« Pauvre Haïti ! » comme disent les Haïtiens, qui donnent à ce pays le genre féminin (sans doute à cause de la chanson "Haïti chérie"), sans qu'on sache trop pourquoi d'ailleurs, aussi bien dans la chanson qu'ailleurs!
Haïti n'a toujours pas de gouvernement, un mois après l'élection de Michel Martelly, élection elle-même encore contestée par certains pour des détails du texte même de la constitution haïtienne sur lequel il a prêté serment lors de son entrée en fonction. "Voilà une chose qu'elle est importante!" comme aurait dit Coluche dont on a récemment célébré l'anniversaire de la mort ! Dans un pays qui se trouve encore dans l'état qui est le sien, un an et demi après le séisme de janvier 2010, la rédaction exacte du troisième paragraphe de la page 32 du texte de la Constitution est évidemment un élément capital.
Plus grave en revanche est la difficulté prévisible qu'éprouve le nouveau président à constituer son premier gouvernement dans la mesure où sa mouvance n'a que trois députés ou sénateurs, au sein de la centaine de députés et de sénateurs qui doivent approuver le choix qu'il fera dans la composition de son gouvernement et plus encore dans celui de son Premier Ministre. Comme on pouvait le craindre, le Premier Ministre qu'il avait choisi n'a pas été confirmé dans cette position par une majorité de parlementaires. On assiste donc pour le moment au retour de M. Bellerive, qui avait été le dernier Premier Ministre du président Préval. Affaire à suivre, mais on ne voit guère comment on en pourra sortir.
Toutefois, quand on constate que l'essentiel de l'aide humanitaire est géré par les O.N.G. et non par le gouvernement haïtien lui-même (en 2010-2011, il n'a contrôlé que moins de 40 % de cette aide), on se demande donc si cette absence de gouvernement est un élément décisif dans le marasme général que connaît ce malheureux pays. En effet, non seulement une bonne partie des aides annoncées voire promises n'ont jamais été réellement versées, mais, comme on vient de le voir, beaucoup de ces aides ne sont pas gérées par le gouvernement lui-même.
En tout cas, il semble que certains non seulement s'en accommodent, mais en tirent des profits qui sont fort loin d'être licites. On connaissait en Haïti les écoles "borlettes" (en Haïti "borlette" signifie "loterie"). Il s'agit là d'écoles privées payantes, plus ou moins équipées et pourvues d'enseignants aux compétences incertaines, où l'on apprend pas grand-chose mais qui permettent de pallier, surtout auprès des institutions internationales qui aiment ce genre de statistiques, l'absence d'écoles publiques et ainsi de faire monter, au moins dans les chiffres, le taux général de scolarisation, fût-ce de façon fallacieuse). Or on a découvert, dans la riche faune scolaire haïtienne, une nouvelle espèce qui est celle des "écoles fantômes".
C'est ainsi que deux de ces écoles fantômes ont bénéficié, de la part du ministère de l'éducation, de 21 millions de gourdes (la monnaie locale) de subventions au titre de la reconstruction du système scolaire haïtien qui est on le sait la priorité majeure du programme de gouvernement du nouveau président.
On a beaucoup parlé de cette "reconstruction" depuis le séisme et après avoir eu le "Plan Vallas" auquel j'ai consacré moi-même plusieurs posts, on parle désormais d'un nouveau plan qui émane de la Banque intergouvernementale de développement ( "Haiti's Reconfiguration of the Educational Sector"). Ce nouveau plan, dont le titre même est tout un programme, entre dans un détail extrême des ventilations financières et des prévisions technocratiques (on y va jusqu'à prévoir, dans le moindre détail, les fournitures qui seront accordées aux 27 500 élèves qu'il va concerner - des deux uniformes scolaires (les tailles et couleurs ne sont toutefois pas précisées) - aux quatre crayons, en passant par les cahiers et les gommes), mais, en revanche, on ne trouve pas un mot sur ce que seront les contenus des enseignements, leurs finalités et moins encore les langues qui seront utilisées dans ce système scolaire ou comment seront formés les 600 maîtres indispensables. Le Plan Vallas avait au moins le mérite, à défaut de traiter réellement et sérieusement de ces questions, de les évoquer.
De toute façon, si comme le souhaite le président Martelly, on entend désormais scolariser gratuitement la totalité des enfants haïtiens dans un système scolaire public, il y a deux ordres de questions d'importance inégale mais l'une et l'autre essentielles, qu'il conviendrait poser en préalable à tout projet.
D'une part, (sans prendre en compte l'état des choses réels après le séisme), dans un système éducatif qui compte plus de 80 % d'établissements privés (écoles "borlettes" incluses), si l'enseignement devient totalement public, que deviennent la plupart de ces établissements privés qui sont une source de revenus non négligeable pour nombre de gens en Haïti. Va-t-on, par exemple, financer les écoles borlettes ou les fermer ?
L'autre question est beaucoup plus importante et, bien entendu, de ce fait, on en parle moins encore, s'il est possible. Il ne s'agit pas en effet de replâtrer plus ou moins ("Reconfigurer" ?) un système éducatif dont on sait qu'il fonctionnait très mal. On peut dire et d'aucuns l'ont fait, en Haïti même, qu'on devrait "profiter" de l'inévitable changement imposé par le séisme de 2010 pour repenser totalement l'enseignement en Haïti, puisque la grande "réforme Bernard" des années 80 n'a fait qu'accroître l'anarchie qui régnait dans ce système. Or il est clair que nul ne pose réellement ce problème, comme le montrent les plans successifs proposés par les États-Unis, avec le Plan Vallas d'abord puis le plan actuel de "reconfiguration" du "secteur éducationnel" d'Haïti.
Peut-on espérer, non seulement en finir avec les écoles borlettes et les écoles fantômes mais voir envisagées enfin les vraies questions qui se posent pour l'école en Haïti.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire