Ce vendredi matin, 9 décembre 2011, vers 6:30, j'ai éprouvé une soudaine émotion, à mon premier réveil, en mettant la radio que j'ai pour habitude d'avoir au chevet de mon lit. On y annonçait, en effet, que la journée serait consacrée au dixième anniversaire du 11 septembre 2001. Comme je croyais que nous n'étions que le 9, je me suis ému soudain à la pensée que j'avais dû oublier quelque rendez-vous ou quelque obligation le 9 ou le 10 du mois, faute d'avoir vu passer ces jours. Un réveil progressif, un petit calcul mental et une rapide remémoration à la fois du calendrier et de mes activités m'ont alors montré que, tout simplement nos médias, dans leurs permanentes rivalités, aussi acharnées que stupides, à la recherche du scoop ou, en tout cas, de la primeur de l'information, n'avaient pas hésité à nous faire passer, sans crier gare, du 9 au 11 septembre!
Rasséréné par cette nouvelle qui, à la réflexion, ne m'a guère étonné vu les moeurs audiovisuelles et en particulier radiophoniques de notre beau pays, j'ai pu écouter la suite plus tranquillement et sereinement, au fond de mon lit, comme je le fais souvent à ces heures, et en passant d'une chaîne à une autre pour fuir la publicité. C'est ainsi que, non sans quelque étonnement, j'ai pu entendre interviewer, (sur Europe 1 à 8:15) par l'inusable septuoctogénaire Jean-Pierre Elkabbach, Christian Blanc, ci-devant préfet et ministre. La perspective d'entendre, à propos du 11 septembre le peu loquace C. Blanc m' a tenu au lit au delà de mon horaire habituel.
Petite remarque adjacente : l'audiovisuel mériterait une étude particulière pour tout ce qui touche à l'emploi du quatrième âge. Europe1 étant une chaîne privée, les patrons y font ce qu'ils veulent. En revanche, j'entendais, l'autre jour, sur France-Infos ou Fran-Inter me semble-t-il, la sempiternelle et interminable revue de presse d'Ivan Levaï (75 ans aux cerises!). Ne peut-on trouver, parmi les 12.000 employés de France-Télévision ou, si c'est impossible, recruter sur CDD un jeune pour remplacer ce chroniqueur cacochyme . Je comprends d'autant moins que, si je me souviens bien il n'était guère populaire dans une maison où il avait même réussi par ses moeurs de petit chef ( à tous les sens du terme) à mettre en grève tout le personnel de son service. Il est vrai que ce jour-là il causait de DSK et que le fait d'avoir servi avec lui dans le même corps pouvait paraître justifier ce choix !
Mais revenons à Christian Blanc et à Ground Zero. Je passe sur le récit lui-même. C. Blanc faisait partie du million et demi de personnes qui étaient à Manhattan, en cette belle matinée du 11 septembre 2001. Il était même aux premières loges puisqu'il était au Marriott, un hôtel qui reliait les deux tours jumelles. Il a quitté le Marriott vers 8:30 et a pénétré dans son lieu de rendez-vous, comme l'atteste le poinçon de son badge, à 8:48, c'est-à-dire au moment même où le premier avion s'écrasait sur la première tour. Son récit n'est pas inintéressant, mais il n'apporte pas grand-chose d'autre que la plupart de ceux que nous avons déjà entendus dans les dix années qui viennent de s'écouler. L'événement fut inattendu, bruyant et spectaculaire.
Le piquant de la chose est ailleurs. Dans sa présentation de cette interview Jean-Pierre Elkabbach avait cru bon d'attirer l'auditeur (à moins que cela ne soit perfide) en précisant qu'en cette circonstance, Christian Blanc avait été sauvé par son cigare, alors que chacun se souvient, bien sûr, qu'il a été naguère perdu par ses havanes, (enfin, en tout cas, sinon les siens du moins ceux de la République !).
Le héros de l'anecdote confirmait ce détail dans son récit, en précisant qu'il était en effet sorti un quart d'heure avant l'heure de son rendez-vous tout proche (en face même des Twin Towers) parce que il voulait fumer un cigare, alors que cette pratique était rigoureusement interdite au Marriott comme dans tout autre hôtel des États-Unis. On peut donc, d'une certaine façon, dire effectivement qu'il a été sauvé par son cigare puisque, selon Elkabach, s'il était sorti un quart d'heure plus tard, il aurait été victime de la catastrophe qui a englouti le Marriott.
Le seul problème est que c'est totalement faux puisque le Marriott ne s'est nullement effondré à 8:48 lors de l'attaque de première tour. Il s'est même si peu effondré que son toit, où était tombé le train d'atterrissage de l'avion, a servi, avant l'effondrement des tours, de base de départ aux interventions des pompiers. Des occupants des tours ont d'ailleurs sauté de leurs bureaux sur le toit du Marriott. C. Blanc aurait-il définitivement renoncé aux cigares et serait-il, de ce fait, resté un quart d'heure de plus au Marriott que rien n'aurait changé dans sa vie puisque sur les 1500 occupants de l'hôtel (clients et personnel), il n'y a eu que deux douzaines de morts ou de disparus. M'enfin...
Ce qui rend l'anecdote un peu douteuse et qu'on se souvient que, lorsqu'il était ministre, Christian Blanc avait la fâcheuse habitude de se faire livrer des cigares et d'en faire acquitter la facture par son ministère ; c'est même cette circonstance qui l'a conduit à démissionner.
Certes, on voit bien qu'il y a, dans ce récit, un scoop pour le journaliste et une posture avantageuse pour l'intéressé. Toutefois mon mauvais esprit me conduit à m'interroger sur la pertinence et l'opportunité de tels propos. L'évocation des cigares de Christian Blanc est ambiguë ; on peut y voir à la fois le rôle du hasard dans sa survie (ce qui est faux, comme l'a vu car, serait-il resté au Marriott qu'il en aurait été évacué comme tous les autres clients), mais aussi un rappel peu heureux du fait que si les cigares lui ont sauvé la vie à New-York, ils lui avaient auparavant fait perdre son maroquin.
En tout état de cause, la remarque finale de Jean-Pierre Elkabbach, pour clore cette interview, n'était pas très fine. Il a en effet invité Christian Blanc à exprimer (et je cite avec une totale exactitude sa formule) sa "gratitude » à l'égard des cigares ; il a fort heureusement évité, à ce moment, le fatal lapsus avec un terme, dont la proximité phonétique était dangereuse :« la gratuité de ces mêmes cigares »! Si en 2001, C. Blanc ne fut pas sauvé par ses cigares, sauf dans sa légende dorée, ces mêmes cigares, offerts par Merrill Lynch France qu'il présidait alors, étaient en revanche sans doute déjà gratuits.
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