Tout le monde (et moi le premier) avait oublié que le 10 mai était la « Journée de commémoration de l'abolition de l'esclavage » par la France.
J'ai fait autrefois un blog sur l’étrange choix de cette date fait par Jacques Chirac pour célébrer l'abolition de l'esclavage qui, en réalité, n’a pas de date véritablement précise ; en effet, selon les territoires, les dates réelles diffèrent en raison du temps de navigation qu'il fallait pour que la nouvelle y arrive de France et que la proclamation y ait effectivement lieu. Un jour d'étiage ou de paresse dans ce blog, je ressortirai ce billet si j'arrive à le retrouver.
L’hypothèse que j'avais formée alors était que le choix du 10 mai était, en réalité, un contre-feu à la date anniversaire de l'élection de François Mitterrand, le 10 mai 1981, ce qui était un calcul politicien, bien chiraquien et à très court terme, car on a désormais oublié l’un comme l’autre ! La preuve est que j'avais trouvé étrange, dans le « tweet » de Monsieur Mariani, cette allusion, finale et obscure, à la « célébration » et je n'ai compris qu'après coup ce qu'il voulait dire par là. Tout cela est sans grande importance, puisqu'il est évident que tous les débats, passés et présents, autour de cette célébration témoignent tous, d'une ignorance abyssale des réalités de l'histoire de l'esclavage comme on a pu le voir. Là aussi, je devrais sans doute ressortir quelques anciens billets sur le sujet à propos de la fameuse loi Taubira !
Le présent ajout de l’étrange nom « Qosmos » au titre de mon précédent blog me conduit à en venir au sujet du jour ; je ne dirai pas grand-chose de l'affaire Qosmos parfaitement décrite par l’article de J. Hourdeaux dans Mediapart qui me l’a fait découvrir et auquel je ne puis que renvoyer.
L’affaire a été elle-même déclenchée par quelques associations qui se donnent pour tâche la défense des droits de l’homme et qui ont, depuis peu, fondé un « Observatoire des libertés et du numérique » (OLN) qui a la noble ambition « d'informer, de former, de prévenir, de proposer et de peser dans le débat public sur ce que doit être une politique du numérique respectueuse des droits ». La création de cet OLN (un observatoire de plus, comme dans la vieille chanson paillarde, « Sortons z’ob…server… ») a été annoncé à la veille de la « Journée internationale de la protection des données personnelles » ! Si je puis me permettre, sur ce point précis, une suggestion, ce serait celle de remplacer, sur nos calendriers, la désuète mention des saints dits « du calendrier » par l’indication des buts désormais assignés à chacune de nos journées, comme on vient de constater à propos de la commémoration de l'esclavage. À l’origine de cet OLN se trouvent des associations comme les diverses Ligues des droits de l'homme (normal !), mais aussi le syndicat de la magistrature et le syndicat des avocats de France, ces derniers ayant été sans doute surtout émus, car on ne les entendait guère à propos du numérique, par l'affaire des écoutes de Nicolas Sarkozy-Bismuth et de son avocat. Je trouve que tous ces braves gens ont été bien longs à se mettre en campagne sur ces questions, alors que nous sommes tous, depuis longtemps, victimes d’invasions, permanentes et obsédantes, de notre espace électronique personnel par toutes sortes d’importunes publicités ou de messages abusifs qui nous accablent à travers l'Internet par le commerce secret et illicite de nos adresses courriels et les insupportables et illégaux « cookies ». Tout cela aurait dû émouvoir déjà depuis longtemps ces si vigilants défenseurs de nos droits, mais il n'en a rien été jusqu’ici.
Il a donc fallu attendre le 28 janvier 2014 et « la journée internationale de la protection des données personnelles » pour que soit constitué l’OLN ! L’affaire Qosmos avait été déclenchée, antérieurement d'ailleurs (en juillet 2012), par une constitution de plainte conjointe contre la société Qosmos par la Ligue des droits de l’homme et la Fédération internationale des droits de l'homme ; elles accusaient cette société « d'avoir fourni les moyens d'espionnage sur Internet à des entreprises ayant des contrats avec les dictatures de Syrie et de Libye ». Une plainte pour « dénonciation calomnieuse » été déposée, en retour, par Qosmos le 3 septembre 2012. Festina lente ! L'affaire est devenue sérieuse en avril 2014, lorsque des juges du Pôle « crime contre l'humanité » (Diable !) ont été désignés pour traiter cette affaire.
Je n'entrerai pas dans le détail de tout cela qu’on retrouvera dans l'article exhaustif de J. Hourdeaux déjà cité, mais l'histoire est, à d’autres aspects, fort intéressante. C'est, au fond et surtout, d’abord celle de la réussite scientifique et technologique exemplaire d'une « start-up » française, aventure industrielle dont on ne cesse pas de souhaiter l'émergence et le succès. Je ne sais pas quel sera le sort de cette plainte ; de toute façon, vu la rapidité de la justice française, on peut s'attendre à ce que l'affaire soit jugée dans cinq ou six ans (compte tenu des appels qui ne manqueront pas d'être faits de part et d'autre, quelle que soit l'issue en première instance), mais je voudrais me borner à trois remarques très générales sur le fond même du problème.
