Tout à fait par hasard, j'ai zappé, dimanche 28 octobre 2012
sur TF1, au moment même où passait un reportage sur les "restavek"
haïtiens ; il avait d'ailleurs pour moi un léger parfum de réchauffé car ce ne
doit pas être le premier sur la question. J'ai constaté, lundi matin, dans mes
statistiques que mes posts anciens sur le sujet avaient connu une fréquentation
inhabituelle, probablement de part de gens qui ayant vu le documentaire à la
télé ont dû taper "restavek" dans Google pour en savoir davantage.
Tout cela m'a rappelé les débats incompréhensibles qui ont
eu lieu en France en 2010-2011 (on n'y pense plus guère aujourd'hui) et la
position invraisemblable de la France et du ministre Kouchner en particulier
sur laquelle est fort heureusement revenue Michèle Alliot-Marie qui lui a
succédé au Quai d'Orsay. Pour connaître un peu la situation de ces enfants en
Haïti, je n’ai pas du tout les mêmes scrupules que bien des gens que j’ai
entendu alors s’exprimer, sur ces questions d'adoption, pour faire part de
leurs craintes de voir se mettre en place d'hypothétiques trafics d’enfants.
De tels agissements ne sont certes pas exclus, mais, en
pareil cas, il faut mettre en balance les avantages et les inconvénients des
solutions. Or, entre un orphelin de trois ans restant en Haïti, privé de sa
famille d'une façon ou d'une autre (qu'il soit orphelin, qu'il ait été
"placé" comme on disait autrefois en France, ou parfois même plus
ou moins vendu) et réduit à devenir "restavek", et le même enfant,
venant en France pour y entrer dans une famille qui l’espère et l’attend de
toutes ses forces, même si elle a plus ou moins payé pour l'adopter, je
n’hésite pas même une nano-seconde avant de trancher en faveur de l’adoption. N'oublions pas qu'il y a en France des dizaines de millers de demandes d'adoption non satisfaites!
J’hésite d’autant moins que je connais, hélas, bien la sinistre
pratique des « restavek », que j'ai été sans doute le premier à signaler
et à dénoncer, après le "goudou goudou" du 12 janvier 2010.
Le film de TF1 redisait, sur le sort et la condition des
"restavek" haïtiens, ce que
j'ai moi-même répété et qui a déjà été montré dans un film précédent, mais il
avait l'immense inconvénient de doubler en français tous les propos, tous tenus
en créole bien entendu mais dont on n'entendait pas un seul mot, au lieu de les sous-titrer. Nombre de téléspectateurs
français ont donc dû en conclure que tout le monde parle français dans ce pays,
si joliment et si fallacieusement dit "francophone"!
J'ai consacré plusieurs posts à cette question ; je ne
reviens donc pas sur les faits eux-mêmes ni sur les conséquences du séisme sur
les procédures d’adoption engagées par des parents français. Nombre de ces
procédures se sont trouvées inévitablement interrompues par la destruction,
dans la catastrophe, des documents et/ou des dossiers administratifs, tant dans
les lieux privés que publics.
Les événements d’Haïti, en dépit des immenses différences,
ont souffert en outre de la comparaison
avec l’affaire de l’Arche de Zoé, survenue en Afrique et dont on n'a plus
guère parlé ensuite, comme toujours. Celui ou celle qui sait exactement quelle
en fut la conclusion gagne la traditionnelle tringle à rideaux!
Loin de moi l’idée de défendre les olibrius de cette
association ! En revanche , je reste très sceptique quant aux preuves
administratives qu’on a semblé vouloir alors exiger, aux confins du Soudan et
du Tchad ( !), de la part des parents, soit pour leur rendre des enfants
dont ils prétendaient qu’ils étaient les leurs, soit pour leur accorder une indemnisation
du « préjudice » moral. Ubuesco-kafkaien dans ces contextes
africains, mais le Père Soupe, comme l’adjudant Tifris, ne veulent pas le
savoir!
Comme beaucoup d'Haïtiens ( je suis bien placé pour le
savoir), les dictionnaires du créole
local sont souvent très discrets (pour ne pas dire mensongers parfois) sur la
définition même de ce terme, ce qui est assez significatif sur le tabou
linguistique qui frappe cette pratique. Ainsi lit-on dans le Ti diksyonnè
kreyol-franse (1976) : « Restavek : domestique (attaché
depuis l’enfance à une famille [Ah qu'en
termes galants ces choses-là sont dites !] Gen de restavek ki pa konn
manman yo : il y a des domestiques qui ne connaissent pas leur mère.[ce cas est celui de tous] ».
L’exemple en dit plus que la définition ! La traduction "enfants
esclaves" utilisée dans le film correspond infiniment mieux à la cruelle réalité.
En effet, le statut du
« restavek » (< rester « habiter, être » + avec)
est bien plus proche de celui d’un esclave que de celui d’un domestique,
puisque le point principal est qu’il s’agit d’un enfant qui vit dans une
famille qui n’est pas la sienne et qui y travaille très dur sans être payé ne
recevant de ses maîtres que le gite et le couvert, l’un et l’autre étant
réduits au strict minimum, et souvent même à un peu moins.
C’est en Haïti une pratique
très ancienne (d'origine française et non africaine) que l’aggravation de la situation économique a contribué à
maintenir. La catastrophe de 2010 et l'état actuel du pays ont donc peu de
chances de la faire reculer, bien au contraire. Je ne citerai ici, pour étayer
mon témoignage, qu’un bref extrait d’un document de l’UNICEF dont la position
et le comportement dans le passé post-séisme n'ont pas toujours aussi clairs
comme je l'ai montré dans mes posts : « Le travail d'un enfant
domestique [restavek] est souvent très dur, jusqu'à l8 heures par jour.
L'enfant-restavek, parfois âgé de 5 ans seulement, fréquemment sous-alimenté,
ne reçoit aucune instruction et aucun salaire, la loi haïtienne ne prévoyant
pas de rémunération pour ce type de travail. L'enfant "restavek"
subit, parfois, des violences physiques ou sexuelles. Il est souvent coupé de
tout lien avec sa propre famille, en raison des distances qui les séparent, de
l'analphabétisme et de l'absence de tout moyen de communication ».
Le phénomène est donc loin d’être marginal puisqu’on estimait,
avant le séisme de 2010, le nombre des restavek
à plus de 170.000, soit environ 8% des enfants ou des adolescents entre 5 et 17
ans, la plupart d’entre eux étant naturellement originaires des zones rurales
et, bien entendu, totalement
déscolarisés. Ce nombre dépasserait aujourd'hui les 200.000 et la
généralisation de la scolarisation promise est bien loin d'être en route.
Faut il en dire
davantage ?
Vaut-il mieux que des
enfants, devenus orphelins à la suite du séisme ou dont les parents, déjà
pauvres, ont perdu leurs dernières ressources dans cette immense catastrophe ou
dans celles qui ont suivi, dont Sandy, la plus récente, deviennent des « restavek »
(ce qui a toutes chances de leur arriver) ou qu’ils soient adoptés par des
familles françaises, qui souhaitent en faire leurs enfants, fût-ce, pour une
infime minorité, dans des conditions peut-être un peu incertaines voire
hasardeuses au strict plan administratif ?
Pour moi, je le répète, je
n’hésiterais pas une seconde, mais je ne suis pas à la place des décideurs à
manches de lustrine qui ignorent tous des questions qu'ils traitent !
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