Le 18 février 2014, l'Assemblée Nationale française a voté une étrange « résolution mémorielle » sur la déportation d’enfants réunionnais vers la métropole. À la Réunion, le moribond quotidien communiste local, Témoignages, en vente dans quelques boulangeries, a fait, de ce vote et des événements auxquels il se rattache, un récit qui mérite qu'on s'y attarde quelque peu, car il vaut son pesant de « pistaches » (les cacahuètes dans les idiomes domiens !). La limitation de l’espace éditorial fait que je n'en citerai ici que quelques éléments qui me paraissent propres, à divers titre, à retenir l'attention. Comme toujours, mes remarques seront entre crochets et en italiques.
« 51 ans après les premières rafles [Témoignages ignore apparemment le sens et la connotation du mot « rafle ». Cela n’a rien d’étonnant quand on sait que le fondateur de ce journal, Raymond Vergès, membre de la Légion française des combattants, créée dès août 1940 par Pétain, écrivait, dès le 5 octobre 1940, dans une lettre au gouverneur vichyste Aubert « Je m’engage donc personnellement à suivre, avec un entier loyalisme, le gouvernement français, ainsi que son chef, le maréchal Pétain. Pour le détail, cf. R. Chaudenson, Vergès, père, frère et fils, l’Harmattan, 2007, pp. 57-63] d’enfants réunionnais, l’Assemblée nationale a débattu hier d’une proposition de résolution sur les Enfants de la Creuse. Le texte demande d’approfondir la connaissance historique [La formule, on le verra, ne manque pas de pittoresque ; elle répond en tout cas parfaitement aux principes staliniens de la réécriture de l’histoire !] de ces faits, et considère que « l’Etat a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles ».
A l’heure où nous mettons sous presse, cette proposition ne fait pas l’unanimité. Contrairement à la loi reconnaissant l’esclavage en tant que crime contre l’humanité [Faut-il rappeler aux « historiens » de ce journal que les faits évoqués ici datent, en gros, de 1970 et que l’esclavage a été aboli à la Réunion en 1848 ! ], un groupe parlementaire a décidé d’expliquer son refus de voter pour. Il s’agit de l’UMP pour qui le texte est considéré comme une attaque portée à Michel Debré. ».
« Les enlèvements d’enfants réunionnais [Il n’y a jamais eu d’« enlèvements » pas plus que de « rafles » ! ] ont duré aussi longtemps que le BUMIDOM, près de 20 ans. Au bout de 5 ans, "Témoignages" arrivait à briser le mur du silence. Il était combattu par le pouvoir de l’époque, qui tentait à grand peine d’organiser le transfert de la majorité de la jeunesse réunionnaise vers la France. ».
(Témoignages, 19/2.2014).
Une attention particulière doit être apportée aux faits eux-mêmes, naturellement peu connus en métropole, en raison de la présentation très particulière qu'on a pu en faire, comme on vient de le voir. Je ne puis donc me limiter à des notes de détail !
D’abord un mot sur Michel Debré et le BUMIDOM qu’il créée, en1963, peu après son élection comme député de la Réunion. Ce programme de migration des DOM (et non de la seule Réunion) vers la métropole est mis en place à l'initiative de Michel Debré que préoccupait certes le dépeuplement de divers secteurs ruraux de l’hexagone, mais, d’abord et surtout, la démographie réunionnaise galopante qui conduisait, à très court terme, ce département à de très graves problèmes démographiques, économiques et sociaux.
Si le Bumidom, entre 1963 et fin 1981, contribua à la freiner, elle reprit de plus belle après sa suppression, à l’arrivée de la Gauche au pouvoir. Selon A. Técher, le Bumidom a organisé la venue en métropole de 70 615 personnes entre sa création et décembre1981. « Cela représente 44,7 % d'un total de 157.000 migrants venus d'outre-mer s'installer en France métropolitaine durant cette période, les autres se déplaçant dans le cadre de leur service militaire, d'une mutation de la fonction publique ou d'une migration plus spontanée ».
