Vous souvenez-vous de ce si joli passage du 33e chapitre de Gargantua ? Il se situe au moment où Pichrochole imagine et décrit toutes les conquêtes (purement imaginaires bien entendu) qu’il va faire, avant qu’on lui pose la question de son alimentation en boissons durant l’invasion de lieux dont beaucoup sont désertiques. Je vous rappelle le texte au cas où vous l’auriez quelque peu oublié :
« Que boyrons nous par ces desers? Car Julian Auguste et tout son oust [armée] y moururent de soif, comme l'on dict.
- Nous (dirent ilz) avons jà donné ordre à tout. Par la mer Siriace vous avez neuf mille quatorze grands naufz, chargées des meilleurs vins du monde; elles arriverent à Japhes. Là se sont trouvez vingt et deux cens mille chameaulx et seize cens elephans, lesquelz aurez prins à une chasse environ Sigeilmes, lorsque entrastes en Lybie, et d'abondant eustes toute la garavane de la Mecha. Ne vous fournirent ilz de vin à suffisance?
- Voyre! Mais (dist il) nous ne beumes poinct frais. (Gargantua, chapitre 33)
Où veux-je diable en venir vous demandez-vous déjà, chère lectrice et estimé lecteur ?
Je veux simplement faire allusion aux très récentes déclarations, faites au nom de notre président lui-même, par ses plus proches collaborateurs, son conseiller spécial et notre ministre des finances qui nous ont prévenus que, qu'il pleuve ou qu'il vente, la taxe Tobin sur les transactions financières serait votée en France avant la fin de l'année 2012.
« Le conseiller spécial de Nicolas Sarkozy, Henri Guaino, et le ministre de l’Economie, François Baroin, l’ont martelé vendredi: la France prendra des décisions sur le sujet d’ici la fin du mois de janvier, en vue de l’adoption d’une taxe [la taxe Tobin] d’ici la fin de l’année 2012 ».
Comment ne pas évoquer, en la circonstance, le « Mais nous ne bûmes point frais ! » de Pichrochole avec lequel rivalisent ici, sur un tout autre plan, ces deux intervenants.
La réaction ne s'est pas fait attendre, sur un tout autre plan, car on a fait semblant d’y croire ! Non seulement les Européens importants, unanimes pour une fois, (l'Allemagne et l'Italie) ont protesté, avec la dernière énergie d'ailleurs, mais même le prudent M. Prot qui est sorti de sa réserve bancaire, pour nous faire part de la vive désapprobation et de l’incrédulité totale du secteur financier.
On trouve, une fois de plus, la mise en oeuvre de la stratégie qui consiste à faire des annonces tonitruantes, dont on sait parfaitement qu’elles vont rencontrer l'incrédulité et l’hostilité générales voire une totale opposition de la part des intéressés et donc qu’elles ne seront jamais mises en œuvre, évidemment par la faute exclusive et maléfique des autres, tous ces méchants qui s'opposent, par principe et pure malveillance, à la politique gouvernementale salvatrice qu'on se propose de mettre en oeuvre.
En la circonstance, la seule chose véritablement stupéfiante qu'on peut observer dans tout cela tient à ce que le conseiller spécial du président de la République et son ministre des finances semblent ignorer qu'il y a, aux alentours du mois de mai prochain, une élection présidentielle suivie elle-même d’élections législatives, et que ne l’on ne saurait donc prendre des engagements un peu sérieux pour le dernier semestre de cette même année 2012.
Qui d’entre vous peut se dévouer pour les en prévenir ?
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