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jeudi 29 mai 2014

Sur l'avenir de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche (ESR) (N° 4)


Je poursuis et achève ici la lecture commentée du texte de Matematika publié dans Mediapart du 20 mai 2014 « Sur l'avenir de l'enseignement supérieur et de la recherche en France ».

Rappel de la partie de ce texte en cause dans la suite :
Il est exact que comme on le lit dans le texte en cause « un espoir pour sauver la recherche française et faire cesser le harcèlement du personnel émergea en 2011 avec le changement de majorité, de président et de gouvernement ». Et l'on y poursuit sur ce point pour conclure que la nouvelle loi, la loi Fioraso « promulguée en 2013, poursuivait en empirant la loi Pécresse ou LRU de 2007 ». La conclusion me paraît peut-être excessive car, s'il est tout à fait clair que la loi de 2013 prolonge très directement celle de 2007, on ne peut peut-être pas aller toutefois jusqu'à dire qu’elle l'empire.

Les regroupements universitaires, quel que soit le nom dont on les baptise, s'inscrivait dans le droit fil des lectures fausses et même absurdes, pourtant assez générales du fameux classement de Shanghai. Pour ce qui me concerne, je l’ai dit et écrit dès 2009 et je ne citerai, pour le prouver, quelques lignes de mon livre sur l’université consacrées à cette question :
« La "masse critique"
Nous avons vu déjà l'erreur majeure qu'a constituée, au départ, l'idée que la recherche d'une "masse critique" (en gros 50 000 étudiants selon notre président [de la République] de l'époque) était un élément central dans l'évaluation de la qualité d'une université. L'idée est si évidemment absurde que j'ai peine à croire qu'elle n'ait pas été un simple prétexte pour masquer un dessein tout différent.
Comment ne pas avoir vu que TOUTES les universités américaines ou anglaises (Oxford et Cambridge pour ce second cas), les mieux classées par Shanghai (qu'on s'obstine sottement à prendre pour référence unique) avaient et ont toujours des effectifs d'étudiants qui, en gros, tournent, comme on l'a vu, autour de 25 000.
La frénésie du regroupement qu'on a pu observer, à certaines époques, au CNRS, comme je l'ai montré dans mon livre à son sujet, cache aussi souvent l'idée, qui évidemment n'est pas mise en avant, que ces opérations peuvent conduire à des économies, ce qui est une idée aussi fausse que la précédente. Comme on a pu le voir dans le cas précis de la nouvelle université d'Aix et de Marseille, en réunissant les trois universités en une seule[1], on n'a rien fait d'autre qu'ajouter une quatrième assiette supplémentaire sur la pile de trois et, par là même, augmenter les coûts au lieu de les réduire. 
Le problème est que, à travers ces erreurs, le modèle visé, sans que cela soit dit ni même perçu, par la loi Pécresse est clairement celui d'une université américaine, dont la structure comme la culture sont extrêmement différentes de celles d'une université française classique. » (2013 : page 111).

La plupart de ces regroupements n'ont pas eu le moindre effet si ce n'est d'alourdir encore des structures universitaires déjà fort pesantes.

L'estimation selon laquelle cette politique s'est accompagnée de « une forte diminution des postes de maître de conférences et de chargés de recherche » devrait être nuancée. Pour ce qui est des universités en tout cas, les taux d'encadrement selon les disciplines sont extrêmement différents, mais les disciplines qui n'ont plus d'étudiants ou très peu, s'arc-boutent sur la conservation de leurs postes, alors que l'université a toujours eu, bien avant ces deux lois, la possibilité de changer l'étiquette disciplinaire d’un poste vacant, même si l’on ne le fait que rarement et non sans peine. Tout le monde se tient par la barbichette et dès lors rien ne se passe.

Il est évident, et je l'ai déjà dit, que le système des promotions, qu’elles relèvent des conseils d'administration des universités ou des sections du CNU concernées, fonctionne pour une bonne part sous le régime de copinage personnel et/ou syndical. Chacun le sait et il est inutile d'insister tant les faits sont évidents.