Pour être précis, 1.630 enfants réunionnais d’âges divers (les plus jeunes avaient de trois ans, « abandonnés ou non » et recueillis à la Réunion par la Direction départementale de l'action sanitaire et sociale (la DASS), pour des raisons diverses (abandonnés ou retirés à leurs familles) furent envoyés en métropole, soit environ 2% du total de la migration au titre du Bumidom et non la « majorité de la jeunesse réunionnaise », comme l’écrit de façon grotesque,Témoignages. Ils furent envoyés, surtout vers des départements métropolitains, caractérisés par un exode rural et le dépeuplement, comme la Creuse, le Tarn, Gers, la Lorraine et les Pyrénées orientales.
La plupart de ces enfants réunionnais qui, au départ, n’avaient en rien été ni « enlevésé « ni « raflés » ; après un bref séjour dans un foyer, ils étaient envoyés dans des familles d'accueil, dans des conditions qui sans doute rappelaient souvent celle des enfants qui, au XIXe siècle encore, étaient « placés » par leurs parents dans des familles autres que leur, pour y faire plus ou moins fonction de domestiques non-salariés, seuls « le gîte et le couvert » leur étant assurés.
Il ne s’agit pas de ma part d’établir un rapport quelconque entre le principe mis en œuvre dans le BUMIDOM et une tradition française ancienne de « plaçage », mais il est curieux de constater que dans des cas aussi divers que ceux de la Creuse (je ne prends ce cas que parce qu’il a servi à donner leur titre à des travaux sur cette question), d'Haïti et des Seychelles, on retrouve cette tradition française de l'utilisation comme domestiques, sous couvert de charité, d'enfants placés dans des familles qui ne sont pas les leurs.
J'ai écrit plusieurs billets sur le cas des « restavèk » haïtiens (les dits « restavèk » sont des enfants qui « restent » (= habitent) avec une famille qui n’est pas la leur). Leur cas a été mis en évidence à l'occasion du séisme qui, en janvier 2010, a frappé ce malheureux Etat et du refus stupide de la France (Bravo Monsieur Kouchner !) de laisser partir, en vue de leur adoption en France, des enfants haïtiens qu’on a, par là même, condamnés à grossir la foule infortunée des « restavek » qui, en Haïti, se comptent par centaines de milliers! Je ne m'attarde pas sur ce point car j'en ai longuement parlé dans mon blog d’alors et aussi dans le livre que j’ai publié sur Haïti à partir de ces textes (R. Chaudenson, Haïti. Goudou-Goudou ! Un an de terreurs, d’erreurs et de rumeurs, L’Harmattan, 2011).
Moins évident et moins connu est le cas des Seychelles, où l'on trouve aussi cette pratique et où ces enfants sont nommés « sonnyin » (« soignés » dans le créole local très nasalisé). Aux Seychelles, mais je doute un peu que cette coutume existe encore, on nommait ainsi l’équivalent local d’un restavek haïtien, donc un enfant recueilli dans une famille qui n'est pas la sienne et qui se trouve souvent réduit à une condition proche de celle d'un domestique (notons que ce même verbe « soigner », comme autrefois dans nos campagnes françaises, s’emploie aussi là-bas, comme en français, pour les animaux ).
Ce fut sans doute le cas d'un certain nombre d'enfants réunionnais dans les campagnes françaises , mais ce ne fut pas le cas de toutes et tous, puisque, comme on le verra plus tard, on a pu trouver quelques réussites tout à fait remarquables chez ces exilés de force âgés aujourd'hui d'une cinquantaine d'années.
Je reviendrai demain sur cette affaire mais je voudrais tout de même souligner ici un fait relativement curieux.
Pour des raisons qui m'échappent personnellement, ce sujet n’attiré l'attention en France que vers 2004, à la suite de la publication de deux livres . La déportation des Réunionnais de la
Creuse, Elise Lemai, Éditions
L'Harmattan, 2004 et Tristes tropiques de la
Creuse, Gilles Ascaride, Corine Spagnoli, Philippe Vitale, Edition K'A, 2004.
Je ne sais rien d’Elise Lemai mais la présentation qu’elle fait d’elle-même m’inquiète quelque peu, tant par son vague que par ses précisions : « Autodidacte professionnelle, webmastrice depuis 2000 (Cariboost, Joomla, Wordpress), bloggeuse depuis 2005 (Overblog), administratrice de forum depuis 2008 (Module Joomla, Forumactif), diplômée de second cycle universitaire en psychologie et en lettres modernes, enseignante en BTS, en préparation aux concours sanitaires et sociaux, ainsi qu’en université, auteur d’une trentaine d’articles et d'une dizaine de livres publiés à compte d’éditeur, relectrice d’édition depuis 2011, photographe depuis 2009, monteuse de vidéos du dimanche (Pinnacle Studio 9, Sony Vegas), floodeuse à mes heures perdues, je mets ma formation et mes expériences au service du community management des entreprises et de leurs projets. Ainsi que ma capacité à écrire des phrases courtes ».
