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lundi 13 mai 2013

La "mémoire de l'esclavage" : Un étrange Comité


Depuis quelques années, dans des intentions au départ louables, la France s’est, en effet, préoccupée d’interdire à quiconque, et donc naturellement aux historiens et aux écrivains, tout écrit qui risquerait d’apparaître comme raciste ou xénophobe.

Depuis 15 ans, de la loi Gayssot en 1990 à la loi de 2005 (dont l’article quatrième évoquait le rôle positif du colonialisme), en passant par la loi de janvier 2001 sur le génocide arménien et la loi Taubira-Delanon du 21 mai 2001 sur la traite et l’esclavage, la République française a pris, de bonne foi, une série de dispositions législatives « mémorielles » qu’on peut juger louables, mais qui, en quelque sorte, imposent une forme unique et officielle de « vérité historique ».

Un tel propos ne va pas manquer de me faire traiter de « facho » par des gens qui, de toute évidence, ne savent pas davantage ce qu’est le fascisme. Je me bornerai donc à faire observer, en premier lieu, que, d’un point de vue un peu différent, je me trouve ici exactement sur la position exposée dans « la pétition des 19 », rédigée et signée par des historien(ne)s français(es) dont plusieurs comme Elizabeth Badinter, Marc Ferro, Jacques Juillard ou Pierre Vidal-Naquet ne font pas mystère de leurs opinions de gauche et qu’on hésitera donc peut-être à traiter, eux, de « fachos »! Les menaces de procès et les demandes de suspension d’enseignement, voire de radiation de l’éducation nationale, contre O. Pétré-Grenouilleau, l’un des plus incontestables historiens français de la traite et de l’esclavage, ont illustré naguère le danger que peuvent constituer de telles lois. C’est d’ailleurs dans cette affaire même que se situe l’origine du mouvement qui a conduit à la « pétition des 19 ».

Un exemple, très simple et parfaitement clair et auquel j'avais, à l'époque consacré un post. Le 10 mai 2006, dans son édition du matin et pour célébrer la "journée de l'esclavage", France-Inter, chaîne nationale majeure, a reçu deux invités pour évoquer la question de la traite et de l'esclavage des Noirs. Qui étaient-ils ? Je vous le donne en mille (ce qui, à l’origine de cette jolie expression, veut dire, je vous autorise mille réponses pour trouver la bonne !). Olivier Pétré-Grenouilleau? Vous n'y pensez pas! Un autre historien connu de la traite ? Pas davantage ! A la rigueur Maryse Condé ? Edouard Glissant (alors encore vivant) ? Ne cherchez pas davantage, car vous le donnerais-je en dix-mille, que vous ne trouveriez pas davantage!

Les deux invités de France-Inter étaient Lilian Thuram et Joey Star, un footballeur en retraite et un chanteur de rap habitué des tribunaux.

Le premier a certes le talent, rare chez les footballeurs, de parvenir à faire deux phrases de suite et, depuis sa retraite de porter lunettes. Le second, qui défraye souvent diverses chroniques et aime à dire n’importe quoi sur n’importe quoi, est, de ce fait, très apprécié des médias, même dans les emplois les plus inattendus. On a ainsi pu le voir, naguère, donner des leçons de civisme aux jeunes des banlieues, ce à quoi ne paraît pas le porter de façon naturelle sa tendance, un peu fâcheuse mais constante, à boxer ses petites amies ou, à défaut, les hôtesses de l’air et à faire payer par un innocent, pour son malheur homonyme, ses multiples contraventions.

Ajoutons que Thuram a arrêté sa carrière pour faire je ne sais quoi et que Star sortait un disque à l'époque des faits. Vous l’aviez deviné ? Heureuse conjonction, des plus fortuites bien entendu, entre la recherche frénétique d’audience des médias et le mercantilisme de leurs invités ; cette alliance fonde désormais tout notre paysage audiovisuel où l’on n’entend plus que des « peoples » (comme on dit en ces lieux) se voir offrir le prétexte de venir parler de choses auxquelles ils n’entendent rien, pour vendre une marchandise dont on se fout totalement et sans rapport avec le propos.

