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mercredi 19 février 2014

Help ! Burn out au CNRS


« Le burn-out des  labos » (Monde science et techno ; 17 février 2014) est le titre d'un article de Camille Thomine (Monde Académie) sur les suicides au CNRS. L'article est tout aussi inattendu que le titre ; pour la clarté de mes propos, j’en reproduis ci-dessous quelques éléments (en italiques) que je fais suivre de mes commentaires.

« Le Syndicat national des travailleurs de la recherche scientifique (SNTRS-CGT) s’inquiétait dans un communiqué « de la survenue, pour le seul mois de janvier, de trois suicides de personnes travaillant dans des laboratoires et l’administration du CNRS ». Et se demandait s’ils n’étaient pas un prélude à « une vague de suicides ».
Si la direction de l’organisme tient à rappeler qu’aucun de ces drames ne s’est produit sur les lieux de travail et que rien ne permet pour l’instant de les relier à leur activité professionnelle, ils surviennent dans un climat de détresse psychologique répandu dans la recherche publique ».

Cet article me fait penser à une vieille blague concernant le CNRS que je vous fais courte faute d'espace. Un lion est embauché un jour au CNRS ; quelques mois plus tard, il est traduit en commission de discipline après avoir mangé trois femmes de ménage. La commission lui en fait reproche et lui signifie clairement qu’au prochain incident de ce genre, il sera sévèrement châtié. Le lion interroge alors le président de  la commission et demande: « J'avoue que j'ai bien mangé ces trois femmes de ménage et que je mérite donc d'être puni, mais comment se fait-il que personne n'a rien dit pour les sept chercheurs que j'avais mangés auparavant ? ».

Si l'on se suicide au CNRS et dans les EPST françaises à cause du stress et de l’excès de travail, il faut s'attendre au pire dans la plupart de nos administrations. Je reconnais que l'article d'une grande prudence comme le montre la suite et le rappel de la position des instances dirigeantes :
« La direction du CNRS rappelle que le taux de suicides y est inférieur à la moyenne nationale et que le nombre des arrêts maladie reste stable depuis 2010. Elle craint que l’évocation, même avec un point d’interrogation, d’une « vague de suicides » dans le communiqué syndical soit elle-même potentiellement suicidogène pour des personnes fragiles. Elle ne nie pas que la situation actuelle de la recherche publique – tensions sur l’emploi et les budgets – crée des situations difficiles, mais estime avoir fait face à la montée des risques psychosociaux ».

Je suis rassuré par la mise au point de la direction du CNRS. Pour les sciences humaines et sociales, qui constituent le secteur qui m'est le plus familier, un certain nombre de chercheurs du CNRS n'ont pas de raison d'invoquer des arrêts-maladie pour rester chez eux, puisqu'ils sont déjà, dans nombre de cas, des travailleurs à domicile et que le contrôle de l'activité de recherche, pour le moins discret, est pour l’essentiel effectué par eux-mêmes. Toutefois cet article, quoique hautement spécialisé, témoigne d'une confusion, permanente et très fâcheuse, entre le statut du chercheur au CNRS ou à l’IRD et celui d'enseignant-chercheur des universités. On doit se garder pourtant de les confondre, même si par définition et depuis Edgar Faure, les enseignants des universités sont des enseignants et des chercheurs (à mi-temps en quelque sorte pour chacune de ces deux activités) et si un certain nombre de chercheurs du CNRS viennent faire, sur leur temps de travail de recherche, des heures complémentaires à l'université pour se faire de l'argent de poche !

Remarque plus étonnante encore ; cet article observe qu’« un chercheur passe donc beaucoup de temps à remplir des formulaires ultra précis d'organismes européens ou de l'Agence nationale de recherche. ».

