« Pan sur le bec ! » était autrefois une rubrique du Canard enchaîné où ce volatile confessait et redressait ses erreurs. N’attendez rien de tel de ma part, sinon une anecdote un peu voisine mais en version « 2.0 », comme il est de bon ton de dire aujourd’hui ! Suite à mon billet d’hier, j’ai interrogé Google pour voir ce que j'y trouvais à ce sujet. Quel ne fut pas mon étonnement d’y trouver, parmi les premiers textes signalés, un passage d’un de mes livres, vieux de près dix ans, Vers une autre idée et pour une autre politique de la langue française, extrait d’un de ses chapitre intitulé « Championnat du monde d'orthographe et francophonie », où j’avais déjà traité, dans une perspective un peu différente et plus large du sujet que j’envisageais pour le lendemain ? J’avais tout à fait oublié ce texte. Sénilité, narcissisme ou paresse, je vous laisse le choix du chef d’accusation ! Mais après tout c’est dimanche et le débat sur le travail du dimanche n’est pas clos ; je reprendrai donc ici mon texte.
« Le titre de ce chapitre [C’était, je le rappelle, « Championnat du monde d'orthographe et francophonie »] semblera sans doute insolite, comme nombre d'autres choses dans ce livre que d'aucuns jugeront irrévérencieuses voire provocatrices. Par ailleurs, je donne le sentiment de changer une nouvelle fois de sujet, en abandonnant la linguistique « dure » pour des considérations de nature très différente. On verra, j’espère, qu’il n’en est rien.
J'ai reçu, il y a quelques mois (je ne sais toujours pas bien pourquoi) une lettre d'un jeune Gabonais qui, en un style des plus fleuris, se prévalait d'un succès flatteur aux Championnats du monde d'orthographe organisés, je suppose, par Bernard Pivot (j'ajoute cette prudence car, peut-être, comme pour les élections de Miss France, y a-t-il des concurrents sur le même créneau !). Cette lettre, par certains côtés émouvante, par d'autres ridicule, illustrait une image du français qui n'est sans doute pas la meilleure qu’on puisse souhaiter en vue de sa diffusion dans le monde.
Soyons clairs ; il y a là, dans ce genre de concours comme dans le commerce des dictionnaires dont j'ai parlé dans le premier chapitre, une affaire purement commerciale avec des produits « dérivés » (comme on dit…) : émissions de télévision, magazines, livres, jeux, etc. Il y a même, comme pour « l'auto-bridge », un outil personnel d'entraînement, naguère manuel, désormais électronique, qui permette de se préparer quotidiennement à ce genre d'épreuve.
Ces concours d’orthographe ne sont, en fait, que des versions, à visée désormais sérieuse, voire nationale et patriotique, (l'opération est retransmise par la télévision depuis le grand amphithéâtre de la Sorbonne!), de la dictée imaginée autrefois par Mérimée pour distraire l’Impératrice Eugénie et son entourage. Cette épreuve est proposée, dans le cadre de ses opérations linguistico-patriotico-commerciales, par B. Pivot, dont les Français ont pu évaluer les compétences réelles en matière orthographique, lors d'une émission où il accueillait Jacques Toubon, alors Ministre de la Culture et de la Francophonie. Mais n’anticipons pas car je raconterai cet épisode édifiant dans le chapitre suivant. [Comme vous n’avez pas sous la main cet excellent livre, il me faut bien vous raconter ici l’histoire promise qui est censée être narrée par un Japonais ! A propos de ce même ministre, je vais te raconter une petite histoire vraie qui va te rassurer définitivement. Quand Jacques Toubon a été nommé Ministre de la Culture et de la Francophonie, en 1993, il a été invité à l’émission « Bouillon de culture ». Il est arrivé sur le plateau, hilare, brandissant une note écrite par un des ses collaborateurs; elle présentait une faute d’orthographe qu’il avait été le seul à repérer parmi tous les gens qui avaient lu ce texte. Il a montré la feuille de papier à Bernard Pivot qui, est, comme tu le sais, le père des Championnats du monde d’orthographe; ils se sont tous les deux esclaffés d'abord, indignés ensuite devant cet attentat scandaleux contre l’orthographe du français, qui est une si belle, si noble et si respectable institution. Manque de chance ! Leur triomphe a été de courte durée. Ils avaient tous les deux tort et ce qu’ils jugeaient une faute scandaleuse était, en fait, l'orthographe correcte du terme. Toute la presse en a ri ! Dans leur position, chez nous, ils auraient dû l’un et l’autre démissionner sur le champ de leurs fonctions. Ici, cela n’a provoqué que des sourires. La France sera toujours la France !].
