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jeudi 5 décembre 2013

PISA : un témoignage authentique et précieux

  Bonjour, ayant lu votre article et votre jugement salutaire sur l'enquête PISA je me sens particulièrement concerné par un passage où vous posez une question dont on imagine implicitement la réponse.
Je vous envoie directement mon commentaire car il n'est pas passé sur Médiapart pour des raisons que j'ignore (trop long? )... Si vous pensez qu'il vaut la peine d'être ajouté à votre article je peux refaire une tentative, mais je ne le ferai qu'avec votre consentement. Je suis bien sût très intéressé par le livre que vous êtes en train d'écrire et je vous remercie de m'en donner les références.
Cordiales salutations.

"Quel peut être à votre avis le comportement d'un enfant de six ans qui ne parle pas le français et qu'on place dans une classe où, durant toute la semaine, on va s'efforcer d'abord, la première année, de lui apprendre à lire et à écrire une langue qu'il ne parle pas et, dans la suite, de lui infliger, en permanence, des cours d'histoire, de géographie, de sciences, et même d'arithmétique dans cette même langue qu'il ne parle et ne comprend pas?"

               Je vais essayer de répondre a titre personnel à cette réponse car je corresponds exactement à ces critères :
               Arrivé en France en 1957, à 6 ans et quelques mois, sans parler un seul mot de Français je me suis trouvé immergé de la façon décrite, dans une classe française, alors que j'avais suivi quelques mois d'école dans mon pays d'origine : l'Italie. Sincèrement je ne me souviens pas bien de mon comportement si ce n'est que mes parents m'ont raconté que je pleurais souvent et que je ne voulais pas y retourner. Je me souviens aussi cette année là, avoir donné un coup de poing dans le ventre d'un plus petit que moi, pour des raisons dont je n'ai pas souvenir, et terrifié par mon geste, je me suis juré de ne plus recommencer.
               Si j'ai encore en tête les premières images de mon arrivée dans cette classe, je ne me souviens absolument pas avoir changé de langue. Mes parent étaient dans l'impossibilité de m'aider, car comme moi ils ne parlaient pas un seul mot de Français.
               J'ai été ce qu'on appelle un bon élève. Vers huit ans je savais conjuguer à tous les temps tous les groupes de verbes de l'Indicatif. (Malade de la varicelle cette année là, la maitresse m'avait apporté ce travail à la maison, c'est pourquoi ne je m'en souviens.)
               Pour la faire brève j'ai fait des études universitaires et je suis devenu prof... d'italien.

               Quelles sont à la réflexion les conditions de cette intégration que l'on peut définir de réussie?

