" ne peut que rappeler l'affaire des centres de PMI dont j'ai parlé.

Il semble d'ailleurs que la Plate-forme tamasheq (qui par l'usage même de cette dénomination s'affirme explicitement comme telle et se distingue à la fois du MLNA et du HCA!) ait, sur les questions politiques les plus importantes, des positions différentes des autres mouvements. Le gouvernement de Bamako cherche naturellement à jouer, à son profit, sur la création et la rivalité de ces diverses organisations. La multiplication d'instances concurrentes n'est évidemment pas un élément de facilitation de la solution des principaux problèmes ; on peut prévoir, dans cette perspective, un enlisement progressif du dialogue, d'autant que la fameuse Commission "Dialogue et réconciliation" semble désormais s'ouvrir plutôt du côté de la CEDEAO comme de l'ONU, ce qui n'est probablement pas fait pour faciliter son action locale.

Comme je le disais dans un post précédent, et ce que ne semble pas prévoir Monsieur le ministre Le Driant, nous ne sommes pas près de sortir de l'auberge malienne !

 

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