En la circonstance, le prétexte pour les inviter à opiner sur cette question de l'esclavage est qu’ils sont, l’un et l’autre, d’origine antillaise. De là à les regarder comme des produits de la culture des Antilles, il y un grand pas que nos médias n’hésitent pas à franchir. En effet, le premier a quitté la Guadeloupe à neuf ans et il est donc guadeloupéen, comme, en son temps, Leconte de Lisle était Réunionnais ; le second est né dans le 93 et n’a donc pas sucé, à la mamelle, la culture créole.

Le rapport spécifique entre toute cette affaire et les Antilles est d’ailleurs un élément du problème, le plus important sans doute. En effet, quoique les Antilles et la Guyane ne représentent que la moitié de la population « domienne » totale, le reste ne semble guère pris en compte, y compris dans la loi Taubira dont la rédaction malhabile, voire incorrecte, du premier article montre clairement que l'océan Indien y a été ajouté : "La République française reconnaît que la traite négrière transatlantique ainsi que la traite dans l'océan Indien d'une part, et l'esclavage d'autre part"

A ce stade, je me borne à constater qu’en dehors même des quatre lois que j’ai évoquées, l’Etat français intervient, dans toutes ces affaires, d’une façon que je juge souvent excessive ou maladroite et qui, en outre, ne me paraît pas exempte de visées électoralistes et/ou politiciennes.

Revenons en arrière. Le 15 janvier 2004 a été créé par décret un Conseil National pour la Mémoire de l'Esclavage (CNME) . Ses douze membres ont été choisis « en considération de leurs travaux de recherche dans le domaine de la traite ou de l'esclavage », « de leur activité associative pour la défense de la mémoire des esclaves », et « de leur connaissance de l'outre-mer français ». On y trouve : Jean-Godefroy Bidima, directeur de programme au Collège international de philosophie ; Marcel Dorigny, maître de conférences au département d'histoire de l'université Paris-VIII ; Nelly Schmidt, chercheuse au CNRS; Françoise Vergès, professeure à l'université de Londres ; Henriette Dorion-Sébéloué, présidente de l'Union des Guyanais et des amis de la Guyane ; Christiane Falgayrettes-Leveau, présidente de l'Association des amis du musée Dapper ; Serge Hermine, président de l'Association des descendants d'esclaves noirs et de leurs amis ; Pierrick-Serge Romana, président du Comité marche du 23 mai 1998 ; Maryse Condé, écrivain ; Fred Constant, recteur de l'université Senghor d'Alexandrie ; Gilles Gauvin, enseignant ; Claude-Valentin Marie, sociologue.

La composition même de ce Comité est un peu étrange. Il comprend en effet douze membres, parmi lesquels on ne compte que deux Réunionnais (Gilles Gauvin et Françoise Vergès), alors que, comme je l’ai rappelé, la Réunion a, en gros, la même population que la Martinique et la Guadeloupe réunies.

Seconde étrangeté, plus grande encore, alors que la vocation de ce comité est expressément « de mémoire », on n’y trouve aucun historien spécialisé de renom. Les spécialistes de service sont Nelly Schmidt et Marcel Dorigny. La première, dont les collaborations multiples avec Oruno Lara n’ont pas contribué à asseoir la réputation scientifique, donne un peu trop souvent dans le militantisme (ce qui est d’ailleurs sans doute la raison de son choix). Marcel Dorigny, maître de conférences à Paris 8, est, en fait et à l’origine, un spécialiste du libéralisme français au XVIIIe siècle. Sa thèse porte sur les Girondins et il en est venu, récemment et par l’histoire des idées, à la thématique de l’esclavage, nettement plus « porteuse », comme on peut le constater. Il semble clair que ces deux historiens ont été placés dans ce Comité pour leurs positions idéologiques plus que pour leur poids scientifique réel. C’est d’ailleurs ce que reconnaît, de façon inattendue et sans grand ménagement à leur égard, le Comité lui-même quand il déclare « Aucun des grands historiens français du moment ne se penche sur l’esclavage ».