En revanche, j’ai souvent entrevu Gilles Ascaride et Philippe Vitale qui ont été, l'un de l'autre, dans mon université (le premier au titre du CNRS, même s'il se montre fort discret sur cet aspect, l’autre comme maître de conférences en sociologie). Il se trouve que je suis regardé, à tort ou à raison, comme un des bons connaisseurs de la culture et de la langue réunionnaises. Sans grand mérite d’ailleurs puisque j'ai passé 17 ans à la Réunion (1963-1980), que j'ai consacré ma thèse d'État au créole réunionnais (1972, 1243 pages parues en deux volumes chez Champion), que j’ai dirigé des décennies durant la principale équipe de recherche sur les créoles associée au CNRS, que je suis co-auteur avec Michel Carayol et Christian Barat de 0l’Atlas linguistique et ethnographique de la Réunion (paru en trois volumes au CNRS) et que j'ai publié un grand nombre d'ouvrages et d'articles sur cette île (dont une Encyclopédie de la Réunion en neuf volumes). J'ai donc toujours été très étonné que l'Institut d'études créoles que j'ai créé à l'université d'Aix-Marseille 1 (où se trouvait également ces deux auteurs) n’ait jamais reçu la visite de ces deux chercheurs, qui pourtant auraient pu trouver des documents et des informations qui auraient dû les intéresser (en particulier sur la langue créole réunionnaise dont ils semblent n'avoir qu'une idée assez lointaine, quoiqu'ils aient réalisé des interviews dans une langue dont j'ignore ce qu'elle peut être).
Quant au troisième co-auteur de leurs travaux, Corinne Spagnoli (dont le nom de famille semble Bègue ; elle est donc d’origine réunionnaise comme notre tapageuse Miss France), elle est spécialisée exclusivement dans la cuisine, son ouvrage sur la cuisine réunionnaise étant la seule référence bibliographique dont j'ai pu trouver trace sous son nom. Il semble donc que dans cette affaire elle ne serve guère que de caution réunionnaise car je doute fort qu'elle puisse y avoir un autre rôle.
A demain donc pour la suite !
1 commentaire:
Monsieur,
Nous, Gilles Ascaride, Corine Spagnoli-Bègue et Philippe Vitale, auteurs de l’ouvrage « Tristes tropiques de la Creuse », avons hésité à écrire une réponse suite à la publication de vos trois textes odieux « De la Réunion à l'Australie en passant par le Vél’ d’Hiv’ : les enfants de la Creuse ». En effet, nous ne souhaitons pas attribuer plus d’importance que cela à ces trois écrits idéologiques, totalement dénués de fondement scientifique, ni même vous donner une once de reconnaissance. Vous qui vous présentez comme le spécialiste universel de La Réunion (en sciences politiques, en histoire, en sociologie, en linguistique, n'en jetez plus...), mais désormais retraité, vous semblez bien lamentablement amer que personne ne vous ait contacté sur cette affaire et que personne ne songe même à faire allégeance au professeur d’université d’antan. Aussi, vous lancez de piteuses bouteilles à la mer en espérant que l’on réagisse pour tenter de sortir, en surfant sur le travail des autres, de l’ombre de votre oubli mérité.
Pour résumer votre pseudo diatribe, vos propos sont faux, diffamatoires, condescendants, ethnocentrés et sexistes. Sur ce dernier point, les lecteurs noteront avec intérêt les coups bas que vous portez à notre collègue diplômée en histoire. Nous ne perdrons pas davantage de temps à vous répondre, car vous ne le méritez même pas. Nous nous demandons simplement comment vous avez pu tomber si bas, comment le ressentiment peut conduire un supposé "chercheur" à réinventer l’histoire et à substituer la suspicion à un véritable débat.
Avec les sentiments qui vous sont dus.
Gilles Ascaride, Corine Spagnoli-Bègue et Philippe Vitale
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