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samedi 13 octobre 2012

Sommet francophone : François Hollande à Gorée !

Je reviendrai dans un autre spot sur le bref séjour africain de François Hollande mais  je voudrais régler, de façon spécifique et un peu détaillée, la question de sa visite à la Maison des esclaves de Gorée.

Il se peut en effet que l'un ou l'autre de mes plus fidèles lecteurs se soit étonné que je n'ai pas fait allusion à ce détail dans mon post d'hier, alors que j'ai, dans le passé (mais je ne sais plus ni quand ni où) consacré un article au problème historico-touristique que pose cette fameuse Maison des esclaves.

J'avais espéré en effet, jusqu'à la dernière minute, dans la mesure où François Hollande, avant son départ de Paris, avait consulté quelques personnalités sénégalaises (ce qui limitait aussi leur liberté de parole) que l'un ou l'autre d'entre eux (je pensais en particulier à Mamadou Diouf, professeur à Columbia et spécialiste de l'histoire coloniale à laquelle il a autrefois consacré sa thèse) l'inciterait à éviter cette visite qui, certes, fait partie du parcours que l'on propose ou que l'on impose aux personnalités (du Pape à Hillary Clinton sans parler des dizaines d'autres "peoples") ; on les amène dans la petite île de Gorée, à trois kilomètres de Dakar, essentiellement pour visiter cette maison, car il n'y a pas grand-chose d'autre à y voir.

Comme je ne disposais pas d'un programme précis et définitif de son séjour à Dakar, j'ai espéré, jusqu'à la dernière minute, qu'on lui épargnerait cet épisode sans grand intérêt, au profit d'entretiens ou de visites où il aurait sans doute trouvé un profit bien plus grand. Il n'en a rien été et, dès la fin de son discours devant les députés, c'est en grand appareil qu'on a embarqué notre Président, Laurent Fabius, Valérie Trierweiler, toute nouvelle ambassadrice de la fondation Danielle Mitterrand, pour les conduire à la fameuse Maison des esclaves.

Hélas pour ces nobles visiteurs, ils n'ont pas pu, hélas, bénéficier du récit-spectacle folklorique traditionnel qu'y offrait toujours Monsieur Ndiaye (mort en 2009 à 87 ans) qui fut, des décennies durant, le guide officiel de la Maison des esclaves. Il y mettait beaucoup de cœur et pas mal d'imagination, offrant non seulement le récit "historique" de ce lieu de mémoire, mais même, à lui seul, une forme de spectacle, brandissant, avec émotion et passion, les chaînes de l'esclavage qu'il rangeait soigneusement, une fois la visite terminée.

Il est clair que la Maison des esclaves a perdu beaucoup avec la disparition de Joseph Ndiaye. Le problème est que, ce haut-lieu du tourisme sénégalais, qui reçoit en moyenne, dans l'année, 500 visiteurs quotidiens et fait marcher un petit commerce qui est à peu près le seul dans l'île de Gorée, a une histoire qui n'a pas grand-chose à voir avec celle que racontait Joseph Ndiaye et que doivent prolonger, mais sans doute avec moins de pittoresque, ses inévitables successeurs.

En dépit des reconnaissances successives par l'UNESCO, la Maison des esclaves a eu chaud ! En effet, en 1996,  un article du Monde intitulé : « Le mythe de la Maison des esclaves qui résiste à la réalité » a remis en cause les dates, les chiffres et les faits d'une tradition qui émanait essentiellement de Joseph Ddiaye qui avait même écrit un livre à l'appui de ses points de vue. L'affaire a même pris la dimension d'un drame scientifique. La remise en cause du mythe de la Maison des esclaves reposait en effet, pour l'essentiel, sur les travaux de deux chercheurs très estimés de l'IFAN (l'ancien Institut Français d'Afrique Noire devenu, par les heureux hasards offerts par cet acronyme, Institut Fondamental d'Afrique Noire ») Abdoulaye Camara et Joseph Roger de Benoîst (un Jésuite français).  Ces chercheurs reconnus et compétents , accusés de "révisionnisme", se sont vus alors convoqués par les autorités, mis en accusation publique et contraints à résipiscence.

Un des principaux obstacles scientifiques à la légende de la Maison des esclaves tient à la date de sa construction (encore incertaine  - 1777 ou 1783-  mais en tout cas elle n'a pas été bâtie au XVIIème siècle par les Hollandais!) ; selon la source la plus sérieuse, le propriétaire en aurait été Nicolas Pépin, frère de la Signare Pépin et, par là nous retrouvons l'histoire française, qui fut la maîtresse du Chevalier de Boufflers. Vu la date de la construction de ce petit bâtiment, il est donc peu probable que s'y soient embarqués, comme le prétendait Joseph Ndiaye, des centaines de milliers d'esclaves.

Un autre obstacle, plus évident et moins contestable celui-ci, est la taille même de cette maison, somme toute modeste, et sa structure. Les appartements et les pièces de l'étage étaient clairement destinés aux habitants de cette demeure et les quelques pièces du bas ne pouvaient guère accueillir et loger, comme le racontait J. Ndiaye, des dizaines, voire des centaines d'esclaves. Les propriétaires initiaux d'ailleurs se livraient, semble-t-il, davantage au commerce de la gomme arabique de l'ivoire et de l'or qu'à celui du "bois d'ébène" !

Mais le mieux tient assurément à la célèbre porte qui, sur l'arrière du bâtiment, donne sur l'océan et par lequel aurait transité les centaines de milliers d'esclaves qu'on embarquait pour l'Amérique. C'est là où, contre tout bon sens, J. Ndiaye trouvait ses accents les plus déchirants. La chose est pourtant, de toute évidence, peu vraisemblable quand on voit les dimensions très modestes de cette ouverture et surtout l'aspect très rocheux de la côte qui ne permettait guère l'accostage ni même l'approche des navires négriers.

Il est certain que Joseph Ndiaye était la principale attraction du lieu ; comme je n'y suis jamais retourné depuis sa mort, je ne puis guère dire qui l'a remplacé et si ses successeurs déploient dans cette activité le même talent que leur illustre prédécesseur.

Je crois en tout cas qu'on aurait pu épargner à notre Président, à sa compagne et à sa suite, la visite de ce lieu, surtout quand on prend en compte l'extrême brièveté de son séjour africain et les attentes qu'il suscite. J'y reviendrai.

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