La première remarque est que la France encourage, depuis une décennie et sous tous les gouvernements, ce type de recherche où nous avons des succès que nous ne rencontrons guère ailleurs ! Des sociétés comme Qosmos ou Amesys (une société opérant dans le même domaine) sont concernées. Un mot sur l’une et l’autre : Qosmos est une « start up » française (« made in France ») de l'informatique créée en 2001, spécialisée dans la création des éléments logiciels d'analyse de données de l’internet. Elle a réalisé 13,8 millions d'euros de chiffre d'affaires en 2012 avec 30% de croissance. L’entreprise compte aujourd’hui une centaine de salariés. Basée à Paris, Qosmos a des bureaux aux Etats-Unis dans la Silicon Valley, à Singapour et à Londres. La stratégie de l’entreprise est que l’économie numérique ne peut se passer d’une compréhension détaillée et en temps réel des informations qui circulent sur les réseaux.
Amesys est une société, française elle aussi, fondée en 1979 et opérant dans le même domaine (services en ingénierie informatique). Elle s'adresse principalement aux marchés de la défense et de l'aéronautique, des télécoms, de la sécurité et de la micro-électronique. Ses 900 employés sont répartis dans toute la France (Aix-en-Provence, Paris, Toulouse, Grenoble, Sophia Antipolis) ainsi qu'à l'étranger. Amesys est intégrée au groupe Bull depuis 2010.
Ces sociétés françaises ont été logiquement encouragées par l'État avec des financements sous des formes diverses. Le Fonds Stratégique d’Investissement (FSI), créé par l’Etat français fin 2008, a permis à Amesys d'entrer dans le capital de Bull (dont elle est devenue une filiale) et le FSI a également permis d'apporter 10 millions d'euros à Qosmos, soit la moitié de la levée de fonds opérée en septembre 2011. Il est parfaitement clair et même évident qu'il peut y avoir des utilisations des productions de ces sociétés par des Etats et donc, de ce fait même, des Etats qui ne sont pas nécessairement respectueux des droits de l'homme. Mais il en est de même, par ailleurs, de toute notre industrie d'armement qui n'est pas davantage sourcilleuse dans la vente de ses produits. Or nous nous flattons de cette production et de notre place dans ce type de commerce : en 2012, la France était le troisième exportateur d’armes au monde, avec un revenu de 3,5 milliards d’euros. Depuis 2008, la France a même gagné une place et nos exportations ont progressé de 12,9%. Faudrait savoir ! Je ne me souviens pas avoir entendu parler de protestation de la Ligue des droits de l’homme sur ce point. François Hollande, si attaché à Tulle dont la production d’armes est une ressource majeure, en aurait sûrement entendu parler et aurait veillé au grain !
Il faudrait tout de même être un petit peu logique ; la solution simple serait de classer Qosmos ou Amesys comme des industries stratégiques et, de ce fait, de mettre au panier les plaintes de la Ligue des droits de l'homme (ou assimilés), sans faire perdre leur temps à des magistrats qui ont sans doute mieux à faire. Notre justice est si lente aussi du fait qu’elle est encombrée d'affaires stupides, qui ne devraient jamais aboutir à procédure et prendre directement le chemin de la poubelle. Je suis bien placé pour le savoir ayant été, dans les dernières années, concerné par des plaintes de cet acabit qui ont certes fini de cette façon, mais après avoir fait perdre trois ou quatre ans à des magistrats et plus globalement à la justice. Voilà une des réformes simples et indispensables que devrait opérer notre système judiciaire et qui nous ferait faire de sensibles économies !
Le deuxième point est l'orientation délibérée et volontariste de notre recherche vers des secteurs qui sont jugésimportants pour notre développement industriel endogène (le fameux « made in France » si cher au bel Arnaud). On essaye manifestement de faire des efforts en ce sens et la politique de la Gauche, on l’a vu, est à peu près la même que celle de la Droite pour ce qui concerne les domaines de recherche et le développement de l’innovation et de la modernité scientifique et technologique. Or, pour s’en tenir au plus récent état de la question, il suffit de consulter le document publié par le gouvernement français dans le site du ministère de Montebourg pour constater que les sociétés comme Qosmos ou Alesys sont sur des créneaux de recherche et de développement jugés ESSENTIELS et PRIORITAIRES.
Elles entrent, sans le moindre doute, sous des rubriques majeures, dont on ne regrette que les dénominations anglo-américaines, un peu étonnantes de part d’un ministre si épris du « fabriqué en France ». Je pense ici en particulier au projet 51 intitulé « Big Data », au 52 « Cloud Computing » ou au 53 « E-learning ». À lire ces titres, on se demande comment nous pourrions inventer quoi que ce soit dans ces domaines si nous ne sommes même pas capables de leur trouver des noms français, ce qui mettra assurément en fureur, une fois de plus, nos amis québécois ! Ces domaines de recherche et développement, jugés prioritaires et essentiels sont exactement ceux où opèrent ces sociétés start-ups françaises, à qui les mabouls de l’OLN s’amusent à chercher des poux dans la tête, ce qui risque d’avoir pour elles et le millier de chercheurs et de techniciens qu’elles emploient les plus graves conséquences, comme on peut déjà le commencer à le constater !
