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vendredi 19 octobre 2012

Esclavage 2

Mon fidèle et vigilant lecteur québécois, Succus aceris, et un commentaire anonyme me signalent sur le sujet que je traitais hier, un article dont ils me donnent les références.
Il s'agit d'un texte d'Henry Louis GATES Jr. paru dans The New-York Times du 22 avril 2010 (Source : Ending the Slavery Blame-Game) ; une traduction en a été faite et publiée par Isabelle Rousselot ; ce texte a été édité pour Tlaxcala par Fausto Giudice.(http://www.tlaxcala.es/pp.asp?reference=10506&lg=fr).
Pour vous éviter la recherche, voici ce texte, assez court, qui rejoint largement les positions que j'ai exposées dans mes anciens blogs et sur lesquelles je reviendrai, à ce détail près que je mets bien plus en évidence que lui qui n'en parle pas, le rôle des Arabes.
"Mettre fin au jeu du "à qui la faute ?" au sujet de l'esclavage
Grâce à une confluence improbable de l'histoire et de la génétique – le fait qu'il soit afro-américain et président – Barack Obama a une occasion unique de remodeler le débat sur une des questions les plus controversées de l'héritage racial des USA : les réparations. L'idée étant que les descendants des esclaves usaméricains devraient recevoir un dédommagement pour le travail impayé et l'état de servitude de leurs ancêtres.
De nombreux problèmes épineux sont à résoudre avant que nous parvenions à un geste judicieux (même symbolique) qui soit à la hauteur d’un crime aussi soutenu et ignoble. Le plus fastidieux est peut-être de trouver comment déterminer la responsabilité de ceux qui étaient directement impliqués dans la capture et la vente d'êtres humains pour d'énormes profits économiques.
Alors que nous connaissons le rôle joué par les USA et les puissances coloniales européennes comme la Grande-Bretagne, la France, les Pays-Bas, le Portugal et l'Espagne, il y a eu peu de discussion sur le rôle joué par les Africains eux-mêmes. Et ce rôle s'est avéré être considérable, particulièrement pour les royaumes pratiquant la traite d'esclaves en Afrique de l'Ouest et en Afrique centrale. Parmi eux les Akans du royaume Ashanti dans l’actuel Ghana, les Fons d'Abomey (l'actuel Bénin), les Mambatas du Ndongo dans l'Angola d’aujourd’hui et l'empire Kongo de l'actuel Congo, parmi beaucoup d’ autres.
Pendant des siècles, les Européens en Afrique restèrent proches de leurs postes militaires et commerciaux, sur la côte. L'exploration de l'intérieur, foyer de la majeure partie des Africains vendus en esclavage au plus fort de la traite négrière, n'a commencé que lors des conquêtes coloniales. Ce qui explique pourquoi la recherche du Dr David Livingstone par Henry Morton Stanley en 1871 connut un si grand succès : il allait là où aucun homme (blanc) ne s'était jamais rendu.
Comment les esclaves se sont-ils retrouvés dans les forts côtiers ? Les historiens John Thornton et Linda Heywood de l'Université de Boston estiment que 90 % de ceux qui ont été envoyés dans le Nouveau Monde étaient esclaves des Africains puis vendus aux marchands européens. La triste vérité est que sans un partenariat commercial complexe entre les élites africaines, les marchands européens et les agents commerciaux, la traite des esclaves vers le Nouveau Monde n'aurait pas été possible, du moins à l'échelle où elle s'est produite.
Les partisans des réparations pour les descendants de ces esclaves ignorent ce problème souvent négligé, du rôle significatif joué par les Africains, préférant croire à la version idéalisée qui dit que nos ancêtres ont tous été kidnappés inconscients par les hommes blancs diaboliques, comme l'a été Kunta Kinte dans « Racines ». La vérité cependant est bien plus complexe : l'esclavage était une entreprise commerciale, extrêmement organisée et lucrative autant pour les acheteurs européens que pour les vendeurs africains.
Le rôle africain dans le trafic d'esclaves était très bien compris et ouvertement connu de nombreux Afro-Américains même avant la guerre civile. Pour Frederick Douglass, c'était un argument contre les projets de rapatriement des esclaves affranchis. « Les chefs sauvages des côtes ouest de l'Afrique, qui pendant des siècles ont eu l'habitude de vendre leurs prisonniers comme esclaves et d'empocher l'argent pour eux, ne vont plus aussi facilement accepter nos idées morales et économiques comme ils le faisaient avec les trafiquants d'esclaves du Maryland et de Virginie», avait-il prévenu. « C'est pourquoi nous sommes moins portés à partir en Afrique pour agir contre la traite d'esclaves que de rester pour agir depuis ici. »
Il est certain que le rôle des Africains dans le trafic d'esclaves a été fortement réduit après 1807 quand les abolitionnistes, d'abord en Grande-Bretagne puis, un an plus tard, aux USA réussirent à interdire l'importation d'esclaves. Cependant, les esclaves ont continué à être achetés et vendus à l'intérieur des USA et l'esclavage en tant qu'institution n'a pas été aboli avant 1865. Mais la culpabilité des propriétaires de plantations usaméricains n'a jamais ni effacé ni supplanté celle des esclavagistes africains. Ces dernières années, certains dirigeants africains sont devenus plus à l'aise pour discuter de ce passé compliqué que n'ont tendance à l'être les Afro-Américains.
En 1999 par exemple, le Président Mathieu Kerekou du Bénin surprit une assemblée entièrement noire à Baltimore en tombant à genoux et en implorant le pardon des Afro-Américains pour le rôle « honteux » et « abominable » que les Africains ont joué dans la traite. D'autres dirigeants africains, comme Jerry Rawlings du Ghana, ont suivi l'exemple audacieux de M. Kerekou.
