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mardi 17 juin 2014

De militaribus rebus,

De militaribus rebus,
Je vais faire mon cuistre ou mon Jules Cesar, pour tenter de faire oublier un instant ma modeste condition de deuxième classe de réserve de l’infanterie de marine (corps d’élite faut-il vous le rappeler ?) et citer le commentaire que j’ai reçu.
"Cher Usbek,
Je suis d'accord avec vous quand vous mettez en cause la gestion des armées, voyant davantage sous ce terme un problème de structures que vous jugez inadaptées. Mais sans doute pas pour les mêmes raisons. J'ai l'impression que vous jugez les structures figées, tandis que mon expérience me ferait dire qu'elles sont au contraire trop mouvantes.
En une trentaine d'années de carrière, j'ai toujours vu l'armée (de terre) en perpétuel changement, ballotée entre les contraintes liées aux budgets et aux effectifs (c'est en général dans le même paquet), aux copinages politiques qui parvenaient à placer des régiments loin de où, au regard de leur mission et de leurs moyens, ils auraient dû être implantés, aux choix politiques majeurs (fin de la conscription par exemple), et aux variations de la définition des menaces.
Chacun de ces points pourrait être développé longuement, mais en y regardant bien, vous verrez que tout vient du politique, même le dernier point mal intitulé, puisqu'il faut inclure ce qui est sans doute l'essentiel à savoir les objectifs de la France en matière de politique étrangère.
Pour tenter d'illustrer mon propos, je vais tenter, en quelques lignes, ça va être difficile, de vous brosser ce qui s'est passé entre la guerre du Golfe, quand Mitterrand envoya nos militaires faire de la figuration dans la grande coalition qui avait bien plus valeur de symbole en tant que coalition que d'effets militaires. Je dois avouer que je comprends très bien la position de Chevènement à l'époque même si par ailleurs il est difficile de lui pardonner un abandon de poste au moment crucial.
Donc en 90 l'armée est encore structurée pour la guerre froide qui vient de s'achever, même s'il existe des éléments dédiés à nos interventions en Afrique. La décision, mais qui s'en étonnerait, de ne pas envoyer le contingent dans le Golfe amène à un bricolage assez extraordinaire que bien évidemment ceux qui ne sont pas dans l'institution ne peuvent voir, mais qui montre aux militaires une énorme faille (on était à peu près incapables de faire une relève).
Le problème devient le service national qui empêche une restructuration en profondeur et oblige encore pendant quelques années à des contorsions et des contournements du règlement pour envoyer des appelés en Yougo par exemple (il suffisait qu'ils signent un contrat de 2 mois dans le cadre d'un service long volontaire et qu'ils veuillent évidemment participer à ces opérations de maintien de la paix. Les volontaires ne manquèrent pas). En fait, c'est Chirac qui prend une décision cohérente en supprimant le Service National  qui permet donc d'opérer une réforme en profondeur des armées et surtout de l'armée de terre qui était la moins professionnalisée.
Mais le politique s'arrête aux grandes décisions : budgets, effectif (loi de programmation), définition des objectifs en termes de mission (livre blanc). C'est ensuite aux militaires de mener la réforme dans les détails, grands et petits. Pour y avoir participé (on appelait ça la refondation), je peux vous affirmer que le critère central restait l'opérationnel, donc la capacité opérationnelle et la satisfaction des objectifs du livre blanc.
Evidemment ça a été pollué par les habitudes prises, surtout les mauvaises, et, dois-je le dire, surtout par des généraux devenus trop nombreux eu égard à la nouvelle donne (mais je pourrais éventuellement expliquer pourquoi le nombre de généraux, 1ère section évidemment, ne diminue jamais ou peu, quelles que soient les réformes) qui s'accrochaient à leur pouvoir ou aux signes de celui-ci (je me souviens, parce que c'était mon job avoir fait des propositions qui m'ont valu un violent renvoi da mes buts, mais qui néanmoins furent adoptées quelques années plus tard quand les vieilles badernes qui ne voulaient pas en entendre parler finirent par partir.)
En fait les lieutenants-colonels et les colonels étaient sans doute les plus aptes à mener une vraie réforme de fond. Enfin finalement la refondation eut lieu et l'armée de terre, 5 ans après la décision de professionnaliser, avait un tout nouveau visage avec en termes d'organisation, sous-tendu par les principes de recentrage sur le métier et de modularité, les structures pour répondre aux objectifs fixés par le politique.
Sauf que celui-ci n'a pas tenu les siens en amputant pendant ces 5 années la loi de programmation de 20% de ses moyens avec un impact évidemment amplifié sur le matériel, le reste étant plus difficilement compressible (fonctionnement courant, soldes par exemple). Cela pour vous montrer qu'en matière de défense, on marche sur deux pattes et qu'en l'occurrence c'est bien le politique qui a failli et qui continue. Mais c'est quand même lui qui tient tout. Il pouvait décider de faire un effort pour que l'équipement soit adapté aux missions qu'il a lui-même fixées. Ou alors reformater l'armée en fonction des équipements qu'il voulait bien lui offrir et en même temps reconsidérer les missions.
C'est la seconde solution qui a été choisie. C'est son droit. Mais en même temps il doit comprendre qu'on ne fera plus ce qu'on faisait, qu'à la fin de la loi de programmation actuelle il serait impossible à Hollande, si le destin s'acharnait sur la France et le reconduisait à son poste, de fêter le plus beau jour de sa vie à Bamako avant d'aller faire un tour à Bangui.
Bon je vais m'arrêter là car j'ai déjà été trop long. Mais il y aurait beaucoup à dire notamment sur les conditions d'exercice du métier militaire notamment en opération. Rappelons-nous par exemple que le premier militaire mort au Mali était pilote de Gazelle, touché par balle. Or selon les lois de programmation, ça fait belle lurette qu'il aurait dû piloter un Tigre disposant d'un blindage. Pour l'anecdote on a quand même réussi à ouvrir il y a une dizaine d'années l'école de pilotage franco-allemande du Tigre alors même que le premier exemplaire ne serait pas livré avant un an."

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