Ce reproche est clairement pittoresque de la part du CNRS, puisque les documents que toute équipe, soit du CNRS soit associée au CNRS, doit régulièrement fournir à son administration centrale ont toujours été d'une précision parfois ubuesque, allant par exemple, pour une équipe associée, jusqu’à devoir évaluer le coût de financement de l'université d’accueil à l'équipe en cause pour ce qui touche le  balayage des locaux. Je crois qu’en matière de complication et de pinaillage administratif, le CNRS n'a de leçon à recevoir de personne ; tout cela n'a pas changé d'ailleurs depuis l'apparition des crédits européens et de l’ANR. Je n’ai pas le temps de m’étendre sur ces aspects  qui visent en fait à décourager les solliciteurs, les bénéfiaires étant choisis à l'avance sur la base du copinage. Tout cela n’a pas grand-chose à voir avec la recherche comme je l'ai montré, dans son détail, dans mon récent livre, CNRS : le Jurassic Park de la science stalinienne auquel je ne peux d'ailleurs que renvoyer pour l'ensemble de ces problèmes (Paris, l'Harmattan, 2013).  En outre, pour quiconque a l'expérience de ces domaines, il est clair que tous ces formulaires de description de recherche sont taillés sur le même modèle, qui est d'ailleurs, de toute évidence d'inspiration américaine (NSF et alii), les organismes européens ou français étant arrivés bien après les organismes des États-Unis dont les procédures d'évaluation et de contrôle, essentielles en pareils cas, sont d'ailleurs infiniment plus sérieuses.

« Chaque année, un chercheur passe donc plusieurs mois à remplir des formulaires ultraprécis beaucoup de temps d’organismes européens ou de l’Agence nationale de recherche (ANR) avec, chaque fois, neuf chances sur dix de voir son projet retoqué. « Pour chaque projet échelonné sur trois-quatre ans, il faut développer, mois par mois, le temps consacré par chaque membre à chaque activité, explique Anne Atlan, chargée de recherche CNRS en biologie évolutive à Rennes. Comme s’il était possible d’anticiper à ce degré de précision ! En recherche, par définition, on ne sait jamais ce qu’on va trouver… »
Face aux plaintes répétées, l’ANR a bien établi, en juillet 2013, un appel à projets simplifié, visant à établir un premier tri parmi les demandes. Mais à la clôture des dossiers, en octobre, elle annonçait 8 444 prépropositions éligibles. Un chiffre décourageant pour Anne Atlan, dont les onze projets déposés ces deux dernières années ont tous été refusés ».

Ce qu’on demande, dans les projets, est moins ce qu’on va trouver que ce qu’on cherche et comment on le fait ! Une fois encore, tout cela n'est pas très nouveau et je ne puis sur ce point que renvoyer à mon livre. En réalité, la situation n'a guère changé depuis 30 ans car les chercheurs n'ont que de trois solutions : 1. se tenir tranquilles dans leurs coins faire son jardin, aller au labo ou à la « cafet’ » selon ses habitudes « professionnelles », 2. se glisser dans un projet d'une équipe, largement financée sans grand examen, dans la mesure où son responsable est arrivé à se faufiler dans les instances directives directions de direction du CNRS ou y a des copains  (vous voulez des noms ?) ; 3. Cas le plus rare : aller chercher l'argent ailleurs qu’au CNRS et parfois en trouver, à condition bien sûr d’en avoir recherché. Ce fut personnellement toujours mon cas, le CNRS se refusant à prendre en compte pour les équipes, la « valeur ajoutée », c’est-à-dire les crédits trouvés ailleurs qu’au CNRS !

« Mais si prestigieuses que soient les publications, elles ne suffisent plus : le chercheur doit encore mener une activité éditoriale – par exemple en tant que relecteur desdites revues –, participer à des animations scientifiques de type congrès ou conférences, faire partie de jurys, concourir à la vulgarisation de la science par des débats citoyens, des associations, des blogs ou des wikis et bien sûr encadrer des étudiants en thèse ou en master… »

Autres sottises et ignorances ! On relève encore ici la confusion permanente entre chercheurs et professeurs d'université.
Les thèses qu'on évoque ici ne peuvent être soutenues que dans les universités et non au CNRS,  ce que ne savent généralement pas toutes celles et tous ceux ce qui nous abreuvent du poncif « Le CNRS pépinière de Nobels » ! Vaste blague dont je traite dans son détail mon livre que j'ai déjà cité et où je consacre deux textes à cette question.