La marginalité de ces représentants de l’historiographie française se marque, à l’évidence, par l’absence de noms qu’on aurait pu attendre sur le plan national, comme  ceux de Pétré-Grenouilleau (contre le livre duquel M. Dorigny a produit une lamentable réponse), J. Mettas, S. Daget, L. Hurbon, J.L. Bonniol, J-M. Filliot ou H. Gerbeau (auquel le Comité s’est borné à offrir un prix au lieu de l’admettre dans son sein). En 2004, Claude Meillassoux, le grand anthropologue français de l’esclavage, vivait encore; on aurait pu songer à lui, mais encore aurait-il fallu connaître son existence et ses travaux. On aurait pu aussi songer, pour les DOM, à des historiens « domiens » comme C. Wanquet, P. Eve, S. Fuma, J. Petitjean-Roget, H. Elizabeth ou S. Mam Lam Fouck. On les a apparemment oubliés, ignorés ou plutôt écartés.

Ce mode de désignation singulier explique sans doute aussi, de la part de ce Comité, la volonté, tout à fait étrange mais réitérée, de développer en France les recherches sur l’esclavage... comme si elles n’existaient pas. N. Schmidt, chercheur au CNRS, devrait pourtant être informée de sa propre existence, de celle de J.M. Filliot (IRD) et les noms de D. Bebel-Gisler (aujourd’hui décédée, mais qui avait fait toute sa carrière au CNRS, toutefois sans y produire grand chose) ou de L. Hurbon ne peuvent lui être tout à fait inconnus (les approches sociologiques ou anthropologiques de l’esclavage sont tout aussi légitimes que celle de l’histoire).

C. Taubira (femme politique) et F. Vergés (politologue), sans être le moins du monde historiennes, ont publiés dans la suite sur l’esclavage des livres inattendus, auxquels les médias ont assuré une flatteuse et constante promotion. Ces ouvrages participent-ils, d’ores et déjà, au renouveau de l’historiographie française dans ce domaine ? Elles ont déjà en tout cas, l’une et l’autre, à l'époque, envahi les télévisions et les radios, ce que les vrais historiens n’ont jamais pu faire.

Les modalités de formation de ce Comité expliquent sa composition, mais aussi les problèmes qui s’y posent (Serge Romana, Maryse Condé et d'autres ont très vite démissionné) ou qu’il suscite (le différend avec Pétré-Grenouilleau qui tient, pour une bonne part, à l’étrange rédaction de la loi Taubira-Delanon).

Dans son premier rapport annuel, remis au Premier ministre le 12 avril 2005, ce Comité pour la mémoire de l’esclavage, après avoir rappelé le contexte et les enjeux de l’histoire et de la mémoire de l’esclavage, a expliqué son choix de proposer le 10 mai, dans un chapitre intitulé : "Pour une célébration de la mémoire de l’esclavage et de la mémoire de l’abolition".

Ce choix est encore plus étrange que le Comité lui même, comme on le verra demain.

 

 

 

 

En effet, un décret a créé, le 5 janvier 2005, suite à un rapport, un « Comité pour la Mémoire de l’Esclavage » qui, le 30 janvier 2006, a été reçu officiellement par le Président Chirac. C’est à cette occasion qu’il a annoncé que la date du 10 mai avait été retenue pour la commémoration de l’abolition de la traite et de l’esclavage.

 Le conseil est composé de douze membres, choisis à l'origine « en considération de leurs travaux de recherche dans le domaine de la traite ou de l'esclavage », « de leur activité associative pour la défense de la mémoire des esclaves », et « de leur connaissance de l'outre-mer français »[5], et depuis le 6 mai 2009, « en raison de leurs compétences et de leur expérience en matière de recherche, d'enseignement, de conservation, de diffusion ou de transmission de l'histoire et des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition »[6].

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