J’ai souvent, non sans m’attirer moins des arguments contre mes points de vue que des injures, mis en lumière et souligné le rôle, incontestable, des Africains eux-mêmes dans la traite négrière. Par une prudence dont je ne suis guère coutumier, je me permets donc ici de reproduire, en introduction, le compte rendu du livre de Tidiane Diakité (un Africain comme son nom l’indique), La traite des noirs et ses acteurs africains (Editeur : Berg International) rédigé par Raphaël Adjobi (Africain également) et que ce dernier a publié dans son site. L’adresse du site, qui existe toujours, est raphael.afrikblog.com.
« Le livre de Tidiane Diakité arrive au bon moment du débat sur la traite négrière atlantique. Depuis la publication de celui de Pétré-Grenouilleau qui a fait de lui le maître incontesté de ce thème dans la conscience des Français, la traite des Noirs est apparue pour beaucoup comme un événement anodin dans l’histoire de l’Europe. Celle-ci a en effet accueilli le livre et les entretiens accordés par l’auteur français comme le baume qui vient soulager sa conscience ployant sous le poids de la culpabilité d’un commerce éhonté. Désormais les Européens se satisfont de l’idée qu’ils n’ont fait que prolonger une pratique ancestrale africaine les dispensant donc du sentiment de culpabilité et des dédommagements que certains africains s’évertuaient à demander.
Très vite, afin d’éviter les amalgames, Tidiane Diakité présente le vrai visage de l’esclavage tel qu’il était pratiqué sur le continent jusqu’au XVè siècle. Les témoignages des Portugais, les premiers commerçants européens en Afrique, attestent les récits oraux transmis de génération en génération recueillis sur le terrain.
Ce préalable clairement expliqué, l’auteur s’attache à nous présenter dans une démarche détaillée les premiers pas des particuliers portugais qui vont initier les premiers rapts et razzias sur les côtes africaines et l’introduction régulière des Noirs en Europe. Puis vient le temps de l’intérêt de l’Etat du Portugal pour ce commerce, et à partir de la deuxième moitié du XVI è siècle ses luttes contre les autres pays européens qui manifestaient à leur tour un grand appétit pour le commerce des esclaves.
La rentabilité de ce commerce supposait une vraie organisation de la part des Européens. Devant les premières résistances africaines aux rapts, vols et razzias qui causaient des dégâts dans leurs rangs, les négriers ont trouvé bon d’imposer aux rois africains des traités dans lesquels ceux-ci ont le sentiment de trouver leur compte mais en réalité fort avantageux pour les pays européens. Dès lors, les rois africains devinrent des acteurs actifs de la traite en entrant dans un commerce de troc : des êtres humains contre des produits européens. Ainsi, comme le démontre très bien l’auteur, pendant que, grâce à la traite négrière, les industries et les villes européennes se développent déversant des produits hétéroclites sur le continent noir, l’artisanat africain, florissant jusqu’au XV è siècle, allait être délaissé au profit de la chasse à l’homme. Quatre siècles et demi d’inactivité artisanale finiront par ruiner le génie africain, parce que « pour les générations nées dans ces siècles, la traite apparaissait comme la norme, l’unique référence ».
Dans ce livre, Tidiane Diakité s’applique d’une part à montrer l’ordre de succession des Européens sur les Côtes de l’ouest africain ; comment à la suite des Portugais et des Hollandais, les Français puis les Anglais ont mené la traite négrière à son apogée au XVIII è siècle. D’autre part, l’auteur nous fait apparaître des rois africains de plus en plus intéressés et se montrant des ardents défenseurs de l’esclavage et des habiles commerçants avec les négriers. Pouvoir insupportable à ces derniers qui, pour obtenir davantage d’esclaves sans trop de frais suscitaient des conflits interafricains en exploitant la jalousie ou l’animosité des camps adverses, sachant que les vainqueurs leur vendraient les vaincus.
[...]
J’aime les livres qui laissent parler les documents d’archives. Et celui-ci en est un. En cédant très souvent la place au narrateur de l’époque, l’auteur nous plonge dans la dure réalité des faits et l’on comprend mieux le présent. Il est certain que ce procédé est le plus sûr moyen de ne pas souffrir la contestation. Il y a dans cet essai quelque chose d’absolument pittoresque quant au comportement des Africains devant l’appât du gain que représentait la présence d’un navire négrier sur leurs côtes. Certaines pages de ce livre peuvent d’ailleurs permettre aux Africains d’aujourd’hui, et particulièrement les acteurs politiques et économiques, d’analyser leur comportement dans nos sociétés en pleine mutation et subissant la convoitise des Européens. D’autres pages encore éclairent cette facilité qu’ont certains à prendre les armes contre leur pays, le trafic des armes, le choix des productions économiques tournées vers la satisfaction du marché européen. Tout lecteur trouvera à travers ce livre de précieux éclairages à beaucoup d’autres problèmes de la vie moderne et notamment la difficulté des Africains à établir des perspectives d’avenir. Cependant, s’il est vrai que la « chaîne » de l’esclavage a deux bouts (africain et européen), on peut se demander si celui que tenaient les Africains - trop souvent façonné par les Européens pour coller à leur goût - peut être considéré comme une œuvre essentiellement africaine. ». Raphaël Adjobi.
Je ne partage pas tous les points de vues evoqués dans ce compte rendu (en particulier pour la chronologie du système et la prise en compte exclusive de la traite atlantique) mais une telle prise de position est admirable car, au milieu de tant de mauvaise foi et d'ignorance, il est rare de voir un auteur africain oser s'exprimer en ces termes. J'y reviendrai demain.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire