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mercredi 29 janvier 2014

De notre justtce

J'entendais ce matin 29 janvier 2014, à 8h15, sur France Culture, une émission sur la justice qu’ouvrait, comme souvent, un excellent éditorial de Brice Couturier. Jusque là, rien à dire ; on a entendu, dans la suite, les sempiternelles et vaines remarques sur notre justice toujours débordée par le manque de magistrats, son encombrement qui retarde à l'infini les décisions ; c’est là tout ce qu'on entend partout et quotidiennement et qui est tout à fait vrai et pertinent, sans, pour autant que, comme souvent chez nous, soient envisagées et moins encore conduites les réformes aussi évidentes qu’indispensables.
J'ai appris au passage, mais je m'en doutais un peu, qu’en une dizaine d’années, nous comptons 10 000 avocats de plus en France ! Pour la plupart, ce sont sans doute d'anciens hommes politiques qui, naturellement, n’ont pas été soumis aux procédures habituelles d’intégration comme le CAPA (Certificat d’aptitude à la profession d'avocat). Beaucoup n'exercent d'ailleurs pas dans sa réalité cette profession, se bornant à la figuration et au « conseil » rémunérés à d’autres titres.
 Ce point est adjacent ; il est bien plus fâcheux que les simples citoyens ne comprennent rien au discours de la justice et aux textes qu'on leur adresse sur les affaires qui les concernent. Pourquoi ne pas affecter plutôt ces « has beens » politiques sur des emplois de magistrats dont on manque plutôt que d’avocats dont on ne sait que faire. Je vous entends déjà protester et alléguer leur incompétence ! Sont-ils plus compétents pour être avocats que magistrats ? On pourrait même dans ce dernier emploi les munir des dés qui chez Rabelais étaient l’outil de travail quotidien du juge Bridoye.
 Je crois que la principale cause de la lenteur et de l'inefficacité de notre justice, où la moindre affaire met des années à être tranchée et où nos prisons surpeuplées sont pleines de prévenus présumés innocents (ce qui nous fait régulièrement condamner par la Cour européenne) tient à diverses causes, dont on pourrait envisager les solutions mêmes si elles sont toutes de la même nature.
 J'ai  eu, dans les dernières décennies de ma vie, par trois fois, affaire la justice dans des procès où j'étais moi-même attaqué.
 La première fois, ce fut par une romancière à succès qui m'accusait de l'avoir calomniée pour avoir dit qu'elle avait copié un ouvrage ancien dont j’avais moi-même assuré une nouvelle édition après en avoir trouvé le manuscrit inédit . Le pittoresque de la chose tient à que c'était la plagiaire elle-même qui m'accusait de l'avoir calomnié, en révélant, d'ailleurs sans la traîner moi-même en justice, son larcin. Alors qu'il suffisait de comparer les deux textes mis en parallele pour être convaincu. Les juges ont sans doute procédé autre ment car j'ai été condamné en première instance. Il m'a donc fallu faire appel, sur la base d'un vice de forme juridique, pour que je sois acquitté en appel. Mon avocat était parfaitement au courant du défaut de la plainte dès la première instance, mais il ne l'avait pas invoqué tant nous étions sûrs de gagner.
 Les deux autres affaires sont tout aussi ridicules que la précédente.
 Dans le premier cas, j'ai été accusé par une de mes anciennes étudiantes dont j'avais dirigé la thèse d'avoir empêché sa carrière ultérieure, alors que je l'avais bien prévenu dès le départ que je ne la soutiendrai pas dans une telle démarche, vu la médiocrité de son travail. Je dois préciser qu'étaient accusés par cette même étudiante, devenue sans gloire particulière, docteur et candidate à un poste, onze de mes collègues plus un étudiant qu'elle accusait d'avoir rejoint les rangs de cette machination. Condamnée deux fois (en première instance puis en appel) pour « abus de procédure », elle nous a amenés maintenant en cassation !
La dernière affaire est du même tonneau, mais plus pittoresque encore, puisque, en cette circonstance, un haut dignitaire de la Sarkozie me reprochait d'avoir souligné, dans un de mes blogs anciens, qu'il ignorait le sens du mot « errement » (à qui il prêtait le sens d'erreur), ce qui l'a conduit à me faire mettre en examen pour « diffamation », bien entendu aux frais de l'État et de nous-mêmes, puisque ce personnage, mieux introduit dans la Sarkozie que dans la lexicographie française, était porteur d'un mandat officiel de je ne sais quoi. Commencée en 2009, l'affaire s'est résolue fin 2013 ; les magistrats pour finir (j'avais été mis en examen, sans avoir jamais été entendu par le juge d'instruction, ce qui est un manifeste abus d'autorité) ont eu le bon sens et le courage de débouter mon adversaire, en soulignant, non sans pertinence, l'inanité de ces accusations et l'absence totale de diffamation.
Où veux-je donc en venir. ? Je veux simplement dire qu'à en juger par ces trois cas, la justice est encombrée de tas d'affaires qui durent des années et qui auraient dû être écartées, dès le départ, vu le vide et l'inanité des dossiers qu'elles mettent en œuvre. Serait-il donc impossible, comme cela se fait dans d'autres pays moins procéduriers et conservateurs que le nôtre, d'avoir une instance judiciaire, spécifique et préalable, qui écarte d'emblée ce type d'affaires ? Il serait tout à fait possible de maintenir le droit à la justice pour tout citoyen, tout en assortissant le recours à la justice contre l’avis de cette instance, de lourdes pénalités à régler préalablement par le plaignant qui voudrait passer outre cette fin de non-recevoir liminaire !
 Notre adversaire, dans l'affaire de l'étudiante que j'évoquais ci-dessus, a été déboutée deux fois pour « abus de procédure » (ce qui est rare !) et elle persiste en allant en Cour de Cassation où l’on peut espérer que son dossier ne sera pas transmis. Une telle obstination contre des décisions de justice successives sur une plainte jugée abusive ne devrait-elle pas être sanctionnée, d'autant plus qu'il est clair que, comme Dieudonné,  elle poursuit dans cette voie, pour ne pas payer les amendes et les frais auxquels elle a été déjà condamnée ?
Dernier point, et à mes yeux le plus important et le plus urgent sans doute.
Combien de siècles faudra-t-il attendre encore pour que la justice s'exprime enfin dans une langue intelligible pour les justiciables, au lieu d'user de ce grotesque latin de cuisine et pire encore de ce fichu lexique prétendument médiéval qui est censé être celui des chats fourrés du Moyen-Age?Je sais bien les effets qu'on cherche à obtenir par là. On veut ainsi à la fois empêcher les justiciables de comprendre ce qui se passe et perpétuer un privilège professionnel ridicule, mais aussi  se donner un langage particulier, un argot en somme, inintelligible aux autres catégories sociales, donc assimilable au « louchebem » des bouchers d’antan ou au verlan des voyous de nos « quartiers ». Mettre fin à ces pitreries lexicales serait, à n’en pas douter, la réforme la plus nécessaire, la plus utile et la plus facile, même si les résistances seront assurément fortes !

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