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samedi 28 janvier 2012

"fendre l'armure" : Hollande vs Sarkozy

L'un des traits qui m'agacent le plus dans le langage journalistique commun est ce que l'on appelait autrefois une « scie ». Un petit commentaire sur ce terme, désuet et quasi sorti de l’usage (sauf du mien), pour lequel j’aurai recours, une fois de plus au Trésor de la langue française où on lit, en fin d’article il est vrai : « Scie : Phrase souvent répétée, plus ou moins amusante ou absurde; formule fastidieuse ou exaspérante par son usage répété ». Le problème, on va le voir, est que l’exaspération que provoque la scie peut tenir, non seulement à sa répétition mais également à l’impropriété voire à l’absurdité de son usage. Je vois assez mal en effet comment, dans le présent cas, une armure pourrait bien être « fendue ». Tout cela vous explique que j’ai isolé cette expression dans mon titre par de précautionneux guillemets.

Quelques exemples de scies récentes. Nous avons eu lieu, il y a quelques années, le mot « citoyen » qu'on mettait à toutes les sauces, y compris, abusivement, sous une forme adjectivale alors que nous disposons du mot « civique » qu'on avait tendance autrefois à réserver à une instruction qui n’existe malheureusement plus. Nous avons désormais l’adjectif "régalien" que toute la presse et le monde politique affectionnent, en oubliant son étymologie qui le rend impropre à un usage républicain.

Par une curieuse régression chronologique, après avoir connu la vogue du mot « citoyen » (qui évoque irrésistiblement le langage des sans-culottes et notre chère révolution), nous avons vu s’installer celle de cet adjectif « régalien » qui rappelle les usages de notre royauté ; voici désormais que, par une remontée encore plus sensible dans le temps, nous sommes revenus au Moyen-Age avec les armures. Nos hommes politiques, les uns après les autres, (il me semble que cette scie est née avec Jospin le parpaillot apparemment coincé mais secrètement, sinon paillard du moins détendu) « bandent largueur » (Ne soyez pas étonnés ; j’ai dicté « fendent l’armure » mais j'ai été mal compris ; je laisse, pour rire un peu, ce qu'a écrit mon logiciel de dictée qui, de temps en temps, m'en sort quelques-unes qui ne sont pas tristes et sont même parfois pertinentes !).

Pour nos politiques, « fendre l’armure » si j'ai bien compris, correspond à ce qu'on appelait autrefois « se déboutonner », par une métaphore moins noble et militaire que la première, mais sans doute plus exacte à plusieurs points de vue, puisque ce déboutonnage s'opère, en général, dans des discussions « off », souvent en fin de repas, quand on est porté à la confidence voire à la gaudriole.

À entendre et à lire la majorité des médias, samedi dernier, au Bourget, François Hollande aurait « fendu l’armure ». Par là, on fait allusion sans doute aux brèves confidences qu'il a faites sur ses origines et sur sa famille, mais personnellement, pour avoir vu son intervention, je n’ai pas eu du tout cette impression et j'ai même eu un sentiment exactement inverse. J'y reviendrai.

Au même moment ou presque, si l'on néglige le décalage horaire, Nicolas Sarkozy, recevant une bonne vingtaine de journalistes, lors d’un dîner organisé à cette fin, chez le préfet de Guyane, faisait une confidence « off » qui est apparue dans toute la presse le mardi. Il confia alors que s'il était battu, il renoncerait à la carrière politique et donc que, comme il l’avait déjà annoncé auparavant, il « ferait de l'argent ». Je crois qu’il pensait là aux présidents américains ou aux hommes politiques allemands et anglais qui, au terme de leur mandat, ont coutume de monnayer leurs conférences à travers le monde. Un des aspects à prendre en compte dans cette affaire est que ce genre de conférence doit inévitablement être fait en anglais !

Dans cette affaire, François Hollande et Nicolas Sarkozy, dans des interventions quasi simultanées me font penser aux passagers de ces ascenseurs vitrés qui, dans certaines tours modernes, se croisent et se font face à mi-parcours. François Hollande, à en croire les sondages et de l'avis général, se trouve dans celui qui monte ; par là même il croise, Nicolas Sarkozy qui est dans celui qui descend !

A la différence de la plupart des commentateurs, je trouve que François Hollande, dans son ascenseur montant et au Bourget, n'a nullement « fendu l'armure » en faisant des confidences sur son passé (cela ne va durer, dans un long discours, que quelques secondes), mais il s'est, au contraire, employé, à revêtir, non pas « l'armure », mais le costume d'un président de la République. La chose lui a d'ailleurs été reprochée vivement, mardi dernier, par Alain Juppé qui, à plusieurs reprises, l’a taxé d' « arrogance », reproche qui conduisait inévitablement à observer que c'était un peu la pelle qui se moquait du fourgon.

Tout donne à penser que, dans l'ascenseur qui descend, Nicolas Sarkozy lui au contraire est en train de « fendre l'armure » du pouvoir dominateur qu'il avait revêtue et de quitter la pause présidentielle pour se faire modeste et familier. Le président, lui, va sans doute se montrer « en bourgeois », confessant ses erreurs et repentant, normal en somme, dans son intervention de dimanche. Ira-t-il jusqu’au coin du feu et à la proximité de Carla comme Giscard? Le rapprochement risquerait de ne pas être un très bon présage ! La prétendue confidence, faite à la grosse vingtaine de journalistes qui festoyaient chez le préfet de Cayenne et non dans l’ombre d’un confessionnal, est sans doute la première manifestation et l’annonce subliminale de cette nouvelle attitude.

Tout s'est passé comme prévu et il ne nous reste plus qu'à attendre dimanche pour savoir si cette interprétation et cette prévision sont les bonnes ! Si j'ai raison, je m'accorde la récompense habituelle, la traditionnelle tringle à rideaux chère à Coluche!

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