La dictée de Mérimée (« Ce dîner à Sainte-Adresse, près du Havre, fut un vrai guêpier… ») était un texte qui, certes accumulait à dessein les pièges orthographiques (« les cuisseaux de veau et les cuissots de chevreuil… »), mais qui avait une certaine cohérence. Octave Feuillet, de l’Académie français, fit 24 fautes et le vainqueur, avec trois fautes, fut un étranger, le Prince de Metternich !
Les dictées de Pivot ne sont, en revanche, que des ramassis d'aberrations et d’anomalies où le trait d'union joue le rôle majeur ; elles n'ont même pas de validité réelle, au plan strictement administratif, puisque l'arrêté de Georges Leygues, pris le 26 février 1901, a établi des tolérances officielles sur beaucoup de ces points. Ainsi, dans le titre IV de ce texte, « Noms composés », lit-on: « Les mêmes noms composés se rencontrent aujourd’hui tantôt avec le trait d’union, tantôt sans trait d’union. Il est inutile de fatiguer les enfants à apprendre des contradictions que rien ne justifie » Cet arrêté, plein de bon sens, vaut « pour les examens et concours » nationaux et son préambule précise qu’« il ne sera pas compté de fautes aux candidats pour avoir usé des tolérances indiquées ». En d'autres termes, les fautes sur lesquelles se fondent des championnats d’orthographe ne sont pas des fautes aux yeux de la loi française, car à ma connaissance ce texte est toujours valide.
On peut, de la même façon, se demander en outre si, dans ces concours de dictées plus ou moins officiels, on prend ou non en compte ce qu’on appelle souvent la « réforme Rocard » et qui consiste, en fait, dans des rectifications orthographiques, approuvées à l’unanimité par l’Académie française le 3 mai 1990 et publiées dans le Journal Officiel le 6 décembre de la même année. Un certain nombre de documents diffusés par des organismes officiels respectent ces dispositions (sans toujours le rappeler, ce qui fait parfois problème) ; c’est le cas de la DGLFLF, me semble-t-il ; j’ajoute cette restriction faute de lire tous les textes qu’elle produit. Il faut avouer qu’on s’y perd un peu puisque l’Académie française, pourtant unanime dans son premier choix, mais cédant sans doute devant la grogne des paladins de la francophonie, a publié, en janvier 1991, un communiqué marquant son souhait que ses recommandations « ne soient pas mises en application par voie impérative ». Il en résulte que l’application de cette réforme est très limitée et qu’en gros, dans la francophonie du Nord, le respect de ces dispositions est chose rare, ce qui les a fait tomber rapidement dans l’oubli, dans le grand public au moins. De ce fait, si l’on se risque à écrire selon ces normes, il est prudent de le préciser d’emblée pour ne pas se faire taxer d’ignorance ! On peut s’en convaincre, s’il est besoin, en utilisant les correcteurs orthographiques du français dont sont équipés nos ordinateurs. Pour la plupart, ils signalent comme fautes, par des soulignements vengeurs, tout mot écrit selon les recommandations de 1990 ! Le français issu de la réforme Rocard ne fait pas encore partie des diverses variétés de orthographiques de français que prennent en compte les machines.
Quant au gouvernement français, il soutient, mais apparemment sans problèmes, à la fois l’application de la réforme Rocard (mise en œuvre dans certaines productions officielles) et des manifestations comme celles qu’organise B. Pivot qui, pour une bonne part, reposent sur le non-respect radical de la réforme de 1991.
Si Mérimée est sans doute l’inventeur de la dictée faite pour regrouper le maximum de difficultés orthographiques, selon André Goosse, Bernard Pivot n’aurait même pas eu, le premier, l’idée de créer des « championnats d’orthographe ». Les premières compétitions de ce genre auraient, en effet, eu lieu à Bruxelles, ce qui ne m’étonne guère quand on connaît la passion de certains Belges pour la grammaire (A. Goosse, Présentation de l’APARO, 1997 : 4).
De l'orthographe du français.
