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mardi 3 janvier 2012

SeaFrance : le modèle grec

Ironie de l'histoire et approche de l'élection présidentielle, voici que les Grecs, que nous avons tant moqués naguère, vont pouvoir venir nous conseiller dans l'affaire de SeaFrance

Au lendemain des voeux présidentiels du nouvel an et de la promesse de la relance de l'emploi, l’affaire SeaFrance faisait évidemment désordre. Aussi M. Mariani, qui n'avait pas eu de mots assez durs pour les syndicalistes de l'entreprise, a dû ranger dans sa poche ses arguments sur le fanatisme des dits syndicats et mettre son mouchoir dessus pour découvrir soudain les vertus et la nécessité du sauvetage de SeaFrance.

C'est sur ce point que nous aurions besoin des Grecs et peut-être même, parmi eux, vu la nature de l’activité en cause, des plus grands spécialistes de la matière puisque, comme on le sait, l'industrie majeure de la Grèce, outre la falsification des documents comptables, est l'armement maritime. Dans ce beau pays, les armateurs arrivent à cumuler avantageusement l'immensité de leurs profits avec une absence totale de fiscalité sur ces mêmes profits. L’idéal serait de trouver comme consultant un armateur orthodoxe.

Mais le plus amusant de l'affaire est ailleurs. Il est clair, en effet, que ce sauvetage par l'État de SeaFrance est tout à fait contraire aux règles européennes, puisqu'il s'agirait, en fait, d'une pure et simple subvention, tout à fait illégale bien sûr, à une entreprise privée, même si elle est la propriété de la SNCF. Comme l'ont fait autrefois les Grecs, avec le concours ruineux de Goldman Sachs et comme les Etats européens (dont la France bien sûr) n'ont pas cessé de le faire. Aussi faut-il donc inventer une combine quelconque pour faire semblant de donner le change à Bruxelles.

Le pittoresque de la chose, en la circonstance, est que les deux subterfuges qui ont été imaginés par nos experts, s'étalent dans toute la presse française qui, il faut l'espérer, ne parvient pas jusqu'à Bruxelles !

Ces deux entourloupes sont des plus simples et quasi naïves.

La première consiste à se servir comme intermédiaire de la SNCF qui achèterait les bateaux de SeaFrance, avec l'argent de l'Etat bien sûr, pour les louer ensuite, pour un prix symbolique bien entendu, à l'entreprise devenue coopérative.

La seconde combine consiste à payer (grâce aussi à une subvention de l’Etat) de grosses indemnités de licenciement aux travailleurs de SeaFrance. Ces derniers ensuite reverseraient ces indemnités dans un pot commun "coopératif" pour trouver les 30 ou 40 millions nécessaires à la survie, toute provisoire et problématique d'ailleurs, de cette entreprise nouvelle.

Il est clair que, dans un cas comme dans l'autre, la mystification est des plus évidentes, au point qu'on hésite même à parler de mystification ! C’est évidemment l'État qui paiera dans l'un et l'autre cas, que ce soit en donnant à SeaFrance les moyens d'acheter les navires pour les louer ensuite, pour rien, à la coopérative, soit en lui donnant, sous la table, l'argent qui sera ensuite versé à titre d'indemnités de licenciement.

Tout cela est de la plus grande naïveté et ne trompe absolument personne, car à Bruxelles, pendant ce temps, tout le monde regarde l’avion. L’entourloupe a pour seul avantage de donner une posture avantageuse aux sauveteurs de SeaFrance, pour quelques mois du moins, mais ils n’en veulent pas davantage !

En effet, il est tout à fait évident que, dans un cas comme dans l'autre, ce qui compte est de gagner quelques semaines (124 jours pour être précis) ; à partir du mois de juin 2012, je pense que tout le monde se désintéressera totalement de l’état et de l'avenir de SeaFrance.

Tout cela est d'autant plus totalement absurde que ces mesures sont, en fait, autant d’emplâtres sur une jambe de bois.

SeaFrance est, en effet, depuis plusieurs années, dans la plus grande difficulté pour une raison extrêmement simple qui est qu’elle n’a plus de clients car les données du trafic sur (ou sous) la Manche ont été complètement changées.

Cela est dû surtout au tunnel sous la Manche par lequel passent désormais au moins 50 % du trafic (un peu plus même pour les passagers, un peu moins pour le fret). Le reste du marché est occupé par des sociétés qui, pratiquant des tarifs bien moindres que SeaFrance qui est en manifeste sureffectif, ont monopolisé tout le reste du trafic.

Au-delà de son sauvetage, tout illusoire et provisoire bien entendu, le problème de SeaFrance est qu'elle a plus de personnel que de clients et qu'elle n'en aura pas davantage dans six mois, fût-elle une coopérative financée en douce par les deniers de l'État via les prétendues indemnités de licenciement.

On comprend tout à fait, dans ces conditions, qu’un certain nombre de travailleurs de SeaFrance, qui ont les yeux ouverts, soient très réservés voire réticents à l'égard de cette solution. S'ils peuvent se réjouir de voir leurs indemnités gonflées par le concours de l'État, ils savent qu'ils vont les perdre dans les mois qui viennent à travers le naufrage, inévitable et prévu, de la nouvelle société coopérative.

Je leur conseillerais volontiers, comme l’autre, « Prends l’oseille et tire-toi ! », si toutefois l’on ne met pas comme condition au versement des indemnités gonflées (50.000 ou 60.000 euros), l’engagement de les reverser aussitôt dans la coopérative !

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