"Si tu vas à Rio
N'oublie pas de monter là-haut
[...] Et tu verras grimpant le long des collines
Des filles à la taille fine
Avancer à petits pas..."
Mais qui se souvient encore de la rengaine de Dario Moreno? En tout cas, les cariocas à la taille fine ne sont plus ce qu'elles étaient et l'obésité menace désormais le Brésil. J'en veux pour preuve moins les baigneuses de Copacabana (je n'en ai pas vu pour n'avoir parcouru Copacabana qu'en voiture grâce à l'aimable complaisance de mon ami Pierre) que les publicités de la télévision que j'ai beaucoup regardée, sans toutefois l'écouter faute de comprendre un seul mot de portugais.
J'aime assez l'approche télé-ethnologique que je pratique souvent car je crois que le simple spectacle des télévisions donne beaucoup d'informations sur les publics auxquels on les destine vu les méthodes et les ruses des producteurs.
Au Brésil trois thèmes télévisuels essentiels ont retenu mon attention, souvent nocturne, car désormais, ici comme ailleurs, les spectacles de la télévision sont quasiment ininterrompus, jour et nuit, souvent en boucle pour meubler sans trop de frais.
Le premier est celui du football qui sur plusieurs chaînes offre à peu près en permanence des matchs inlassablement rediffusés. Toutefois l'évocation du monde de football au Brésil est, pour moi, moins celle de la télévision que celle des trajets que j'ai pu y accomplir (toujours avec mon ami Pierre) dans Rio de Janeiro même. Comment ne pas être sensible à la poésie footballistique quand on voit successivement sur les panneaux indicateurs de la ville Flamengo, Fluminense, Botafogo, Maracana, etc. Tous les commentateurs de toutes les télévisions du monde se sont mis désormais à la mode brésilienne et tout but marqué par l'une ou l'autre équipe est salué d'un "go-al-al-al-al-al..." prolongé ; il paraît qu'il y a même dans le Guinness Book, une rubrique spéciale pour le "goal-al-al-al..." braillé le plus longtemps possible ; je ne suis malheureusement pas en état de vous donner ni le titulaire de ce record ni la durée précise de sa vocifération.
Le deuxième thème télévisuel important est celui, parallèle mais non conjoint, de la beauté et de l'obésité. On sait que le Brésil est le paradis de la chirurgie esthétique mais pour une clientèle plus modeste, des télés proposent une multitude d'instruments et de produits permettant de sculpter son corps de la façon la plus avantageuse ; cela va des machines les plus compliquées, dont les unes ne sont que des variantes un peu améliorées des instruments qui meublent les salles de musculation françaises, à d'autres, à la pointe du progrès, qui sont des innovations plus particulières et d'usage moins pénible, comme une sorte de plaque vibrante où il suffit de se tenir debout mais dont je ne suis pas sûr qu'elle contribue à vous donner une musculature imposante et la tablette de chocolat abdominale dont rêvent tous les hommes. Ces émissions sont plutôt attrayantes car elles sont peuplées d'éphèbes bronzés et musclés et de cariocas qui, elles, ont effectivement la taille fine de la chanson. Pour les fainéantes tricheuses, on propose même des gaines qui non seulement vous amincissent mais vous sculptent, au moins en apparence, le bas du dos. Les mauvaises langues ont même supposé que les fesses de Pippa Middleton, qui ont fait l'admiration de tous les médias du monde, n'étaient peut-être pas si naturelles qu'on avait pu le croire mais sculptées et mises en relief par l'une ou l'autre de ces gaines qui font de la croupe la plus plate celle d'une Vénus callipyge voire hottentote!
En revanche les publicités de lutte contre l'obésité sont effrayantes car elles sont toujours fondées sur le diptyque « avant et après » dont la première partie au moins n'est guère susceptible d'exciter les convoitises que de quelques pervers adipomanes. Ces innombrables spots vous promettent monts et merveilles, depuis le produit-miracle qui vous fera perdre 15 à 20 cm de tour de taille en un mois (photos du tas de graisse à l'appui) jusqu'aux crèmes amaigrissantes, dont les résultats ne sont pas attestés mais généralement les ambitions un peu plus modestes.
Toutefois ce qui m'a le plus amusé a été le troisième genre d'émissions télévisuelles consacrées aux télé-évangélistes. Le modèle de ces émissions est assurément celui qu'on trouve aux États-Unis et les productions brésiliennes en sont directement inspirées. Je n'ai malheureusement pas pu suivre, dans le détail, les guérisons physiques et morales qui étaient opérées. Sans doute n'ai-je pas été assez longuement attentif pour assister à l'un ou l'autre des miracles opérés en direct, mais j'ai vu quelques ex-porteurs de béquilles et de cannes quitter les bras du gourou-télé-évangéliste de service en gambadant et en jetant aux orties ces instruments devenus inutiles. Une des caractéristiques de ces gourous est leur élégance recherchée, le port du costume-cravate étant sans doute obligatoire dans l'exercice de cette profession.
L'un d'entre eux, qui m'a beaucoup plu, prévoyait toujours, pour éponger la sueur que ces exercices thérapeutiques procurent toujours, de petites serviettes éponge blanches qui étaient posées, à portée de main, sur son pupitre. Il s'en essuyait régulièrement le front mais, après deux ou trois opérations de séchage frontal, ne manquait jamais de jeter la serviette utilisée dans le public. Comme vous l'imaginez, on se la disputait avec la même frénésie que, dans un stade de foot, le maillot trempé de sueur lancé dans le public des fans par la vedette locale. J'ai même vu une femme, qui avait réussi à s'emparer d'une serviette, la serrer amoureusement au bord de l'orgasme évangéliste. Je ne doute pas un instant que certains fassent commerce de ces linges devenus sacrés pour avoir reçu la sueur du mage.
Un des exercices obligés de ces séances est la scène des larmes ; les candidats à la guérison ou au miracle en versent volontiers ; le gourou lui-même de temps en temps en sèche quelques-unes, vraies ou feintes, et là, assurément, le mouchoir humecté de ses larmes doit atteindre les tarifs les plus élevés au catalogue évangéliste.
Une des scènes courantes de ses émissions télé-évangélistes est celle où le gourou de service (il y en a, bien sûr, de blancs et de noirs suivant les moments et les publics visés) prend dans ses bras ceux et celles qui viennent chercher sa protection et les embrasse, tandis que les multiples caméras, qui sont sans cesse en opération, filment en gros plan la scène et les physionomies extatiques des participants. Le plus admirable dans tout cela tient à la technique de prises de vue avec naturellement de nombreuses caméras et surtout un repérage préalable dans l'assistance de participants et de participantes particulièrement expressifs ou extatiques. On se demande si ce sont les cameramen qui sont chargés de repérer les meilleurs clients ou si l'on a prévu dans l'assistance des comparses qui, chacun à leur tour, y font le numéro préparé. Bref, de grands professionnels sur tous les plans en somme.
Après avoir contemplé ces émissions à plusieurs reprises, je me suis dit que si j'avais un jour la possibilité de contacter un producteur de télévision brésilien, je lui proposerais volontiers de créer une formule originale qui cumule les publics en proposant des cures amaigrissantes par le télé-évangélisme. L'idéal serait bien sûr de prendre comme gourou une vedette du foot...
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