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mercredi 11 janvier 2012

Haïti deux ans après le séisme : Limonade ou Marmelade ?


Henry Christophe, l’ancien esclave de Saint Domingue, qui se fit roi dans le Nord du nouveau territoire d’Haïti, après l’assassinat de Dessalines, en 1806, avait rétabli, dans la partie Nord de l’île sur laquelle il régnait, un système d’exploitation agricole qui n’était pas très éloigné de celui de la période française, à la différence que l’encadrement y était militaire.

Durant une quinzaine d’années (son autorité étant de plus en plus contestée, il se suicide en 1820), il relance ainsi la production sucrière et fait réaliser de grands travaux destinés à assurer sa gloire future comme la Citadelle Laferrière, commencée sous le règne de Dessalines et le fameux Palais de Sans Souci. En se faisant roi, Christophe voulait aussi asseoir son pouvoir sur une noblesse héréditaire qui, dans son esprit, devrait pérenniser, à travers un système de « majorats », le réseau de grandes propriétés plantationnaires qu’il avait rétabli au profit de ses lieutenants. Il créa ainsi quatre-vingt sept titres de noblesse, le commandant en chef de ses troupes étant ainsi fait Duc de Marmelade et son Secrétaire d’Etat Comte de Limonade.

Ces titres ont, à l’époque beaucoup amusé l’Europe. Il s’agit, pourtant, en fait, de vrais toponymes de Saint Domingue, qui sont d’ailleurs toujours en usage. Marmelade est aujourd’hui encore un arrondissement de l’Artibonite et Limonade une commune de l’arrondissement de Cap Haïtien. Ces toponymes sont donc anciens. Moreau de Saint-Méry les évoque à diverses reprises dans sa Description topographique, physique, civile, politique et historique de la partie française de l’isle Saint-Domingue, (1797-1798) :
« Cette paroisse [ Limonade ] située à trois lieues à l'Orient de la ville du Cap, est l'une des plus célèbres de la Colonie par ses riches produits. […] Limonade a été l'un des premiers établissements de la plaine du Cap. Ce fut vers l'an 1676 qu'il reçut ses premiers habitans. [...]
L'établissement de Limonade eut des progrès sensibles. En 1685, on commença à y cultiver l'indigo et à défricher les mornets qui terminent Saint-Suzanne au Nord. » (187-188). "Le nom de Marmelade que porte cette paroisse, est celui de l'un de ses cantons qui dépendait autrefois de la paroisse du Dondon. Il lui avait été donné par les habitans des autres parties du Dondon en signe de dédain, à cause des pluies excessives qui faisait de son sol une espèce de bouillie ou de Marmelade". (M. de Saint-Méry, Tome 1, p. 271).

On s’amusa beaucoup de ces noms jusqu’à ce que quelqu’un fasse observer aux rieurs que Comte de Limonade n’est, somme toute, pas plus risible que Duc de Bouillon !

A l’époque française , on pensait que le Nord de l’île était moins menacé par les catastrophes naturelles (cyclones et tremblements de terre) que le reste du territoire :
« Je ne dois pas omettre, en vantant la partie du Nord, de dire qu'elle éprouve plus rarement que les deux autres, ces coups de vent funestes, ces ouragans furieux, qui détruisent absolument l'espoir et la récompense du cultivateur, et qui semblent être une guerre des élémens entr'eux. Elle n'est pas non plus menacée de subversion comme celle de l'Ouest, par ces commotions violentes où l'on croit sentir la terre vaciller sur son axe, et où la demeure de l'homme devient tout à coup son tombeau." (ibidem, p. 120).

Cette remarque s’est trouvée vérifiée lors du séisme du 12 janvier 2010 qui a surtout frappé Port-au-Prince et la zone située au Sud de la capitale. Toutefois, d’autres raisons que cette observation et le pittoresque du nom du lieu ont conduit à choisir Limonade pour implanter la nouvelle université que le gouvernement et le secteur des affaires de la République Dominicaine, toute proche, ont offerte à Haïti par solidarité à la suite de la catastrophe.

Le nom prévu pour ce campus nouveau (« Université du Roi Christophe ») évite la « limonade » et constitue une allusion, plus noble, au royaume que j’ai évoqué en commençant ; peut-être vise-t-il à rappeler aussi , selon l’avis de certains érudits haïtiens du Nord de l’île, le fait que Christophe lui-même, en 1815, aurait fait projet d’une Académie royale qui aurait comporté en son sein des écoles de médecine, de pharmacie et d'agriculture.

Toujours est-il que l’inauguration de cette université par les présidents de la République des deux Etats, Michel Martelly et Leonel Fernández (Haïti et République Dominicaine ) le 12 janvier 2012 (deuxième anniversaire de la catastrophe), qui devrait être un moment d’apaisement et d’unanimité nationale et internationale, risque de tourner, du côté haïtien surtout, à la tension voire à l’affrontement en raison d’une situation compliquée que je présenterai demain.

La limonade tournera-t-elle en marmelade ?

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