On finit même par se demander si l’un des membres cachés de l’OLN ne serait pas la CIA, car ces projets finiront par tomber dans l’escarcelle des start ups américaines qui opèrent dans les mêmes domaines sans subir les foudres d’un OLN américain. On se souvient des rumeurs qui couraient à propos de « Reporters sans frontières » au bon temps de l’ancien trotskiste Robert Ménard dont on a vu la curieuse évolution ultérieure qui s’est achevée à la mairie de Béziers ! Sur ce point on peut juger un peu étonnant que cette plainte contre Qosmos, si insignifiante qu’elle soit, ait attiré l’attention du Wall Street Journal qui lui a consacré un article ! Après tout Qosmos n’a qu’à gagner la Silicon Valley pour qu’on la laisse tranquille !
L'histoire précise de Qosmos est, à cet égard, une illustration parfaite. Qosmos végète jusqu’à 2004-2005, quoiqu'elle dispose des techniques les plus brillantes et les plus avancées ; elle commence même à perdre de l'argent et ne remontera la pente qu’en mettant fin à sa phase universitaire, comme le note à juste titre l'article de Mediapart. Le démarrage fulgurant de la société se fait lorsque des Etats (le plus souvent d'ailleurs à travers des sociétés intermédiaires) vont s’intéresser à ses techniques de traitement et d'extraction et de traitement d'information, comme aussi des sociétés, à l'activité plus honorable mais aux moyens infiniment moindres, du genre de Médiamétrie. À partir de 2010-2011 le démarrage de Qosmos va être foudroyant, mais il est évident que les start ups de ce genre ne vont pas s'intéresser de trop près à leurs clients et à l’usage qui est fait de leurs produits. Elles n'ont sans doute pas d’ailleurs de contacts directs, car bien entendu la Syrie ou la Libye ne sont pas assez naïves pour ne pas mettre des fusibles qu'ils soient technologiques… ou politiques (comme on a pu le voir ici même!). Ici comme ailleurs, on ne fait pas d'omelettes sans des œufs et la lutte commune contre le terrorisme est un parapluie bien commode pour tout le monde, Bachar El Assad, Khadafi, la NSA, les services français et… Qosmos !
La troisième et dernière remarque découle des précédentes et surtout de la deuxième. On a vu que la Droite comme la Gauche ont eu et ont encore, dans ce domaine et pour ces questions, les mêmes comportements, tout à fait logiques et raisonnables en soi d’ailleurs ! Elles partagent hélas aussi l’aberration voire la stupidité du comportement national global en matière scientifique, totalement contradictoire.
Je ne puis sur ce point que renvoyer à quelques chapitres que je consacre à ces questions dans mon livre récent : CNRS : le Jurassic Park de la science stalinienne (Paris, l’Harmattan, 2013).
Depuis des décennies, on fait des efforts constants pour renouveler, dans ses finalités comme dans ses structures et son fonctionnement, la recherche scientifique française (Quelques exemples parmi les plus récents comme sous Sarkozy l’ANR, l’AERES ou le Fonds Stratégique d'Investissement, soit, sous Hollande, par exemple, les fameux 34 projets du dernier Plan). Mais, en même temps, on maintient tels quels, sans y toucher en quoi que ce soit, les Etablissements Publics Scientifiques et Techniques (les EPST), dont le CNRS est à la fois le meilleur et le pire exemple avec sa structure et son fonctionnement staliniens.
Deux ou trois chiffres suffisent à vous éclairer :
CNRS 2012 . Ce que ça coûte
34.000 employés dont 25.505 statutaires (11.415 chercheurs et 14.090 ITA - « ingénieurs-sic », technicien et administratifs - ; le CNRS a échappé à la RGPP et on continue à y créer des postes – 940 en 2012 !) ; 75.000 fonctionnaires dans l’ensemble de nos EPST.
Budget du CNRS : 3,3 milliards.
CNRS 2012. Ce que ça rapporte : « Licences et brevets » : 16,48 millions !
(Source : R. Chaudenson, 2013 pp. 145-157). MDR !
La seule solution logique aurait été, depuis longtemps, de supprimer le CNRS, comme l’ont fait les Russes et les Chinois auxquels nous avions emprunté ce modèle stalinien. C’était le rêve secret de Claude Allègre lorsqu'il était ministre, mais son ami de trente ans, L. Jospin, ne l’a pas permis. Et, faut-il l’ajouter, il n’y a aucun moyen de contraindre un chercheur du CNRS à s’intégrer à un programme de recherche pourtant jugé prioritaire ou essentiel, s’il veut continuer à s’occuper de ses petites affaires et fait ponctuellement sur elles, tous les deux ans, le petit rapport d’activité qui est la seule chose qu’on peut exiger de sa part. Créer et financer par l'ANR ou tel ou tel plan 34 programmes de recherches ne fait que légitimer qu'il reste chez lui à faire son jardin !
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