Un chercheur doit avoir une activité de production scientifique (les publications) ; c’est en effet le minimum mais rien ne lui impose comme le prétend cet article d’être «  relecteur des dites revues ». Il n'y a plus d'édition scientifique en France. La plupart des revues scientifiques, imprimées de façon traditionnelle, sont à l'agonie ; pour avoir été, longtemps et à de multiples reprises, soit moi-même responsable de revue, soit membre de comité de rédaction, je puis vous dire qu'il est de plus en plus difficile, voire totalement impossible, d'obtenir des collaborations pour ce qui concerne la relecture et de l'évaluation des articles. Les facilités de la publication électronique rendent à la fois insupportables les délais des publications papier (souvent plusieurs années) et surtout extrêmement susceptibles les auteurs qui ne supportent pas, pour la plupart, de la part des relecteurs, la moindre critique ou demande de correction. Toutes celles et tous ceux qui connaissent ces problèmes me comprendront sur ce point sans que j'aie besoin d'insister.

« Une activité d’enseignement qui, dans le cas des enseignants-chercheurs, vaut à elle seule « un temps-plein bien rempli », confie Anne Atlan [chargée de recherche au CNRS et non universitaire ! ]. En plus des 192 heures de présence devant les étudiants (sans compter les trois-quatre heures de préparation et les corrections pour chaque cours), ses confrères enseignants-chercheurs doivent désormais gérer les emplois du temps… »
Concernant l’évaluation quadriennale des laboratoires par l’Agence d’évaluation de la recherche et de l’enseignement supérieur (Aeres), certaines pratiques des labos font froid dans le dos, comme celle qui consiste à gommer des organigrammes les noms de certains collaborateurs « non publiants ». Une méthode violente pour éviter la note sanction, qui consiste tout simplement à nier l’existence de certains chercheurs, tenus un temps éloignés de la course à l’article pour des raisons aussi banales qu’un sujet d’étude moins fructueux ou un congé parental… ».

Je comprends mal les remarques de cet article concernant l'évaluation des laboratoires par l’AERES (création récente et, en principe, elle était faite auparavant par le CNRS !) et en particulier celle qui consisterait « a gommer » des organigrammes des « chercheurs non-publiants » ! Ce sont en effet les « labos » eux-mêmes qui établissent les documents départ à partir desquels le CNRS ou l’AERES réalise leurs propres évaluations bidon en général ; une fois de plus cf. mon livre !). Il est clair les auteur(e)s de ces textes ne connaissent pas grand-chose au problème dont elles parlent, ce qui est souvent malheureusement le cas dans notre presse.

 « Le CNRS est un gros paquebot, il lui faudra du temps et, surtout, une réelle volonté politique non seulement de la direction, mais au-dessus d’elle, de la haute administration. »
Aujourd’hui, les mesures de prévention, prévues par la loi, se multiplient dans les EPST : mise en place de cellules régionales et de formation des responsables d’unités, tant aux fonctions de management qu’à la détection des risques psychosociaux, à l’Institut de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea, ex-Cemagref), comme à l’Inserm ou au CNRS. Cela suffira-t-il ? Tout comme la recherche elle-même, trouver les bons remèdes demande du temps… ».

Le CNRS n’est pas un « gros paquebot » courant sur son erre, c’est le cuirassé Potemkine ! Je préfère personnellement, de beaucoup, à défaut du Potemkine,  la métaphore du « Jurassic Park de la recherche stalinienne ».

Cet article me paraît d'ailleurs oublier l’aspect essentiel, volontairement ou non. Depuis la loi LRU qui est au centre de mon autre livre récent (Universités : l’impossible réforme , Edgar, Valérie, Geneviève et les autres, Paris, l’Harmattan, 2013), toutes les mesures qui touchent à l'enseignement supérieur comme à la recherche visent en fait à en réduire les coûts sous le fallacieux prétexte d'une autonomie et de réformes qui sont les masques dérisoires de la privatisation et/ou de l'étranglement. Ces manœuvres sont encore plus claires, j'en conviens, pour le CNRS dont on se demande à quoi peut bien servir les milliards qu’il nous coûte et quel rôle ont les dizaines de milliers de personnes qu'il emploie, surtout quand on rapporte l'énormité de ces coûts à la faiblesse, pour ne pas dire au caractère dérisoire de ses résultats, quand on prend en compte pour les évaluer les ressources spécifiques que procurent à la France les brevets et les contrats autres que ceux qui ne sont pas en fait des subventions supplémentaires cachées.

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