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mardi 30 octobre 2012

Haïti : « restavek» ou adoptés ?


Tout à fait par hasard, j'ai zappé, dimanche 28 octobre 2012 sur TF1, au moment même où passait un reportage sur les "restavek" haïtiens ; il avait d'ailleurs pour moi un léger parfum de réchauffé car ce ne doit pas être le premier sur la question. J'ai constaté, lundi matin, dans mes statistiques que mes posts anciens sur le sujet avaient connu une fréquentation inhabituelle, probablement de part de gens qui ayant vu le documentaire à la télé ont dû taper "restavek" dans Google pour en savoir davantage.

Tout cela m'a rappelé les débats incompréhensibles qui ont eu lieu en France en 2010-2011 (on n'y pense plus guère aujourd'hui) et la position invraisemblable de la France et du ministre Kouchner en particulier sur laquelle est fort heureusement revenue Michèle Alliot-Marie qui lui a succédé au Quai d'Orsay. Pour connaître un peu la situation de ces enfants en Haïti, je n’ai pas du tout les mêmes scrupules que bien des gens que j’ai entendu alors s’exprimer, sur ces questions d'adoption, pour faire part de leurs craintes de voir se mettre en place d'hypothétiques trafics d’enfants.

De tels agissements ne sont certes pas exclus, mais, en pareil cas, il faut mettre en balance les avantages et les inconvénients des solutions. Or, entre un orphelin de trois ans restant en Haïti, privé de sa famille d'une façon ou d'une autre (qu'il soit orphelin, qu'il ait été "placé" comme on disait autrefois en France, ou parfois même plus ou moins vendu) et réduit à devenir "restavek", et le même enfant, venant en France pour y entrer dans une famille qui l’espère et l’attend de toutes ses forces, même si elle a plus ou moins payé pour l'adopter, je n’hésite pas même une nano-seconde avant de trancher en faveur de l’adoption. N'oublions pas qu'il y a en France des dizaines de millers de demandes d'adoption non satisfaites!

J’hésite d’autant moins que je connais, hélas, bien la sinistre pratique des « restavek », que j'ai été sans doute le premier à signaler et à dénoncer, après le "goudou goudou" du 12 janvier 2010.
Le film de TF1 redisait, sur le sort et la condition des "restavek" haïtiens,  ce que j'ai moi-même répété et qui a déjà été montré dans un film précédent, mais il avait l'immense inconvénient de doubler en français tous les propos, tous tenus en créole bien entendu mais dont on n'entendait pas un seul mot, au lieu de les sous-titrer. Nombre de téléspectateurs français ont donc dû en conclure que tout le monde parle français dans ce pays, si joliment et si fallacieusement dit "francophone"!

J'ai consacré plusieurs posts à cette question ; je ne reviens donc pas sur les faits eux-mêmes ni sur les conséquences du séisme sur les procédures d’adoption engagées par des parents français. Nombre de ces procédures se sont trouvées inévitablement interrompues par la destruction, dans la catastrophe, des documents et/ou des dossiers administratifs, tant dans les lieux privés que publics.

Les événements d’Haïti, en dépit des immenses différences, ont souffert en outre de la comparaison  avec l’affaire de l’Arche de Zoé, survenue en Afrique et dont on n'a plus guère parlé ensuite, comme toujours. Celui ou celle qui sait exactement quelle en fut la conclusion gagne la traditionnelle tringle à rideaux!

Loin de moi l’idée de défendre les olibrius de cette association ! En revanche , je reste très sceptique quant aux preuves administratives qu’on a semblé vouloir alors exiger, aux confins du Soudan et du Tchad ( !), de la part des parents, soit pour leur rendre des enfants dont ils prétendaient qu’ils étaient les leurs, soit pour leur accorder une indemnisation du « préjudice » moral. Ubuesco-kafkaien dans ces contextes africains, mais le Père Soupe, comme l’adjudant Tifris, ne veulent pas le savoir!

Comme beaucoup d'Haïtiens ( je suis bien placé pour le savoir),  les dictionnaires du créole local sont souvent très discrets (pour ne pas dire mensongers parfois) sur la définition même de ce terme, ce qui est assez significatif sur le tabou linguistique qui frappe cette pratique. Ainsi lit-on dans le Ti diksyonnè kreyol-franse (1976) : « Restavek : domestique (attaché depuis l’enfance à une famille [Ah qu'en termes galants ces choses-là sont dites !] Gen de restavek ki pa konn manman yo : il y a des domestiques qui ne connaissent pas leur mère.[ce cas est celui de tous] ». L’exemple en dit plus que la définition ! La traduction "enfants esclaves" utilisée dans le film correspond infiniment mieux à la cruelle réalité.

En effet, le statut du « restavek » (< rester « habiter, être » + avec) est bien plus proche de celui d’un esclave que de celui d’un domestique, puisque le point principal est qu’il s’agit d’un enfant qui vit dans une famille qui n’est pas la sienne et qui y travaille très dur sans être payé ne recevant de ses maîtres que le gite et le couvert, l’un et l’autre étant réduits au strict minimum, et souvent même à un peu moins.

C’est en Haïti une pratique très ancienne (d'origine française et non africaine) que l’aggravation de la situation économique a contribué à maintenir. La catastrophe de 2010 et l'état actuel du pays ont donc peu de chances de la faire reculer, bien au contraire. Je ne citerai ici, pour étayer mon témoignage, qu’un bref extrait d’un document de l’UNICEF dont la position et le comportement dans le passé post-séisme n'ont pas toujours aussi clairs comme je l'ai montré dans mes posts : « Le travail d'un enfant domestique [restavek] est souvent très dur, jusqu'à l8 heures par jour. L'enfant-restavek, parfois âgé de 5 ans seulement, fréquemment sous-alimenté, ne reçoit aucune instruction et aucun salaire, la loi haïtienne ne prévoyant pas de rémunération pour ce type de travail. L'enfant "restavek" subit, parfois, des violences physiques ou sexuelles. Il est souvent coupé de tout lien avec sa propre famille, en raison des distances qui les séparent, de l'analphabétisme et de l'absence de tout moyen de communication ».

Le phénomène est donc loin d’être marginal puisqu’on estimait, avant le séisme de 2010,  le nombre des restavek à plus de 170.000, soit environ 8% des enfants ou des adolescents entre 5 et 17 ans, la plupart d’entre eux étant naturellement originaires des zones rurales et, bien entendu,  totalement déscolarisés. Ce nombre dépasserait aujourd'hui les 200.000 et la généralisation de la scolarisation promise est bien loin d'être en route.

Faut il en dire davantage ?

Vaut-il mieux que des enfants, devenus orphelins à la suite du séisme ou dont les parents, déjà pauvres, ont perdu leurs dernières ressources dans cette immense catastrophe ou dans celles qui ont suivi, dont Sandy, la plus récente, deviennent des « restavek » (ce qui a toutes chances de leur arriver) ou qu’ils soient adoptés par des familles françaises, qui souhaitent en faire leurs enfants, fût-ce, pour une infime minorité, dans des conditions peut-être un peu incertaines voire hasardeuses au strict plan administratif ?

Pour moi, je le répète, je n’hésiterais pas une seconde, mais je ne suis pas à la place des décideurs à manches de lustrine qui ignorent tous des questions qu'ils traitent !


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