·        Ma famille est arrivée en France en une période de pénurie de main d'œuvre et mes parents ont trouvé très vite du travail (maçon pour mon père, concierge et femme de ménage pour ce qui est de ma mère). Après une vie de travail et de privations ils bénéficient actuellement d'une (petite) retraite amplement méritée. (Quel Français actuellement pourra avoir cette certitude?)
·        Dans ce village une forte communauté d'immigrés italiens jouaient le rôle de passeurs et évitaient l'isolement de mes parents.
·        Cette petite ville du Sud de la France, Vallauris, s'était créé une identité culturelle un peu particulière : Picasso y travaillait et il y était régulièrement célébré. La ville était tenue par un communiste.
·        Mes parents ont eu la chance d'obtenir comme logement la conciergerie (pas de loyer en échange du travail d'entretien) d'un immeuble habité par des membres de la petite bourgeoisie locale. J'ai donc été très vite en contact avec des enfants de mon âge dont les familles on eu à cœur de m'accueillir et de me faire participer aux activités de leurs enfants (soirées jeux de société, cadeaux à Noël, après-midis à la plage, jeux dans les bois, jeu de ping pong avec le fils d'un dentiste etc...). J'ai donc très vite parlé un français "correct" avec des enfants de mon âge. (Les niveaux de langue n'étaient pas aussi diversifiés qu'aujourd'hui).
·        A l'école, mes enseignants étaient les descendants des hussards noirs de la république animés par une foi laïque en leur métier. Un de ces enseignants en particulier a marqué ma vie. Il fut mon maître, puis à l'occasion de la création du collège, mon prof d'histoire -géo et enfin  mon prof de Français. Cet homme avait une culture immense et régulièrement, il arrêtait les cours un quart d'heure avant la sonnerie et nous parlait : de Flaubert, Zola, Tolstoï, Sartre, Litz, Platon, Socrate, Diogène, Marx, Mozart, Goethe, Rousseau, Beethoven, Balzac, Simonne de Beauvoir etc... impossible de faire une liste exhaustive tant elle serait longue. Je me précipitais alors sur le tourniquet de la librairie papèterie toute proche (ça existait encore à l'époque...) où je cherchais la version poche des livres dont il avait été question. cet homme, figure symbolique tutélaire, a été pour moi fondamental pour la construction de mon identité personnelle et citoyenne. (J'ai lu quelque part que c'est un processus assez courant chez nombre d'immigrés).
·        Mes parents ont demandé et obtenu sans problème la citoyenneté française par naturalisation en 1965 (après une rapide enquête faite par une personne de l'administration). Ils n'ont pas voulu modifier mon prénom qui officiellement est encore "Silvano", car ça coûtait trop cher...
·        Dans ce collège j'ai retrouvé la langue et la culture de mon pays d'origine. Je précise que l'italien n'était pas vraiment la langue maternelle de mes parents qui parlaient entre eux le dialecte local de leur région d'origine l'Emilie-Romagne.
·        Il n'y avait pas entre la France et l'Italie (malgré un histoire commune parfois mouvementée) de passif colonial. Ce point à mon avis, est très important et a conditionné ma psychologie d'immigré. Une anecdote de salle des profs vécue bien plus tard : il y a quelques années une collègue et amie (même génération que la mienne) , d'origine maghrébine me présente enflammée un dépliant qui présente le film "Le gône de Chaaba" lequel  doit être projeté  à l'occasion d'une séance "collège au cinéma". Le dépliant décrit le film comme l'histoire d'un petit enfant immigré qui s'intègre à son nouveau pays grâce à l'école. Je ne trouve rien à redire à cette présentation, car j'y retrouve ma propre histoire. Elle s'échauffe, et trouve cette présentation tendancieuse car dit-elle, les immigrés arrivent avec leur différence qui est une richesse pour leur pays d'accueil. Je ne retrouve pas dans cette affirmation (parfaitement fondée!) mon vécu psychologique fait d'humilité et de reconnaissance envers la France. Si je réfléchis au sens qu'à pu avoir ma vie professionnelle, je me dis que chacun de mes gestes (conscient ou inconscient) n'avait qu'un but : rendre au pays qui nous a accueillis, tout ce que nous avons pu en recevoir : un espoir, une culture, de quoi vivre.)
·        Je n'ai aucun souvenir d'une quelconque manifestation raciste à mon égard durant mon enfance. Il est vrai que quand j'étais gamin, l'une des insultes suprêmes était alors d'être traité de "calabrais", ce qui évidemment me perturbait. Mais le petit enfant que j'étais se disait avec soulagement qu'il n'était pas concerné, puisque l'Emilie-Romagne ma région d'origine, était située au Nord de l'Italie...). La vraie humiliation que j'ai pu ressentir à cette époque c'est d'être issu d'une famille pauvre; sentiment qui avec les années a pu parfois se mêler à de la  fierté.

A mon tour de (me) poser quelques  questions :
Quel immigré, aujourd'hui, pourrait bénéficier d'autant de conditions favorables à une "intégration"?
Quel Français "de souche" peut-il penser son avenir avec confiance et sérénité?
               Réformer l'école peut-il se faire indépendamment d'une réforme globale d'une société en pleine crise, qui est en train de perdre son école de la république managée version Châtel et transformée en entreprise. Une société qui ne sait plus défendre son histoire, sa culture, ses acquis sociaux, qui doute de valeurs sociales construites au cours des siècles, sous les coups de boutoir de la mondialisation, de la commission européenne et de l'idéologie ultralibérale (et non de l'immigration, entendons nous bien...). Cette idéologie, désormais triomphante, en détruisant les frontières commerciales construit des murs dans les têtes, jette de pauvres hères sur les mers qui ont le choix entre mourir de faim dans leur pays d'origine ou mourir noyés, met en concurrence les peuples organise l'acculturation de pans entiers de notre planète et transforme les peuples en marché universel  du travail? Au fait qui a dit "Prolétaires des de tous les pays..."?

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