Vous comprendrez
aisément que, compte tenu de l'espace éditorial réduit dont je dispose et de la
possibilité aisée d'accès aux excellentes sources que j'ai mentionnées hier, je
n'entreprenne pas de faire un exposé complet sur la traite orientale ou
arabo-musulmane ("le génocide caché" selon le titre de T? D'Diaye),
me concentrant surtout sur les différences avec celle dont on parle toujours et
qui concerne exclusivement l'Afrique occidentale, d'où les colonisations
européennes ont fait partir les esclaves pour leurs colonies de la zone
américaine. On comprend aisément que cette préférence marquée pour la
traite européenne tient à ce qu'elle s'inscrit aisément dans le paradigme du
discours anticolonialiste, alors que le tabou linguistique et scientifique,
auquel ne se soumettent pas que de rares historiens du Sud, amène à occulter ,
dans une étrange solidarité, sans doute fondée sur la religion, la traite
arabo-musulmane. Ne parlons même pas ici de l'UNESCO dont la "route de
l'esclavage" n'a jamais franchi le Cap de Bonne espérance!
Je me bornerai donc ici, assez brièvement d'ailleurs, à rappeler les éléments essentiels de cette comparaison qui n'est à peu près jamais faite, et pour cause.
Le premier point tient à la durée même des traites. Nos "expert(e)s" français(es), ignorent souvent que, selon les colonies, de 30 à 50 ans séparent l'abolition de la traite (1815) de celles des régimes coloniaux d'esclavage. Laissons ces détails. Alors que la traite dite "atlantique" dure, au pire, moins de quatre siècles (entre le 15e et le XIXe siècles), la traite arabo-musulmane dure une bonne douzaine de siècles.
De ce fait même, le nombre des esclaves "traités" a été beaucoup plus important dans le second cas que dans le premier ; pour prendre les chiffres moyens, 11 à 12 millions pour la traite atlantique, 17 millions pour la traite orientale. Cette première disparité conduit évidemment à ne pas pouvoir, sur le plan historique, éliminer complètement la traite orientale pour ne parler que de l'autre ; ce choix quasi unanime ne tient qu'à l'origine géographique et à surtout à l'idéologie des chercheur(e)s qui visent à mettre en cause les responsabilités des pays européens colonisateurs, celle de la France en particulier qui, bonne fille, se laisse faire, un peu sottement d'ailleurs, sans mettre en cause non seulement les autres pays européens impliqués dans cette affaire (les Danois en particulier !) et surtout, avec la traite arabo-musulmane, les Arabes et, bien entendus et peut-être en premier lieu, les Africains eux-mêmes.
Pour ajouter un
mot à propos de la traite arabo-musulmane, il faut dire que, à ses débuts, elle
n'a pas eu besoin d'avoir recours aux populations africaines, puisque nombre
d'Européens furent alors réduits en esclavage, en particulier au Maghreb, en conséquence
de conflits ou de diverses modes de capture. Qu'on se souvienne ici de Scapin
et de sa galère qui constitue alors un épisode qui n'a rien d'imaginaire et surtout
des récits de quelques européens qui eurent à connaître des "bagnes"
d'Alger. C'est lorsque ce recrutement aléatoire d'esclaves européens captifs
prit fin que la traite arabo-musulmane commença a opérer essentiellement en
Afrique.
Un trait étonnant qui
distingue les deux traites est celui de leurs conséquences sur le plan
démographique. En effet alors que la traite atlantique a conduit à l'existence
dans la zone americano-caraïbe de populations noires ou mulâtres (en tout 60 ou
70 millions d'individus, le calcul étend rendu assez malaisé par la définition
même du terme "mulâtre" puisque, dans certaines zones américaines, on
pouvait être considéré comme "non caucasien", en étant phénotypiquement
blanc mais en ayant 1/16 de sang noir dans son ascendance), alors que, du côté
oriental, 17 millions d'esclaves africains n'ont eu à peu près aucune
descendance. Cette différence tient à ce que dans la zone americano-caraïbe, on
a introduit comme esclaves des hommes et des femmes, pour fournir une
main-d'œuvre que nécessitaient les agro-industries coloniale (tabac, café,
sucre). L'utilisation de main-d'œuvre indigènes ou immigrée d'Europe (les "engagés"
blancs du début des Antilles) s'était en effet révélée impossible. En revanche,
dans la zone orientale, des esclaves étaient exclusivement des hommes puisqu'il
s'agissait d'en faire des soldats ou, de façon plus étonnante, des eunuques.
Les conditions
mêmes de la capture et de l'acheminement des esclaves font que les chiffres
avancés (12 et 17 millions) ne correspondent que de façon très lointaine à la
saignée démographique faite dans les populations africaines par ces traites. En
effet, si l'on estime que le transport (maritime surtout et parfois terrestre
dans la zone orientale) a causé de 20 à 25 % de perte sur les effectifs
transportés, Les pertes humaines étaient toutefois beaucoup plus importantes
AVANT l'embarquement, lors de la capture d'abord, durant le voyage terrestre
vers les ports ensuite. En effet, dans tous les cas, les esclaves étaient
embarqués très loin du lieu de leur capture, dans la mesure où l'on voulait
leur retirer tout espoir de fuite et par là même de retour. Il y avait même une
loi non écrite dite des "1000 milles" qui marque que souvent près de
1800 km (à la louche) séparaient le lieu de capture d'un esclave de la région
de son embarquement.
En outre, les
captures elles-mêmes étaient très meurtrières ; on estime que, pour un esclave
capturé, il fallait compter deux morts au moins, au cours des batailles qui
avaient conduit à le réduire à la servitude. Si l'on cumule tous ces chiffres et
pourcentages de pertes, le nombre des victimes africaines de ces traites, sans
parler de la traite "intra-africaine" dépasse certainement largement
les 100 millions.
Le pire était toutefois,
dans la traite arabo-musulmane, le traitement qui était infligé un bon nombre
d'esclaves. En effet, comme certains d'entre eux étaient destinés à alimenter en
eunuques les harems orientaux, ils devaient être castrés. Il est bien évident
que le nombre d'esclaves nécessaires à cette fonction était relativement réduit,
mais la castration, faite dans les conditions médicales et sanitaires qu'on
peut imaginer, était une opération extrêmement meurtrière. On estime que seuls
20 % des opérés y survivaient. On aurait
donc pu juger l'opération non rentable, mais l'énormité même de ces pertes
faisait qu'un esclave castré prenait une valeur infiniment supérieure à celle
d'un esclave normal. Les trafiquants trouvaient donc un intérêt évident à risquer la
vie de cinq ou six esclaves dans l'opération de castration pour en voir
survivre un qu'ils pourraient alors vendre à vendre à prix d'or.
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