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jeudi 9 juin 2011

Ferry : Luc ou Jules?

Dans un blog récent je disais, me semble-t-il, que Luc Ferry était l'un des rares hommes politiques français (mais en est-il véritablement un?) qui trouvait grâce à mes yeux par son discours et ses comportements.

Je n'ai pas changé d'avis suite à sa déclaration sur l'ancien ministre pédophile pris la main dans le sac (si j'ose dire) au Maroc. Comme il l'a lui-même souligné tout cela est relativement connu de tous, même si nul n'en parle par peur des procès.

J'observe d'ailleurs que Luc Ferry a été convoqué par la justice sur cette affaire, je ne sais trop pourquoi, car auraient dû être plutôt mis en cause à la fois les hautes autorités de l’Etat qui, à l’en croire, l'ont informé de l'affaire et sont donc mieux informées que lui et surtout le personnel diplomatique français au Maroc qui est intervenu pour faire libérer le coupable et l'embarquer, en toute hâte, pour la France. Compte tenu de la connaissance des lieux et des dates, il doit être très facile d'identifier et d'inculper, pour le coup, ceux ou celles qui ont été les acteurs directs de l'évasion du coupable et de l'étouffement de cette affaire.

J'ai été beaucoup plus étonné, en revanche, d'apprendre ce matin que, quoique payé comme professeur d'université (au dernier échelon) par l'université Paris-VII, il n'avait pas assuré le moindre cours durant l'année universitaire 2010-2011. Tout le détail de cette affaire a été révélé par le Canard enchaîné qui jouit de l'étonnant privilège d'être le seul lieu de France où ce genre de vérité peut-être dit impunément. Qu'un enseignant d'université n'accomplisse pas la totalité de son service n'est pas pour m'étonner ! Il existe en ces lieux des foules de décharges de service, pour toutes sortes de raisons. En revanche, il est plus rare qu'on n'y fasse même pas acte de présence car de telles dispenses, en principe motivées, sont du ressort du Conseil d'administration et du président.

Toutefois ce qui me choque le plus est que, très récemment, j'ai entendu Luc Ferry parler de ses revenus, sur RMC, dans les "Grandes gueules", une émission que j'écoute de temps en temps dans "le huis clos" de ma salle de bains comme disait autrefois Philippe Meyer. Dans cette émission, l'habitude, à laquelle certains invités refusent de se plier, est d'indiquer ses revenus. Or, et je suis tout à fait formel sur ce point car j'y ai été attentif, Luc Ferry est resté dans le vague et surtout a déclaré vivre de sa plume et de ses ouvrages, ce qui m'a un peu étonné vu son train de vie apparent. En tout cas, je n'ai pas entendu de sa part la moindre allusion à son traitement de professeur à Paris-VII ni d'ailleurs à d'autres revenus qu'on cite ici ou là et qui seraient liés à diverses fonctions. Même si les "ménages" qu'il fait ici ou là (selon le Canard enchaîné conférences à la Chambre de commerce du Havre ou au Royal-Thalasso de La Baule ou initiation à la philosophie de retraités en croisière) sont rémunérateurs, un traitement de 4499 € net par mois ne passe pas tout à fait inaperçu ; dans cette affaire, Luc Ferry a donc clairement péché par omission. Cher philosophe, allez en paix mais vous me direz donc deux Pater et trois Ave !

Je ne doute pas un instant qu’une dispense d'enseignement lui ait été accordée, tout à fait légitimement, par l'éducation nationale au moment où il était ministre, procédure que la loi sur l'autonomie des universités rend toutefois désormais impossible. Je crois d'ailleurs me souvenir que, lorsqu'il était Premier Ministre, Raymond Barre avait conservé un enseignement à Paris1. Néanmoins, Luc Ferry a depuis longtemps quitté ces fonctions et je ne sais pas trop à quel titre il continuerait à être dispensé d'accomplir ses 192 heures annuelles d'enseignement (souvent bien théoriques car il ne s'agit pas là de cours magistraux!). Il paraît invoquer l'appartenance à un "Conseil d'analyse de la société" qu’il semble présider et dont, toujours selon le même Canard enchaîné, les 1800 euros de rémunération mensuels seraient plus concrets que l’activité précise, mais qui ne semble pas être légalement en mesure de l'accueillir comme détaché. Tout cela est sans grande importance et je ne doute pas qu'on trouve une solution qui lui permette de sauver la face, en ménageant du même coup le président de Paris-VII qu'on pourrait accuser de manquer de vigilance, encore qu'il ait, selon ses propres termes, adressé, durant l'année, trois courriers successifs à Luc Ferry qui ne leur a jamais donné de réponse.

Ce point rejoint une question, centrale et épineuse, qui est celle de l'évaluation des activités d'enseignement et recherche des enseignants des universités. On sait que Valérie Pécresse a naguère essayé, non sans maladresse, de se pencher sur la question. Son imprudence majeure a été de le faire en particulier pour des disciplines universitaires où l'activité de recherche est bien moins importante que le second métier qu'exercent beaucoup d'enseignants (je pense ici, bien entendu, aux facultés de droit, où nombre d'enseignants exercent parallèlement la profession d'avocat infiniment plus prenante que leurs activités pédagogiques et scientifiques). On sait comment les choses se sont terminées ; on a vu les enseignants de ces disciplines, peu portés aux revendications syndicales et mal habitués à faire la grève et à manifester, descendre dans la rue pour défiler dans d'étranges manifestations que conduisaient, dans une insolite alliance, le SNES-Sup (de gauche) et le Syndicat autonome (de droite)!

Si l'épisode Luc Ferry, au-delà de l'anecdote, conduit à prendre un peu au sérieux le problème de l'évaluation des activités d'enseignement et de recherche des enseignants du supérieur, on peut dire qu'il aura été utile, un peu de la même façon, que l'affaire du Sofitel à New York conduit à poser enfin, ouvertement, le problème du harcèlement sexuel qu'on pourrait bien étendre enfin des administrations ou des milieux politiques aux universités, où l'on ne peut pas dire qu'il est totalement absent, loin de là.

En tout cas, Luc Ferry me paraît désormais moins vertueux que son homonyme Jules (dont il serait, dit-on, l'arrière-petit-neveu).

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