Pour les sciences humaines et sociales (SHS),  les risques de fraude, de plagiat, d’espionnage ou de conflits d'intérêts n'existent guère. S'agissant du CNRS, la section 35 qui, sous la houlette et le timbre de la philosophie regroupe d’hétéroclites micro-domaines qui ne sont là que pour faire nombre (dont en 35 la philologie ce qui étonne quand on voit les erreurs de traductions multiples dans les écrits des philosophes grecs !) , n'est guère exposée à de tels risques ; on n'a pas constaté dans les dernières années que les dizaines de chercheurs en philosophie du CNRS ait sensiblement fait progresser cette discipline sur le plan international.

Pour l’université, on peut surtout s'interroger sur le maintien, dans toutes les sections, du premier cycle des études scientifiques tant les meilleurs éléments sont systématiquement éloignés de l'université au profit des classes préparatoires, désormais en aussi grand nombre que les écoles d'ingénieurs. Il est amusant, pour ceux qui ont l’âge adéquat et quelque mémoire, de constater que « l'interdisciplinarité » qui fut le maître-mot et l’échec majeur de la loi Edgar Faure (1968 !) refait surface ; on sait que la réinvention de ce que l'on a supprimé quelques dizaines d'années auparavant est une des lois d'airain du système de l'administration française ; on ne tardera pas à le constater avec le rétablissement de la première partie du bac (déjà en cours) ou celui de l'examen d'entrée en sixième. Comme disait ma bonne grand mère « Faire et défaire c'est toujours travailler ! ».

Il est temps de conclure ses réflexions déjà trop longues et sur lesquelles on doit pas se tromper ; je ne suis nullement, comme on pourrait le croire par une lecture trop rapide, ni un ennemi de la recherche et ni, moins encore, celui de la recherche fondamentale ou académique.

Je me borne à constater simplement, pour ne retenir qu'une seule remarque de tous ces propos, qu'il y a en France une totale et constante impuissance à la réforme qu’illustre plus que tout autre, le cas du CNRS ; le seul ministre de la recherche sensé et courageux et qui en avait conscience fut Claude Allègre, dont je n'appréciais pas toujours la brutalité, tout en reconnaissant que cette voie était peut-être la seule possible.

Je m'amuse en me souvenant que la réforme du CNRS faite je crois par Chevènement qui a conduit à fonctionnariser son personnel, qui était auparavant constitué de simples contractuels, a suscité alors des réactions extrêmement négatives de la part de beaucoup de ces derniers. Sur ce point, ils se préoccupaient bien moins de voir leurs recherches orientées de façon autoritaire par l'État que de perdre les avantages que leur statut de contractuels leur assurait par rapport à la fonction publique classique.

Depuis des années, faute d'avoir le courage de supprimer CNRS, on l’étrangle sournoisement par une technique qui s’apparente fort à celle du garrot qui fut en usage en Espagne jusqu’en 1974 !
La suppression du CNRS  est parfaitement possible, en versant une bonne partie de son personnel dans les universités, où les filières d'enseignement et de recherche correspondent en gros aux sections du CNRS et où l’on se plaint sans cesse du manque d’enseignants. Pour les autres, selon leurs choix, on retournerait à une contractualisation qui permettrait enfin réellement à l'État, si il en a le souci et la volonté, d'orienter les recherches vers les secteurs qu'ils jugent prioritaires et qu’il financerait aux niveaux nécessaires.

Au lieu de faire une telle réforme, indispensable et évidente, on essaye d'étrangler le CNRS sournoisement par des mesures, aussi dérisoires que contradictoires, comme des primes pour aller en fac, la réduction des possibilités de promotion ou plus récemment la création d'organismes du style de l’ANR ou de l’AERES qui le vident progressivement de son activité réelle sans le moindre profit réel et en reprenant d’ailleurs les mêmes.

Comme une partie de son personnel n’a guère d’activité réellement scientifique, souvent moindre que celles d’enseignants chercheurs (j'en connais de multiples exemples et j’ai été amené à conduire des comparaisons précises) dont souffre surtout celles et ceux qui ont une motivation réelle à la recherche et un désir sincère d'en conduire. Il est parfaitement possible de faire de telles réformes pour, avec un nouveau statut, organiser la recherche comme cela se passe dans des pays comme les États-Unis ou l'Allemagne qui ne sont tout de même pas des déserts ou des champs de ruines sur le plan scientifique.

Mais quel sera le ministre qui trouvera le courage de faire une telle réforme et de fermer enfin chez nous ce Jurassic Park de la science stalinienne ?

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