Notre récente compréhension de l'envergure de l'implication africaine dans le trafic d'esclaves n'est pas une hypothèse historique. Grâce à la base de données de la traite transatlantique d'esclaves, dirigée par l'historien David Eltis de l'Université Emory, nous savons maintenant à partir de quels ports plus de 450 000 de nos ancêtres africains ont été embarqués pour ce qui est aujourd'hui les USA (la base de données a enregistré 12,5 millions de gens envoyés dans toutes les parties du Nouveau Monde de 1514 à 1866). Environ 16 % des esclaves aux USA venaient de l'est du Nigeria alors que 24 % venaient du Congo et de l'Angola.
A travers les travaux des professeurs Thornton et Heywood, nous savons également que les victimes de la traite d'esclaves étaient essentiellement des membres d'une cinquantaine de groupes ethniques. Cette donnée ainsi que le traçage des ancêtres noirs grâce aux tests ADN, nous donnent une compréhension plus complète des identités des victimes comme de celles de ceux qui ont facilité le trafic d'esclaves africains.
Pour de nombreux Afro-Américains, ces faits peuvent être difficiles à accepter. Toutes les excuses y sont passées, de « les Africains n'étaient pas au courant de la dureté de l'esclavage en Amérique » et « L'esclavage en Afrique était, en comparaison, bien plus humain » ou, dans une version étrange du « Le diable me l'a fait faire » : « Les Africains ne furent embarqués là-dedans que par les profits sans précédent offerts par les avides pays européens. »
Mais la triste vérité est que la conquête et la capture des Africains ainsi que leur vente aux Européens ont été une des ressources principales de devises étrangères pour de nombreux royaumes africains pendant très longtemps. Les esclaves étaient l'exportation principale du royaume de Kongo ; l'empire Ashanti au Ghana exportait des esclaves et utilisait les bénéfices pour importer de l'or. La reine Njinga, la fascinante souveraine du royaume angolais de Matamba au 17ème siècle, mena des guerres de résistance contre les Portugais mais conquit aussi presque 800 km à l'intérieur des terres et vendit ses prisonniers aux Portugais. Quand Njinga se convertit au christianisme, elle vendit des dirigeants religieux traditionnels africains comme esclaves, prétendant qu'ils avaient violé ses nouveaux préceptes chrétiens.
Est-ce que ces Africains connaissaient la dureté de l'esclavage dans le Nouveau Monde ? En fait, beaucoup d'Africains de l'élite ont visité l'Europe à cette époque et ils l'ont fait sur des navires d'esclaves, en suivant les vents dominants et en passant par le Nouveau Monde. Par exemple, quand Antonio Manuel, l'ambassadeur du Kongo au Vatican, s'est rendu en Europe en 1604, il s'est d'abord arrêté à Bahia au Brésil où il s'est arrangé pour faire libérer un compatriote qui avait été asservi à tort.
Les souverains africains envoyaient également leurs enfants à travers ces mêmes routes de l'esclavage pour qu'ils reçoivent une éducation en Europe. Et il y a eu des milliers d'anciens esclaves qui sont revenus pour s'installer au Liberia et en Sierra Leone. En d'autres mots, le Passage du Milieu (traversée de l'Atlantique par les esclaves) était parfois une voie à double sens. Dans ces circonstances, il paraît difficile d'affirmer que les Africains étaient ignorants ou innocents.
Étant donné cette histoire remarquablement compliquée, le problème avec les réparations n'est pas tant de savoir si c'est une bonne idée ou de décider qui en bénéficiera mais peut-être plutôt de savoir de qui vont venir ces réparations.
Alors comment le Président Obama peut-il démêler le nœud ? Dans le nouveau livre de David Remnick « The Bridge : The Life and Rise of Barack Obama » (La passerelle : la vie et l'ascension de Barack Obama), un des anciens étudiants du président à l'Université de Chicago explique les sentiments mitigés de M. Obama concernant le mouvement des réparations : « Il nous a dit ce qu'il pensait des réparations. Il était entièrement d'accord avec la théorie des réparations mais en pratique, il ne pensait pas que ce soit vraiment réalisable. »
Au sujet de l'aspect pratique, le professeur Obama a peut-être plus raison qu'il ne le croit. Heureusement, avec le Président Obama, enfant d'un Africain et d'une Américaine, nous avons enfin un dirigeant qui se trouve dans la position unique de réconcilier le grand clivage des réparations. Il se trouve à la meilleure place pour pouvoir attribuer publiquement les responsabilités et culpabilités aux bonnes personnes, aux blancs et aux noirs, des deux côtés de l'Atlantique, tous les deux complices d'un des plus grands maux de l'histoire de la civilisation. Et parvenir à cette compréhension est une condition préalable vitale à un accord juste et durable sur la question controversée des réparations de l'esclavage."
Je reviendrai sur des aspects complémentaires ou des points un peu différents.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

Peut-être est-ce parce qu'il s'est installé aux USA que Mabanckou a pu écrire "Le sanglot de l'homme noir", où il écrit : « La part de responsabilité des Noirs dans la traite négrière reste un tabou parmi les Africains, qui refusent d'ordinaire de se regarder dans le miroir. Toute personne qui rappelle cette vérité est aussitôt taxée de félonie, accusée de jouer le jeu de l'Occident en apportant une pierre à l'édifice de la négation. »