Limonade ou marmelade ? (suite… sans fin)
Comme nous l’écrivions dans nos rédactions, au cours moyen deuxième année de l’époque : « Le grand jour est enfin arrivé ! ». En ce 12 janvier 2012, pour le deuxième anniversaire du grand séisme d'Haïti qui a fait, dit-on, plus de 200 000 victimes dont des centaines d'étudiants, en particulier ceux de la Faculté de Linguistique Appliquée de Port-au-Prince (dont beaucoup seraient devenus enseignants), voici que les présidents des républiques d'Haïti et de la République Dominicaine vont inaugurer l'université dont la photo de la maquette ouvre ce blog et qui sera nommée, semble-t-il, « Université du Roi Henri Christophe » le problème de l’adjonction d’une précision géographique ( « à Limonade » ou « du Nord » n’étant pas définitivement réglée). Comme je ne veux pas être accusé ici d'ingérence dans les affaires universitaires haïtiennes, je n’ose pas intituler ce blog à l'aide d'un titre emprunté à un récent article du Nouvelliste du 6 janvier 2012 : « Empoignade pour Limonade ».
Cet article devrait être suivi, en date du 10 janvier 2012, dans le même journal, par un article, excellent au demeurant, de Magally Alberte Constant (mais qui n’est pas apparu dans la version électronique); il fait lui-même suite à toute une série d'articles qui, depuis quelques mois, ont été publiés par le Nouvelliste. Tous font apparaître le conflit qui s'est établi, en particulier, à propos du rattachement institutionnel et de la direction de la nouvelle université. Sa construction aurait coûté 50 millions de dollars, ce qui est tout à fait hors de proportion avec les moyens et le budget de l’Université d'État d'Haïti (UEH) qui en revendique désormais la responsabilité et la direction.
Je ne veux évidemment pas entrer dans le débat haïtiano-haïtien, dans lequel les uns souhaitent l'université de Limonade soit placée sous la responsabilité et l'autorité de l'Université d'État d'Haïti (dont elle serait la douzième « unité »), tandis que les autres (ou d’autres) souhaitent qu'elle en soit détachée et qu'elle soit indépendante de l'UEH, autonome par rapport à elle et pourvue, de ce fait, de ses propres organes de financement et de gestion.
Si le premier point de vue est naturellement celui du Rectorat de l’UEH, le second semble réunir, à la fois, avec des motivations sans doute différentes, des personnalités du Nord (avec la résurgence d'une hostilité entre la capitale de l’Etat, Port-au-Prince et Cap-Haïtien, qui fut, sous le nom de Cap-Français, la capitale de la colonie de Saint-Domingue) et, en sous-main, selon les insinuations des partisans du premier point de vue, les agissements des universités privées dont en particulier « une université très connue à Port-au-Prince », formule qui, de toute évidence, paraît désigner l'université Quisqueya (on retrouve là, le vieux conflit entre les enseignement public et privé, ce dernier ayant une importance très considérable dans le pays).
Il faut ajouter que la situation de l'enseignement universitaire haïtien est extrêmement curieuse et sans doute unique dans le monde. On peut la décrire sommairement ainsi : l’UEH, avec 11 entités et 7 facultés et écoles (droit, gestion, économie) : Cap-Haïtien, Cayes, Port-de-Paix, Jacmel, Gonaïves, Fort-Liberté, Hinche ; quelques institutions publiques d’enseignement supérieur : Ecole des Infirmières, CTPEA, ENST,… ; 4 universités publiques régionales : Gonaïves, Cap-Haïtien, Cayes, Jacmel ; environ deux cents institutions d’enseignement supérieur privé!
De ce fait, si l'on compte un certain nombre d'universités d'une importance relative et d’un niveau présumé acceptable (dont une dizaine sont même membres de l’Agence Universitaire de la Francophonie qui, toutefois, n'est pas toujours très regardante sur les adhésions qu'elle accepte), on recense en Haïti 200 universités au moins sur la nature et le fonctionnement desquels il ne m'appartient pas évidemment de me prononcer.
Sans entrer dans ce conflit, je remarque qu’en pareille circonstance, la question me paraît tout à fait secondaire voire subalterne par rapport à d'autres infiniment plus importantes dont je ne citerai ici que les principales :
Que va-t-on enseigner dans cette université de Limonade ou du Nord (Ne pourrait-on dire « du Nord à Limonade ») ?
Que va-t-on enseigner dans cette université de Limonade ou du Nord (Ne pourrait-on dire « du Nord à Limonade ») ?
Quels professeurs donneront les enseignements envisagés ?
Où trouvera-t-on les enseignants qualifiés qu'il faudra bien recruter ? Comment et sur quelles bases les paiera-t-on ?
Quel sera et d’où viendra le budget de fonctionnement et de recherche de cet établissement ?
Voilà des questions prioritaires et majeures qui ne semblent guère préoccuper la plupart de ceux qui sont engagés dans les débats et les conflits autour de cette nouvelle université !
Lecteur fidèle et attentif de la presse haïtienne accessible sur Internet (en particulier le quotidien le Nouvelliste, je suis frappé par la futilité dérisoire des questions qui sont souvent traitées par les intervenants extérieurs (pas tous fort heureusement), dans un pays qui se trouve dans la situation de misère et de détresse atroces qui est celle d'Haïti.
Hier, en voiture, par hasard, la célébration du deuxième anniversaire du séisme ayant attiré les journalistes vers Haïti (mais soyez sûrs que ça ne durera pas !), je suis tombé par hasard sur un « sujet » haïtien. Il y était question d'une O.N.G., qui cherchait de l'argent pour construire une école dans un village des mornes nommé Savannette où les enfants scolarisés doivent chaque jouir marcher dix kilomètres pour aller à l’école la plus proche.
Du côté haïtien, on a entendu, d’une part, un enseignant qui s'est fort peu exprimé car il ne semblait pas manier le français avec beaucoup de facilité ; d'autre part un notable, le maire du village me semble-t-il, qui lui, en revanche, parlait comme un académicien (du moins dans l'image que le bon peuple peut avoir de cette catégorie de locuteur). Je vous épargne les détails ; le point essentiel était que de ce dernier était préoccupé exclusivement par un point. Le projet de construction de l'école prévoyait une construction en bois (l'O.N.G. en cause doit être plus ou moins écolo et les risques sismiques sont moindres !) alors que le notable local n'envisageait qu'une construction en dur (donc en parpaings ou en « blocs » selon le vocabulaire local). A ses yeux, en effet, une école sérieuse ne pouvait être, là encore selon sa formule, en « palissade » !
Comme toujours, à aucun moment, on ne s’est demandé ce qu’on allait enseigner dans cette école et qui allait le faire. Pourtant, les enquêtes les plus sérieuses (haïtiennes ou internationales) prouvent que le niveau moyen de compétences en français des maîtres locaux (dans ce contexte), selon les critères d'évaluation actuels, se situe au niveau A2 qu'on définit par ailleurs comme celui de la simple « survie linguistique ». Ne vaudrait-il pas mieux, dans une école en bois, des enseignants qui sachent un peu le français qu’ils vont devoir enseigner plutôt que d'installer, dans une école en parpaings, des maîtres qui ne connaissent pas ou, au mieux, très peu la langue qu'ils ont pour fonction d'enseigner à leurs élèves ?
Sommes-nous si loin ici du problème de l'Université « du Nord à Limonade » ?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire