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dimanche 23 février 2014

De la Réunion à l'Australie en passant par le Vél’ d’Hiv’ : Les enfants de la Creuse (suite)

Avant d'aborder de façon plus étendue et précise cette affaire dont on a vu que les « spécialistes » comme les médias qui les suivent (y compris le Monde qu'on a connu plus sérieux!) la présentent souvent de façon très spécieuse, sinon parfaitement mensongère, il semble logique d'essayer d'établir d’abord les faits qui sont bien loin de l'être.

 Je n'ai pas pour habitude de raconter ma vie dans mes billets ; il est toutefois très curieux de voir que cette affaire commence en 1963 qui est précisément l'année où je suis moi-même arrivé à la Réunion. Je dois dire que je n'ai que très récemment perçu le rapport, direct et étroit quoiqu’invisible, qu'il y a entre ces deux faits. L’affaire des « enfants réunionnais de la Creuse » commence, en effet, précisément en 1963 et, sans que j’ai jamais perçu ce rapport, ce n'est pas par hasard qu’en sens inverse,  je suis moi-même arrivé à la Réunion en cette  même année. J’y ai, en effet, été envoyé au titre du Service Militaire Adapté, le SMA,  qui était une des mesures que Michel Debré avait prévues dans le cadre des réformes qu'il envisageait de faire dans les DOM. J’y reviendrai dans la suite, mais il est clair que les deux événements, si éloignés l'un de l'autre qu'ils puissent paraître, sont en fait en rapport étroit.

 On a vu que contrairement à ce qu'affirme, non sans calcul  mais de la façon la plus mensongère, le journal communiste de la Réunion, Témoignages, le nombre d'enfants ou d'adolescents de ce DOM concernés par cette affaire est très loin de constituer « la majorité de la jeunesse réunionnaise ». Je ne discuterai même pas ce chiffre dans son détail tant il est grotesque ! On a en effet  souvent mis en avant le cas de ces « enfants de la Creuse » qui est naturellement le plus susceptible de toucher et d'émouvoir les lecteurs, mais il n’est pas, ni numériquement ni même humainement, comme on va le voir, le principal. En réalité, d'après les informations que j'ai pu recueillir et qui me semblent les plus sérieuses, le nombre des jeunes Réunionnais qui ont transité par Guéret n’a pas dépassé, en tout, 300. « Au total, environ 300 enfants réunionnais ont été envoyés par la DDASS, entre 1960 et 1971, à Guéret, dans la Creuse. Ils étaient majoritairement issus des foyers de Hell-Bourg et de la Plaine des Cafres, d’autres enfants provenant de familles nombreuses et en difficulté (Quotidien de la Réunion, 20 février 1993).

 Je laisse de côté le détail des chiffres qu’il serait sans doute possible de préciser puisque nous disposons sur ce problème d'archives qui ne semblent guère avoir été consultées par les « chercheurs ». Curieusement, les aspects socio-anthropologiques de la question ont même été négligés. Deux éléments me paraissent ici essentiels. On lit en effet que les « enfants de la Creuse » étaient « majoritairement issus des foyers de Hell-Bourg et de la Plaine des Cafres ». Omettre ou ignorer un tel détail relève sans doute d’un choix idéologique à propos de cette question et vise à fonder le caractère « esclavagiste » de ces « déportations » en prétendant qu’elles ont concerné « une grande majorité d’afro-descendants ». 

 Cette falsification est évidemment destinée à renforcer l'hypothèse d'un nouvel esclavage ; en effet ces « enfants de la Creuse » venaient, en réalité, essentiellement des « Hauts »de la Réunion (où se trouvent Hell Bourg et la Plaine des Cafres ) qui sont peuplés par une population plutôt blanche ou faiblement métissée ; y vivaient alors surtout des « petits blancs des hauts », à cette époque, la catégorie sociale la plus pauvre qu'on accable,  dans le créole local, d’épithètes dépréciatives :  « yab », « yab sousout », « pat zonn », « litone »,  etc. Cette simple remarque écarte l'hypothèse fallacieuse d'un choix racial des enfants destinés à la migration . Ce détail souligne aussi l’étendue de l’ignorance des réalités sociales locales de la part de ces auteurs. Ce point est d'ailleurs confirmé par les phénotypes mêmes de quelques quinquagénaires issus de cette migration dont on a pu voir les images dans la presse ou à la télévision.

L'idée même des « enlèvements » et des « rafles » est tout aussi absurde et imaginaire puisque, en réalité ces enfants, souvent des pupilles de la nation, étaient en réalité choisis dans des établissement sociaux de la DASS, créée à la même époque par le même Michel Debré et nombre d'entre eux venaient de ce qui était à l'époque une véritable institution, l'APPECA, dont il faut dire un mot ici.
APECA signifiait « Association pour l’enfance coupable et abandonnée » ; on se demande aujourd’hui comment on a pu choisir une telle dénomination qui offre l’unique avantage de montrer que les enfants qu’on y a trouvés pour les envoyer en métropole n’étaient en rien arrachés à l’affection de leurs familles, comme nos sociologues de service et quelques médias essayent de nous le faire croire !

Le principal foyer de l’APECA se trouvait alors, en effet, à la Plaine des Cafres et cet établissements était dirigé par une figure mythique de la tradition populaire réunionnaise, le Frère Polycarpe. Naturellement la discipline de cet établissement était extrêmement sévère et dans les familles populaires, on en menaçait souvent les enfants turbulents de « lapéka » comme du « Sat maron » ou de la « Granmerkal ». Les anciens élèves en avaient des opinions fortement contrastées, les ans regardant l’APECA comme une sorte de bagne, les autres lui attribuant leur réussite dans la vie l'APECA les ayant détournés de la délinquance et orientés vers le travail car on y apprenait un métier.

Le second point que je voudrais traiter ici est que cette opération du BUMIDOM ne relève en rien des fantaisies d’un décideur fou et/ou sadique, qui, en l'occurrence, aurait été Michel Debré. En réalité, même si le BUMIDOM a disparu en tant que tel avec l'arrivée de la gauche en 1981, cette décision a été sans doute inspirée à l’Union de la Gauche, sous l'influence du Parti communiste réunionnais, dont les motivations en la matière n’étaient pas tout à fait claires, mais dont le résultat a été incontestablement fâcheux sur le plan démographique et social.

Michel Debré, qui est alors un homme politique français très important, a découvert la Réunion qu’il ne connaissait pas et surtout ses problèmes à l’occasion de sa visite dans l’île, comme Premier Ministre, en 1959, pour y accompagner le Général de Gaulle. Suite à des circonstances sans importance ici, il s’y fera élire député en 1963 et le restera jusqu’en 1987, s’étant pris d’une véritable passion pour ce pays. Ayant dès le départ conscience de la catastrophe démographique, économique et sociale qui menaçait ce département et jouant en France un rôle politique majeur qui faisait que toutes les portes lui étaient ouvertes, il s'emploie dès lors à concevoir et à mettre en œuvre un véritable plan de sauvetage de l’île. Il est, en effet, convaincu qu'il faut absolument y créer des emplois et empêcher l'explosion du nombre de chômeurs qui, naturellement, fait le jeu du PCR, le parti communiste local, alors autonomiste, à un moment où nombre de nos anciennes colonies accèdent à l’indépendance.

Debré va donc assez logiquement mettre l'accent à la fois sur l'émigration vers la métropole et en particulier celle des jeunes susceptibles, à terme, de faire monter le taux de croissance démographique des zones de l’hexagone qui se dépeuplent et sur l’éducation et la formation, indispensables à ses yeux pour tous les migrants en vue de leur intégration sociale.
C'est ainsi que, assez logiquement, la guerre d’Algérie prenant fin, M. Debré va mettre en place le Service Militaire Adapté. Ce SMA, expérimenté dès 1961 aux Antilles, est étendu en 1963 à la Réunion. La première vague y amènera une bonne vingtaine de professeurs qui doivent y faire leur service militaire selon cette nouvelle formule. Tous sont des enseignants titulaires, certifiés ou agrégés (espèces alors rarissimes dans l’île) qui enseigneront dans l’unique lycée et qui, pour les agrégés, constitueront le point de départ du futur centre universitaire de la Réunion où n’existait alors qu’une simple Ecole de droit.

 Quelle que soit l’opinion qu’on peut avoir sur ce projet (Aux Antilles, il sera approuvé par Césaire !), force est de constater qu'il était logique à la lumière de la situation de la Réunion à cette époque. On voit du même coup que l'idée de faire partir en métropole des enfants et des adolescents, que l'on arrache nullement à leurs familles puisqu’ils sont déjà recueillis dans des structures sociales comme l’APECA, pour avoir été soit abandonnés, soit retirés à leurs parents génétiques, n'est pas non plus une si mauvaise solution. Tout en évitant les risques ultérieurs du chômage, de l’analphabétisme et de l’alcoolisme (on consomme alors dans l’île 13 litres d’alcool pur par an… » en comptant les femmes et les petits enfants » !), ils s'adapteront plus facilement à la vie métropolitaine qu'on leur destine et en particulier ils apprendront le français qui, à cette époque, n'est encore que la langue d'usage d'une fraction très réduite de la population réunionnaise, alors que le système éducatif est très loin de ce qu’il deviendra dans la suite grâce à Michel Debré !

(Suite et fin demain).

4 commentaires:

Anonyme a dit…

Bonjour ,

étant président de l'association « génération brisée », je ne comprend cette façon de réagir

Etant moi-même "déporté" a la suite du divorce de mes parents, mon père ayant ma garde ma placé provisoirement a la DDASS , je vous rappelle que mon père était architecte et mes grand parent possédait une société de car (CAR PITOU)

Votre comportement me désole, et quoique l'Histoire retiendra et vous aussi, vous faite fis du désespoir de tous ces enfants arraché a leur racine (riche ou pauvre avec ou sans famille).

Il est facile d'analyser les faits de loin et d'amalgamer avec d'autres événements lamentables de notre Histoire.

Personne ne peux juger une vie et des événements qu’ils n’ont pas vécu.

JC PITOU
http://generationbrisee.fr

Fleur de corail a dit…

Respect monsieur Pitou

Cazanove Lydie a dit…

Monsieur je n'ai été ni enlevé, ni pris dans une rafle,je suis de la DDASS. Arrivée en métropole en 1963, malgré la promesse de l'état de continuer mes études, j’ai été trahie. Vous, Monsieur, qui affirmez que rien n'a existé de notre histoire, documentez-vous sérieusement avec le livre "Tristes tropiques de la Creuse" de Gilles Ascaride, Corine Spagnoli et Philippe Vitale que vous n'avez cessé de critiquer. Ces auteurs ont été sur le terrain. Il ont fait un travail sérieux et sans concession. Ce livre est une référence sur la réalité du vécu de chacun d'entre nous. Triste constat pour vous qui avez vécu 17 ans à la Réunion. Vraiment la mémoire vous fait défaut.
Lydie Creuse

Unknown a dit…

Monsieur,

Avec vos trois textes, vous avez bien voulu réagir à l'histoire des "enfants réunionnais de la Creuse", notre histoire qui vient de connaître un moment fort avec le vote par l'Assemblée Nationale d'une résolution reconnaissant l'implication de l'Etat dans notre exil forcé en métropole.

Au lieu de vous en réjouir, vous préférez remettre en cause les faits et dénoncer "une entreprise anti-colonialiste et anti-française". C'est votre droit. Mais votre prose est surtout un fatras d'opinions, de contre-vérités et de dogmatise à tel point que vous mettez en doute le sérieux des journaux "Le Monde" et "Libération" sous prétexte qu'ils n'épousent pas votre thèse : "ces enfants n'ont jamais été arrachés à leur famille, ils étaient déjà pupilles de la nation".

Tout travail scientifique repose des faits vérifiés et vérifiables : chez vous, rien de tout ça, que des affirmations gratuites voire mensongères parfois proches du délire. Et bien sûr, pas une seule source n'est citée.

Vous remettez même en cause les témoignages de Jean-Jacques MARTIAL et de Marie-Thérès GASP. Pourquoi ? Vous ne le dites pas. Vous leur reprochez aussi d'avoir écrit un livre. Feriez-vous le même reproche à Primo LEVI et Jorge SEMPRUN, rescapés de la SHOAH qui ont tenu à témoigner sur l'horreur de ce crime de masse.

On peut comprendre que vous cherchiez à défendre l'honneur de Michel DEBRE. Mais les faits sont têtus, dans notre association, nous sommes plusieurs à pouvoir démontrer que nous avons été enlevés (jusqu'au bébés) à nos familles, déclarés abusivement pupilles de la nation ….. bref, victimes d'un crime.

C'est pourquoi, nous ne saurions trop vous recommander le documentaire de William CALLY "Une enfance en exil" où plusieurs victimes témoignent, racontent simplement leurs souffrances, leurs désarrois, leurs conditions d'accueil.

Sans esprit de complot.

Association Rasinn Anler, l'association qui défend les intérêts des enfants réunionnais exilés de force