Comment ne pas rappeler, en abordant ce point, la si pertinente remarque de Pierre Larousse dans l’article « orthographe » de son dictionnaire de 1874 : « Nous passons une grande partie de notre vie à apprendre à écrire en français et, […] les plus instruits et les plus intelligents d’entre nous n’y parviennent qu’imparfaitement ».
On pourrait, de façon quelque peu sophiste, tirer de cette remarque la conclusion que ceux qui arrivent à maîtriser parfaitement cette orthographe sont en fait des imbéciles, ce que la sagesse populaire d’autrefois disait, à sa façon, en proclamant que l’orthographe était la science des ânes!
En fait, ces compétitions sont aussi puériles que vaines ; on pourrait juger qu’elles s'apparentent simplement aux stupides records du Guiness Book, s'il n'y avait pas là des indices de mentalité, qui sont en fait d'autant plus graves pour la langue française que les promoteurs de telles opérations, quand ils ne sont pas assez rusés pour en tirer un profit personnel, sont naïfs et aveugles au point de ne pas voir le tort qu'ils font à l'objet même de leur dévotion : la langue française. La sacralisation du français, dont j'ai donné déjà nombre d'exemples, est, en effet, aussi absurde dans son principe que funeste dans ses conséquences.
Les championnats d'orthographe se fondent sur les inconséquences, les absurdités, les bizarreries, etc., de l'orthographe du français. Il faut reconnaître qu'à cet égard, notre langue est d'une richesse infinie ! Cela tient à son histoire et aux cuistres d'antan, parfois eux-mêmes assez ignorants, qui, au stade du moyen français surtout, l'ont compliquée à qui mieux mieux. [Jacobus Silvius à qui nous devons l’accent grave, l’accent circonflexe et le tréma est le principal bienfaiteur de notre système orthographique]. Nous n'y pouvons rien, mais devons-nous pour autant en tirer gloire, nuire, par là, à la diffusion de notre langue et même aider certains à en faire commerce et profit ?
Le pire est que la graphie du français, en particulier avec ses signes diacritiques (nos accents aigus, graves, circonflexes, les trémas et les cédilles), est non seulement un handicap pour la diffusion de la langue (les étrangers désireux de l'apprendre s'en effrayent à juste titre, nous y reviendrons) et une surcharge inutile qui, souvent, ne correspond plus à rien dans la pratique langagière (Combien de Français distinguent encore, dans la prononciation, « pâte » de « patte » ?), mais elle constitue un handicap est encore bien plus grave dans le monde informatique. En effet, ces signes, pour la plupart inutiles, sont une vraie catastrophe à l'ère de l'électronique.
Il faut tout de même qu’on sache que ces diacritiques (qui en fait ne le sont même pas, puisque « diacritikos » en grec veut dire « qui sert à distinguer » alors que la plupart des diacritiques n’ont plus réellement cette fonction !) sont de pures inventions des grammairiens et, à leur suite, des éditeurs de la Renaissance, alors que l’ancien français n’en avait pas. Ici, comme ailleurs, on a singé, souvent sottement, les Grecs. On connaît même les noms des inventeurs de ces signes : Robert Estienne pour l’accent aigu en 1530, Jacques Dubois (alias Jacobus Sylvius qui aurait été mieux inspiré de s’en tenir à la nomenclature cérébrale et à son fameux « aqueduc ») pour l’accent grave, l’apostrophe et le tréma en 1531 (Quel homme !).
Il y a plus de vingt ans, Maurice Gross, l’un des premiers et, à l’époque, l'un des rares linguistes à s’intéresser à l’informatique, proposait, non pas de rendre l’orthographe du français plus simple, plus cohérente, plus logique, etc. (tâche impossible dont tant d’autres ont rêvé, avant et après lui), mais simplement de la débarrasser de ses signes diacritiques, dans lesquels il voyait, avant tout le monde, autant d’entraves à l’usage futur de cette langue dans les ordinateurs. Moins connue que d’autres, sa proposition n’a pas eu plus de succès, mais je demeure aujourd’hui encore admiratif devant la précocité et la justesse de son analyse.
