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lundi 17 octobre 2011

Le Moloch administratif français.

En commençant à écrire ce post j'hésite encore entre deux titres, l'un, « le Moloch administratif français », traduit le désarroi voire l'horreur de l'administré devant le caractère souvent monstrueux de notre administration, l'autre qui, avec plus de légèreté voire d'humour, verrait dans notre machine administrative la fille du Père Soupe et de la Mère Ubu et qui en soulignerait plutôt la dérisoire et grotesque complexité.

Ce matin, en effet, comme je me préparais à faire un chèque pour régler la taxe d'habitation de mon domicile, je ne sais quel diable de la modernité me poussant, j'ai constaté que je pouvais payer par Internet sur "impots.gouv.fr. Inspiration funeste à laquelle je me suis laissé aller au mépris de l'orthographe de notre belle langue. Comme vous le savez en effet, les si originaux signes diacritiques qui en sont l'ornement et que le monde nous envie depuis des siècles (comme, en la circonstance, ce cher accent circonflexe qui orne si joliment le mot "impôt") sont refusés par nos ordinateurs, ce qui fait parfois problème quand on cède, si peu que ce soit, à l'inadvertance.

Bannissant le circonflexe, je suis arrivé, sans trop de mal, sur le site en cause. Ce premier triomphe a marqué, je l'avoue, la fin de la facilitation administrative de la démarche, car, dans les services fiscaux informatisés, comme dans la Rome antique, le Capitole du triomphe débouche directement sur la Roche tarpéienne de la catastrophe. En effet, la première chose qui m'a été demandée dans le site a été de m'identifier ce qui paraît tout à fait normal. Toutefois il me paraît d'une méfiance un peu excessive (des fois qu'un imposteur voudrait payer mes impôts à ma place?) de le faire à l'aide de trois indications codées dont chacune me paraît suffisante seule quand surtout quand elle s'ajoute à mon nom de famille.

La première demande est celle du numéro fiscal ; soit ! Cela ne pose pas de problème puisque ce numéro figure à peu près sur tous les avis d'imposition. Avec la seconde exigence les choses se corsent car il s'agit cette fois du numéro de "télé-déclarant" dont j'ignorais jusqu'à l'existence. Les choses commencent à se compliquer car ledit numéro de télé-déclarant ne figure pas sur l'avis d'imposition des taxes foncières de 2011 qui était le point de départ de ma démarche (La chose serait trop simple sans doute). Y figure en revanche un mystérieux numéro FIP (de 18 chiffres s'il vous plaît) qui, lui, ne paraît intéresser personne !

Pour trouver ce numéro de télé-déclarant, il suffit de se reporter à la déclaration de revenus de l'année précédente (que vous n'avez naturellement pas sous la main) où il figure, vous précise-t-on, en haut et à gauche de la dite déclaration. Recherche de l'avis d'imposition 2010, sans trop de mal car mes papiers administratifs sont à peu près classés. Je recopie donc avec soin le numéro qui figure à gauche de la déclaration et que je vous donne ici pour témoigner de ma bonne foi : 110 135.

Troisième exigence : celle du montant précis de mon revenu imposable de l'année précédente et qui naturellement ne figure pas sur de déclaration de revenus que je venais d'aller chercher, mais sur l'avis d'imposition 2010, qui est naturellement un troisième document, différent des deux précédents.

Le Père Soupe ne pourrait-il pas nous faciliter un peu la vie en nous demandant trois indications chiffrées qui figureraient toutes sur le même avis? Vous comprenez aisément que ce serait trop simple ; la loi de l'emmerdement maximum du citoyen exige qu'il aille chercher les trois indications qu'on exige de qui veut payer par Internet son impôt et cela sur trois documents différents. Mais les choses ne s'arrêtent pas là et c'est ici que la Mère Ubu intervient pour contrarier les exigences du Père Soupe. Car en effet, sur la déclaration de revenus de l'année précédente figure bien, en haut et à gauche, un numéro que j'ai scrupuleusement relevé suivant les indications de l'ordinateur. Le problème est que la machine me l'a refusé, m'obligeant à retourner une nouvelle fois à ma déclaration de revenus de 2010 pour découvrir que le numéro de « télé déclarant" n'est NULLEMENT celui qui est en haut et à gauche (vous pouvez aller vérifier sur votre propre déclaration) mais se trouve à la DOUZIEME LIGNE de l'imprimé (je les ai comptées) et donc presque au milieu de la feuille bien plutôt qu'en haut et à gauche et cela d'autant qu'il fait suite à deux numéros de 14 chiffres ou lettres chacun !

Nous ne trouvons, une fois de plus, en face d'un problème de ce que j'appelle, à la suite de mon ami Claude Vogel, la "sémiotique industrielle". Il est en effet clair que la plupart des gens qui conçoivent des imprimés, des sites ou plus largement encore documents donnant des indications d'usage (mode d'emploi d'un appareil, etc.) ou des itinéraires de déviation sur les routes, ignorent tout de la chose. Ils pourraient pourtant tester très facilement leurs produits à cet égard.

A cette fin, ils pourraient en effet,se livrer à un exercice extrêmement simple et rapide de vérification de la clarté et de la pertinence de leurs indications. Le voici pour leur instruction personnelle et en ayant soin de donner à l'expérience un caractère coercitif qui serait, à mon avis, du plus heureux effet pour la suite.

Prenons le cas de l'indication d'un itinéraire routier, en cas de déviation par exemple. Il suffit de mettre au volant d'une voiture l'utilisateur lambda pour tester aisément la validité et la pertinence des indications. On place à côté de lui le concepteur responsable de la signalisation. Est assis à l'arrière un témoin patenté dont le seul rôle sera d'asséner un solide coup de bâton sur la tête du voisin du conducteur (donc le responsable du guidage) toutes les fois que le chauffeur commettra une erreur ou sera simplement dans l'hésitation sur la route à suivre. Il est certain que, dans la suite, le souvenir de cette expérience incitera le rédacteur à plus de réflexion et à plus de soin dans l'élaboration des schémas explicatifs qu'il aura à fournir.

Je ne compte même plus les cas où dans des sites comme dans des formulaires ou questionnaires qu'on nous donne à « renseigner » (je suis aussi exaspéré par l'usage stupidement fautif, dans tous nos documents administratifs, de ce pauvre verbe "renseigner", car on renseigne une personne et non par un questionnaire que l'on se bornait naguère encore à remplir). J'ai reçu encore ce matin, de la compagnie Air France, en vue d'un prochain voyage, un questionnaire que je devais bien entendu « renseigner » et dans lequel des indications fausses (dont, en particulier, mon numéro de téléphone) étaient impossibles à corriger, quoiqu'on me demandât expressément de le faire. Là encore l'épreuve du gourdin aurait sans doute incité l'auteur de cette notice aberrante à vérifier la réelle possibilité de la mettre en oeuvre.

Dois-je préciser que je suis volontaire pour le maniement du gourdin éducatif?

Et dire qu'on les paye pour faire ça !

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