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samedi 18 juin 2011

Les deux mamelles de la France.1

La France n’a, au fond, que deux vraies spécialités qui ne sont plus celles dont parlait Sully :
l’une universellement reconnue, sa gastronomie, l’autre, totalement méconnue, son administration ; la première s’incarne dans Paul Bocuse de Collonges-sur-Saône ; la seconde dans le Père Soupe de Messieurs les ronds de cuir.

Le monde devrait nous envier l’une et l’autre, mais nous n’exportons que la première, gardant jalousement la seconde pour notre consommation personnelle exclusive.

Autrefois, par amitié pour des peuples de nos anciennes colonies qui accédaient à l’indépendance, nous avons accepté de les aider à s’ouvrir aux mystères et aux beautés de notre administration. C’est ainsi que, même s’ils sont dans la misère la plus noire, si l’on peut dire, quelques heureux Etats du Tiers-Monde peuvent aujourd’hui s’enorgueillir de posséder, comme nous, un CNRS (Centre National de la Recherche Scientifique), voire pour les plus chanceux, une Ecole Nationale d’Administration (institutions dont nombre d’entre nous aspirent, en secret, à débarrasser notre pays !).

Attention, l’administration française est un Janus à deux visages ; le premier, moderne et conquérant, s’incarne dans notre ENA, qui nous alimente désormais en hauts fonctionnaires mais surtout en Premiers Ministres et voire en Présidents (Présidente ?) de la République, comme, de façon plus inattendue, en PDG de haut vol, experts en stock-options et parachutes dorés. Le second visage, renfrogné et archaïque, est illustré par les figures immortelles décrites par Courteline avec leurs manches de lustrine et leurs ronds de cuir.

Même si le second est plus présent dans notre vie quotidienne que le premier, ces deux mondes sont, bien entendu, totalement étrangers l’un à l’autre.

Tous les meilleurs esprits de l’ENA n’ont d’ailleurs qu’une hâte : quitter ce service public proprement dit pour lesquels on les a formés à prix d’or et dans lequel ils ne se sont, en fait, engagés que pour accéder au pouvoir politique ou “ pantoufler ” dans le privé avec des salaires royaux qu’ignore évidemment l’administration.

Dans un cas comme dans l’autre, la condition de fonctionnaire reste un parachute, précieux quoique non doré, qui, dans les pires des cas, permettra d’achever une carrière dans la confortable semi-activité (ou semi-retraite longtemps anticipée) de la Cour des Comptes ou du Conseil d’Etat et de bénéficier de retraites d’organismes où l’on n’a jamais mis des pieds. Tous ceux qui, au sein de l’administration, devraient être une force de changement et de progrès, ont donc pour unique stratégie, non de la rendre mieux adaptée et plus efficace, mais de la fuir pour faire ailleurs une carrière plus éclatante ou plus rémunératrice.

Le gros des troupes de l’administration est donc, bien entendu, totalement étranger à ce monde, même si, pour les postes de décision subalternes, on a créé, à l’ENA, un concours « interne » ; cette sous-ENA permet à n’importe quel sous-chef de bureau de se rêver en Préfet de région, même si le concours interne ne permet évidemment pas d’accéder aux carrières les plus juteuses. Néanmoins, il faut bien rêver et l’ENA est le bâton de maréchal que tout petit fonctionnaire croit avoir dans sa giberne.

L’adaptation et la modernisation de l’administration figurent pourtant parmi les préoccupations les plus constantes et les plus proclamées de tous nos gouvernements depuis que nous en avons. On pourrait croire un instant qu’elles sont en cours en constatant que, dans les bureaux, les plumes sergent-major ont été remplacées par des ordinateurs et les ronds de cuir par des sièges design. Hélas! Ce qui ne change pas c’est l’esprit ou plutôt l’absence d’esprit et cette prétendue modernité n’est qu’une simple façade.

Allez donc dans un commissariat déclarer le vol d’un auto-radio ! Que l’agent de service tape à un doigt avec deux carbones sur une antique machine à écrire digne du musée de la dactylographie ou qu’il use, avec une technique digitale inchangée, d’un ordinateur dernier cri, il va quand même vous demander et enregistrer gravement le nom de jeune fille de votre mère et sa date de naissance, même si vous avez soixante-dix ans et que vous n’êtes plus, depuis longtemps hélas, sous la garde vigilante de votre chère maman. On comprend facilement l’importance essentielle de ce genre de détail pour une enquête qui, de toute façon, n‘aura jamais lieu. Comment la police pourrait-elle raisonnablement espérer retrouver le voleur de votre auto-radio sans connaître le nom de jeune fille et la date de naissance de madame votre mère?

Une des seules grandes réformes structurelles de l’administration française au cours des cinquante dernières années, a concerné la fameuse feuille de soins de la Sécurité Sociale dite, dans le peuple, feuille de maladie. Elle vaut la peine d’être narrée en détail. Pendant trente ans, l’administration a demandé à l’assuré de porter sur ladite feuille sa date et son lieu de naissance. Ce n’est qu’après avoir traité des dizaines, voire des centaines de millions de ces “ feuilles de maladie ” que le Moloch administratif s’est soudain frappé le front, ayant confusément perçu qu’il n’était peut-être pas absolument indispensable de demander ces informations qui figurent déjà, pour partie, dans le numéro d’immatriculation que porte chacune de ces feuilles de soins.

Patatras! A peine cette réforme majeure était-elle acquise que la Sécurité sociale a constaté que les treize chiffres du numéro d’immatriculation ne permettent pas d’identifier le pékin de base. On a donc dû, discrètement, rétablir la date de naissance sur les feuilles de soins!

Paradoxe mathématique apparent. La situation est d’autant plus ubuesque que 13 chiffres permettent (vous pouvez vérifier !) neuf mille neuf cent quatre-vingt dix neuf, neuf cent quatre-vingt dix neuf millions, neuf cent quatre-vingt dix neuf mille neuf cent quatre-vingt dix neuf combinaisons de chiffres différentes. On peut donc, par la combinaison de ces 13 chiffres, immatriculer dix mille milliards d’individus (moins un), soit à peu près deux mille fois la population actuelle du globe, alors que, nous autres, nous ne parvenons pas à immatriculer une soixantaine de millions de Français. C’est assez dire le génie de ceux qui ont choisi le système adopté! Il a donc fallu réintroduire sur les feuilles de soin la date de naissance qu’on avait si triomphalement supprimée. Comme disait ma chère bonne grand-mère : « Faire et défaire, c’est toujours travailler ! ».

Cet exemple de la feuille de soins donne d’autres éléments de méditation. On sait depuis toujours que n’importe qui peut se faire soigner avec la carte de Sécurité Sociale d’autrui, pour peu qu’il y ait quelque vague compatibilité de sexe et d’âge entre le prêteur et l’emprunteur de carte. Il ne faut pas évidemment qu’un octogénaire passe sa carte à une adolescente et inversement ; à ce détail près, il n’y a aucun problème. Mieux, j’ai entendu citer, à la télévision, le cas de quatre accouchements faits en un seul mois sous le même numéro de sécurité sociale. Ne sommes-nous pas en tête, en Europe, pour le taux de natalité?

La suite demain.

1 commentaire:

Expat a dit…

Cher Usbek,
je crois, hélas, que nous avons aussi exporté notre modèle administratif, esprit inclus, dans beaucoup de régions du monde. Et même ici d'où je vous écris, malheureusement.