A l’époque, ces signes diacritiques étaient des obstacles quasi insurmontables vu la limitation du nombre de bits dans la représentation d’un caractère graphique ; ils ont en partie cessé de l’être, dans l'usage intra-francophone du moins, car, dans les relations internationales, il en est tout autrement. J’entends déjà les utilisateurs moyens des ordinateurs, qui se servent de cette machine pour le courrier familial, s’esclaffer de mon ignorance, puisqu’ils usent chaque jour de l’accent circonflexe, de la cédille et du tréma sans la moindre difficulté. Je note néanmoins que, dans les échanges scientifiques internationaux, la plupart de mes collègues envoient leurs courriels à l’étranger, sans user eux-mêmes de ces signes diacritiques pour éviter les problèmes.
Pour en rester au niveau le plus modeste, celui, par exemple, du simple usage des courriels, chacun a pu constater que les adresses électroniques n’admettent pas les signes diacritiques du français. Ce point me paraît assez clair pour que je ne m’y arrête pas davantage, même si les choses ont un peu évolué, tout récemment d'ailleurs et sans que soient réglés tous les problèmes, loin de là ! Au moment même où j’écris ces lignes, je constate avec un plaisir non dissimulé que, dans un courriel que je reçois d’une collègue allemande, les trémas qui marquent en allemand l’inflexion vocalique (umlaut) ont disparu et que, par exemple, « für » est écrit « fuer » ! Mon collègue et ami Jürgen Lang doit ainsi, dans son adresse électronique, se rebaptiser « Juergen » faute de pouvoir user de « Jürgen ». Quelle joie ; nous ne sommes donc pas les seuls à avoir ce genre de problèmes… quoiqu’on die (comme écrivent Corneille et Racine !).
J’attire au passage l’attention sur le problème que posent aux ordinateurs les diacritiques du français quand on doit les utiliser pour des majuscules. Je n’entre pas dans le détail, laissant à chacun le soin de s’amuser avec ce petit problème électronique que je suggère de réserver pour un soir d’hiver. Simple exemple; si l’on en croit Word, [Ce texte est publié en 2006 !] pour faire un E majuscule avec un accent grave, c’est tout simple et je le fais au fil du texte; par ce qu’on nomme si joliment le « raccourci », il suffit de faire « alt + crtl + 7, majuscule + E » …= È… Formidable, c’est un peu long, très compliqué et difficile à réaliser (il faut presser en même temps plusieurs touches), mais ça marche… la preuve !
Pour tenter d’en finir avec les diacritiques, la réforme Rocard s’était attaquée aux accents circonflexes. On avait décidé, non sans courage et bon sens, de supprimer les accents circonflexes sur i et u et de proposer d’écrire « traitre » et « bruler ». Fort bien. Toutefois, on ajoute aussitôt des exceptions à cette règle comme les 1ères et 2èmes personnes du passé simple (nous vîmes, nous lûmes), et les mots qui, sans accent, seraient homographes (dû, mûr, sûr, jeûne et les formes du verbe croître qui sans accent seraient identiques à des formes du verbe croire). La belle affaire ! J’ai cherché en vain des exemples où une telle homographie pourrait faire problème. En trouverait-on un, ici ou là, qu’on se demande quelle pourrait être l’importance du fait. Autre changement majeur, on peut désormais écrire « évènement », comme on le prononce en général, et non « événement » comme l’exigent nos correcteurs d’orthographe ! En fait l’auteur de cette réforme me fait penser à Jules César dont un historien latin se demandait s’il était « trop audacieux ou trop prudent » (audacior an prudentior). Peut-être aurait-il fallu avoir l’audace de supprimer, d’un seul coup, tous les accents du français ? Quitte à ne pas être suivi, autant concevoir un grand dessein !
Près de La rumeur publique prétend que, dans la réforme de 1991, les savants rédacteurs du texte ont « consulté », avant de rendre publiques leurs propositions. Qui donc ? Comme aurait écrit Madame de Sévigné, « Je vous le donne en dix, je vous le donne en cent, je vous le donne en mille ». Ne cherchez plus et accordez votre langue au chat ! ... Bernard Pivot ! Je ne doute donc pas un instant que c’est à lui que nous devrons, si le texte est un jour appliqué, les « crûtes » et les « crûmes » qui ont si délicieusement enjolivé les dictées de notre enfance. Je vois d’ailleurs mal, pour le dit « crûmes », en quoi la présence ou l’absence d’accent circonflexe distinguerait les formes du verbe « croire » de celles du verbe « croître ». Mais si Bernard Pivot, qualifié au Québec, à l’occasion de la Semaine de la Francophonie 2005, de « grand maître de la langue française » l’a dit, on ne peut que le croire !
J’ai encore eu tout récemment (juin 2004) à Ouagadougou, avec Marc Van Campenhout (du Centre de recherche Termisti, Institut Supérieur de traducteurs et interprètes de Bruxelles), une vive discussion d’où nous sommes sortis l’un et l’autre sans résultat très net. Mon point de vue personnel est très simple et se résume en deux idées élémentaires, mais fortes.
Premièrement, ce n’est pas parce que « la norme Unicode permet désormais de représenter en une table unique les caractères d’un très grand nombre de langues » (T. Cisse, C. Mbodj, M. Van Campenhout et M. Wane, 2004 : 86) et donc qu’elle permet de « graphiser » n’importe quelle langue à la fantaisie de chaque créateur de signes graphiques, qu’il faut opérer de tels choix sans la moindre réflexion préalable sur la « graphiation » de cette langue. Ce point est capital dans le cas des nombreuses langues du Sud qui n’ont pas de codes graphiques et que l’on entreprend d’en pourvoir. Même si les auteurs de l’article cité ouvrent un paragraphe de leur texte par un titre alléchant et prometteur « Un clavier, pour quoi faire, » (ibidem, 87), on n’y trouve pas de vraie réflexion sur le problème général et la seule préoccupation est en fait d’ordre ergonomique, alors que la première question à se poser, avant celle de savoir comment écrire une langue est celle de savoir « pour quoi ? » on décide de le faire et dans quel environnement économique et social s’opère une telle entreprise.
C’est pour mettre en évidence l’ordre même de ces démarches que je propose de distinguer la « graphiation » (prise en compte de l’ensemble des facteurs linguistiques, sociaux, économiques, etc. qui conditionnent et déterminent le choix et les modes d’écriture de la langue en cause) et la « graphisation » (les choix techniques de la graphie adoptée, opérés en fonction des facteurs mis en évidence dans la phase antérieure). Il est absurde de concevoir des signes graphiques complexes, pourvus de multiples diacritiques pour la seule raison que la technique informatique permet désormais de l’envisager.
En second lieu, tout le monde n’est pas nécessairement un spécialiste des techniques informatiques ; l’usage normal de l’ordinateur doit être comparable à celui de n’importe quel appareil. Je n’ai pas besoin d’être ingénieur en télécommunications pour me servir de mon téléphone ; de même, j’attends de mon ordinateur un usage aisé, convenable et adapté, en dépit du fait que je ne suis pas ingénieur informaticien. Les auteurs de l’article cité ci-dessus reconnaissent eux-mêmes qu’on « trouve sur la toile des gratuiciels qui permettent de créer des claviers qui apparaissent sur l’écran. La saisie s’effectue en activant chaque touche à l’aide de la souris, ce qui s’avère rapidement fastidieux » (ibidem : 89). C’est le moins qu’on puisse dire ! Cette dernière remarque nous renvoie à ma démonstration précédente concernant les accents sur les majuscules en français ! Les langues orales qu’on cherche à écrire connaissent déjà assez de handicaps sociolinguistiques pour qu’on n’y ajoute pas, à plaisir, des obstacles techniques que rien ne justifie.
L'histoire de l'orthographe du français a été faite par N. Catach qui y a consacré sa vie ; il n'y a plus grand chose à en dire, si ce n'est que, quels que soient ses défauts et ses incohérences, tout démontre qu'il est impossible d'y changer quoi que ce soit, même avec des visées aussi modestes que celles de la réforme tentée par M. Rocard. Prenons-en acte. Faut-il pour autant, à grand renfort de fastes et de publicité, s'en faire gloire et, pire encore, organiser des célébrations rituelles et solennelles de ces tares de notre infortuné système orthographique ? Y-a-t-il un moyen plus sûr et plus efficace de maintenir, voire de renforcer, l'idée bien française que toutes ces absurdités sont intangibles voire sacrées? Faut-il ajouter que, si le Rapport Duvernois affirme avec force (en titre) et pertinence qu’il faut « désacraliser le français » (2004 : 28), on ne trouve pas, dans les pages qui suivent cette forte parole, un seul mot sur cette entreprise de « désacralisation ».
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